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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME TROISIéME

 

CHAPITRE XI

 

- RAPPORTS AVEC LES AMES DU PURGATOIRE.

- LES ANGES.

- LES HABITATIONS DE LA JƒRUSALEM CƒLESTE.

 

         Dans ce qui prŽcde il a ŽtŽ dŽjˆ souvent question de la profonde compassion pour les ‰mes du purgatoire qui poussait Anne Catherine ˆ prier sans rel‰che et ˆ faire sans cesse pour elles toute espce de sacrifices et d'oeuvres de charitŽ. Nous rassemblerons maintenant celles de ses visions qui embrassent le plus de choses touchant les divers Žtats de souffrance des dŽfunts ; nous parlerons en mme temps de divers travaux faits pour les assister, afin que le lecteur puisse avoir une image aussi complte que possible de son incroyable activitŽ.

         La premire fois que le Plerin passa prs d'elle la fte de la Toussaint et le jour des Morts, le voyant partager cette indiffŽrence gŽnŽrale envers les dŽfunts, qui fait que nous nous tranquillisons si facilement sur leur sort par la pensŽe que les secours que nous pouvons leur donner ne leur sont plus nŽcessaires ou ne le sont plus ˆ un haut degrŽ, quoiqu'il en soit tout autrement dans la rŽalitŽ, elle disait souvent en gŽmissant : Ç Il est triste de voir combien on pense peu ˆ secourir les ‰mes du purgatoire. Et pourtant leur misre est si grande! Elles ne peuvent pas s'aider elles-mmes! Mais quand quelqu'un prie pour elles, souffre quelque chose pour elles, fait l'aum™ne pour elles, cela leur profite aussit™t. Elles sont alors aussi joyeuses, aussi heureuses qu'un homme mourant de soif auquel on prŽsente une boisson rafra”chissante. È

         Et quand elle voyait que ses paroles faisaient impression sur le Plerin, elle lui montrait aussi quel pouvoir de consolation et d'assistance rŽside dans les actions mŽritoires offertes ˆ Dieu avec une intention pure pour les pauvres ‰mes, par exemple dans les pratiques d'abnŽgation de soi-mme et de mortification de la volontŽ propre, dans les victoires remportŽes sur les mauvais penchants, dans les actes de patience, de douceur, de profonde humilitŽ, de pardon sincre, de bienveillance vŽritable, etc.

         Ç Ah ! disait-elle souvent, combien les pauvres ‰mes ont ˆ souffrir ˆ cause de l'abandon o elles sont laissŽes, par suite du rel‰chement dans la piŽtŽ, du manque de zle pour la gloire de Dieu et le salut du prochain! Comment peut-on les secourir sinon par la charitŽ qui satisfait pour elles, qui offre pour elles ces actes de vertu qu'elles-mmes ont le plus nŽgligŽs pendant leur vie? Les saints dans le ciel ne pouvant plus faire pŽnitence et satisfaire pour elles, elles n'ont ˆ attendre de secours que des enfants de l'Eglise militante. Et avec quelle ardeur elles le dŽsirent ! Elles savent qu'aucune bonne pensŽe, qu'aucun dŽsir sŽrieux qu'a un vivant de leur faire du bien ne reste sans effet et pourtant combien peu s'occupent d'elles ! Un prtre qui dit son brŽviaire dŽvotement dans la pensŽe de supplŽer les manquements que les pauvres ‰mes ont encore ˆ expier, peut leur procurer des consolations incroyables. De mme, la vertu de la bŽnŽdiction sacerdotale pŽntre jusque dans le purgatoire et rafra”chit, comme une rosŽe cŽleste, les ‰mes auxquelles elle est envoyŽe avec une foi ferme. Celui qui pourrait voir tout cela comme je le vois, chercherait certainement ˆ les assister de tout son pouvoir.

         Elle plaignait par-dessus tout ces dŽfunts que ceux qui leur survivent louent outre mesure et Žlvent jusqu'au ciel pour leurs qualitŽs et leurs avantages naturels, ou auxquels ces mmes survivants portent une affection molle et exagŽrŽe, au point de ne pouvoir supporter la pensŽe qu'ils soient encore dans un Žtat de souffrance et de purification: car elle voyait leurs ‰mes comme les plus dŽnuŽes et les plus dŽlaissŽes de toutes celles qui sont dans le purgatoire.

         Ç Je vois toujours, disait-elle souvent, les louanges immodŽrŽes comme un vol, comme une soustraction faite au prŽjudice de celui auquel sont prodiguŽs ces Žloges immŽritŽs. È

         Un jour qu'Anne Catherine avait eu avec le Plerin, que ces sortes d'avertissements touchaient profondŽment, un long entretien sur les rapports des survivants avec les morts, il rŽunit dans ce qu'on va lire ce qui lui parut le plus remarquable dans les discours de la voyante.

         Tout ce que l'homme pense, dit et fait, a en soi quelque chose de vivant qui a son effet pour le bien ou pour le mal. Celui qui a fait le mal, doit se h‰ter d'effacer sa faute par le repentir et la confession dans le sacrement de pŽnitence; autrement il lui est difficile ou mme impossible d'empcher les consŽquences du mal qu'il a fait de se dŽvelopper entirement. J'en ai souvent eu la perception, mme physique, dans les maladies et les souffrances de certaines personnes et dans la malŽdiction attachŽe ˆ certains lieux, et il m'a toujours ŽtŽ montrŽ que la faute non expiŽe ni pardonnŽe a des effets postŽrieurs incalculables. J'ai vu le ch‰timent de bien des pŽchŽs s'Žtendant ˆ une postŽritŽ ŽloignŽe, comme quelque chose de naturel et de nŽcessaire, de mme que l'effet de la malŽdiction attachŽe ˆ un bien mal acquis ou l'horreur involontaire devant des lieux o de grands crimes ont ŽtŽ commis. Je vois cela comme aussi naturel et aussi nŽcessaire qu'il l'est que la bŽnŽdiction bŽnisse et que ce qui est saint sanctifie. Depuis que j'ai l'usage de la raison, j'ai un sentiment trs-vif de ce qui est bŽnit et de ce qui est profane, de ce qui est saint et de ce qui ne l'est pas. Ce qui est saint m'attire et m'entra”ne aprs soi, d'une manire irrŽsistible : ce qui est profane me repousse, m'inquite, me fait frissonner, me force ˆ le combattre par la foi et la prire. Cette impression a toujours ŽtŽ pour moi particulirement claire et vive prs des ossements humains, bien plus, prs du plus petit grain de poussire venant d'un corps habitŽ jadis par une ‰me. La force de ce sentiment en moi m'a toujours obligŽe de croire qu'il y a un certain rapport qui lie toutes les ‰mes ˆ leurs corps car je me suis trouvŽe dans les Žtats les plus divers, j'ai vu trs distinctement se produire les effets les plus Žtranges prs des ossements reposant dans les tombeaux et les cimetires. J'ai eu prs de certains ossements le sentiment de la lumire, de la bŽnŽdiction surabondante et du salut prs d'autres j'ai eu celui de divers degrŽs de pauvretŽ et d'indigence, et j'ai senti qu'on me suppliait de venir en aide par la prire, le ježne et l'aum™ne. Mais, prs de quelques tombeaux, j'Žtais remplie d'Žpouvante et d'horreur. Quand j'avais ˆ prier la nuit dans le cimetire, j'Žprouvais sur les tombeaux de cette espce la sensation de tŽnbres plus profondes que la nuit elle-mme; il faisait lˆ plus noir que dans le noir: c'Žtait comme quand on fait un trou dans un drap noir, ce qui fait para”tre la teinte encore plus sombre. J'ai vu bien des fois s'Žlever de ces tombeaux comme une vapeur noire qui me faisait frissonner. Il m'est aussi arrivŽ, quand le dŽsir de porter secours me portait ˆ pŽnŽtrer dans ces tŽnbres, de sentir devant moi quelque chose qui repoussait le secours offert. La foi vive dans la trs-sainte justice de Dieu Žtait alors pour moi comme un ange qui me faisait sortir des horreurs d'un semblable tombeau. Sur d'autres tombes je voyais une colonne d'ombre d'un gris tant™t plus clair, tant™t plus terne, sur plusieurs une colonne de lumire, un rayon plus apparent ou plus faible: sur plusieurs je ne voyais rien para”tre, ce qui m'attristait toujours excessivement. J'eus la conviction intŽrieure que les rayons plus clairs ou plus ternes sortant des tombeaux Žtaient le moyen par lequel les pauvres ‰mes exprimaient ˆ quel degrŽ elles avaient besoin d'assistance, et que celles qui ne pouvaient donner aucun signe Žtaient dans la partie la plus reculŽe du purgatoire et absolument sans secours, que personne ne pensait ˆ elles, qu'elles Žtaient privŽes de toute possibilitŽ d'agir et rejetŽes au plus loin quant aux rapports avec le corps de l'ƒglise. Quand je priais sur quelqu'un de ces tombeaux, j'entendais souvent une voix sourde, brisŽe, arriver ˆ moi des profondeurs de lÕab”me et me dire en gŽmissant Ç aide-moi ˆ sortir È Et je sentais distinctement en moi-mme l'angoisse d'une personne absolument dŽnuŽe de tout secours. Je priais toujours pour ces dŽlaissŽs, ces oubliŽs, avec plus d'ardeur et de persŽvŽrance que pour les autres, et j'ai vu souvent monter peu ˆ peu sur quelques-uns de ces tombeaux vides et muets des colonnes d'ombre gris‰tre qui allaient s'Žclaircissant de plus en plus ˆ mesure que le secours de la prire Žtait continuŽ. Les tombeaux sur lesquels je voyais des colonnes d'ombre plus claires ou plus ternes, m'Žtaient dŽsignŽs comme les tombeaux de ces dŽfunts qui ne sont pas entirement oubliŽs, pas entirement encha”nŽs et qui, par le degrŽ de purification o leur supplice expiatoire les a fait parvenir, ou par l'aide et les prires d'amis vivants, se trouvent dans un commerce plus ou moins consolant avec l'ƒglise militante de la terre. Dieu leur fait encore la gr‰ce de pouvoir donner un signe de leur participation ˆ la communion des saints ; ils sont en voie d'accroissement quant ˆ la lumire et ˆ la bŽatitude; ils nous implorent, car ils ne peuvent s'aider eux-mmes, et ce que nous faisons pour eux, ils l'offrent pour nous ˆ Notre Seigneur JŽsus-Christ. Ils m'apparaissent toujours comme de pauvres prisonniers qui peuvent encore provoquer la pitiŽ de leurs semblables par un cri, par une prire, par une main tendue hors de la prison. Quand je voyais un cimetire o ces apparitions passaient devant mon ‰me, avec leur degrŽ diffŽrent de lumire et d'obscuritŽ, le tout Žtait comme un jardin qui n'est pas partout Žgalement cultivŽ ou dont une partie est tout ˆ fait en friche. Quand ensuite je priais et travaillais et que je poussais d'autres personnes ˆ en faire autant, il me semblait que les plantes se redressaient, que nous remuions et rafra”chissions la terre, quÕune semence entirement cachŽe se produisait au jour et que la rosŽe et la pluie venaient sur le jardin. Ah! si tout le monde voyait cela comme moi, on travaillerait certainement dans ce jardin avec bien plus de diligence encore que je ne le fais. Lorsque dans des visions de ce genre, je visite des cimetires, je puis aussi bien me rendre compte de la charitŽ et du zle chrŽtien d'une paroisse que je puis autour d'un village apprŽcier, d'aprs l'Žtat des champs et des jardins, la diligence et l'activitŽ des habitants quant aux choses temporelles. Depuis que je suis au monde, Dieu m'a souvent accordŽ la gr‰ce de voir de mes yeux beaucoup d'‰mes monter avec une joie indicible du purgatoire dans le ciel. Mais comme on ne peut ni travailler fructueusement, ni aider ceux qui souffrent, sans efforts, sans luttes et sans combats, souvent, lorsqu'Žtant un enfant plein de santŽ o une jeune fille robuste, je priais sur les tombeaux ou dans le cimetire, j'ai ŽtŽ troublŽe, effrayŽe et maltraitŽe d'une rude faon par des ‰mes damnŽes ou mme par le dŽmon lui-mme. Des bruits soudains et des spectres effrayants m'environnaient; souvent j'Žtais renversŽe sur les tombeaux, souvent j'Žtais jetŽe de c™tŽ et d'autre, quelquefois mme une force invisible cherchait ˆ me retenir hors du cimetire. Mais Dieu m'a fait la gr‰ce de ne jamais m'effrayer et de ne jamais reculer d'un pas devant l'ennemi : quand j'Žtais interrompue, je redoublais de prires. Oh ! combien de remerciements j'ai reus des pauvres ‰mes ! Pourquoi tous les hommes ne veulent-ils pas partager cette joie avec moi ? Quelle surabondance de gr‰ces n'y a-t-il pas sur la terre? Mais combien on les oublie, et combien on les laisse se perdre, pendant que les pauvres ‰mes soupirent si ardemment aprs ces gr‰ces ! Dans les lieux divers o elles endurent des supplices de toute espce, elles sont pleines d'angoisses et de dŽsirs; elles languissent dans l'attente du secours et de la dŽlivrance. Et quelque grande que soit leur dŽtresse, elles louent pourtant notre Seigneur et Sauveur. Tout ce que nous faisons pour elles, est une source de biens infinis. >

 

2. Fte de la Toussaint et jour des Morts (1819).

 

         Ç J'ai fait un grand voyage avec mon conducteur. Il est impossible de rendre ce que sont ces pŽrŽgrinations. Je ne me souviens pas alors qui je suis et comment je suis. Je vais tranquillement avec lui ˆ travers toute sorte de lieux : je regarde et je suis contente. Quand j'interroge, je reois une rŽponse, et quand je n'en reois pas, je suis encore contente. Nous travers‰mes la ville o ont eu lieu tant de martyres (Rome), puis nous all‰mes au-delˆ de la mer, ˆ travers des pays dŽserts jusqu'ˆ l'endroit o existait autrefois la maison de sainte Anne et de Marie : lˆ je m'Žlevai de dessus la terre. Je vis les cohortes innombrables des saints avec leur variŽtŽ infinie. Et pourtant dans l'‰me et le sentiment intŽrieur tout cela ne faisait qu'un. Tous vivaient et se mouvaient dans une vie d'allŽgresse et tous se pŽnŽtraient mutuellement et se miraient les uns dans les autres. Ce que je voyais Žtait comme une coupole incommensurable pleine de tr™nes, de jardins, de palais, d'arcades, de guirlandes de fleurs, d'arbres, et tout Žtait reliŽ par des voies et des chemins qui brillaient comme de l'or et des pierres prŽcieuses. Tout en haut, au centre, Žtait une splendeur infinie, le sige de la DivinitŽ. Les saints Žtaient groupŽs selon leurs relations et leurs liens spirituels. Tous les religieux Žtaient rŽunis selon les ordres auxquels ils avaient appartenu et, dans ceux-ci, ils Žtaient encore rangŽs par catŽgories, placŽs plus haut ou plus bas selon les combats personnels qu'ils avaient livrŽs. Ceux qui avaient souffert le martyre ensemble se tenaient ensemble, classŽs selon le degrŽ de leur victoire. Les classes d'hommes qui, sur la terre, n'avaient reu aucune consŽcration ecclŽsiastique, Žtaient rangŽes selon leurs progrs dans la vie spirituelle. C'Žtait une hiŽrarchie particulire formŽe d'hommes de toutes les classes ainsi rangŽs d'aprs les efforts qu'ils avaient faits pour se sanctifier. Ils Žtaient rŽpartis avec un ordre merveilleux dans les jardins et les habitations. Les jardins Žtaient pleins de charme et revtus d'une splendeur inexprimable. Je vis des arbres avec de petits fruits jaunes lumineux. Ceux qui Žtaient associŽs par la ressemblance de leurs efforts pour se sanctifier, avaient une aurŽole de mme forme qui Žtait comme un habit religieux surnaturel : ils se distinguaient d'ailleurs par divers insignes se rapportant ˆ leurs victoires. Ils portaient des couronnes et des guirlandes, tenaient des palmes ˆ la main, et formaient un mŽlange de toutes les professions et de tous les pays. Je vis entre autres un prtre connu de moi, qui me dit: Ç Ta t‰che n'est pas finie. È Je vis aussi de grandes troupes de soldats vtus ˆ la romaine et beaucoup de gens de ma connaissance. Tous chantaient ensemble, et je chantai avec eux un cantique plein de charme. Je regardai aussi en bas vers la terre et je la vis comme une petite ”le au milieu des eaux; autour de moi tout Žtait incommensurable.. Ah! la vie est si courte, elle finit si vite et on peut tant gagner que je ne dois pas m'attrister. JÕaccepterai volontiers et joyeusement toutes les souffrance possibles de la main de Dieu! È

 

2 novembre : Ç J'allai avec mon conducteur dans lin lieu o Žtaient renfermŽes des ‰mes. L'aspect en Žtait morne. J'allai de tous les c™tŽs et je donnai des consolations. Je vis ces ‰mes enfoncŽes dans les tŽnbres, les unes ˆ moitiŽ, les autres jusqu'au cou, toutes plus ou moins. Elles Žtaient les unes prs des autres, mais chacune comme dans une prison sŽparŽe. Quelques-unes souffraient de la soif, d'autres du froid, d'autres du chaud : elles ne pouvaient pas s'aider et Žtaient en proie ˆ des tortures et ˆ des dŽsirs infinis. J'en vis dŽlivrer une trs grande quantitŽ : leur joie est inexprimable. S'Žlevant en grand nombre sous la forme d'esprits d'apparence gris‰tre, elles recevaient pour un peu de temps, pendant leur court trajet ˆ un lieu plus ŽlevŽ, les vtements et les marques distinctives de leur Žtat, tels qu'elles les avaient portŽs sur la terre. Le lieu o elles se rassemblaient Žtait un grand espace situŽ au-dessus du purgatoire et qui Žtait entourŽ comme d'une haie d'Žpines. Je vis lˆ la dŽlivrance de plusieurs mŽdecins : ils furent reus par une espce de procession formŽe, d'hommes qui avaient ŽtŽ mŽdecins comme eux, et elle les conduisit plus haut. Je vis aussi l'Žlargissement d'un trs grand, nombre de soldats ce qui me fit grand plaisir pour les pauvres gens tuŽs ˆ la guerre. Je vis peu de religieuses, encore moins de juges; mais beaucoup de vierges qui se seraient consacrŽes ˆ la vie du clo”tre si elles en avaient eu l'occasion et je les vis emmener par de bienheureuses nonnes. Je vis aussi quelques anciens rois, quelques personnes de familles royales, un grand nombre d'ecclŽsiastiques et aussi beaucoup de paysans. Parmi toutes ces ‰mes, j'en vis beaucoup de ma connaissance, beaucoup qu'ˆ leur costume je jugeai appartenir ˆ des pays Žtrangers. Chaque classe

Žtait conduite en haut dans diverses directions par des ‰mes de mme condition et, dans cette ascension, ils perdaient leurs insignes terrestres et recevaient un vtement de lumire propre aux bienheureux. Je reconnus dans le purgatoire non-seulement les gens de ma connaissance, mais aussi des parents de mes amis que je n'avais jamais vus. Je vis dans le plus grand abandon ces pauvres bonnes ‰mes qui n'ont personne qui se souvienne d'elles, et, parmi ceux qui les oublient, il y a un si grand nombre de nos frres dans la foi qui nŽgligent la prire ! C'est pour ces ‰mes que je prie le plus. Ensuite j'entrai dans une autre vision. Je me trouvai tout ˆ coup en costume de petite paysanne tel que je le portais dans mon enfance. J'avais un bandeau sur le front et un bonnet sur la tte. Mon conducteur me conduisit au-devant d'une troupe lumineuse qui venait du ciel. Ce n'Žtaient que des figures couronnŽes, et au-dessus d'elles planait le Sauveur avec un b‰ton blanc surmontŽ d'une croix o flottait une petite bannire. Elles Žtaient une centaine; la plupart Žtaient des vierges; il n'y avait qu'un tiers d'hommes. Tous portaient des vtements royaux trs brillants o les couleurs de diverses aurŽoles rayonnaient les unes ˆ travers les autres, ce qui en faisait un spectacle des plus admirables. Ils avaient sur la tte des couronnes circulaires ouvertes et aussi des couronnes fermŽes. Parmi eux plusieurs Žtaient distinguŽs par des blessures visibles autour desquelles se rŽpandait une lueur rouge‰tre. Je fus menŽe ˆ eux par mon conducteur : j'Žtais excessivement intimidŽe et ne savais pas comment moi, pauvre paysanne, je devais parler ˆ ces rois. Mon guide me dit : Ç Tu peux, toi aussi, devenir ce qu'ils sont È; et alors, ˆ la place de mon habit de paysanne, je fus revtue d'une blanche robe de religieuse : je vis autour de moi tous ceux qui avaient ŽtŽ prŽsents ˆ ma prise d'habit et notamment les religieuses de notre couvent arrivŽes ˆ la bŽatitude. Je vis que plusieurs personnes que j'avais connues pendant leur vie et auxquelles j'avais eu affaire, levaient les yeux vers moi du purgatoire. Je reconnus de vraies et de fausses sympathies. Plusieurs me suivaient des yeux avec tristesse et se repentaient de bien des choses lorsque je fus forcŽ de m'Žloigner d'eux. C'Žtaient des bourgeois de la petite ville.

 

3. Fte des Anges gardiens (1820).

 

         Je vis une Žglise de la terre o se trouvaient beaucoup de personnes que je connaissais. Au-dessus d'elle, je vis plusieurs autres Žglises dans lesquelles le regard pŽnŽtrait comme dans les Žtages d'une tour. Toutes ces Žglises Žtaient remplies de choeurs angŽliques et chacun d'une manire diffŽrente. Au point le plus ŽlevŽ, je vis la trs sainte Vierge devant le tr™ne de la sainte TrinitŽ et entourŽe de la plus haute hiŽrarchie cŽleste. Au-dessous je vis l'Žglise : au-dessus c'Žtaient comme des cieux superposŽs les uns aux autres et o il n'y avait que des anges. En haut rŽgnaient un ordre et une activitŽ indescriptibles en bas, dans l'Žglise, tout se faisait avec une apathie et une nŽgligence sans nom : on s'en apercevait surtout parce que c'Žtait la fte des anges, et parce que les anges portaient en haut jusqu'ˆ Dieu avec une incroyable rapiditŽ toutes les paroles que les prtres prononaient sans respect et sans attention en disant la sainte messe, et qu'ils rŽparaient tous les manquements contraires ˆ l'honneur dž ˆ Dieu. Je vis dans l'Žglise une surprenante activitŽ des anges gardiens prs des hommes. Je vis comment ils chassaient loin d'eux d'autres esprits, en mme temps qu'ils leur suggŽraient de bonnes pensŽes et leur prŽsentaient des tableaux Žmouvants. Les anges gardiens se complaisent dans les ordres de Dieu : la prire de leurs protŽgŽs augmente encore leur zle. J'ai vu entre autres choses que tout homme, ˆ sa naissance, reoit deux esprits, l'un bon, l'autre mauvais. Le bon est cŽleste par sa nature, mais appartenant ˆ la hiŽrarchie infŽrieure : le mauvais n'est pas encore un diable, il n'est pas encore dans les supplices : mais il est privŽ de la vision de Dieu. Je vois toujours dans un certain cercle autour de la terre, neuf corps ou espaces sphŽriques comme des astres lointains : je les vois habitŽs par des esprits de diverse nature et je vois partir d'eux des bandes de rayons dans lesquelles on peut suivre chaque ligne jusqu'ˆ un point quelconque de la terre : j'ai toujours pensŽ qu'ils sont par lˆ en rapport avec la terre. Ces neuf mondes peuplŽs d'esprits forment comme trois sections ; au-dessus de chacune d'elles, je vis un autre grand ange siŽger sur un tr™ne : l'un tient un sceptre, l'autre une verge, le troisime une ŽpŽe. Ils ont des couronnes, de longues robes, et leur poitrine est toute ornŽe de rubans. Dans ces mondes habitent les mauvais esprits qui, ˆ la naissance de chaque homme, s'associent ˆ lui par un rapport intime que je vois alors clairement et que j'admire, mais que je ne puis expliquer ˆ prŽsent. Ces esprits ne sont pas diaphanes et attrayants comme les anges ; ils reluisent ˆ la vŽritŽ, mais c'est une lueur extŽrieure et trouble, c'est comme un reflet. Les uns sont paresseux, languissants, rveurs, mŽlancoliques, les autres violents, irascibles, farouches, obstinŽs, pleins de raideur ou bien encore fertiles en jongleries, etc. C'est comme s'ils Žtaient des passions. Ils sont colorŽs et j'ai remarquŽ chez eux les mmes couleurs que je vois se manifester ˆ travers les hommes lorsqu'ils Žprouvent des souffrances et des combats intŽrieurs, et qui, transfigurŽes dans l'aurŽole des martyrs, rayonnent hors d'eux et se fondent dans la lumire qui les entoure. C'est comme si les passions chassŽes d'eux par les souffrances devenaient pour eux des couleurs triomphales. Ces esprits ont dans le visage quelque chose de sŽvre, de tranchant, de violent, de pŽnŽtrant : ils s'attachent avec une tŽnacitŽ extraordinaire ˆ l'‰me humaine comme les insectes attirŽs en foule par certaines odeurs et certaines plantes. Ils provoquent dans l'homme des convoitises et des pensŽes de toute espce. Toute leur personne est pleine de rayonnements et d'amorces attrayantes, comme d'aiguillons subtils : ils ne produisent par eux-mmes aucun acte, aucun pŽchŽ : mais ils soustraient l'homme aux influences divines; ils l'ouvrent au monde, l'enivrent de lui-mme, le lient, l'attachent ˆ la terre de diverses manires ; quand il leur cde, il entre dans les tŽnbres, et alors le diable s'approche et imprime comme un sceau ; c'est un acte, un pŽchŽ, cela devient comme une naissance : la sŽparation d'avec ce qui est divin s'est accomplie. J'ai vu spŽcialement comment la macŽration et le ježne affaiblissent beaucoup l'influence de ces esprits, facilitent l'approche et l'action de lÕange gardien et comment par-dessus tout la rŽception des sacrements est un moyen de leur rŽsister. J'ai vu que certaines inclinations et antipathies des hommes, certains dŽsirs et dŽgožts involontaires dŽpendent de ces influences, et que spŽcialement le dŽgožt qu'inspirent certaines btes, notamment la vermine et les insectes, tire d'eux une signification mystŽrieuse : que les insectes qui nous sont particulirement antipathiques sont les images des pŽchŽs et des passions auxquels nos rapports avec ces esprits nous rendent le plus enclins. J'ai su aussi que lorsqu'on voit avec dŽgožt de la vermine, on doit toujours se rappeler ses pŽchŽs et ses mauvaises qualitŽs dont ces insectes sont la figure. J'ai vu de ces esprits prŽsenter dans l'Žglise ˆ plusieurs personnes des parures et des frivolitŽs de toute espce et les tourner vers toute sorte de convoitises : souvent aussi j'ai vu l'ange gardien passer au milieu d'eux et remettre l'homme dans la bonne voie. Je ne puis rendre la variŽtŽ infinie de ces visions.

J'ai vu que les grands de la terre ont prs d'eux des esprits de ce genre douŽs d'une plus grande puissance et je vois aussi des anges plus puissants qui leur sont opposŽs. J'ai jetŽ un coup d'oeil sur la Suisse et j'ai vu comment le diable y travaille contre l'ƒglise dans plusieurs cantons. J'ai vu aussi des anges qui font prospŽrer les biens de la terre et qui rŽpandent quelque chose sur les fruits et les arbres. J'ai vu des anges au-dessus de certains pays et de certaines villes, les protŽgeant et les dŽfendant, parfois aussi les abandonnant. Je ne puis dire quelle innombrable quantitŽ d'esprits j'ai vus. S'ils avaient des corps, l'air en serait obscurci. Lˆ o ces esprits ont une grande influence sur les hommes, je vois toujours le brouillard et la nuit. - Je vois souvent qu'on reoit un nouvel ange gardien quand on a besoin d'un nouveau secours. Dans plusieurs occasions j'ai eu un nouveau conducteur, autre que l'habituel. È Pendant qu'Anne Catherine racontait cela, elle fut subitement ravie en extase. Au bout de quelque temps, elle dit en soupirant : Ç C'est si loin, si loin; l'endroit d'o viennent ces esprits violents, opini‰tres, cruels, qui descendent lˆ, est si ŽloignŽ! È Revenue ˆ elle, voici ce qu'elle rapporta : Ç J'ai ŽtŽ portŽe ˆ une hauteur infinie, je vis descendre d'une des sphres, qui est la plus ŽloignŽe des neuf, beaucoup d'esprits violents, obstinŽs, indomptables, vers le pays o les troubles et la guerre vont Žclater incessamment. Ces esprits viennent prs de ceux qui ont le pouvoir et ils rendent presque impossible un rapprochement avec eux. J'ai vu aussi la sainte Vierge obtenir l'envoi de toute une armŽe d'anges sur la terre et j'ai vu ceux-ci descendre en volant : un grand ange plein d'ardeur, armŽ d'un glaive flamboyant, est parti pour combattre ces esprits intraitables. Ce sont eux qui rendent presque impossible le rapprochement entre les grands et le peuple.

Ç Il y a aussi des ‰mes qui ne sont ni dans le purgatoire, ni dans l'enfer, ni dans le ciel, mais qui sont forcŽes d'errer sur la terre, pleines d'angoisses et de soucis, et qui s'efforcent d'achever quelque chose qu'elles sont tenues de faire. Elles habitent des endroits dŽserts, des tombeaux, des ruines abandonnŽes et les lieux tŽmoins de leurs mŽfaits. Ce sont des spectres. È

         Quelques heures aprs, elle dit, Žtant en extase : Ç Ah! qui jamais a vu pareille chose? Un grand ange flamboyant parti du lied du tr™ne de Dieu, volait au-dessus de la ville de Palerme o rgne l'insurrection, et il prononait des paroles de ch‰timent avec une voix perante, qui pŽnŽtrait jusqu'ˆ la moelle des os, et je vis, dans la ville qui Žtait au-dessous, des personnes tomber mortes. È

         Dans une occasion postŽrieure, elle dit : Ç J'ai souvent vu, ds mon enfance et ˆ un ‰ge plus avancŽ, que trois choeurs d'anges, qui Žtaient plus ŽlevŽs que les archanges, tombrent tout entiers, mais que tous pourtant ne furent pas prŽcipitŽs dans l'enfer, et qu'une partie qui Žprouvait une espce de repentir resta hors de l'enfer. Ce sont les esprits habitant les plantes qui viennent sur la terre pour Žgarer les hommes. Au dernier jour ils doivent tre jugŽs et condamnŽs. J'ai toujours vu que les diables ne peuvent jamais sortir de l'enfer. J'ai vu aussi que beaucoup de damnŽs ne vont pas tout de suite en enfer, mais s'arrtent encore sur la terre dans des endroits dŽserts o ils sont tourmentŽs. È

         Ç Les hommes, s'ils font des progrs dans la vie intŽrieure, reoivent des anges gardiens d'une hiŽrarchie supŽrieure. Les rois et les princes ont aussi des anges gardiens d'une hiŽrarchie plus ŽlevŽe. - Les quatre anges ailŽs, appelŽs ƒlohim, qui distribuent les gr‰ces divines, se nomment Raphiel, Etophiel, Salathiel, Emmanuel. Les choses se passent dans un ordre bien plus rŽgulier que sur la terre, mme chez les mauvais esprits et les dŽmons. Lˆ o un ange se retire, un diable prend aussit™t sa place et agit en sens contraire mme parmi les esprits planŽtaires, il rgne un grand ordre. Ce sont aussi des esprits tombŽs, mais pas encore des diables : ils sont trs diffŽrents de ceux-ci : ils montent et descendent sur la terre. Dans une des sphres, ils sont tout ˆ fait mornes et tristes, dans l'autre ardents et violents, dans l'autre lŽgers, dans une autre exacts et prŽvoyants. Ils agissent sur tout ce qui vit sur la terre et sur les hommes au moment de leur naissance. Ces esprits forment certaines hiŽrarchies, certaines associations. Je vis dans leurs plantes des formes ressemblant ˆ des vŽgŽtaux et ˆ des arbres : cependant tout cela a peu de consistance : c'est comme des champignons. Il y a aussi lˆ des eaux, quelques-unes limpides comme le cristal, d'autres troubles et qui semblent empoisonnŽes. Il me semble aussi que chacun de ces corps planŽtaires a quelque chose d'un mŽtal. Ces esprits se nourrissent de fruits qui sont appropriŽs ˆ leur substance. Quelques-uns sont aussi une occasion de bien, en tant que l'homme fait tourner au bien leurs impulsions. Tous les corps cŽlestes ne sont pas habitŽs : quelques-uns sont seulement des jardins, comme des rŽcipients pour certaines influences et certains fruits. - Je vois aussi des lieux o habitent des ‰mes qui ne sont pas des ‰mes de chrŽtiens et qui pourtant ont bien vŽcu. Il y a quelque chose d'obscur dans leur vie et elles ont le pressentiment que cela doit changer un jour. Elles sont sans joie et sans souffrance et mangent aussi certains fruits. È

         Ç La lune est froide et pierreuse, pleine de hautes montagnes, de cavernes et de gorges profondes. Elle exerce tour a tour comme une attraction et une pression sur la terre. Les eaux y sont dans un mouvement perpŽtuel d'ascension et de chute : tant™t elles tirent de la terre des masses de vapeurs, et ce sont alors comme de gros nuages qui entrent dans les parties creuses; tant™t au contraire, il semble que tout dŽborde, et alors la lune exerce une pression si forte sur la terre que les hommes en deviennent mŽlancoliques. J'y vois beaucoup d'tres, dont la figure ressemble ˆ la figure humaine, qui s'enfuient toujours dans l'ombre devant la lumire ; ils se tiennent cachŽs comme s'ils avaient honte d'eux-mmes : on dirait qu'ils ont une conscience en mauvais Žtat. Je vois cela plus souvent au centre de la lune. Je vois ˆ ses limites extrmes comme des campagnes et des bosquets dans lesquels habitent des animaux. Je ne vois pas dans la lune de culte rendu ˆ Dieu. Le sol est jaune, mais le plus souvent rocailleux: les arbres et les vŽgŽtaux sont lŽgers comme de la moelle, de l'Žponge ou du champignon. La lune a des connexions surprenantes avec la terre et avec toute la nature terrestre. Si les hommes la regardent avec tant de curiositŽ et de dŽsir, c'est que chacun y voit quelque chose qui le concerne. Elle tire beaucoup de nous et exerce une pression sur nous. Je vois souvent descendre de la lune de grands nuages qui semblent apporter du poison; ils se posent ordinairement, sur la mer. Je vois alors de bons esprits et des anges qui les divisent et les rendent inoffensifs. Sur la terre je vois certaines contrŽes basses, maudites ˆ cause des pŽchŽs qui s'y commettent, et sur lesquelles descendent le poison; le brouillard et l'obscuritŽ. Je vois toujours aussi les plus nobles races d'hommes habiter dans les lieux o il y a plus de bŽnŽdictions. È

         Ç Les ‰mes que je vois toujours se cacher dans l'ombre semblent n'Žprouver ni souffrances, ni joie, il semble qu'elles soient lˆ comme dans une prison jusqu'au jour du jugement. - La lumire dans la lune est comme morte, elle est d'un blanc bleu‰tre; ce n'est qu'en s'Žloignant de la lune qu'on trouve plus de clartŽ. È

         Ç Les comtes sont pleines de poison, elles sont comme des oiseaux de passage ; s'il n'y avait pas entre elles et la terre de si grandes temptes et d'autres influences exercŽes par les esprits, elles pourraient aisŽment nous faire beaucoup de mal. Des esprits irascibles y habitent. Leur queue est un effet qu'elles produisent, de mme que le feu produit la fumŽe. È

         Ç La voie lactŽe se compose de beaucoup de petites masses d'eau limpides comme du cristal. Il semble que de bons esprits s'y baignent, y plongent, en ressortent et versent de lˆ toute espce de rosŽe et de bŽnŽdictions comme un baptme. Le soleil suit une ligne ovale. C'est un corps bienfaisant, animŽ par de saints esprits. Dans le soleil lui-mme il ne fait pas chaud. La lumire et la chaleur ne prennent naissance qu'autour de lui. Il est blanc et traversŽ par des raies de couleurs diffŽrentes et trs-belles. È

         Ç Plusieurs corps cŽlestes sont encore inhabitŽs : ce sont de beaux lieux qui attendent une population future. Beaucoup sont des jardins et comme des magasins de certains fruits. On n'en comprend l'ensemble qu'en se reprŽsentant un Etat parfaitement rŽglŽ, une citŽ, un grand et merveilleux Žtablissement o rien ne manque. De tous ces corps aucun n'a la dignitŽ ni l'Žnergie intŽrieure de la terre. Les autres possdent en plus grande abondance certaines propriŽtŽs particulires : la terre les a toutes.. Le pŽchŽ d'éve nous a fait tomber, mais maintenant nous pouvons aussi devenir vainqueurs.

         Elle disait toutes ces choses avec la na•vetŽ d'un enfant innocent qui ferait la description de son jardin. Ç Lorsqu'Žtant petite fille, disait-elle, je m'agenouillais, la nuit dans les champs, au milieu de la neige, j'aimais ˆ regarder les belles Žtoiles et je priais Dieu ainsi : Ç Puisque tu es mon vrai pre et que tu as de si belles choses dans ta maison, tu devrais bien me les montrer ! È Et il me les montrait toutes : il me prenait par la main et me conduisait partout, et cela semblait tout naturel; alors je contemplais tout, le coeur plein de joie, et, je ne regardais rien d'autre. È

         Le 2 septembre 1822 elle raconta ce qui suit : Ç Je vins ˆ travers des hauteurs escarpŽes dans un jardin flottant en l'air. Je vis lˆ, entre le nord et le levant, monter, comme le soleil ˆ l'horizon, une figure d'homme qui avait un visage p‰le et allongŽ. Sa tte semblait couverte d'un bonnet pointu. Il Žtait enveloppŽ de cordons et avait sur la poitrine un bouclier dont j'ai oubliŽ l'inscription. Il portait une ŽpŽe entourŽe de rubans bariolŽs, et planait au-dessus de la terre d'un vol lent, semblable ˆ celui de la colombe : il dŽnoua les rubans, agita son ŽpŽe de c™tŽ et d'autre et jeta les rubans sur des villes endormies. Et les rubans les enlacrent comme des lacs. Il laissa aussi tomber des pustules et des bubons sur la Russie, l'Italie et l'Espagne. Il tendit un lacet rouge autour de Berlin : de lˆ, il vint ˆ nous. L'ŽpŽe Žtait nue, des banderoles d'un rouge de sang pendaient de la poignŽe, des gouttes de sang tombaient sur notre pays, Il volait en tournoyant : les rubans ressemblaient ˆ des boyaux d'animaux. È

 

11 septembre. Ç Un ange monte entre le levant et le midi, armŽ d'un glaive: il a ˆ la poignŽe comme une gaine pleine de sang qu'il verse ˆ et lˆ; il vient jusqu'ici et verse du sang sur la place de la cathŽdrale ˆ Munster.

 

4. L'archange S. Michel.

 

         29 septembre 1820. Ç J'ai eu plusieurs visions merveilleuses touchant les apparitions et les ftes de l'archange saint Michel. J'ai ŽtŽ en plusieurs endroits du monde j'ai vu en France son Žglise sur un rocher au milieu de la mer et je l'ai vu comme patron de la France. J'ai vu comment il aida ˆ remporter la victoire un pieux roi, du nom de Louis, qui, sur une rŽvŽlation de la Mre de Dieu, s'Žtait adressŽ ˆ saint Michel et portait son image sur un Žtendard. Le roi fonda un ordre de chevalerie en l'honneur du saint archange. Je l'ai vu maintenant retirer le tabernacle de cette Žglise qui lui est dŽdiŽe en ce lieu et l'emporter. Je vis aussi une apparition de lui ˆ Constantinople et beaucoup d'autres que je ne me rappelle plus. Je vis aussi toute l'histoire miraculeuse de l'Žglise de Saint-Michel sur le mont Gargano et je vis lˆ une grande fte o se rendaient beaucoup de plerins Žtrangers avec leurs vtements relevŽs et des pommes ˆ leurs b‰tons. Ici l'ange servait ˆ l'autel avec d'autres. È (Elle raconta le miracle du mont Gargano ˆ peu prs comme il est rapportŽ ailleurs : seulement elle dit que le lieu o l'Žglise fut b‰tie avait ŽtŽ dŽsignŽ par une figure tracŽe sur le rocher et portant un calice ˆ la main.)

         Ç J'allai ensuite avec lui ˆ Rome o on a aussi construit une Žglise en mŽmoire d'une de ses apparitions : je crois que c'est sous le pape Boniface et sur une rŽvŽlation de la Mre de Dieu. Je suivais l'ange partout : il volait au-dessus de moi, grand et magnifique. Il tenait une ŽpŽe ˆ la main et portait une ceinture qui semblait composŽe de plusieurs rangs de cordons. Il y avait prs de cette Žglise de Saint Michel une contestation ˆ laquelle un trs grand nombre de personnes prenait part. La plus grande partie se composait de catholiques qui ne valaient pas grand'chose, il y avait aussi des sectaires et des protestants. Il me sembla que leur dispute avait rapport au culte divin. L'ange descendit et chassa la foule avec son ŽpŽe : il ne resta qu'environ une quarantaine de personnes et le service divin se fit trs simplement. Ensuite l'ange prit par en haut ˆ l'aide d'un bouton le tabernacle o Žtait le Saint-Sacrement et s'envola de lˆ. Mon conducteur m'ordonna, de le suivre et je marchai vers l'orient, toujours au-dessous de l'ange qui planait. J'allai jusqu'au Gange et ensuite plus au nord. Je vis d'un c™tŽ de ma route la montagne des prophtes : aprs quoi le chemin allait toujours en descendant, le pays Žtait toujours plus froid, plus dŽsert et plus sombre jusqu'au moment o nous arriv‰mes ˆ une immense plaine de glace. Je fus prise d'un grand effroi dans cette solitude : mais des ‰mes vinrent ˆ moi pour me donner du courage. C'Žtaient ma mre, Antrienchen, le vieux Soentgen et plusieurs autres. - Nous arriv‰mes prs d'un grand moulin o nous devions passer. Mais lorsque je fus lˆ, les ‰mes de mes amis restrent en arrire. La glace se brisait continuellement sous mes pas, l'eau fumait et j'avais peur ; mon conducteur me donnait souvent la main. L'eau qui faisait aller le moulin y venait sous la glace : elle Žtait chaude. Ce moulin Žtait plein de gens qui avaient rŽgnŽ et d'autres grands personnages de tous les temps et de tous les pays. Ils Žtaient obligŽs de moudre une quantitŽ de crapauds, de serpents et d'autres btes venimeuses et dŽgožtantes, et aussi de l'or, de l'argent et des objets prŽcieux de toute espce; toutes ces choses tombaient ensuite dans l'eau qui les rapportait vers la terre ferme, privŽes de font pouvoir de nuire. Ces animaux et ces objets leur Žtaient continuellement rapportŽs de la terre ferme par le courant. Ils travaillaient dans le moulin comme des garons meuniers et il leur fallait continuellement balayer la vermine sous la meule, sans quoi ils en Žtaient trs incommodŽs. Ils s'Žpuisaient au travail. Cela me parut tre un lieu de pŽnitence pour les princes qui avaient introduit dans le monde beaucoup de f‰cheuses complications et de mauvaises institutions dont les suites se font encore sentir dans le temps actuel : c'est pour cela qu'ils ne peuvent arriver ˆ la bŽatitude tant que les consŽquences de leurs actions n'ont pas entirement cessŽ de se produire. Ces consŽquences venaient ˆ eux sous la forme de btes hideuses et ils devaient les exterminer pour les empcher de se perpŽtuer. L'eau dans laquelle tout cela Žtait broyŽ Žtait chaude, elle retournait dans le monde et n'avait plus rien de nuisible. - Il nous fallut passer ˆ travers le moulin l'un d'eux s'approcha de nous et balaya promptement la vermine sous la meule afin que nous puissions passer. Il me parla, m'expliqua ce qu'Žtait ce lieu et me dis qu'ils se rŽjouissaient fort de ce que nous passions par lˆ et brisions sous nos pas un peu de cette Žnorme masse de glace sur laquelle nous marchions, car ils devaient moudre lˆ jusqu'ˆ ce que toute cette glace fžt fondue. En nous Žloignant, nous travers‰mes la mer de glace comme par un chemin creux, car il s'y trouvait des fissures profondes, puis nous ežmes longtemps ˆ gravir une montagne de glace et nous rŽjou”mes de ce que nous laissions derrire nous une trace assez prolongŽe qui pouvait servir aux pauvres gens condamnŽs ˆ moudre. È

         Ç En montant je voyais toujours l'archange Michel planer au-dessus de moi, le ciel devenait de plus en plus clair et d'un plus beau bleu et je vis le soleil et d'autres corps cŽlestes comme des visions. Il m'a conduit tout autour de la terre et ˆ travers tous les mondes cŽlestes. J'y vis des jardins innombrables suspendus en l'air : je vis les fruits et leurs significations. J'espre qu'il me sera encore donnŽ d'y entrer et alors je demanderai quelques remdes et quelques recettes pour guŽrir des gens pieux. Je vis des choeurs de saints et je vis souvent aussi ˆ et lˆ tel ou tel saint figurer dans la sphre ˆ laquelle il appartenait avec ses insignes distinctifs. Nous Žlevant toujours plus haut, nous arriv‰mes dans un monde d'une merveilleuse et indescriptible beautŽ c'Žtait comme une coupole. Nous la v”mes semblable ˆ un disque azurŽ entourŽ d'un anneau lumineux au-dessus duquel Žtaient encore d'autres anneaux semblables, chacun d'eux supportant un tr™ne. Tous ces cercles Žtaient pleins d'anges de diverses catŽgories :des divers tr™nes partaient des lignes d'arcades de couleurs variŽes, ornŽes de fruits, de pierres prŽcieuses et de prŽcieux dons de Dieu, lesquelles allaient former une coupole surmontŽe ˆ son tour de trois siges ou tr™nes d'anges : celui du milieu Žtait le sige de Michel : il y vola, portant le tabernacle de l'Žglise qu'il plaa sur la coupole. Chacun des trois anges, Michel, Gabriel, Rapha‘l, avait au-dessous de lui trois des neuf choeurs d'anges. En outre, quatre grands anges lumineux, entirement voilŽs de leurs ailes, se mouvaient continuellement en cercle autour de ces trois. Ce sont, les Elohim et ils s'appellent Raphiel, Etophiel, Emmanuel et Salathiel : ils sont les administrateurs et les distributeurs des gr‰ces surabondantes de Dieu et les rŽpandent dans l'Eglise vers les quatre points cardinaux du monde. Ils les reoivent des trois archanges. Gabriel et Rapha‘l Žtaient en longs vtements blancs, avec un extŽrieur plus sacerdotal, Michel avait sur la tte un casque avec un cimier de rayons. La partie supŽrieure de son corps semblait armŽe et entourŽe de cordons formant comme une ceinture : son vtement allait jusqu'aux genoux comme un tablier ˆ franges. D'une main il tenait un long b‰ton surmontŽ d'une croix sous laquelle Žtait un petit drapeau avec un agneau; l'autre main tenait une ŽpŽe flamboyante, ses pieds aussi Žtaient lacŽs. È

         Ç Au-dessus de cette coupole mon regard pŽnŽtra dans un monde encore plus ŽlevŽ. J'y vis la Trs Sainte TrinitŽ reprŽsentŽe par trois figures: le Pre comme un vieillard semblable ˆ un grand-prtre qui prŽsentait ˆ son Fils placŽ ˆ sa droite le globe du monde : celui-ci tenait la croix de l'autre main, ˆ la gauche du Pre Žtait une forme lumineuse ailŽe. Autour d'eux Žtait un cercle de vingt-quatre vieillards assis sur des siges : les chŽrubins et les sŽraphins se tenaient avec beaucoup d'autres encore autour du tr™ne de Dieu, chantant incessamment un cantique de louanges. È

         Ç Au centre, au-dessus de Michel, se tenait Marie qui avait autour d'elle des cercles innombrables d'‰mes lumineuses, d'anges et de vierges. C'est par Marie que la gr‰ce partant de JŽsus va aux trois archanges. Chacun des archanges envoie, comme des rayons, trois espces de dons de Dieu sur trois des neuf choeurs d'anges infŽrieurs; et ceux-ci ˆ leur tour en font sentir l'action dans toute la nature et dans toute l'histoire du genre humain. È

         Ç Lorsque le tabernacle eut ŽtŽ placŽ lˆ, je le vis grandir de plus en plus, ˆ l'aide d'influences venant d'en haut par Marie, auxquelles se joignait le concours de tous les cieux et le travail actif de tous les choeurs angŽliques; il devint d'abord une Žglise, puis une grande citŽ resplendissante qui peu ˆ peu s'abaissa vers la terre. Je ne puis dire comment cela se fit, mais je vis des multitudes d'hommes s'approcher de moi, montrant d'abord la tte comme si la terre sur laquelle ils Žtaient ežt tournŽ; puis ils se trouvrent tout ˆ coup sur leurs pieds dans la nouvelle JŽrusalem, laquelle Žtait cette citŽ nouvelle qui descendit au-dessus de l'ancienne JŽrusalem et qui me parut venir sur la terre. È

         Ç Lorsque j'eus vu descendre la nouvelle JŽrusalem, cette vision prit fin : je m'enfonai toujours plus avant dans les tŽnbres et je me dirigeai vers ma demeure. J'eus encore la vision d'une immense bataille. Toute la plaine Žtait couverte d'une Žpaisse fumŽe : il y avait des taillis remplis de soldats d'o l'on tirait continuellement. C'Žtait un lieu bas : on voyait de grandes villes dans le lointain. Je vis saint Michel descendre avec une nombreuse troupe d'anges et sŽparer les combattants. Mais cela n'arrivera que quand tout semblera perdu. Un chef invoquera saint Michel et alors la victoire descendra. È

         Elle ignorait l'Žpoque de cette bataille. Elle dit une fois que cela arriverait en Italie, non loin de Rome o beaucoup d'anciennes choses seraient dŽtruites et o beaucoup de saintes choses nouvelles (c'est-ˆ-dire inconnues jusqu'alors) repara”traient un jour.

         Elle raconta aussi ce qui suit : Ç Un jour que j'Žtais trs abattue et trs dŽcouragŽe par suite des misres qui m'entourent et de mes nombreux ennuis, je disais en soupirant que Dieu devrait au moins m'accorder un jour de repos, puisque ma vie Žtait vraiment un enfer. Alors je fus sŽvrement rŽprimandŽe par mon conducteur qui me dit : Ç Afin que tu ne compares plus ton Žtat ˆ l'enfer, je vais te montrer l'enfer. È Il me conduisit vers le nord, du c™tŽ o la terre se termine en pente escarpŽe. Nous mont‰mes d'abord en nous Žloignant de la terre. J'eus le sentiment que la montagne des prophtes Žtait ˆ ma droite au levant : au-dessus d'elle, encore plus au levant, je vis le paradis. Je fus conduite toujours vers le nord, je descendis ˆ pic par des sentiers tracŽs dans des dŽserts de glace et j'arrivai dans une contrŽe horrible. C'Žtait comme un voyage fait autour de la terre dans une rŽgion plus ŽlevŽe et j'eus le sentiment bien assurŽ que j'Žtais en face de la descente escarpŽe du nord de la terre. Le chemin Žtait dŽsert et descendait vers l'enfer dans l'obscuritŽ et la glace. Lorsque j'arrivai au lieu de terreur, ce fut comme si je descendais vers un monde. Je vis un disque rond (une section de sphre). Quand je me rappelle ce que j'ai vu, je tremble encore de tout mon corps. Aux approches, c'Žtait comme si l'on ežt planŽ au-dessus de la terre. Je vis tout en masses distinctes: ici une place noire, lˆ un foyer ardent, lˆ de la fumŽe, lˆ ses tŽnbres. L'horizon Žtait toujours bornŽ par des tŽnbres. En m'approchant, je reconnus un sŽjour de tourments infinis. È

 

         24 septembre 1820, Ç J'ai eu ˆ faire dans la maison des noces un rude travail dont je ne pouvais pas venir ˆ bout. Je devais avec un balai raide et tout ˆ fait impropre ˆ cet usage balayer beaucoup d'ordures : mais je ne pouvais y parvenir. Alors ma mre vint ˆ moi et m'aida ainsi qu'une amie ˆ laquelle j'avais donnŽ avant sa mort le portrait de sainte Catherine qui m'avait ŽtŽ restituŽ par une voie surnaturelle (voir tome 1er). Elle portait la petite image sur sa poitrine et s'entretint longuement avec moi. Elles ne sont pas encore dans le ciel, mais dans un endroit o l'on est trs bien et o ont sŽjournŽ Abraham et le pauvre Lazare. Cet endroit est trs agrŽable : c'est comme de la rosŽe, comme du miel, tout y est trs doux et trs suave. Il y a comme un clair de lune; c'est une lumire blanche, laiteuse. J'ai eu lˆ la vision du pauvre Lazare tout exprs pour m'apprendre en quel lieu j'Žtais. Le paradis que je vis aussi de nouveau, ainsi que la montagne des prophtes, est plus joyeux, plus heureux que le sein d'Abraham et il est plein de magnifiques crŽatures. Je fus conduite par ma mre dans plusieurs sŽjours des ‰mes et je me souviens que j'arrivai sur une montagne d'o un esprit brillant d'une lueur semblable au reflet du cuivre rouge et portant une cha”ne ˆ laquelle il Žtait attachŽ, vint au-devant de moi. Il Žtait lˆ depuis trs-longtemps et dŽnuŽ de tout secours. Personne ne se souvenait de lui, personne ne l'assistait et ne priait pour lui. Il ne me dit que quelques mots et cependant j'appris toute son histoire dont je me rappelle encore quelque chose.

Au temps d'un roi d'Angleterre qui faisait la guerre ˆ la France, il commandait une armŽe anglaise dans ce pays qu'il dŽvasta horriblement et o il exera toute sorte de cruautŽs. Il avait ŽtŽ bien mal ŽlevŽ et j'eus l'impression que c'Žtait par la faute de sa mre : cependant il avait toujours conservŽ une vŽnŽration secrte pour Marie. Il dŽtruisait toutes les images et un jour qu'il passait devant une trs belle statue de Marie, il voulut aussi la dŽtruire, mais il fut saisi d'une certaine Žmotion et il s'en abstint. Lˆ-dessus il fut attaquŽ d'une fivre trs violente; il aurait voulu se confesser, mais il perdit connaissance : cependant il mourut avec des sentiments trs vifs de repentir. Cela lui fit trouver misŽricorde et il ne fut pas damnŽ. On aurait pu lui venir en aide, mais il Žtait compltement oubliŽ. Il disait qu'on pouvait surtout l'assister en faisant dire des messes et qu'il lui aurait fallu peu de chose pour tre dŽlivrŽ depuis longtemps. Le lieu o il Žtait n'Žtait pas le purgatoire; dans le purgatoire, on n'est pas martyrisŽ par des diables, c'est un autre lieu de tourments. Je vis cet homme entourŽ de chiens qui aboyaient aprs lui et le dŽchiraient parce qu'il avait fait souffrir ˆ d'autres un semblable supplice. Il Žtait souvent encha”nŽ dans diverses positions, attachŽ notamment comme sur un billot, et il Žtait arrosŽ de sang bouillant qui courait ˆ travers toutes ses veines. Il me dit que l'espoir de la dŽlivrance Žtait pour lui un grand soulagement. Quand il m'eut parlŽ, il disparut tout ˆ coup et sembla s'enfoncer dans la montagne. La place o je l'avais vu Žtait couverte comme de gazon enflammŽ. Il m'avait dŽjˆ parlŽ antŽrieurement. Cette fois c'Žtait la troisime. È

         Ç Je fus ensuite transportŽe, avec plusieurs ‰mes que le Seigneur avait dŽlivrŽes ˆ ma prire, dans un couvent de franciscains o un frre lai luttait contre la mort dans une terrible agonie. Il faisait nuit. Le couvent Žtait situŽ dans un pays montagneux. Il n'y avait pas beaucoup de religieux, mais il s'y trouvait aussi des sŽculiers. Le moribond l'habitait depuis trois ans. Aprs une vie de dŽbauches, il Žtait entrŽ dans l'ordre comme pŽnitent. Lorsque j'arrivai, de mauvais esprits faisaient grand bruit autour de la maison. Elle Žtait traversŽe comme par une tempte, les tuiles des toits volaient en l'air, les branches des arbres battaient les fentres, et je vis les mauvais esprits sous forme de corbeaux, d'autres oiseaux sinistres et de spectres hideux, se prŽcipiter autour de la maison et de la cellule du mourant. Il y avait, entre autres, prs de lui un vieux religieux trs pieux et, autour de celui-ci, plusieurs ‰mes qui avaient ŽtŽ dŽlivrŽes par ses prires. Le bruit devint si fort que les autres religieux s'enfuirent pleins d'effroi, mais le pieux vieillard alla devant la porte et adjura les mauvais esprits, au nom de JŽsus, de dire ce qu'ils voulaient. J'entendis alors une voix qui demandait pourquoi il voulait leur arracher cette ‰me qui avait ŽtŽ ˆ leur service pendant trente ans. Mais le religieux et moi et toutes les ‰mes qui Žtaient lˆ, nous rŽsist‰mes ˆ l'ennemi et quand il se vit forcŽ de se retirer, je l'entendis dire qu'il voulait entrer dans le corps d'une femme avec laquelle le mourant avait longtemps pŽchŽ et la tourmenter jusqu'ˆ sa mort. Quant au malade, il mourut en paix. È

 

         27 septembre 1820. Ç Cette nuit j'ai beaucoup priŽ pour les ‰mes en peine: j'ai vu beaucoup de choses merveilleuses sur les ch‰timents qu'elles ont ˆ subir et sur l'ineffable misŽricorde de Dieu. J'ai revu le malheureux capitaine anglais, et j'ai priŽ pour lui. J'ai vu combien la misŽricorde et la justice de Dieu sont infinies, et comment rien ne se perd de ce qui est vraiment bon dans l'homme. J'ai vu le bien et le mal se transmettre des parents aux enfants et concourir au salut ou ˆ la perte de ceux-ci suivant leur volontŽ et leur coopŽration. J'ai vu les ‰mes recevoir par des voies merveilleuses l'assistance qui leur venait des trŽsors de l'ƒglise et de la charitŽ des membres de l'ƒglise. Et tout cela Žtait une rŽparation rŽelle et une compensation pour leurs manquements. La misŽricorde et la justice ne se font pas tort l'une ˆ l'autre, et pourtant toutes deux sont infiniment grandes. J'ai vu la purification s'opŽrer sous beaucoup de formes : j'ai vu notamment le ch‰timent de ces prtres aimant leurs aises et leur repos qui ont coutume de dire : Ç Je me contente d'une petite place dans le ciel, je prie, je dis la messe, j'entends des confessions, etc. È Ils ont ˆ souffrir des tourments indicibles, causŽs par un ardent dŽsir de faire des oeuvres de charitŽ : ils sont condamnŽs ˆ voir devant eux toutes les ‰mes auxquelles leur assistance a fait dŽfaut et ˆ rester tranquillement assis avec un dŽsir dŽvorant d'assister et d'agir. Leur paresse devient un supplice de l'‰me, leur tranquillitŽ se change en impatience, leur inactivitŽ est une cha”ne et tous ces ch‰timents ne sont pas imaginŽs tout exprs, mais ils se produisent comme la maladie sort de son germe, clairement et merveilleusement. È

         Ç Je vis aussi l'‰me d'une femme morte, il y a vingt ou trente ans. Elle n'Žtait pas dans le purgatoire, mais dans un lieu de supplices plus rigoureux : elle Žtait, comme un dŽtenu soumis ˆ la flagellation comparŽ ˆ d'autres qui n'ont ˆ subir qu'un simple emprisonnement. Je vis cette femme dans une affliction et une peine inexprimables. Elle avait dans les bras un enfant de couleur foncŽe qu'elle recommenait sans cesse ˆ tuer et qui revenait toujours ˆ la vie. Il faut qu'elle le lave avec ses larmes jusqu'ˆ ce qu'il soit devenu blanc. Elle implora mes prires. Les ‰mes aussi peuvent verser des larmes, autrement on ne pourrait pas pleurer dans le corps. Elle me raconta sa faute ou plut™t je la vis dans une sŽrie de tableaux. Elle habitait une ville de la Pologne et Žtait la femme d'un honnte homme. Ils tenaient une h™tellerie o logeaient des ecclŽsiastiques et d'autres gens paisibles. La femme Žtait foncirement pieuse et bonne ; ils avaient un parent trs pieux, prtre de la CongrŽgation des missionnaires rŽdemptoristes. Son mari s'Žtant absentŽ pour un voyage, il vint loger chez elle un Žtranger, un scŽlŽrat qui lui fit commettre le mal en employant la violence. Sa faute la poussa presque au dŽsespoir; elle tint le scŽlŽrat ˆ distance ; mais il ne se laissa pas mettre hors de la maison, pas mme lorsque le retour du mari fut proche. Comme elle Žtait dans la plus horrible angoisse, le malin esprit lui suggŽra d'empoisonner, le sŽducteur. Elle l'empoisonna en effet, mais ce meurtre lui fit presque perdre la raison et, cŽdant au dŽsespoir, elle fit mourir aussi plus tard le fruit de ses entrailles. Dans son affreuse dŽtresse intŽrieure, elle chercha un prtre Žtranger pour se confesser ˆ lui, et comme un vagabond dŽguisŽ en prtre vint loger chez elle, elle lui fit sa confession avec une contrition indicible et en versant des torrents de larmes. Elle mourut peu aprs, mais Dieu fut si misŽricordieux qu'il eut Žgard ˆ son grand repentir, et quoiqu'elle fžt morte sans absolution et sans sacrements, il l'envoya au lieu de punition, o je la trouvai. Elle doit, par la satisfaction qu'elle y donne ˆ la justice divine, complŽter les annŽes que la Providence rŽservait ˆ son enfant jusqu'ˆ ce qu'il puisse par lˆ arriver au sŽjour de la lumire, car pour de tels enfants, dans l'autre monde aussi, il y a une croissance. Cinq ans aprs sa mort, elle apparut au prtre son parent pendant la sainte messe. J'ai connu ce pieux vieillard, il a priŽ avec moi.

         Ç A cette occasion, j'ai vu beaucoup de choses touchant le purgatoire et particulirement sur l'Žtat des enfants mis ˆ mort avant et aprs leur naissance, mais je ne puis dire cela d'une manire assez claire et c'est pourquoi je l'omets. Ce qui a ŽtŽ toujours certain pour moi, c'est que tout bien, qu'il soit dans l'‰me ou dans le corps, tend vers la lumire, comme tout mal tend vers les tŽnbres, s'il n'est pas expiŽ et effacŽ; c'est que la justice et la misŽricorde ont en Dieu leur perfection et que satisfaction est donnŽe ˆ sa justice en vue de sa misŽricorde, des mŽrites inŽpuisables de JŽsus-Christ et des saints unis ˆ lui dans l'ƒglise par la coopŽration et par le travail des membres de son corps spirituel qui croient, qui esprent et qui aiment. J'ai toujours vu que rien ne se perd de ce qui se fait dans l'ƒglise en union avec JŽsus; que tout pieux dŽsir, toute bonne pensŽe, toute oeuvre de charitŽ inspirŽe par l'amour de JŽsus profite ˆ l'achvement du corps de l'ƒglise et qu'une personne, qui ne fait rien que prier Dieu pour ses frres en esprit de charitŽ, participe ˆ un grand travail portant des fruits de salut. È

12 avril 1820. Une fille de la campagne Žtait accouchŽe en secret par crainte de la sŽvŽritŽ de ses parents. L'enfant mourut peu aprs sa naissance par suite de l'imprudence de la mre, et elle le cacha dans un coffre o il fut dŽcouvert. Cette aventure jeta la malade dans une grande affliction; elle souffrait et priait incessamment pour la coupable afin de l'amener ˆ une sŽrieuse pŽnitence. Elle dit ˆ ce sujet : Ç Je connais cette fille : elle est venue me voir, il y a un an. Depuis No‘l je l'ai vue souvent en vision enveloppŽe dans un manteau et j'en ressentais un certain effroi comme si quelque chose de mauvais couvait en elle. Je l'ai vue dernirement, au temps fixŽ pour la confession : elle Žtait mal disposŽe. Je priai pour elle et j'avertis son confesseur d'y faire attention, mais elle n'alla pas le trouver. Cette nuit aussi j'ai eu ˆ m'occuper d'elle et j'ai vu toutes les tristes circonstances o elle se trouve. Quoiqu'elle soit trs-bonne, elle n'est pas tout ˆ fait innocente de la mort de l'enfant. J'ai vu toute cette affaire et j'ai beaucoup priŽ pour cela. Alors le souvenir me vint des deux anciens jŽsuites auxquels je m'Žtais confessŽe dans ma jeunesse: Ç quelle pieuse vie ils menaient, me disais-je! combien ils faisaient de bien ! jamais pareille chose ne serait arrivŽe dans ce temps-lˆ! È Pendant que je pensais ˆ eux, ces deux hommes m'apparurent dans un Žtat qui semblait trs heureux, et l'un dÕeux me conduisit ˆ sa soeur avec laquelle il vivait autrefois et que j'avais connue. Elle se trouvait dans un lieu d'un aspect trs singulier; je n'aurais jamais cru que cette pieuse personne ežt encore quelque chose ˆ expier. C'Žtait un lieu obscur, o se trouvaient encore beaucoup d'autres ‰mes, et elle y Žtait comme murŽe dans un trou quadrangulaire fort Žtroit o elle ne pouvait se tenir que debout. Mais elle Žtait contente et patiente, je la vis passer dans un caveau plus spacieux qui Žtait en avant de l'autre. Elle me pria de la visiter encore souvent; j'ai beaucoup causŽ avec les deux vieux prtres et je leur ai demandŽ quelque autre chose... J'ai depuis longtemps des Žclaircissements intŽrieurs sur l'Žtat des enfants morts avant le baptme, et j'ai vu quel bien ineffable, quel trŽsor ils perdent par la privation du baptme. Je ne pais exprimer ce que je sens en voyant quelle perte ils font, mais cela m'Žmeut tellement que, lorsque j'apprends une mort de ce genre, j'offre toujours ˆ Dieu des prires et des souffrances comme satisfaction pour ce qu'on a omis de faire en leur faveur, afin que le manque de charitŽ que d'autres ont ˆ se reprocher soit compensŽ par la communautŽ des fidles, par moi comme Žtant un de ses membres. C'est ainsi que j'ai ressenti une grande tristesse ˆ cause de l'enfant de cette malheureuse fille mort sans baptme et que je me suis offerte pour satisfaire ˆ Dieu. È

 

         10 avril 1820. Ç J'ai eu cette nuit une vision pŽnible et une affaire difficile ˆ traiter. Je vis tout ˆ coup devant mon lit l'‰me bienheureuse et brillante d'une digne femme de Coesfeld; elle avait beaucoup aimŽ son mari que j'avais aussi cru bon parce qu'il avait toujours eu les apparences de la piŽtŽ. Il y avait longtemps que je n'avais pensŽ ˆ ce mŽnage. L'homme s'est remariŽ : mais je ne connais pas la seconde femme. L'‰me me dit : Ç Enfin j'ai obtenu de Dieu la permission de venir te trouver. Je suis heureuse maintenant, mais mon mari me fait beaucoup de peine : lorsque je vivais encore et que j'Žtais infirme, il avait dŽjˆ eu des rapports criminels avec sa femme actuelle et, maintenant, il ne vit pas chrŽtiennement avec elle dans le mariage ; j'ai grande pitiŽ de son ‰me et aussi de celle de la femme. È Lorsqu'elle me raconta cela, je fus trs-surprise de l'Žtat o Žtait cet homme que j'avais toujours cru trs-bon. Elle me raconta beaucoup de choses et me pria de donner des avis ˆ son mari qui avait la pensŽe de venir me voir. Il me fallut aussi aller avec elle Coesfeld. Je vis clair sur toute la route; elle brillait comme un soleil : cela me causait une joie infinie. Je reconnus chaque place du chemin et trouvai plusieurs endroits bien changŽs. Elle me conduisit dans la maison de son mari, maison o j'avais ŽtŽ souvent autrefois et o je trouvai aussi bien des changements. Je m'approchai avec elle du lit des Žpoux que je trouvai endormis. La femme parut ressentir l'impression de notre prŽsence et elle se mit sur son sŽant : je lui ai parlŽ longtemps et je lui ai dit qu'il fallait s'amender et engager aussi son mari ˆ reconna”tre ses fautes. Elle promit de le faire. Je pense que l'homme cherchera ˆ me voir, et l'‰me m'a si instamment suppliŽe de prier pour lui et de lui donner des conseils que je suis un peu en peine de savoir comment je pourrai aborder ce sujet avec lui, s'il ne commence pas lui-mme ˆ en parler. È

 

Travail pour deux souverains.

 

6 octobre 1820. Ç J'ai eu une vision touchant un pieux franciscain du Tyrol. Je vis qu'il prŽvoyait un grand danger menaant l'Eglise par suite d'une rŽunion politique qui va bient™t avoir lieu. Il lui a ŽtŽ ordonnŽ de prier constamment pour l'ƒglise et je le vis prier dans son couvent qui n'est pas grand et qui est situŽ prs d'une petite ville. Il s'agenouilla pendant la nuit devant une Image miraculeuse de Marie, et je vis que les dŽmons, pour le troubler, firent un gland tapage dans l'Žglise, se prŽcipitant contre les fentres avec beaucoup de violence et de fracas, sous la forme da noirs corbeaux. Mais le pieux religieux ne se laissa pas distraire et continua ˆ prier, les bras Žtendus. A la suite de cette prire, je vis ensuite trois figures venir prs de mon lit. L'une Žtait un tre semblable ˆ mon conducteur qui s'approcha plus prs de moi : les deux autres Žtaient des ‰mes qui demandaient des prires. JÕappris que c'Žtaient l'‰me d'un prince de Brandebourg catholique et celle d'un pieux empereur d'Autriche, et qu'ils m'Žtaient envoyŽs afin que j'intercŽdasse pour eux ; c'Žtait l'effet de la prire du franciscain qui avait vu le mme danger que moi. Ils demandaient ˆ tre ŽlevŽs ˆ un meilleur Žtat que celui o ils se trouvaient, afin de pouvoir agir sur leurs successeurs actuellement vivants. J'appris que des ‰mes de cette catŽgorie ouf plus d'action sur leurs descendants que d'autres ‰mes. Cc qui me parut remarquable, c'est que l'esprit qui les conduisait prit mes mains lui-mme et les Žleva en l'air. Je sentis sa main douce et agrŽable au toucher comme des plumes trs moelleuses. Quand je laissais tomber les miennes, il les relevait en disant : Ç Tu dois prier plus longtemps. È C'est tout ce que je me rappelle ! È

 

8 octobre. Ç Comme je revenais d'un voyage ˆ Rome, j'allai de nouveau dans le Tyrol avec mon guide prs du pieux franciscain qui avait donnŽ occasion ˆ la visite rŽcente des ‰mes des souverains que j'avais, vus antŽrieurement dans le moulin. C'est le mme religieux qui rŽcemment, lors de la mort de son confrre, avait si bien crachŽ sur le diable. Il continuait ˆ prier, les bras Žtendus, pour dŽtourner le danger qui menaait l'ƒglise. Il tient en outre le rosaire ˆ la main et, quand il va dormir, il le pend ˆ son cou. Je partis de lˆ, en compagnie de mon conducteur et d'une belle femme resplendissante (je crois que Žtait Marie), et je m'Žlevai au haut d'une montagne. Il y avait lˆ toute espce de fruits, et de beaux animaux blancs jouaient au milieu des bosquets. Tout en, haut, nous arriv‰mes ˆ un jardin plein de fruits et de fleurs, notamment de roses de la plus grande beautŽ. Plusieurs figures s'y promenaient. Je vis lˆ les ‰mes des deux souverains, lesquelles Žtaient arrivŽes dans ce lieu comme par une promotion : elles s'approchrent de la porte, car je ne pouvais en aucune faon aller ˆ elles, et demandrent de nouvelles prires pour monter plus haut afin de pouvoir exercer sur leurs descendants une influence favorable au bien de l'ƒglise. JÕaurais bien dŽsirŽ avoir des roses de ce jardin, j'en aurais voulu un tablier plein; je pensais ˆ en envelopper le pied de l'abbŽ Lambert et je croyais que cela lui ferait du bien. Mon conducteur ne m'en donna que quelques-unes et je n'en pus rien faire. È (Elle demande par lˆ des souffrances expiatoires en quantitŽ suffisante pour que le pied de Lambert soit guŽri. Elle veut souffrir pour cela, mais elle ne reoit pas ˆ cet Žgard d'assurances suffisantes et elle est persuadŽe qu'elle n'obtiendra pas la guŽrison de Lambert en prenant sur elle les souffrances de celui-ci.)

 

5. Fte de la Toussaint et commŽmoration des morts. 1820

 

Assez longtemps ayant le commencement de la fte, elle Žtait dŽjˆ en proie ˆ des souffrances continuelles pour les ‰mes du purgatoire. Elle souffrait dans tous ses membres : elle Žtait assise dans son lit pendant des nuits entires et comptait toutes les heures. Il lui semblait toujours tre un petit enfant qui ne peut s'aider, ni se mouvoir. Elle souffrait de la soif et ne pouvait pas boire, elle Žtait torturŽe jusqu'ˆ en perdre connaissance, dŽsirant ardemment de porter secours et se sentant chargŽe de liens : si elle Žprouvait un allŽgement momentanŽ, aussit™t aprs, la douleur redevenait telle qu'elle Žtait prs d'en mourir. Avec tout cela, elle conservait la plus grande patience et restait calme malgrŽ tous les dŽrangements venant de l'extŽrieur.

Le 1er novembre, elle dit : Ç J'ai eu d'une manire trs distincte une vision d'une grandeur et d'une magnificence indescriptibles, mais je ne puis en rendre compte avec des paroles. Je vis une table immense avec une couverture rouge et une couverture blanche transparente : elle Žtait chargŽe des mets les plus variŽs. Les vases semblaient d'or et avaient sur les bords des lettres bleues. Il y avait des fruits et des fleurs de toute espce, les uns prs des autres : ils n'Žtaient pas lˆ morts et sŽparŽs de leur tige, ils Žtaient vivants et pleins de sve, car ils donnaient une nourriture Žternelle. En les voyant, on se nourrissait de l'idŽe qui Žtait en eux (note).

 

Note : C'est-ˆ-dire qu'en les apercevant, on s'en nourrissait : mais cette alimentation consistait dans la perception intŽrieure de leur signification, de leur contenu, de leur idŽe ou de leur essence.

 

Des Žvques, et sous eux, des personnages de toute espce ayant eu charge d'‰mes figuraient ˆ cette table comme ordonnateurs et comme serviteurs. Autour de la table Žtaient assis et debout, formant des choeurs et des hiŽrarchies diverses, d'innombrables groupes de saints placŽs sur des tr™nes et rangŽs en demi-cercle. Comme je me tenais debout prs de la grande table, je vis ces choeurs sans nombre l'entourer, et tout ce monde semblait tre dans un grand jardin; mais en m'approchant d'un de ces choeurs ou en le considŽrant ˆ part, je le voyais dans un jardin ˆ part, et je voyais dans ce jardin une table particulire, et cette table recevait tout de la grande table prŽparŽe pour tous et y faisait participer. Et dans tous ces jardins, dans ces champs, dans ces plates-bandes, dans ces vŽgŽtaux, ces branches, ces fleurs et ces fruits, revivait ce qui vivait dans cette grande table. L'assimilation des fruits ne se faisait pas par une manducation, mais par une perception intŽrieure. Tous les saints Žtaient avec leurs attributs. Beaucoup d'Žvques avaient des Žglises ˆ la main, parce qu'ils avaient fondŽ des Žglises; d'autres portaient des crosses, parce qu'ils avaient seulement rempli leurs fonctions de pasteurs. Il y avait aussi prs des saints beaucoup d'arbres couverts de fruits, et j'avais un tel dŽsir d'en donner un peu aux pauvres hommes, que je les secouai (c'est-ˆ-dire que son instante prire attirait les fruits sur la terre) et je vis alors quelle quantitŽ de fruits tombait sur diffŽrentes contrŽes de la terre. Je vis aussi les saints tous ensemble, chaque choeur d'aprs sa nature et sa force, apporter toute espce d'objets en fait d'Žchafaudages, d'ornements, de fleurs et de guirlandes pour construire un tr™ne au bout de la table. Et tout cela se faisait avec une rŽgularitŽ incroyable, comme dans un ordre de choses o il n'y aurait ni dŽfectuositŽ, ni pŽchŽ, ni mort. Tout cela sortait comme spontanŽment de leur essence et de leur action; des gardiens et des soldats spirituels veillaient sur la table pendant ce temps. È

         Ç Je vis ensuite vingt-quatre vieillards s'asseoir autour du tr™ne sur des siges magnifiques : ils avaient, les uns des harpes, les autres des encensoirs, ils chantaient et encensaient. Et alors je vis une apparition venir d'en haut sur le tr™ne; c'Žtait comme un vieillard avec une triple couronne et un manteau qui s'Žtendait au loin. Sur son front Žtait une masse de lumire de forme triangulaire et dans celle-ci un miroir o se rŽflŽchissait tout ce qui Žtait ˆ l'entour. Tout semblait y envoyer son image ou la recevait du dehors. De sa bouche sortait une zone de lumire dans laquelle je vis une quantitŽ de paroles Žcrites : je distinguai des lettres et des chiffres que je regardai en toute simplicitŽ: du reste je les ai oubliŽs. Devant sa poitrine, un peu plus bas, je vis un jeune homme crucifiŽ brillant d'un Žclat indicible; de ses plaies, qui Žtaient de grandes aurŽoles, partaient des bandes de rayons ayant les couleurs de l'arc-en-ciel. Elles enveloppaient tous les saints comme d'un grand anneau, et les diverses aurŽoles des saints, suivant leurs diffŽrentes couleurs, avaient part ˆ ces effusions de lumire et s'y jouaient librement, quoiqu'avec ordre, d'une manire qui ne peut s'exprimer. Je vis de ces courants de rayons, partant des plaies du crucifiŽ tomber sur la terre comme une pluie dont les gouttes Žtaient diversement colorŽes, c'Žtait comme une pluie de pierres prŽcieuses. Tout cela avait beaucoup de significations et contenait beaucoup de vŽritŽs, car j'ai eu ˆ cette occasion des notions sur la valeur, la vertu, les propriŽtŽs secrtes et les couleurs des pierres prŽcieuses, ainsi que sur toutes les couleurs en gŽnŽral. Je vis entre la croix et l'oeil triangulaire du front le Saint-Esprit appara”tre comme une forme ailŽe, et je vis des rayons allant de l'oeil et de la croix ˆ cette figure. Je vis en avant de la croix, mais un peu plus bas, la sainte Vierge avec beaucoup de vierges autour d'elle. Je vis un cercle de papes, d'ap™tres et de vierges autour de la moitiŽ infŽrieure de la croix. Toutes ces apparitions, tous les saints et tous les anges sans nombre qui Žtaient dans des cercles plus ŽloignŽs Žtaient en mouvement continuel, pŽnŽtrant les uns dans les autres, et il y avait unitŽ parfaite dans cette immense variŽtŽ. Le spectacle Žtait du reste bien plus riche et plus grandiose que celui d'un ciel ŽtoilŽ, et cependant tout y Žtait clair et distinct, mais il m'est impossible de le dŽcrire. È

         Elle Žtait accablŽe de souffrances pour les ‰mes en peine : la violence de la fivre excitait chez elle une soif ardente, mais elle ne but pas afin d'allŽger les peines de ces ‰mes. Pleine d'un vif dŽsir de porter secours au prochain, elle Žtait merveilleusement douce et patiente au milieu de ses douleurs. Elle Žtait trs-ŽpuisŽe lorsqu'elle raconta ce qui suit :

         Ç Je fus conduite trs-haut par mon guide. Je n'avais pas le sentiment distinct du point du monde vers lequel nous nous dirigions, mais c'Žtait un chemin bien pŽnible. Il allait toujours en montant, il Žtait trs-Žtroit et conduisait comme un pont lumineux ˆ une hauteur prodigieuse. Il faisait nuit ˆ droite et ˆ gauche; il me fallait toujours monter de c™tŽ, tant le sentier Žtait Žtroit. Je vis au-dessous de moi la terre couverte de tŽnbres et de brouillard, et les hommes accablŽs de misres et fouillant dans un bourbier. Je fus presque toute la nuit occupŽe ˆ cette pŽnible ascension : souvent je tombais et je croyais rouler dans quelque prŽcipice ; alors mon guide qui marchait devant moi me donnait la main et me faisait avancer. È

         Ç Il est possible que je voyageasse dans la direction d'un point quelconque du globe, car mon conducteur me montrait quelquefois sur la terre, ˆ droite et ˆ gauche, des lieux dŽserts o s'Žtaient accomplis certains dŽcrets mystŽrieux touchant la conduite du peuple de Dieu. Je vis divers endroits que les patriarches et ensuite les enfants d'Isra‘l ont parcourus. Il me semblait que ces lieux, quand mon guide les indiquait du doigt, sortaient de la nuit et de l'Žloignement et se prŽsentaient ˆ moi tout ŽclairŽs. C'Žtaient des dŽserts, de grosses tours ŽcroulŽes, des marais, de grands arbres tout courbŽs. Il me dit que quand tous ces lieux seraient de nouveau cultivŽs et habitŽs par des chrŽtiens, les derniers temps seraient proches. Au-dessus du sentier que nous suivions planaient beaucoup d'‰mes accompagnŽes de leurs conducteurs : elles sortaient de la nuit comme des formes gris‰tres et venaient ˆ nous. C'Žtait comme si elles s'envolaient hors d'une vaste nuit vers ce petit sentier lumineux que le gravissais en adressant ˆ Dieu des prires et des supplications incessantes. Elles ne venaient pas sur le sentier lui-mme, mais voltigeaient ˆ droite et ˆ gauche, prs de moi et derrire moi, le long du sentier. C'Žtaient des ‰mes de gens dŽcŽdŽs dans ces derniers jours pour lesquelles j'Žtais appelŽe ˆ souffrir et ˆ prier, car quelques jours avant, sainte ThŽrse, saint Augustin, saint Ignace et saint Franois-Xavier m'avaient apparu, m'exhortant ˆ la prire et au travail et me disant que ce jour mme, je saurais pourquoi. Mon chemin ne conduisait pas dans le purgatoire proprement dit : celui-ci Žtait au-dessous, et je vis ces ‰mes y entrer pour huit jours et davantage, aidŽes par mes prires que je devais encore continuer. Je vis des esprits planŽtaires tombŽs, mais non encore damnŽs, tourmenter et harceler ces ‰mes par des reproches, et s'efforcer de les troubler dans leur patience et leurs dŽsirs. Le lieu dans lequel j'entrai Žtait une grande contrŽe o on ne voyait pas de ciel : il semblait qu'en l'air il s'Žtait formŽ une vŽgŽtation qui couvrait tout d'une vožte, d'un berceau de feuillage. On voyait lˆ des arbres, des fruits et des fleurs, mais tout Žtait terne, sans souffrance et sans joie. Il y avait lˆ des sections innombrables sŽparŽes entre elles par des espces particulires de vapeurs, de brouillards, de nuages et de barrires, reprŽsentant divers modes de sŽparation et d'isolement, et je vis lˆ habiter, les unes prs des autres, des ‰mes en plus ou moins grand nombre. C'Žtait un sŽjour intermŽdiaire entre le purgatoire et le ciel : j'y vis ˆ mon arrivŽe, une quantitŽ d'‰mes, toujours trois par trois, voler et s'Žlever, en compagnie d'un ange, d'un c™tŽ o une sorte de lueur brillait sur une hauteur lointaine. Elles Žtaient singulirement joyeuses. Je vis toutes ces ‰mes brillantes d'une lumire colorŽe : ˆ mesure qu'elles s'Žloignaient, la couleur de leur aurŽole devenait plus pure. Je fus aussi instruite sur la signification de leurs couleurs: l'ardente charitŽ qu'elles n'avaient pas pratiquŽe assez purement sur la terre rŽpandait une lumire rouge et les tourmentait : la lumire blanche Žtait celle de la puretŽ d'intention que la paresse leur avait fait nŽgliger; la verte Žtait celle de la patience, que le dŽpit et l'irritation avaient troublŽe chez eux. J'ai oubliŽ la signification de la lumire jaune et de la bleue. Les ‰mes partaient toujours trois par trois; elles me saluaient et me remerciaient. Il y en avait beaucoup que je connaissais, appartenant la plupart ˆ la classe moyenne et ˆ celle des paysans. Je vis aussi des personnes d'un rang plus ŽlevŽ, mais en petit nombre. Quoique dans ce lieu tous les rangs soient confondus, on peut toujours reconna”tre les traces d'une Žducation plus soignŽe. Il y a une diffŽrence essentielle entre les races et o peut les distinguer dans l'apparence extŽrieure. Le sexe se distingue car quelque chose de fort, d'Žnergique, de caractŽrisŽ chez les ‰mes masculines : chez celles des femmes, il y a je ne sais quoi de mou, de passif, dÕimpressionnable : on ne peut pas rendre cela. Dans cet endroit se tiennent des anges qui nourrissent les ‰mes avec les fruits qu'il produit : ces ‰mes exercent une action sur le purgatoire et sur la terre; elles ont aussi une connaissance intŽrieure de la bŽatitude cŽleste; leur dernire peine consiste dans le dŽsir ardent et dans l'attente. J'allai jusqu'ˆ l'extrŽmitŽ de ce lieu, et en regardant par une ouverture o il y avait plus de lumire, j'eus la vue d'un espace plus ŽclairŽ et ornŽ de plus belles fleurs. Je vis lˆ des anges comme en mouvement : il me fut dit que les patriarches avaient rŽsidŽ dans ce lieu avant la descente de JŽsus aux enfers, et on me montra o avaient ŽtŽ Adam, Abraham, Jean Baptiste. Je pris ensuite ˆ gauche pour revenir ˆ mon logis par un chemin difficile. J'allai sur la montagne o j'avais vu l'homme livrŽ ˆ la fureur des chiens : il n'y Žtait plus; il Žtait dans le purgatoire.

         3 novembre, Ç Cette nuit je me suis adressŽe hardiment ˆ tous les saints dont j'ai des ossements prs de moi, et j'ai spŽcialement priŽ mes chres soeurs les bienheureuses Madeleine de Hadamar, Colombe de Bamberg, Julienne de Lige et Lidwine de venir avec moi dans le purgatoire et d'aider ˆ en sortir les ‰mes qui sont les plus chres ˆ JŽsus et ˆ Marie. J'ai eu la joie d'en voir beaucoup soulagŽes et dŽlivrŽes. È

 

4 novembre. Ç Cette nuit j'ai parcouru presque tout le diocse : je suis notamment allŽe dans la cathŽdrale, o j'ai vu toutes les omissions et les nŽgligences du clergŽ sous la forme d'un lieu rempli d'ordures recouvertes avec beaucoup d'art. Il me fallut porter toutes ces immondices ˆ un cours d'eau qui les emporta. Je succombai presque ˆ la peine. Pendant ce travail l'‰me de la fille d'une femme de mon pays vint ˆ moi et me dit que je devrais bien aller au secours de sa mre dans le purgatoire. Je vis la mre, qui Žtait de son vivant une femme trs bavarde et trs gourmande, assise toute seule dans un lieu qui ressemblait ˆ une petite cuisine; nul ne lui tenait compagnie; elle Žtait dŽvorŽe d'ennui et remuait sans cesse les lvres comme si elle gožtait et m‰chait quelque chose. Elle me pria instamment de rester auprs d'elle cette nuit. Elle passa ensuite dans un lieu meilleur et plus ŽlevŽ, placŽ en avant de celui o elle Žtait et j'allai prs d'elle pour la consoler. È

         ÇLes esprits planŽtaires exercent leur action dans le purgatoire: ils reprochent aux patients leurs pŽchŽs. Les pauvres ‰mes sont instruites de ce qui se passe dans le ciel et sur la terre dans l'ordre du salut; ce sont des anges qui les en informent : il vient aussi du sein d'Abraham des ‰mes qui les visitent. L'‰me de la fille qui m'appela auprs de sa mre Žtait une de celles-lˆ. Je consolai cette femme. Ces ‰mes n'agissent en aucune faon. Dans le purgatoire il n'y aucun produit naturel, pas d'arbres, pas de fruits. Tout est sans couleur, plus clair ou plus sombre selon le degrŽ de purification. Les lieux qui servent de demeures sont disposŽs avec une sorte de rŽgularitŽ : ce n'est pas comme dans le sein dÕAbraham, o les ‰mes ont pour sŽjour une espce de pays, ayant une nature qui lui est propre. Une ‰me dans le sein d'Abraham a dŽjˆ les couleurs de sa future aurŽole, mais troubles et ternes : elles passent ˆ l'Žtat de splendeur sans mŽlange lors de son entrŽe dans la bŽatitude. È

Ç Je vois l'‰me subir instantanŽment un jugement au-dessus du lieu o la mort la sŽpare du corps. Je vois lˆ JŽsus, Marie, le saint patron de l'‰me et son bon ange : mme pour les protestants, je vois Marie prŽsente. Ce jugement s'accomplit en trs-peu de temps. È

 

6 novembre. Ç Je me disais ce soir qu'aprs tout les ‰mes souffrantes ont l'assurance du bien qu'elles esprent, tandis que les hommes qui vivent mal sont en danger de se perdre pour jamais : c'est pourquoi je voulus prier pour ceux-ci. Alors saint Ignace parut devant moi, ayant d'un c™tŽ prs de lui un homme bien portant, indŽpendant, orgueilleux, que je connaissais, et de l'autre c™tŽ un homme enfoncŽ jusquÕau cou dans un marais, qui poussait des cris de dŽesse et ne pouvait rien faire pour s'aider : il tendait un peu au dehors le doigt d'une de ses mains. C'Žtait un ecclŽsiastique dŽcŽdŽ que je ne connaissais pas. Saint Ignace me demanda alors : Ç Pour lequel veux-tu implorer du secours, pour ce mŽchant orgueilleux qui peut faire pŽnitence, s'il veut, ou pour cet homme privŽ de toute assistance qui ne petit rien faire pour s'aider? È Je tremblai de tous mes membres, et je ne pus mÕempcher de fondre en larmes. Je fus bient™t conduite au purgatoire par un chemin pŽnible et je priai pour les ‰mes. Aprs cela, je fus conduite dans une grande maison de correction et de travail. Je pus attirer l'attention de plusieurs dŽtenus, auxquels la sŽduction ou la misre avaient fait commettre des crimes et je pus les Žmouvoir : quant aux scŽlŽrats, rien ne pouvait les remuer. Cette maison de correction Žtait dans mon pays natal. Je fus encore dans plusieurs autres lieux semblables, et aussi dans une prison o des gens ˆ longue barbe Žtaient couchŽs sous la terre. Leur ‰me Žtait en bon Žtat et ils faisaient pŽnitence : je les consolai. Je vis tous ces lieux comme des purgatoires terrestres. Aprs cela il me fallut aller vers quelques Žvques. J'en trouvai un, qui Žtait trs-mondain, donnant un banquet auquel des femmes, mme Žtaient invitŽes. Je fis le calcul des frais du repas et du nombre de pauvres que cet argent aurait pu nourrir. Je prŽsentai ce compte au prŽlat, et comme cela le mettait fort en colre contre moi, je lui dis que tout cela Žtait Žcrit par un ange qui se tenait au-dessus de lui, ayant ˆ la main un livre et une verge. Mais il me rŽpondit que c'Žtait lˆ peu de chose, qu'on faisait encore pire ailleurs. Je vis qu'en effet il en Žtait ainsi, mais partout aussi je vis l'ange du ch‰timent. È

Au milieu de ces travaux de prire pour les ‰mes souffrantes, travaux accompagnŽs de si grandes peines, elle eut ˆ la fin de l'octave une vision consolatrice, o elle vit l'effet de toutes les oeuvres de charitŽ que depuis son enfance elle avait accomplies pour ces ‰mes. Ç Je me trouvai, dit-elle, dans la chaumire paternelle et il me semblait qu'on allait me marier. Toutes les ‰mes pour lesquelles j'avais jamais priŽ vinrent lˆ et apportrent des prŽsents de toute espce qu'elles chargrent sur la voiture nuptiale. Je ne pouvais pas me rŽsoudre ˆ attendre le dŽpart; j'Žtais confuse de voir tant de choses et je ne voulais pas prendre place dans la voiture nuptiale. Je me glissai sous cette voiture et je courus en avant vers la maison o devait se faire le mariage. Mais, en me tra”nant sous la voiture, j'avais fait une tache de goudron ˆ mon vtement blanc de fiancŽe : jՎtais dŽjˆ arrivŽe ˆ Martenswinkel lorsque j'aperus la tache, ce qui me chagrina beaucoup. Je ne savais que faire: mais le bienheureux frre Nicolas de Flue vint ˆ mon secours et nettoya parfaitement la robe avec un peu de beurre. La maison des noces se trouvait tre la maison d'Žcole o j'allais dans mon enfance : elle avait ŽtŽ trs agrandie et trs-embellie. Les deux saintes nonnes me servaient de demoiselles d'honneur. Alors vint mon fiancŽ avec la voiture. Je me disais dans la maison d'Žcole : Ç Me voici ici pour la troisime fois : j'y allai la premire fois, lorsqu'Žtant enfant on me mena ˆ l'Žcole et que, sur le chemin, la Mre de Dieu m'apparut avec le jeune garon, me disant que si j'apprenais bien, il serait mon fiancŽ. La seconde fois fut lorsqu'allant au couvent je fus fiancŽe en vision dans cette maison d'Žcole ; et maintenant j'y vais une troisime fois pour tre mariŽe. È Tout cela Žtait ˆ prŽsent plein de magnificence et rempli de fruits : la maison et le jardin s'Žlevrent en l'air au-dessus de la terre et je regardai au-dessous de moi la terre obscure et dŽsolŽe. - Je fus informŽe intŽrieurement que cet acte de passer en me tra”nant sous la voiture indiquait la mort causŽe par lÕimpatience avant l'achvement de ma t‰che, et la perte de beaucoup de mŽrites qui en serait la consŽquence. È

 

9 novembre. Ç J'ai eu ˆ travailler plusieurs vignes qui avaient mauvaise apparence et o les raisins Žtaient couverts pour les prŽserver de la gelŽe. J'allai aussi ˆ Coblenz et j'eus ˆ faire des travaux trs-pŽnibles dans trois vignes du voisinage. Comme alors je pensais ˆ revenir vers les ‰mes du purgatoire, je vis para”tre autour de moi neuf figures qui avaient des paquets sur les Žpaules.

Une dixime figure avait dŽposŽ son fardeau et s'en Žtait allŽe. Or, je devais prendre sur l'Žpaule et sous le bras son long et lourd paquet et monter toujours vers le nord, ainsi chargŽe et entourŽe des neuf autres figures. Le chemin n'Žtait pas un chemin ordinaire : il allait en droite ligne vers le levant et il Žtait fort brillant ; des deux c™tŽs rŽgnaient la nuit et le brouillard. Comme je succombais sous ma charge et ne pouvais pas aller plus loin, je vis appara”tre sur le chemin un banc o je dŽposai mon fardeau. Dans le paquet Žtait une grande figure humaine et prŽcisŽment celle que, deux jours auparavant, saint Ignace m'avait montrŽe enfoncŽe dans la vase : j'appris que c'Žtait un des derniers Žlecteurs de Cologne. Il avait un bonnet d'Žlecteur attachŽ au bras. Les neuf autres Žtaient des coureurs comme en avaient ces princes. Il semblait qu'il ne pouvait pas marcher comme les autres et qu'un d'eux qui l'avait jusqu'alors tra”nŽ l'avait laissŽ dans l'embarras: c'Žtait pour cela qu'il me fallait faire cette besogne. Montant toujours, nous arriv‰mes enfin ˆ un endroit tout ˆ fait singulier. Nous v”nmes ˆ une porte o des esprits se tenaient comme en sentinelle. Les neuf entrrent tout droit, mon paquet me fut ™tŽ et mis en lieu sžr; quant ˆ moi on m'indiqua ˆ droite une haute muraille. Il y avait des arbres dans l'endroit o j'allai. J'avais de lˆ une vue trs-Žtendue tout autour de moi : mais je ne voyais rien qu'une pice d'eau immense, coupŽe de toute sorte de retranchements et de collines auxquels travaillaient des figures en nombre infini. C'Žtaient des rois, des princes, des Žvques, d'autres personnes de toutes conditions, appartenant surtout ˆ la domesticitŽ. Plusieurs princes avaient leurs couronnes attachŽes au bras, de plus mauvais les avaient aux jambes. Tous devaient travailler aux retranchements, creusant des fossŽs, charriant des matŽriaux, gravissant des pentes, etc. J'en vis plusieurs qui tombaient sans cesse du haut des murs et qui devaient aussit™t y remonter. Les ‰mes des serviteurs Žtaient chargŽes de faire travailler les ‰mes de leurs anciens ma”tres. Si loin que ma vue s'Žtend”t, je ne vis autre chose que de l'eau et des retranchements : prs de moi Žtaient quelques arbres, mais sans fruits. Je vis l'homme que j'avais portŽ travailler avec les autres : je crois qu'il devait toujours fouiller sous la terre. Les neuf compagnons me parlrent : je devais les aider pour quelque chose dont je ne me souviens plus. Il n'y avait pas lˆ d'‰mes de femmes. Ce sŽjour paraissait tre meilleur que purgatoire : car il y avait du mouvement et de l'activitŽ; semblait aussi que les ‰mes dussent y aplanir et y combler quelque chose. A mon grand Žtonnement, je ne vis lÕhorizon limitŽ d'aucun c™tŽ : je voyais seulement le ciel haut et les travailleurs au-dessous de moi ˆ droite et ˆ gauche et comme une immense Žtendue d'eau ou d'air. È

Ç Alors, bien loin par delˆ, un autre espace ou une autre sphre me fut montrŽ o il n'y avait que des femmes. Mon guide me dit d'y aller. D'abord je ne savais pas comment m'y prendre, mais il me dit : Ç A l'aide de ta foi È: Je voulais d'abord prendre mon drap, l'Žtendre sur l'eau m'embarquer dessus : aussit™t il vint un petit radeau sur lequel je naviguai sans ramer. Mon guide planait prs de moi au-dessus des eaux. Je vis sur cet espace comme une grande demeure carrŽe et rien que des ‰mes de femmes de toute espce, parmi lesquelles des religieuses et d'autres personnes que je connaissais. Elles avaient une grande quantitŽ de jardins ˆ cultiver : les servantes, ici aussi, avaient l'autoritŽ sur leurs anciennes ma”tresses. Elles habitaient des cabanes de feuillage. Aux quatre angles de cette demeure planaient quatre esprits qui surveillaient. Ils avaient sur de grands arbres comme de petites guŽrites suspendues aux branches. Les ‰mes ici cultivaient des fruits de toute espce, mais ils n'Žtaient pas tout ˆ fait mžrs, car il y avait bien du brouillard et le ciel Žtait bien bas. Ce que ces ‰mes obtenaient par leur travail Žtait remis ˆ d'autres ‰mes petites et d'apparence chŽtive que je vis aller ˆ un autre lieu entre de hautes montagnes de glaces. Elles chargeaient les fruits sur des radeaux et elles allaient ˆ ces autres personnes parmi lesquelles elles faisaient encore un triage et dont elles envoyrent les meilleures ˆ d'autres endroits destinŽs au sŽjour des ‰mes. Celles qui Žtaient sur les montagnes de glace Žtaient des ‰mes appartenant ˆ des peuples infidles qui Žtaient encore ˆ moitiŽ sauvages. Les femmes me demandrent en quelle annŽe l'on Žtait et comment les choses se passaient maintenant sur la terre. Je le leur dis et je pensai qu'un petit nombre seulement devait venir se joindre ici ˆ elles, ˆ cause de la multitude des pŽchŽs qui se commettent. Je ne me souviens plus de ce que je fis encore lˆ. È

         Ç Le retour se fit sur un Žtroit sentier qui allait toujours en descendant. Il arriva ainsi que je vis la montagne des prophtes : tout m'y parut plus vert et plus vigoureux. Il y avait sous la tente deux figures qui s'occupaient des livres. L'un dŽposait de nouveaux Žcrits, l'autre faisait des ratures dans les livres. Je vis alors para”tre les points les plus ŽlevŽs de la terre, je vis des fleuves comme des fils d'argent et des mers comme des miroirs : je distinguai des forts et des villes et je descendis enfin sur la terre prs du Gange. Lorsque je regardai derrire moi, le chemin que j'avais suivi m'apparut comme un rayon dŽliŽ qui se perdait dans le soleil ainsi qu'une petite flamme. Les bons Indiens que j'ai vus rŽcemment prier devant une croix, avaient maintenant construit avec des branches entrelacŽes une Žglise de feuillage toute verdoyante qui Žtait fort jolie. Ils Žtaient rŽunis plusieurs ensemble et ils cŽlŽbraient l'office divin. J'allai de lˆ, ˆ travers la Perse, ˆ l'endroit o JŽsus enseigna au temps qui prŽcŽda son crucifiement : il n'en reste plus rien, sinon de beaux arbres fruitiers et aussi des traces du vignoble que le Seigneur y avait fait planter. J'allai ensuite en Egypte : je passai par le pays o habite Judith, je vis son ch‰teau et j'eus l'impression qu'elle a un dŽsir toujours croissant dՐtre chrŽtienne. È

 

Ç Je suivis une autre route tout ˆ fait extraordinaire et arrivai au-delˆ de la mer, en Sicile, o je vis beaucoup de lieux dŽvastŽs et abandonnŽs. Je franchis ensuite des montagnes peu ŽloignŽes de Rome. Plus tard je vis dans une plaine sablonneuse, prs d'un bois de sapins, une troupe de brigands qui voulaient attaquer un moulin dans le voisinage. Quand mon conducteur et moi fžmes prs d'eux, un de ces hommes fut pris d'Žpouvante: il dit aux autres : Ç De quelle terreur je suis saisi! Il me semble qu'on est derrire nous ! È Et lˆ-dessus tous prirent la fuite. Je suis tellement fatiguŽe de ce voyage, surtout d'avoir tra”nŽ cette ‰me lourde, que je suis tout endolorie. JÕai vu et fait dans ce voyage une infinitŽ de choses que j'ai oubliŽes. È

 

31 dŽcembre. Ç J'ai fait mes comptes avec moi-mme pour l'annŽe qui vient de finir. J'ai vu de combien d'omissions je me suis rendue coupable et combien j'ai de choses ˆ raccommoder. Je me suis trouvŽe bien misŽrable et j'ai pleurŽ amrement sur moi-mme. J'ai eu aussi plusieurs visions d'‰mes en peine et de mourants. J'ai vu un prtre, mort hier ˆ neuf heures du soir; il Žtait trs-pieux et trs charitable. Il est pourtant allŽ pour trois heures en purgatoire parce qu'il avait perdu du temps ˆ divers amusements. Il aurait dž y passer plusieurs annŽes, mais de ferventes prires et de nombreuses messes ont ainsi avancŽ la dŽlivrance. J'ai vu ses souffrances pendant trois heures et, quand il fut dŽlivrŽ, je l'entendis dire ˆ l'ange, ce qui me fit rire : Ç Maintenant je vois que les anges aussi peuvent nous tromper : je ne devais tre ici que trois heures et j'y suis restŽ si longtemps, si longtemps! È Cet ecclŽsiastique Žtait bien connu de moi. È

Le 29 juin 1821, le Plerin enveloppa dans du papier des cheveux d'une femme dŽcŽdŽe et de ses deux enfants dont l'un Žtait mort sans baptme peu d'heures aprs sa naissance et l'autre ˆ l'‰ge de deux mois, mais baptisŽ, puis il les attacha ˆ la camisole de la malade sans qu'elle en sžt rien. Le jour suivant, elle raconta ce qui suit: Ç J'ai vu la vie de saint Pierre et des scnes o figurait Marie, mre de Marc, mais en mme temps j'avais toujours une vision d'‰mes en peine vers lesquelles je me sentais fortement tirŽe sans pouvoir arriver ˆ elles. C'Žtaient une mre et deux enfants. La mre Žtait ˆ une grande profondeur. Je ne pus aller prs d'elle. Elle me parla d'une voix creuse et sourde : ce qu'elle disait Žtait trs-difficile ˆ comprendre. Les enfants Žtaient dans un autre cercle : je pus aller ˆ eux. L'un d'eux Žtait baptisŽ. Je pus m'entretenir avec lui. Il Žtait lˆ seulement comme en visite, il appartenait ˆ un cercle plus ŽlevŽ. Quand je voulus aller ˆ la mre, il me sembla que j'enfonais, comme si j'eusse ŽtŽ trop lourde. J'essayai de l'assister de diverses manires, j'offris pour elle des prires et des souffrances, mais je ne pus arriver jusqu'ˆ elle. Mes regards plongrent dans un sombre et vaste empire, dans un monde de brouillard o il y avait plusieurs cercles. L'Žtat o sont ces ‰mes, les privations et les peines qu'elles subissent sont la suite nŽcessaire de leurs imperfections et de leurs transgressions sur la terre. Plusieurs sont en compagnie, d'autres sont seules. Les lieux dans lesquels elles se trouvent sont nŽbuleux et comme dans un brouillard, tant™t plus Žpais, tant™t plus lŽger; les uns sont humides, les autres secs : il y rgne un froid vif ou une chaleur Žtouffante : il y a aussi des diffŽrences dans la lumire et les couleurs. Je vis pourtant lˆ dŽjˆ une p‰le lueur d'aurore. Les enfants Žtaient plus prs du bord. Les non-baptisŽs souffrent surtout de la liaison Žtroite avec le pŽchŽ et l'impuretŽ de leurs parents, les baptisŽs sont libres et purifiŽs. On ne peut aider les ‰mes que par la gr‰ce, la mŽditation, la prire, les bonnes oeuvres, les mŽrites des saints, quelquefois par le fruit provenant de quelque chose de bon qui Žtait dans ces ‰mes elles-mmes et qui s'est produit pendant leur vie. L'idŽe la plus claire qu'on puisse se faire de cet Žtat de choses est de se reprŽsenter sur la terre des Žtablissements rŽglŽs selon la justice la plus parfaite pour la correction et l'amŽlioration des dŽtenus, o toutes les punitions infligŽes et les satisfactions exigŽes correspondraient exactement aux dŽlits. Qu'on se figure en outre la sŽparation corporelle des hommes comme n'existant pas, en sorte que chacun puisse agir dans les autres et pour les autres, et l'on se fera une idŽe de la manire dont sÕoprent la satisfaction et la dŽlivrance. Le captif ne peut rien faire que souffrir. Il est ce qu'est dans un corps un membre malade ou paralysŽ. Mais si les veines et les nerfs les plus proches qui communiquent de ce membre au reste du corps ne sont pas entirement morts, sa souffrance va produire la sympathie et la compassion dans les autres parties du corps qui cherchent alors ˆ le dŽlivrer. En ce monde on ne peut arriver aux maisons de correction que par des intermŽdiaires et des amis; on peut aussi soi-mme par des supplications, des travaux, des satisfactions, des extinctions de dettes, obtenir des gr‰ces et amener des jours de pardon; de mme ceux qui sont renfermŽs dans de profonds cachots ne peuvent faire entendre leur voix que de loin, comme par un soupirail ou par-dessus un mur; les choses se passent ainsi ˆ certains Žgards dans l'autre monde. Mais, sur la terre, tout est mŽlangŽ de pŽchŽ, de mensonge et d'injustice, tandis que lˆ, tout ce qui se fait, tout ce qui a pour but de consoler et d'assister sÕopre selon la justice la plus parfaite. C'est la mme diffŽrence qu'entre la monnaie de la terre, et celle qui a cours devant Dieu, au moyen de laquelle on s'acquitte envers lui. Je fis beaucoup de tentatives pour comprendre ce que disait l'‰me de cette femme et pour lui porter secours, tant ˆ elle qu'aux enfants, et quand je me croyais au moment de la faire arriver en haut, il y avait toujours quelque empchement. Enfin je persuadai ˆ sainte Marie, mre de Marc, de m'accompagner lˆ car cette vision touchant les ‰mes Žtait toujours interrompue par la vue de la fte de saint Pierre et de Marie, mre de Marc. Celle-ci vint en effet avec moi et, par ses mŽrites, je pus arriver plus prs des pauvres ‰mes. Je reus aussi un avertissement accompagnŽ d'une vision touchant un enfant mort qui ne pouvait pas recevoir la sŽpulture : je devais le faire enterrer et le Plerin en faire les frais. JÕappris que l'‰me de la femme dŽsirait comme une chose qui lui Žtait nŽcessaire le mŽrite de cette bonne oeuvre. En outre elle me dit ce qu'il y avait ˆ faire pour elle, indŽpendamment des prires qu'il fallait toujours continuer. Je le dirai en temps opportun au Plerin. È

         Le jour suivant, il vint une pauvre femme de Dulmen, demandant qu'on pourvžt aux frais de l'enterrement de son enfant mort ˆ l'‰ge de trois ans. C'Žtait le mme que la malade avait vu pendant la nuit. Le Plerin fit les frais et elle-mme donna de la toile. Cela se fit au bŽnŽfice de cette ‰me dont il a ŽtŽ parlŽ.

 

1er juillet. Ç Je me trouvai de nouveau avec l'‰me en question. J'avais affaire ˆ un petit enfant que je devais habiller. L'enfant Žtait sans force, il s'affaissait sur lui-mme. Je voulais lui mettre un petit vtement, une femme me le donna. Je crois que c'Žtait la Mre de Dieu. Le vtement Žtait blanc et transparent, et cependant il Žtait ˆ c™tes et semblait fait au tricot. J'Žtais toute honteuse, je ne sais pourquoi : c'Žtait peut-tre pour les gens qui auraient dž faire cela. Le petit enfant auparavant ne pouvait pas se tenir sur ses pieds. Je le vis maintenant aller ˆ une fte o beaucoup d'enfants jouaient. Le lieu o cela se passait et o la mre se trouvait ˆ prŽsent Žtait dans de meilleures conditions ; il y faisait plus clair. (Cette vision eut lieu aprs l'enterrement de l'enfant.) L'‰me de la mre me remercia ; cela ne se fait pas comme en ce monde, mais on n'a le sentiment. Il faut se donner beaucoup de peine pour arriver ˆ une de ces ‰mes, car elles-mmes ne peuvent rien faire. Si l'une d'elles pouvait tre seulement un quart heure sur la terre, elle pourrait abrŽger sa peine de plusieurs annŽes.

 

3 juillet 1821. Ç Je me suis trouvŽe dans le clo”tre de la cathŽdrale de Munster o j'ai eu ˆ nettoyer, avec beaucoup de fatigue, du linge d'Žglise qu'apportaient de tous c™tŽs des ecclŽsiastiques du pays. Je fus aidŽe par Claire de Montefalco, Franoise Romaine, Louise et plusieurs bienheureuses de notre couvent. Je fus spŽcialement occupŽe ˆ empeser et ˆ bleuir. C'Žtait un trs-grand travail. Je voulais toujours savoir quelle heure il Žtait et j'allais voir ˆ lÕhorloge. Alors il vint ˆ moi une pauvre ‰me que le Plerin avait recommandŽe ˆ mes prires et qui me donna un petit sablier qu'elle me dit avoir ŽtŽ terriblement lourd sur elle. Elle le tira de son c™tŽ. Je le pris, et cette ‰me fut incroyablement allŽgŽe par lˆ et toute joyeuse d'tre dŽbarrassŽe du sablier : je ne le trouvai pas trop pesant. Je retournai au travail et je pensai ˆ vendre le sablier pour les pauvres. Je trouvai l'ouvrage tout g‰tŽ : je fus au moment de perdre patience. Alors l'‰me revint ˆ moi en h‰te et me chuchota ˆ l'oreille : Ç Doucement ! doucement ! il y a encore assez de temps : È Puis elle me pria instamment de continuer paisiblement le travail, comme si mon impatience lui ežt fait du tort. Elle me quitta et je finis heureusement ma lessive. Je mis aussi en bon Žtat l'empois g‰tŽ et je pus en faire usage. J'eus encore envie de voir l'heure, mais je me reprochai mon impatience. Les horloges Žtaient ici une image du temps et de la patience : la pauvre ‰me s'est trouvŽe secourue parce que j'ai persŽvŽrŽ patiemment au travail et, lorsque je lui pris le sablier, le temps ne fut plus si lourd ˆ supporter pour elle. È

         Dans la premire semaine de juillet, une femme de Dulmen Žtait livrŽe aux douleurs d'un enfantement trs-difficile. Elle pria Anne-Catherine de l'aider de ses prires, et celle-ci, qui ne cessait de voir l'Žtat de la femme en couches, priait sans rel‰che afin que l'enfant pžt recevoir l'ondoiement dans le sein de sa mre. La sage-femme jusqu'alors irrŽsolue le donna ˆ l'enfant : il vivait encore, mais le lendemain il vint au monde sans vie. La mre vŽcut jusqu'au 13 juillet : mais l'enfant mort-nŽ apparut le 8 ˆ Anne-Catherine, svelte, lumineux et semblable ˆ quelqu'un qu'elle aurait connu depuis longtemps. Il lui rendit gr‰ces pour le baptme qu'il avait reu et lui dit : Ç Sans cela je serais allŽ avec les pa•ens. È

 

13 juillet 1821 . Ç J'ai vu la vie de sainte Marguerite. Son pre Žtait un prtre des idoles d'Antioche, riche et considŽrŽ. Je la vis dans une belle maison presque semblable ˆ celle de sainte Agns. Il y eut une gr‰ce attachŽe ˆ la naissance de sainte Marguerite : l'enfant Žtait brillante de lumire. La mre devait avoir eu quelque point de contact avec le christianisme, car je la vis mourir des suites de ses couches, ayant un grand dŽsir du baptme et souhaitant que sa fille pžt devenir chrŽtienne. Le pre remit l'enfant ˆ une nourrice qui habitait la campagne. Celle-ci n'Žtait pas mariŽe : mais son enfant Žtait mort et elle Žtait chrŽtienne en secret. Je la vis, par suite de l'impression que fit sur elle l'admirable caractre de l'enfant, devenir vertueuse et pieuse et Žlever l'enfant tout ˆ fait en chrŽtienne. Je vis souvent l'esprit de sa mre, je vis aussi des anges se tourner sur le berceau de Marguerite. Je vis comment la nourrice rapporta l'enfant ˆ son pre dans la ville, comment celui-ci la prŽsenta devant ses idoles et comment l'enfant se dŽbattit, ce qui courroua fort son pre. Je vis l'enfant dans sa sixime annŽe, ramenŽe par son pre et mise ans une maison ˆ laquelle Žtait prŽposŽ un instituteur pa•en. Il y avait lˆ beaucoup de petits garons et de petites filles et aussi des ma”tresses. Je vis souvent des apparitions d'anges et la direction donnŽe par Dieu ˆ Marguerite. Je la vis apprendre ˆ faire des broderies de toute espce : elle avait aussi ˆ fabriquer des poupŽes rembourrŽes. Je la vis, un ‰ge un peu plus avancŽ, envoyŽe par le ma”tre pa•en dans la maison de son pre. Il voulait la faire sacrifier dans sa maison. Elle s'y refusa et fut fort maltraitŽe. Elle attira beaucoup de vierges ˆ elle. Je la vis souvent punie et mme fouettŽe ˆ cause de son penchant au christianisme. Je la vit aussi, dans sa douzime annŽe, enfermŽe avec des jeune gens chargŽs de la sŽduire : mais elle Žtait toujours secourue par Dieu. Une fois on voulut la faire sacrifier aussi dans le temple : elle rŽsista et fut trs-maltraitŽe par son pre. Aprs cela, je la vis garder les moutons avec dÕautres : ce devait tre, une punition. Je vis qu'un juge distinguŽ d'Antioche, passant par lˆ, la vit et la demanda en mariage ˆ son pre. Elle fut ramenŽe ˆ la ville et, comme elle se dŽclara chrŽtienne, elle eut ˆ subir des interrogatoires et des tortures. Je la vis une fois, le corps tout dŽchirŽ, prier dans la prison et je vis sa mre et un ange venir ˆ elle et la guŽrir. Elle eut aussi en prison la vision d'une fontaine surmontŽe d'une croix, ce qui se rapportait ˆ son baptme et ˆ son futur martyre. Comme on la trouva parfaitement guŽrie, on attribua la chose aux dieux. Mais elle maudit les dieux les pa•ens, et je la vis, sur la place o avaient lieu les exŽcutions, bržlŽe avec des torches, puis jetŽe dans une fosse pleine d'eau pour y tre noyŽe. Elle y fut attachŽe ˆ des pieux avec plusieurs autres; et enfoncŽe si profondŽment qu'elle avait de l'eau par-dessus la tte. Je vis alors qu'elle entra dans l'eau avec le saint dŽsir que ce fžt pour elle un baptme, qu'un nuage lumineux en forme de croix descendit sur elle et qu'un ange apparut portant une couronne. Cela fut vu de beaucoup des assistants, lesquels confessrent JŽsus-Christ, puis furent mis en prison et martyrisŽs. Mais il survint un grand tremblement de terre : les liens de la vierge se rompirent et elle sortit de l'eau saine et sauve. Je la vis reconduire en prison au milieu des cris d'une populace en tumulte comme elle Žtait en prires, je vis un grand dragon avec une tte de lion s'avancer contre elle, mais elle fit le signe de la croix sur lui et lui mettant la main dans la gueule, elle lui pressa fortement la tte contre la terre. Je vis dans ce moment entrer dans la prison deux hommes qui voulaient abuser d'elle : mais ils s'enfuirent et la terre trembla. On conduisit ensuite Marguerite ˆ un amphithŽ‰tre o Žtait une multitude immense : on avait placŽ autour d'elle plusieurs jeunes filles chargŽes de l'intimider. Elle pria le bourreau de la laisser parler et elle tint ˆ ces jeunes filles un discours si touchant que toutes confessrent le Christ ˆ haute voix et pŽrirent avec elle lorsqu'elle fut dŽcapitŽe. Je vois que cette sainte est invoquŽe par les femmes en couche parce que sa mre mourut convertie en la mettant au monde et parce qu'elle-mme, par les supplices qu'elle a soufferts, a engendrŽ spirituellement un trs-grand nombre de filles au Seigneur. È

         Ç Aprs cela j'eus encore une vision horrible. Je ne savais pas au commencement comment elle se rattachait ˆ cette sainte. Je vis un Žnorme pourceau, d'un aspect effrayant, qui sortait d'un profond bourbier. Je tremblai et je frissonnai. C'Žtait l'‰me d'une grande dame de Paris qui me dit qu'il n'y avait pas ˆ prier pour elle, qu'on ne pouvait pas la secourir, qu'elle Žtait obligŽe de se rouler dans ce cloaque jusqu'ˆ la fin du monde, mais elle me demanda de prier pour sa fille afin que celle-ci se convertit et ne fžt pas cause d'autant de mal qu'elle-mme l'avait ŽtŽ. J'eus la vision de sainte Marguerite dans une petite chapelle de Paris, dernier reste d'une abbaye dŽtruite. Il sÕy trouve une portion du bras et du cr‰ne de la sainte. Lorsque j'eus vŽnŽrŽ ces ossements, je vis lՉme de la dame et un tableau de sa vie. Son tombeau n'est pas ŽloignŽ la chapelle. Elle Žtait d'un rang trs-ŽlevŽ et fit beaucoup de mal pendant la RŽvolution : elle fut cause que plusieurs prtres furent mis ˆ mort. Avec tous ses vices, elle avait conservŽ depuis sa jeunesse une certaine vŽnŽration pour sainte Marguerite et elle empcha la destruction de la chapelle de la sainte : cÕest pourquoi elle obtint par son intercession la gr‰ce de pouvoir demander des prires pour sa fille et empcher par lˆ chez celle-ci la continuation de ses propres pŽchŽs. Je vis cette fille mener la vie du grand monde : elle Žtait affiliŽe aux partis les plus mauvais et les plus dangereux du pays. È

 

28 aožt. Ç Diverses personnes de ma connaissance, mortes depuis longtemps, vinrent me prier de les assister et me conduisirent successivement dans des champs et des lieux resserrŽs et sombres o elles avaient ˆ faire des travaux de toute espce, mais elles ne pouvaient pas en venir ˆ bout parce qu'il leur manquait tel ou tel outil. Elles criaient au secours vers moi et il me fallut faire pour elles les divers travaux trs-pŽnibles, ce qui leur donna du soulagement. C'Žtaient pour la plupart des travaux agricoles. Je retournais chez moi aprs chaque travail et il me fallait revenir pour en faire un autre. J'eus aussi ˆ travailler ˆ des vignes. C'Žtait pour des prtres. J'allai aussi ˆ un lieu rempli de pieux pointus o les gens ne pouvaient changer de place sans se blesser. Je fis lˆ un faux pas : un pieu m'entra dans le mollet et je saignai trs-abondament. È Elle avait ˆ la jambe une grande marque rouge triangulaire. Elle eut aussi ces jours-lˆ ˆ subir un supplice particulier : c'Žtait comme si son Žpoux cŽleste adaptait des vis ˆ certains endroits de son corps et comme si elle Žtait mise sous le pressoir.

 

         30 aožt 1821. Ç J'ai eu cette nuit de terribles peines ˆ me donner pour de pauvres ‰mes, notamment pour des juifs, vivants et morts. J'ai eu d'abord beaucoup ˆ souffrir. Je fus appelŽe au secours par l'‰me d'une femme de mon pays qui avait eu une fille pieuse, mais un peu simple, qu'elle avait toujours injuriŽe et battue cruellement quand elle Žtait sur la terre. Je ne pouvais pas arriver ˆ cette ‰me, mais j'entendais ses cris et je la voyais horriblement flagellŽe et maltraitŽe. Je me suis pendant longtemps donnŽ beaucoup de peine pour elle et je dois trouver quelque moyen d'exciter sa fille qui est encore vivante ˆ se souvenir de l'‰me de sa mre. È

Ç J'ai eu hier le tableau d'une noce juive : mais je ne me rappelle rien de plus. È (Il y en avait une dans la ville.) Cette nuit lՉme d'une pauvre juive vint ˆ moi et me conduisit en divers endroits pour exhorter les juifs ˆ se convertir et ˆ devenir meilleurs. Ç Alors elle raconta diverses scnes o figuraient des juifs vivants et morts, les uns connus, les autres inconnus d'elle. Elle visita des juifs dans les pays les plus ŽloignŽs, mme en Asie et prs du mont Sina•. Elle alla aussi dans une boutique juive de Coesfeld qu'elle conna”t. La juive Žtait occupŽe ˆ arranger, pour tromper les acheteurs, des marchandises de mauvaise qualitŽ qu'elle mlait avec de bonnes : c'Žtaient des dentelles et des pices de toile dont il n'y avait pas un tiers qui valžt quelque chose. Anne Catherine lÕempcha ˆ plusieurs reprises de trouver ce qu'elle cherchait. La femme ne pouvait pas ouvrir les armoires ni trouver les marchandises. Elle devint horriblement inquite, courut ˆ son mari et se mit ˆ pleurer. Celui-ci lui dit qu'elle devait avoir pŽchŽ, qu'elle avait eu peut-tre de mauvaises pensŽes et qu'il fallait faire pŽnitence. La femme lˆ-dessus alla se blottir dans un coin. Anne Catherine reut alors un pouvoir sur elle, lui tint divers discours, l'inquiŽta et lui fit si vivement sentir son action que cette femme appela son mari au secours. Celui-ci vint et dit : Ç Vois-tu maintenant que tu as pŽchŽ ? È Lˆ-dessus la femme prit la rŽsolution, pour expier sa fraude, de donner beaucoup de vieux linge ˆ de pauvres chrŽtiens, et la distribution de ce linge et d'autres aum™nes servit, par l'intervention d'Anne Catherine, ˆ faire pardonner ˆ cette juive des pŽchŽs de divers genres. È

Ç Je fus conduite par l'‰me de la vieille juive dans le sŽjour des ‰mes des juifs et j'eus ˆ y donner conseil et assistance ˆ divers pauvres juifs de Coesfeld dont je connaissais quelques-uns. Je vis ce lieu comme Žtant tout ˆ fait ˆ part et comme attenant au lieu de purification des chrŽtiens. Je fus trs-touchŽe de voir qu'ils n'Žtaient pas perdus pour l'ŽternitŽ. Je vis les Žtats les plus divers, les plus dignes de pitiŽ. Je vis une pauvre famille juive, dÕailleurs pieuse, qui avait fait chez nous un commerce de vieille argenterie et de petites croix de tout genre, renfermŽe comme dans un atelier d'orfvre; ils Žtaient obligŽs de fondre, de peser, de limer sans cesse; mais ils n'avaient pas les outils qu'il ežt fallu et ils ne pouvaient jamais finir; il restait toujours quelque chose ˆ faire et ils Žtaient

toujours forcŽs de recommencer. Je me souviens d'avoir fait un soufflet pour eux. Je parlai ˆ tous du Messie et de choses semblables, et ce que je disais; la vieille juive le conseillait et le rŽpŽtait. Je vis aussi des juifs qui nageaient dans le sang, au milieu d'intestins de toute espce, et y Žprouvaient le supplice d'un dŽgožt toujours subsistant : d'autres qui couraient sans jamais sÕarrter, tra”naient de lourds paquets, roulaient et dŽroulaient sans cesse des ballots. D'autres ressentaient des souffrances variŽes causŽes par des abeilles, de la cire et du miel. Tout cela ne peut se dŽcrire. Je visitai aussi tous les juifs de cette ville-ci. J'allai la nuit dans leurs demeures; le rabbin Žtait tout immobile et comme pŽtrifiŽ, la gr‰ce ne lui arrivait par aucun c™tŽ: je ne pus m'approcher de lui en aucune faon. La femme P. est comme encha”nŽe par un principe absolu, suivant lequel c'est un pŽchŽ que de penser seulement ˆ des choses concernant le christianisme d'o vient qu'elle se croit obligŽe de repousser de telles pensŽes. La plus rapprochŽe de la vŽritŽ chrŽtienne est la grosse juive qui vend de la viande : si elle n'Žtait pas si portŽe ˆ frauder, elle recevrait encore plus de gr‰ces; mais personne n'a pitiŽ de ces gens. J'ai ŽtŽ prs du lit de cette femme et j'ai agi sur elle. Je lui dis beaucoup de choses : je vis qu'elle s'Žveilla, courut, tout effrayŽe, ˆ son mari et lui dit qu'elle croyait que l'esprit de sa mre lui Žtait apparu. Elle Žtait dans une terrible angoisse et elle prit la rŽsolution de donner quelque chose aux pauvres chrŽtiens. Je fus aussi chez des juifs, dans une grande rue habitŽe exclusivement par eux : il y avait lˆ beaucoup de gens pieux : il s'en trouvait aussi de trs-riches qui tenaient cachŽs sous les dalles de leurs appartements une quantitŽ d'or et de bijoux. Je fus chez des juifs distinguŽs et opulents : mais il n'y avait rien ˆ faire avec eux. Je fus aussi ˆ Thessalonique. dans une grande ville de juifs o je rencontrai des gens pieux en grand nombre, je les vis plus tard se rassembler tout Žmus et parler comme si le Messie Žtait venu. Ils se communiquaient leurs Žmotions et leurs projets. Je fus aussi chez des juifs qui habitaient de vieilles cavernes de voleurs prs du mont Sina• et qui commettaient dans le pays beaucoup de brigandages et de cruautŽs. J'ai ŽtŽ chargŽe de les frapper d'Žpouvante, peut-tre dans lÕintŽrt des plerins et des chrŽtiens du pays.

 

18 septembre 1821. Ç J'ai vu une paysanne revenir chez elle d'une fte de village. Une ‰me s'approcha d'elle, sous l'apparence d'une figure gris‰tre et mŽlancolique, et lui murmura quelque chose ˆ l'oreille. La femme tressaillit, parut mŽcontente, crut que c'Žtait un pur effet de l'imagination et alla dans une chambre pour parler ˆ une servante. L'‰me ne se retira pas, mais poursuivit la femme de ses remontrances : celle-ci alla de nouveau ˆ la fte le lendemain. Alors la figure grise et mŽlancolique vint ˆ moi : elle me parla d'une voie creuse et sourde qui semblait sortir du fond d'un puits et dans un langage bref o beaucoup de choses se disent en peu de mots. Je compris qu'elle Žtait retenue dans un Žtat de captivitŽ et d'obscuritŽ, parce qu'elle Žtait nŽe dans une bergerie o les brebis n'allaient pas aux vrais p‰turages, ce qui faisait qu'elles connaissaient ˆ peine leur pasteur et ne pouvaient rien recevoir de lui. Il est terrible de vivre dans l'iniquitŽ et l'aveuglement par la faute de ses a•eux et de ne s'en apercevoir qu'aprs la mort. Elle Žtait chargŽe par Dieu de parler ˆ cette paysanne et d'avertir celle-ci qui, excitŽe par de faux amis, Žtait au moment d'entamer un procs dont le rŽsultat devait tre de lui faire perdre ce qu'elle possŽdait et de rŽduire ses filles ˆ la misre. Elle avait mariŽ son fils ˆ la fille d'une veuve et elle avait pris avec ladite veuve des engagements par suite desquels elle allait se jeter dans ce procs qui devait lui faire perdre son bien et son crŽdit. Quant ˆ l'‰me qui me parlait, c'Žtait celle du mari de cette paysanne et elle ne pouvait trouver de repos que la femme n'ežt changŽ d'avis: mais malheureusement ce mari Žtait dans un Žtat de captivitŽ o il ne pouvait rien faire, sinon inquiŽter sa femme par des reproches intŽrieurs et la porter ˆ de meilleures pensŽes. Il ne cessait pas d'y travailler : mais jusqu'alors ses efforts avaient ŽtŽ inutiles car la femme croyait toujours que c'Žtaient de pures imaginations. Elle ne s'ouvrait ˆ personne; cherchait des distractions dans les noces, les baptmes et les ftes de village, ne prtait l'oreille qu'ˆ des domestiques et des servantes perfides qui la poussaient plus avant dans sa mauvaise voie et ne voulait pas Žcouter des voisins honntes et sensŽs. Aussi n'y avait-il pas de bŽnŽdiction sur sa maison et son mŽnage, parce que cette femme cachait en confession d'anciens pŽchŽs et Žtouffait toujours les avertissements de sa conscience : or, la gr‰ce ne se trouve que sur le chemin de la pŽnitence. È

         Ç Depuis longtemps, disait l'esprit du mari, j'inquite ma malheureuse femme, mais elle subit de plus en plus l'influence de la veuve et cela doit la conduire ˆ sa ruine : elle ne veut pas m'Žcouter et quand elle ne peut plus rŽsister ˆ son inquiŽtude, elle court ˆ l'Žtable et ˆ la prairie, visite ses troupeaux et ses champs ou fait faire des travaux. Tu as priŽ rŽcemment pour ma pauvre femme : tu as priŽ avec tant de ferveur que Dieu t'a exaucŽe :tu as offert ˆ Dieu pour ma femme les cruelles souffrances de ce jour-lˆ et cela m'a fait obtenir la gr‰ce de pouvoir venir ˆ toi et te prendre avec moi pour m'aider. Je vais maintenant te conduire ˆ mon fils auquel tu parleras: je suis trop Žtroitement liŽ: je ne le puis pas moi-mme. Peut-tre que mon fils pourra ouvrir les yeux ˆ sa mre : il est bon et simple et ne refusera pas de nous croire. È J'allai alors avec l'esprit d'abord ˆ la fte du village o sa femme Žtait assise en compagnie d'autres femmes. Je vis qu'il s'approcha encore d'elle et lui parla ˆ l'oreille, lui disant qu'il fallait enfin se dŽlivrer de la veuve et ne pas risquer sa vie, son ‰me et son bien dans un procs injuste. Je vis la femme triste, inquite, quitter sa sociŽtŽ et chercher d'autres conversations. L'esprit me dit aussi que cette femme insensŽe Žtait au moment d'engager l'affaire, mais qu'il ne resterait pas inactif, car ses souffrances dans l'autre monde et sa sŽparation de la lumire Žtaient aggravŽes et prolongŽes par la folie de sa femme, dont lui-mme Žtait en partie responsable parce que le mŽnage avait ŽtŽ souvent mal administrŽ par sa faute. Il me conduisit alors chez son fils. Le chemin Žtait long et dŽsert et il me fallut traverser un grand Žtang dont les eaux Žtaient agitŽes. Le passage Žtait trs-dangereux. Je faisais de grands efforts et j'avais peur. LՉme Žtait ˆ mes c™tŽs, sa voix Žtait caverneuse et semblait venir de loin : l'angoisse et le pŽril Žtaient partout. Sur le chemin, l'‰me me disait ˆ chaque champ, ˆ chaque chaumire, quel danger pour l'avenir, quel pŽchŽ s'y rattachait; comment il fallait prier et agir. Quand nous fžmes de lÕautre c™tŽ de l'eau, le chemin se dirigea au nord ˆ travers une contrŽe d'un aspect sombre. Nous arriv‰mes ˆ un gros bourg. L'‰me me conduisit ˆ travers un champ ˆ une chaumire : nous entr‰mes dans la chambre du fils. Il fut saisi d'effroi : je crois qu'il vit l'esprit de son pre : mais pourtant il se remit. Il me fallut lui parler longuement, lui dire qu'il devait mieux prier qu'il ne faisait et lui indiquer ce qu'il avait ˆ faire ˆ l'Žgard de sa mre qui allait tout perdre si elle s'engageait dans le procs de sa belle-mre. Je lui dis que l'‰me de son pre, qui ne pouvait arriver ˆ sa mre, lui recommandait d'avertir celle-ci et de lui dire que c'Žtait par sa faute qu'il ne pouvait trouver de repos. J'eus encore ˆ lui dire des choses importantes dont je ne me souviens plus. Ce fils me paržt simple, bon et pacifique : il a le visage rond, le nez un peu retroussŽ; il n'y a en lui aucun artifice. Il fut trs-Žmu et montra un grand dŽsir de marcher dans la bonne voie, l'Žtat de sa mre lui faisait beaucoup de peine. La simplicitŽ de ce jeune paysan Žtait vraiment touchante. Je vis alors l'effet de mes paroles dans une vision ˆ grande distance. Je vis le fils appeler sa femme d'une pice o elle filait. Elle le suivit de trs-mauvaise humeur, tenant le rouet entre elle et lui. Mais il lui parla de ce qui lui Žtait arrivŽ et la pria de faire en sorte que sa mre pžt se retirer du procs. J'entendis la femme dire une fois : Ç Il faut ™ter ˆ ta mre jusqu'ˆ la robe qu'elle a sur le corps. Je vis le mari l'implorer ˆ genoux pour sa mre, demander qu'on lui laiss‰t au moins deux champs et deux mŽtairies que je vis en l'air comme des ”les. J'entendis alors la femme dire: Ç Tu es si bon et si honnte que je rendrai une robe ˆ ta mre si je le puis. È Ce fut comme si ds lors le procs de la veuve allait de travers, comme si l'affaire tombait du mauvais c™tŽ o elle penchait, et comme si la paysanne n'y Žtait plus impliquŽe. Je vis celle-ci plus pauvre, mais dans une meilleure voie, parmi les paysans de la commune contre lesquels la veuve avait commencŽ le procs inique. J'aurai encore souvent ˆ accompagner la pauvre ‰me. C'Žtait un chemin bien difficile, notamment sur l'eau. Dans la dŽtresse et les efforts de cette ‰me, il y avait quelque chose de singulirement touchant. Quand je voulais m'approcher de la paysanne, je ne le pouvais pas : elle Žtait toujours environnŽe comme d'un lac : elle se tenait au milieu et semblait prs de tomber. >>

         Dans la dernire semaine d'octobre 1821, elle eut ˆ s'occuper des pauvres ‰mes avec des efforts trs-laborieux. tout en souffrant de grandes douleurs dans le bas-ventre : Ç J'allai, dit-elle, dans un lieu obscur visiter des ‰mes qui n'Žtaient pas catholiques. Il leur manquait quelque chose que je devais leur faire avoir. Elles me demandaient de faire moi-mme et de faire faire des pices d'habillement pour divers pauvres et de me procurer les Žtoffes nŽcessaires, au moyen d'aum™nes. Toutes ces pices d'habillement me furent montrŽes et il me fut dit o j'aurais les Žtoffes. Je voulais d'abord dŽcliner la proposition, mais les pauvres ‰mes me pressrent tellement que j'y consentis, et ce fut pour moi une t‰che bien pŽnible. È Au milieu de ses douleurs, elle tailla pendant plusieurs jours des chemises pour des pauvres et fut durant ce temps trs-troublŽe par des visites de parents et par la vive impatience que causait au Plerin le dŽrangement qui en rŽsultait : cependant elle surmonta parfaitement tout ce qui pouvait l'exciter ˆ l'impatience, ainsi que le Plerin fut obligŽ de le reconna”tre, ˆ la date du 4 octobre : Ç Quoique souffrant excessivement de ses douleurs dans le bas-ventre, dit-il, elle a ŽtŽ aujourd'hui enjouŽe, patiente et affectueuse. De nouvelles visites d'Žtrangers, qu'elle n'osait pas refuser, l'ont extrmement fatiguŽe, mais n'ont pu troubler son calme et sa bonne volontŽ. Elle parle avec

beaucoup de bienveillance de tous ceux qui lui causent des ennuis. È Elle raconta de son c™tŽ : Ç J'ai encore eu beaucoup ˆ faire avec les pauvres ‰mes et je sais toutes les pices d'habillement que je dois faire pour des indigents. Je connais aussi leur forme, leurs dimensions et l'Žtoffe qu'il faut employer : mais je ne connais pas encore les pauvres auxquels elles sont destinŽes. Il m'a encore ŽtŽ recommander de demander pour cela des aum™nes au Plerin. Je visiterai les ‰mes souffrantes dans mon voyage ˆ la maison des noces : j'ai en outre ˆ nettoyer lˆ, dans le champ, un coin de terre inculte et plein de ronces. Dans la maison des noces elle-mme je trouvai la grosse cuisinire. Elle avait autour du corps un cercle de fer o Žtaient pendus ses cuillers, ses Žcuelles et tous ses ustensiles. Comme le mal que jÕai au bas-ventre me faisait excessivement souffrir, mon confesseur m'ordonna de rŽsister ˆ la douleur. Je me tins tranquille : mais vers minuit elle devint encore plus vive et je vis comme une horrible figure fondre sur moi. je me soulevai avec peine et je dis avec simplicitŽ et avec foi Ç Va-t'en bien vite ! Que viens-tu faire ici? Je n'ai pas besoin de toi. Mon confesseur me l'a ordonnŽ. È Et aussit™t la douleur disparut et je fus en repos jusqu'au matin. È Le 10 octobre, les vtements demandŽs par les ‰mes souffrantes Žtaient achevŽs : alors on annona la venue d'une pauvre femme qui en demandait pour ses enfants : d'autres indigents furent nommŽs par les pauvres ‰mes ˆ Anne Catherine pour qu'elle leur donn‰t ce qui restait. Le 7, le Plerin avait dŽjˆ fait la remarque suivante : Ç Elle a prŽparŽ tous les objets qui lui ont ŽtŽ demandŽs par les ‰mes souffrantes, mais elle ne sait pas pour qui. La nuit elle avait fait chercher l'Žtoffe dans les boutiques, elle savait o elle se trouvait et o elle manquait. È

 

Fin d'octobre 1821 : Ç Depuis plusieurs jours, ˆ cause de l'approche du jour des Morts, elle a continuellement de rudes travaux ˆ faire la nuit avec des ‰mes en peine qu'elle conna”t ou qu'elle ne conna”t pas : souvent elle est requise par une ‰me qui lui appara”t ou par l'ange gardien de celle-ci de faire telle ou telle chose comme satisfaction. Elle doit exhorter des vivants ˆ un travail, ˆ une rŽparation. Ainsi dans ces dernires nuits l'‰me d'une dŽfunte vint la trouver et lui exposa qu'un bien mal acquis lui avait ŽtŽ transmis par ses parents et qu'il Žtait maintenant entre les mains de sa fille. Anne Catherine eut ˆ avertir cette fille et ˆ faire un grand voyage au milieu d'une neige Žpaisse : elle se souvenait aussi d'une merveilleuse Žglise spirituelle dans laquelle il lui avait fallu servir la messe et donner la sainte communion ˆ quelques ‰mes. È - Ç Je fus trs-intimidŽe, dit-elle, quoique je dusse prendre l'hostie avec un linge. Je sentais que ma qualitŽ de femme m'interdisait: Je ne servis la messe non plus qu'avec beaucoup d'inquiŽtude, jusqu'ˆ ce que le prtre se tourna vers moi et me dit d'un ton trs grave qu'il fallait le faire et que cela devait tre ainsi. Je reconnus dans ce prtre le dŽfunt abbŽ Lambert qui Žtait tout lumineux. Je n'ai plus cette scne bien prŽsente ˆ l'esprit et je ne la comprends pas. È

Le matin du 25 octobre, le Plerin la trouva toute terrifiŽe et toute bouleversŽe : Ç J'ai eu cette nuit, dit-elle, une effrayante vision qu'encore maintenant je ne puis pas chasser de mon esprit. Comme je priais hier soir pour les mourants, je fus conduite prs d'une femme assez riche et j'eus la douleur de voir qu'elle allait se damner. Je luttai avec Satan devant son lit, mais sans succs : il me repoussa ; Žtait trop tard. Je ne puis dire quel fut mon dŽsespoir quand il enleva cette ‰me et qu'il laissa lˆ le corps courbŽ en deux et aussi repoussant pour moi qu'une charogne. Je pus m'en approcher : je ne le vis que de haut et de loin; il y avait lˆ aussi des anges qui regardaient. Cette femme avait un mari et des enfants. Elle passait pour une trs bonne personne et elle vivait ˆ la mode du monde. Elle avait un commerce illicite avec un prtre, et c'Žtait lˆ un vieux pŽchŽ d'habitude quÕelle n'avait jamais confessŽ. Elle avait reu tous les sacrements : on parlait de sa belle contenance on la disait bien prŽparŽe. Elle Žtait pourtant dans lÕangoisse ˆ cause du pŽchŽ qu'elle avait tenu secret. Alors le diable lui envoya une misŽrable vieille femme, son amie, ˆ laquelle elle s'ouvrit sur ses inquiŽtudes. Mais celle-ci lÕexhorta ˆ chasser ces pensŽes et ˆ ne pas faire de scandale; elle lui dit qu'il fallait se tenir en repos quant aux choses passŽes, qu'elle ne devait plus se tourmenter maintenant qu'elle avait reu les sacrements et ŽdifiŽ tout le monde, qu'elle ne devait pas exciter des soupons, mais s'en aller paix ˆ Dieu. Puis la vieille femme ordonna qu'on la laiss‰t seule et en repos. Mais la malheureuse, si voisine de la mort, avait encore l'imagination pleine de dŽsirs qui la portaient vers le prtre complice de son pŽchŽ. Et lorsque je l'abordai, je trouvai Satan sous la figure de ce prtre qui priait devant elle. Elle-mme ne priait pas, car elle agonisait, pleine de mauvaises pensŽes.- Le maudit lui lisait des psaumes; il lui citait, entre autres; ces paroles : QuÕIsra‘l espre dans le Seigneur, car en lui est la misŽricorde et la rŽdemption surabondante, etc., etc. Il fut furieux contre moi. Je lui dis de faire une croix sur la bouche de la mourante, mais il ne le put pas. Tous mes efforts furent inutiles : il Žtait trop tard, on ne pouvait pas arriver ˆ elle; elle mourut. Ce fut quelque chose d'horrible quand Satan emmena son ‰me. Je pleurai et je criai. La misŽrable vieille femme revint, consola les parents qui Žtaient lˆ et parla de la belle mort de son amie. Lorsque je m'en allai, en passant sur un pont qui Žtait dans la ville, je rencontrai encore quelques personnes qui allaient chez elle. Je me dis : Ç Ah! si vous aviez vu ce que j'ai vu, vous vous enfuiriez loin d'elle ! È Je suis encore toute malade et je tremble de tous mes membres. È

         A peine eut-elle dit cela qu'elle pria le Plerin de la laisser seule : on l'appelait, disait-elle, elle voyait quelque chose; il fallait qu'elle pri‰t. Le Plerin remarqua sur son visage cette absorption qu'il connaissait, quoiqu'elle fžt, encore parfaitement ŽveillŽe. Il tira le rideau devant elle et la quitta. Dans l'aprs-midi, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu ce matin, lorsque je vous ai priŽ de vous retirer, une religieuse mourante qui ne pouvait recevoir le saint viatique parce que la clef de la sacristie Žtait perdue. C'Žtait un couvent supprimŽ ; les malades y Žtaient restŽes avec quelques autres, mais en habits sŽculiers. Quelques nonnes Žtaient logŽes dans la ville. On cŽlŽbrait encore le service divin dans l'Žglise et le Saint-Sacrement y Žtait. Cette ville Žtait habitŽe en partie par des protestants. Je les vis voter la malade. Il vint aussi de la ville des religieuses mises hors du couvent : on bavardait et on buvait du cafŽ prs de cette malade. Elle avait une phtisie : elle Žtait au moment de mourir et demandait les derniers sacrements.

Lorsque le prtre vint, on ne put trouver la clef de la sacristie. Une nonne nŽgligente l'avait mise prs du foyer dans un petit trou de mur et elle l'avait oubliŽe par distraction. On cherchait de tous c™tŽs, tout Žtait en mouvement : on parlait beaucoup, et c'Žtait une confusion gŽnŽrale. Le prtre se retira. Je vis tout cela : je vis aussi que la nonne Žtait sur le point de mourir, ce qu'on n'imaginait pas. Mon conducteur m'ordonna de prier et la clef fut retrouvŽe, je ne sais comment. Le prtre fut rappelŽ et la salade reut le saint viatique. Je ne connaissais pas cette religieuse et je ne sais plus o cela se passait. È

Ç Dans la ville o Žtait morte la malheureuse femme, jÕallai prs du lit de mort d'un Žcrivain. C'Žtait un homme de bien, mais il avait Žcrit quelquefois, contre sa conscience des choses rŽprŽhensibles qu'il avait oubliŽes. Il s'Žtait confessŽ et avait communiŽ et on le laissait seul sur le conseil d'autres personnes inspirŽes par l'ennemi. Alors Satan lui suggŽra diverses pensŽes et chercha ˆ le pousser au dŽsespoir. Il obsŽda le mourant de visions o plusieurs personnes lui reprŽsentaient le mal causŽ par ses Žcrits et il le jeta dans une grande angoisse. Ce pauvre homme allait ainsi mourir dans l'abandon. Alors mon guide me conduisit ˆ lui et il me fallut par mes prires susciter des inquiŽtudes dans lՉme d'un prtre, de manire ˆ le faire accourir prs du malade. Le malade le reconnut et le pria de ne pas le dŽranger, parce qu'il avait des affaires ˆ traiter avec les gens qui Žtaient lˆ.

Le prtre s'aperut qu'il Žtait dans le dŽlire, lui jeta de l'eau bŽnite et lui fit baiser quelque chose qu'il portait ˆ son cou; sur quoi il revint ˆ la raison et raconta au prtre ses angoisses qui s'Žtaient si subitement emparŽes de lui. Cette fois l'ennemi se prit dans son propre pige : s'il nÕavait pas poussŽ cet homme au dŽsespoir, il ne se serait souvenu de rien. Je vis alors qu'il fit chercher des papiers et que le prtre mit divers Žcrits en ordre, en prŽsence de tŽmoins : aprs quoi cet homme mourut en paix. J'ai eu aussi ˆ intervenir, ˆ l'occasion de la mort de jeunes gens que l'amour de la danse avait menŽs ˆ mal. Les choses se passrent bien, lˆ aussi. È

 

         Le 22 septembre, un grand buveur d'eau-de-vie- mourut subitement en Žtat d'ivresse ˆ Dulmen. Elle le vit toute la nuit dans une horrible situation, et dit que les diables Žtaient couchŽs prs de lui, le tenant comme de jeunes chiens.

         28 octobre 1821 : Ç J'ai vu cette nuit la bienheureuse vierge Ermelinde. Dans sa douzime annŽe, elle avait des relations innocentes avec un jeune homme auquel ses parents voulaient la marier. Elle Žtait noble et riche et habitait dans une grande maison o je vis, un jour qu'elle voulait aller jusqu'ˆ la porte au-devant du jeune homme, JŽsus lui apparu et lui dit : Ç Ne m'aimes-tu pas plus que lui ? È ComblŽe de joie, elle rŽpondit que oui ; alors JŽsus alla avec elle dans sa chambre, et lui donna un anneau pour signifier qu'il la prenait pour Žpouse. Je vis qu'aussit™t elle se coupa les cheveux et dit ˆ ses parents, ainsi qu'au jeune homme, qu'elle s'Žtait fiancŽe ˆ Dieu. Je priai la sainte de me conduire ˆ des mourants et ˆ des ‰mes en peine et ce fut comme si je voyageais avec elle ˆ travers la Hollande. Il me fallut avec beaucoup de peine et de fatigue passer tant™t dans l'eau, tant™t ˆ travers des terres basses et marŽcageuses, des tourbires et des fossŽs de toute espce. Je fus auprs de pauvres gens qui ne pouvaient avoir de prtre parce qu'il fallait pour cela aller ˆ de grandes distances et traverser l'eau. Je consolai, priai et assistai dans des circonstances de toute nature. De lˆ, j'allai toujours plus avant vers le nord. Je ne puis pas bien me rendre compte dans quelle rŽgion est proprement le purgatoire. Le plus souvent je vais au nord: mais je perds ensuite le contact du sol naturel : il me faut aller par un passage tŽnŽbreux et surmonter beaucoup de difficultŽs, d'obstacles, de souffrances, telles que peuvent les produire l'eau, la neige, les Žpines, les marŽcages et choses semblables. Je travaille ˆ les vaincre pour les pauvres ‰mes, et aprs cela il me semble souvent descendre par des chemins tŽnŽbreux et sans consistance, et aller comme sous la terre. J'arrive ensuite dans des lieux o rgnent, ˆ des degrŽs diffŽrents, l'obscuritŽ, le brouillard, le froid, les dŽsagrŽments de toute espce; et lˆ je vais d'un endroit ˆ l'autre vers des ‰mes placŽes plus haut ou plus bas et d'un accs plus ou moins facile. Cette nuit encore je suis allŽe d'un lieu ˆ l'autre, j'ai donnŽ des consolations et en outre j'ai ŽtŽ chargŽe de divers travaux. Ainsi il m'a fallu dire tout de suite les litanies des Saints et les sept psaumes de la PŽnitence. Mon guide me dit qu'il faut bien prendre garde de m'impatienter et offrir tout ce qui peut me dŽplaire au profit des pauvres ‰mes. Le lendemain matin je ne pensais plus ˆ cette exhortation et j'Žtais au moment de me mettre en colre ˆ propos d'une certaine chose, mais je rŽprimai ce mouvement ; je suis toute heureuse de l'avoir fait et je remercie mon cher ange gardien qui m'y a aidŽ. On ne peut pas dire quelle consolation on donne aux ‰mes souffrantes par un petit sacrifice et une petite victoire sur soi-mme. È

 

2 novembre 1821. Elle Žtait, depuis quinze jours dŽjˆ, continuellement occupŽe des ‰mes du purgatoire, faisant pour elles toute sorte de prires, de mortifications, d'aum™nes et de travaux spirituels afin de complŽter ce qui manquait encore pour leur dŽlivrance. Elle semblait prŽparer et disposer une foule de choses afin de pouvoir les prŽsenter achevŽes le jour de la commŽmoration des morts. Elle avait constamment offert pour ces ‰mes des actes hŽro•ques de patience et de charitŽ, elle avait offert toutes ses actions et toutes ses souffrances. Elle raconta ce qui suit : Ç J'ai fait avec les saints de nouveaux voyages au purgatoire. Les prisons o les ‰mes subissent leur ch‰timent ne sont pas dans un mme lieu : il y a de grandes diffŽrences entre elles et il me faut faire des voyages d'un endroit ˆ lÕautre. La route. se dirige souvent de telle manire qu'on voit au-dessous de soi des mers, des montagnes de glace, de la neige, des nuages. Souvent il me semble descendre par un chemin qui tourne tout autour de la terre. Les saints passent lŽgrement prs de moi; ils ont sous eux comme un support de nuŽes lumineuses qui marche avec eux. Ces voies lumineuses sont sous les pieds de l'un d'une autre couleur que sous ceux de l'autre, correspondant ˆ la diversitŽ des sources de consolation et d'assistance qu'ont fait jaillir les travaux accomplis par eux pendant leur vie. Il me faut avec cela toujours aller par des chemins difficiles et tŽnŽbreux que je parcours en priant, ce qui est un travail fait au profit des ‰mes. Je rappelle alors aux saints leurs souffrances et je les offre ˆ Dieu pour les ‰mes avec les souffrances de JŽsus. Je vois les lieux o sŽjournent les ‰mes diffŽrer entre eux selon l'Žtat de celles-ci : cependant ils me font toujours l'effet d'tre de forme ronde et semblables ˆ des globes. Je ne puis les comparer qu'avec les endroits que j'appelle jardins, parce que j'y vois conservŽes comme des fruits, des gr‰ces et des influences spŽciales. Ainsi les diffŽrents sŽjours des ‰mes sont comme des jardins, des magasins, des mondes contenant une grande variŽtŽ de choses dŽplaisantes, de privations, de tourments, de misres, d'angoisses, etc., etc. : il y en a parmi eux de plus petits que les autres. Quand j'y arrive, je vois distinctement leur contour arrondi, je vois aussi un rayon de lumire tomber sur un point ou une lueur crŽpusculaire Žclairer l'horizon. Ces sŽjours sont les meilleurs. Dans aucun on ne voit le ciel bleu : tout y est partout plus ou moins terne et sombre.

Dans beaucoup de lieux, les ‰mes sont trs-serrŽes les unes contre les autres et on est lˆ dans une grande angoisse. Quelques endroits sont plus profonds et plus sombres, d'autres plus ŽlevŽs et plus ŽclairŽs. Les lieux o elles sont enfermŽes sŽparŽment sont aussi de formes diverses; quelques-uns, par exemple, sont comme des fours ˆ cuire le pain. Ceux qui Žtaient rŽunis sur la terre ne sont ensemble que quand ils ont besoin d'une purification du mme degrŽ. Dans beaucoup d'endroits, la lumire est colorŽe, par exemple couleur de feu, ou trouble, ou rouge‰tre. Il y a des endroits o de mauvais esprits font souffrir les ‰mes, les effrayent et les tourmentent. Ce sont les plus affreux et on les prendrait pour l'enfer si la patience indiciblement touchante des ‰mes ne persuadait le contraire. On ne peut dire quelle joie, quelle consolation ressentent ceux qui restent quand d'autres sont dŽlivrŽs. Il y a aussi des sŽjours o les ‰mes font des travaux de pŽnitence, comme celles que j'ai vues une fois courir tumultueusement et Žlever des remparts : il en Žtait de mme de ces ”les o Žtaient des femmes, cultivant des fruits qui Žtaient emportŽs sur des barques. Ce sont celles qui peuvent faire quelque chose pour d'autres placŽes dans une position infŽrieure : elles sont dans une situation meilleure. Cela peut tre une image symbolique : mais c'est pourtant rŽel. Dans cette rŽgion la nature est faible, molle, sans vigueur et les fruits s'en ressentent : pourtant ils donnent un soulagement ˆ d'autres ‰mes encore plus indigentes. Souvent des rois et des princes retrouvent ceux qui ont ŽtŽ opprimŽs par eux et qu'ils servent humblement au milieu des souffrances. J'ai vu dans le purgatoire des protestants qui avaient ŽtŽ pieux dans leur ignorance. Ils sont trs-dŽlaissŽs parce que les prires leur manquent. J'ai vu des ‰mes, quand quelques autres Žtaient dŽlivrŽes, passer des degrŽs infŽrieurs ˆ une condition meilleure. Plusieurs peuvent aller et venir et Žchanger des consolations. C'est une grande gr‰ce que de pouvoir appara”tre pour demander des prires et du secours. J'ai vu aussi des lieux o Žtaient purifiŽes, des ‰mes qui ont ŽtŽ proclamŽes saintes sur la terre, mais dont la saintetŽ n'Žtait pas encore arrivŽe ˆ la perfection lorsqu'elles Žtaient sorties de ce monde. J'ai ŽtŽ aussi dans beaucoup d'endroits et dans plusieurs Žglises; j'ai visitŽ des prtres et j'ai commandŽ des messes et des exercices de dŽvotion. J'ai ŽtŽ ˆ Rome, dans l'Žglise de Saint-Pierre, prs de certains ecclŽsiastiques d'un haut rang : c'Žtaient des cardinaux, ˆ ce que je crois. On devait dire lˆ sept messes pour diverses ‰mes et je ne sais plus pourquoi on avait nŽgligŽ de le faire. Lorsqu'elles furent dites, je vis des ‰mes dŽlaissŽes, toutes sombres et tristes, se presser autour de l'autel. Elles disaient comme tourmentŽes par la faim : Ç Qu'il y a longtemps que nous n'avons eu de nourriture! È Je crois que c'Žtaient des messes de fondation qu'on avait oubliŽes. La confiscation des fondations pour messes des morts est, comme je le vois, une affreuse cruautŽ et un vol fait aux plus pauvres d'entre les pauvres. Je ne vis sur mon chemin que peu ou point de personnes vivantes: mais je rencontrai des ‰mes, des anges et des saints et je vis aussi beaucoup d'effets produits par la prire. J'ai aussi ces jours-ci tra”nŽ au confessionnal et ˆ l'Žglise beaucoup de gens qui sans cela n'y seraient pas allŽs.

         Elle passa tout le jour en prire pour les ‰mes du purgatoire, rŽcita pour elles l'office des morts et rendit une telle quantitŽ de sang par la plaie du c™tŽ et par la poitrine qu'il traversa ses vtements. Lorsque le Plerin revint le soir, il la trouva en prire et toute raidie par l'extase. Il y avait bien une demi-heure qu'elle Žtait ainsi lorsque son confesseur entra dans la chambre : alors elle se redressa subitement, marcha d'un pas ferme et assurŽ, comme une personne bien portante, vers le confesseur stupŽfait, se prosterna; le visage contre terre, et chercha ˆ baiser ses pieds qu'il retira tout confus. Cependant il finit par la laisser faire : alors elle se releva sur ses genoux et lui demanda sa bŽnŽdiction pour elle et pour toutes les ‰mes qui Žtaient avec elle. Elle resta encore agenouillŽe et en prire pendant quelques minutes, demanda encore une fois la bŽnŽdiction pour les ‰mes, puis se leva et marcha vers sa couche d'un pas rapide. Son front Žtait couvert de sueur et son visage avait une expression joyeuse. Pendant tout ce temps et encore aprs, elle Žtait restŽe dans l'Žtat d'extase le plus complet. Lorsque, le jour suivant, le Plerin lui rapporta la chose, elle voulait ˆ peine croire que cela se fžt rŽellement passŽ ainsi, mais elle se souvint distinctement que des dŽfunts, anciens pŽnitents du P. Limberg, l'avaient priŽe de lui baiser les pieds et de lui demander sa bŽnŽdiction. Ç Cela a ŽtŽ trs-pŽnible pour moi, dit-elle, parce qu'il n'a pas consenti tout de suite et, qu'il ne m'avait pas bien comprise. Il n'a pas non plus donnŽ la bŽnŽdiction avec une foi ferme, ce qui fait que, dans la nuit, j'ai eu encore quelque chose ˆ faire pour les ‰mes. È

 

2 novembre 1822. Ç J'ai eu cette nuit beaucoup ˆ faire dans le purgatoire. J'y allai en me dirigeant toujours vers le nord; il me fait l'effet d'tre situŽ au-dessus du lieu o est comme la pointe du globe terrestre. Quand je suis lˆ, j'ai les montagnes de glace comme au-dessus de moi : pourtant il ne me parut pas que ce fžt dans l'intŽrieur de la terre, car je voyais la lune et, en courant autour des prisons, j'essayai de faire une ouverture, afin de faire entrer dans quelques-unes un peu de clair de lune. De l'extŽrieur, cela se prŽsente ˆ moi comme un mur noir, avec quelques reflets brillants, ayant la forme d'une demi-lune. A l'intŽrieur il y a des passages et comme des chambres innombrables, ŽlevŽs ou surbaissŽs, montant ou descendant. Prs de l'entrŽe, on est moins mal: les ‰mes errent et se glissent de c™tŽ et d'autre, mais plus bas elles sont plus Žtroitement emprisonnŽes. ‚ˆ et lˆ on en voit couchŽes dans une cavitŽ, dans une fosse souvent aussi plusieurs sont rŽunies dans un mme lieu et placŽes plus haut ou plus bas. Parfois on en voit une assise ˆ une certaine hauteur, comme sur une pierre. Plus loin dans l'arrire-fond, ce sont des scnes plus terribles, les dŽmons y exercent leur empire et c'est un enfer temporaire. Les ‰mes sont livrŽes ˆ divers supplices : des spectres affreux, de hideuses figures de diables parcourent ces lieux, tourmentent et Žpouvantent les ‰mes. È

         Je vois aussi dans le purgatoire un lieu de prire, une sorte d'Žglise o elles reoivent souvent des consolations. Elles tournent les yeux de ce c™tŽ comme nous vers nos Žglises. Les ‰mes n'ont aucun secours venant immŽdiatement du ciel ; elles reoivent tout de la terre et des hommes vivants qui, pour acquitter leurs dettes, offrent au juge suprme des prires et des bonnes oeuvres, des mortifications et des actes de renoncement, mais surtout le saint sacrifice de la messe. Quand je vais d'ici vers le nord et que je passe sur la glace, ˆ l'endroit o la circonfŽrence de la terre se rŽtrŽcit considŽrablement (note), je vois de lˆ le lieu o est le purgatoire comme quand on voit le soleil ou la lune trs-bas ˆ l'horizon : on passe ensuite par-dessus une espce de bourrelet, de rue, d'anneau (elle ne trouve pas le mot propre) et ensuite on a devant soi le purgatoire formant comme un demi-cercle. A gauche, mais assez loin en avant, est le moulin; ˆ droite sont les nombreux travaux de terrassement et les retranchements.

 

(note) Le 15 juillet 1820, elle disait : Ç Je vois la terre dans l'obscuritŽ et plus semblable ˆ un oeuf qu'ˆ un globe. C'est au nord que la descente est la plus escarpŽe ; du cotŽ du levant, elle semble plus longue, la descente ˆ pic va toujours vers le nord. È

 

Quand je suis dans le purgatoire, je ne vois, ˆ l'exception de mon guide, personne autre qui le visite, mais ˆ et lˆ, dans le lointain, sur la terre, des anachortes, des religieux et religieuses, de pauvres gens, lesquels, priant et se mortifiant, travaillent pour les ‰mes souffrantes. Ce purgatoire est celui de l'ƒglise catholique : les sectes sont sŽparŽes lˆ comme ici et souffrent beaucoup plus, parce qu'elles n'ont pas de membres qui prient sur la terre, ni le saint sacrifice de la messe. On ne distingue si les ‰mes sont des ‰mes d'hommes ou de femmes que quand on examine de plus prs ce qu'elles ont de particulier: On voit des figures, les unes plus sombres, les autres plus claires, dont le visage incroyablement altŽrŽ exprime la douleur, mais exprime aussi la patience. On ne peut dire combien elles sont touchantes ˆ voir. Rien n'est plus consolant que leur patience, la joie que chacune ressent de la dŽlivrance des autres et leur sympathie pour les souffrances d'autrui et pour les ‰mes qui arrivent. J'ai vu lˆ aussi des enfants. È

La plupart sont lˆ par suite de cette lŽgretŽ avec laquelle on traite ce qu'on appelle les petits pŽchŽs et qui fait qu'on nŽglige de petites condescendances envers le prochain, de petits actes de charitŽ et de petites victoires sur soi-mme. Les rapports des ‰mes avec la terre ont quelque chose de doux et de tendre en ce qu'elles Žprouvent dŽjˆ un grand soulagement par l'effet du dŽsir et de l'intention qu'ont les vivants de les secourir et d'allŽger leurs peines. Que de bien fait celui qui se surmonte continuellement lui-mme pour l'amour de ces ‰mes, qui aspire continuellement ˆ les secourir ! È Pendant ces jours et ces nuits, elle souffrit excessivement de la soif et prit sur elle de toutes les manires.

 

3 novembre. Ç Je fus dans la rŽgion situŽe en avant du purgatoire, dans la rŽgion des glaces, prs d'un moulin o beaucoup de princes, de rois et de rŽgentes sont obligŽs de moudre, comme on le fait faire sur la terre ˆ des chevaux et ˆ des hommes. Ils sont obligŽs de moudre de la glace. Les femmes portaient au moulin toute sorte de mets recherchŽs et d'objets prŽcieux qu'il leur fallait moudre, et ˆ quelque distance Žtaient des chiens qu'on nourrissait avec cette mouture. Leurs anciens serviteurs Žtaient maintenant leurs ma”tres et les excitaient au travail. È Elle parla aussi d'un chemin menant au purgatoire qu'elle avait suivi et parla de beaucoup de pays qu'elle dŽcrivit; elle semblait avoir traversŽ l'Asie pour gagner le p™le nord. Elle avait passŽ par le pays originaire de Djemschid, puis par une contrŽe o Žtaient de hautes montagnes remplies de singes, grands et petits :quand il faisait froid d'un c™tŽ, ils passaient de l'autre. Puis elle vint dans un pays dont les habitants, couverts de peaux de btes, sont laids de visage et portent de longs cheveux ;ils sont misŽrablement logŽs et se font tra”ner par des chiens; on voit mme lˆ de ces chiens tra”ner sans conducteurs les tra”neaux chargŽs de marchandises et revenir ensuite au logis. Il y a lˆ des hommes blancs et des noirs, mais ceux-ci y sont venus depuis peu. Ces gens font la chasse ˆ de petits animaux au corps allongŽ, porteurs de riches fourrures, qui ont de longues oreilles, des pattes courtes et ne sont pas aussi jolis que ceux qui sont au pied de la montagne des prophtes. Ces animaux vont de lˆ encore plus au nord. On y trouve un pays plein de marais et de dŽserts, mais il y fait un peu plus chaud; il semble que le soleil levant y arrive quelquefois. J'y vois courir des animaux de cette espce. Il y a par endroits des petits hommes chŽtifs au nez ŽcrasŽ et une vŽgŽtation misŽrable. Aprs cela elle ne mentionne plus de terre habitŽe, tout est nŽbuleux et gris‰tre ; il fait noir ˆ l'horizon. Elle passe ensuite sur cette voie ou cet anneau mentionnŽs plus haut, qu'elle dŽcrit comme Žtant de bronze ou de mŽtal; puis elle se trouve devant le purgatoire, sous lequel l'enfer situŽ ˆ une grande profondeur retourne vers le centre de la terre. Ç Sur ces chemins, dit-elle, je vois la lune extrmement grande, pleine de cavitŽs et de montagnes vomissant du feu. Tout y est comme pŽtrifiŽ; on dirait des arbres de corail. La lune attire et renvoie une grande quantitŽ de vapeurs : c'est comme si elle pompait beaucoup de liquide et le rejetait ensuite. Je ne vis des hommes semblables ˆ nous ni dans la lune, ni dans d'autres astres : plusieurs astres sont comme des corps consumŽs par le feu o il n'y a plus de vie. J'y vois sŽjourner des ‰mes et des esprits, mais pas d'hommes de notre espce. È

 

4 novembre. Ç Je ne sais pas o j'ai ŽtŽ, ni pourquoi j'ai cette vision. J'ai ŽtŽ conduits dans une belle maison : une femme me montra les figures sculptŽes de son mari : cՎtaient de trs-belles statues pa•ennes. Il me fallut descendre toujours, passer par des portes trs-Žtroites et presque ramper. Les images Žtaient de plus en plus laides et ˆ la fin tout ˆ fait horribles. Alors vint un homme qui me conduisit dans des salles pleines de peintures dont la beautŽ allait toujours croissant. Je me disais souvent : Ç Ah ! si le Plerin pouvait voir cela ! È Plus lÕhomme s'arrtait longtemps ˆ regarder les tableaux, plus ils devenaient beaux.. Enfin je sortis de lˆ. J'eus aprs cela une autre vision. Je vis un protestant avec sa femme, qui Žtait catholique, parcourir diverses chambres pleines d'objets dÕart de tout genre et lui montrer des salles vožtŽes toutes pleines de tableaux et de raretŽs, ce qui le rŽjouissait beaucoup, et j'entendis la femme lui dire que toutes ces choses Žtaient pour lui l'objet d'une vŽritable idol‰trie : mais, disait-elle, ˆ quoi cela menait-il ? Il ferait bien mieux de penser ˆ Dieu et ˆ l'Eglise. Il lui rŽpondit que, selon lui, il suffisait d'tre honnte homme pour tre agrŽable ˆ Dieu et que le reste Žtait chose secondaire. Elle nia qu'il en fut ainsi

et lui dit que, dans son voisinage, elle aussi sentait sa foi s'affaiblir, mais qu'elle avait conservŽ des enseignements de son instituteur qu'elle indiqua. Je vis aussi qu'elle le mena dans un caveau o Žtaient enterrŽs plusieurs de ses anctres : alors la voix d'un a•eul, sortant d'un tombeau qui ne contenait plus que de la pourriture et de la poussire, retentit aux oreilles de cet homme. C'Žtait une voix forte et caverneuse qui parla longuement quoiqu'avec des interruptions. Il lui Žtait possible, disait cet anctre, de rŽparer beaucoup de maux que lui-mme avait faits; il en avait les moyens, et rien ne l'en empchait. Le dŽfunt parla trs-longtemps de la seigneurie dont il s'Žtait emparŽ par la violence, de sa sŽparation d'avec l'ƒglise, de la quantitŽ de personnes qu'il avait entra”nŽes dans l'erreur, de la misre et de la confusion qui s'en Žtaient suivies. Il y avait pour son descendant autre chose ˆ faire que de cultiver les beaux-arts, de donner des bals et des ftes :ses sujets Žtaient livrŽs aux loups qui les dŽchiraient et s'engraissaient de leur substance. C'Žtait lˆ qu'il fallait porter secours. Il fallait aussi restaurer la vraie foi et rendre ˆ l'ƒglise ce qui Žtait ˆ elle, autrement il ne lui resterait rien que cette pourriture et ces cendres, et il perdrait tout le reste. È

         Ç Pendant ce long discours, divisŽ, pour ainsi dire, en chapitres o venait se placer toute l'histoire de cette famille, celui auquel il s'adressait tomba en dŽfaillance ˆ diverses reprises et voulut plusieurs fois s'enfuir, mais sa femme le retint tendrement dans ses bras et l'encouragea ˆ rester et ˆ Žcouter. J'ai oubliŽ ce qui s'ensuivit et je ne sais pas quels fruits a produits l'exhortation. Le pre de cet homme qui avait, je crois, deux enfants, vivait encore mais il avait perdu la raison et le fils devait bient™t prendre en main l'administration des affaires de la famille. Sa femme et lui s'aimaient, et elle avait un grand empire sur lui. J'eus cette vision le matin, en plein jour et ŽveillŽe. È

 

Ames souffrantes des fanatiques qui s'Žtaient crucifiŽs ˆ Wildensbuch prs Zurich.

 

19 octobre 1823. Ç J'ai ŽtŽ dans le purgatoire et j'ai vu plusieurs personnes de la secte de Mme Krudener, dont quelques-unes se sont martyrisŽes rŽcemment. Ces gens n'Žtaient pas dans le purgatoire des catholiques, ils Žtaient au-dessous ou ˆ l'entour, dans des espces de fosses, quelques-uns au fond, quelques autres sur les bords de ces fosses. C'Žtaient les ‰mes qu'une ignorance aveugle avait engagŽes dans cette affaire. Ils pouvaient s'entretenir avec les ‰mes souffrantes des catholiques et les suppliaient avec une amre douleur d'avertir leurs amis encore vivants afin qu'ils reconnussent leur erreur et se tournassent, vers l'ƒglise. Ces ‰mes rŽpondaient qu'elles ne pouvaient rien, qu'il fallait qu'un vivant pri‰t, travaill‰t et fit dire messe pour eux. È (Anne Catherine semblait s'Žtre chargŽe elle-mme de cela ; car elle prescrivit ˆ tous ceux auxquels elle donnait des vtements d'entendre la sainte messe, et elle-mme de son c™tŽ fit dire des messes.) J'appris aussi lˆ comment le diable avait poussŽ ces gens ˆ ces meurtres et ces crucifiements, comment il les avait rendus insensibles ˆ la douleur et comment plusieurs d'entre eux Žtaient perdus pour l'ŽternitŽ. Je sus aussi qu'une secte plus raffinŽe Žtait en train de se former. È (Elle dŽcrivit celle de Hennhoefer.) Ç Je vis encore que parmi les dŽmons encha”nŽs par le Christ, lors sa descente aux enfers, quelques-uns ont ŽtŽ dŽliŽs, il n'y pas longtemps, et ont suscitŽ cette secte. J'ai vu que d'autres sont rel‰chŽs de deux gŽnŽrations en deux gŽnŽrations. È

 

Habitations de la JŽrusalem cŽleste.

 

Le 8 janvier 1820, Overberg, ˆ Munster avait remis pour Anne Catherine au chapelain Niesing de Dulmen un reliquaire en forme de tour que celui-ci porta sous son bras de Munster ˆ Dulmen. Quoiqu'elle ne pžt conna”tre en aucune faon le dessein, qu'avait Overberg de lui envoyer ce reliquaire, elle vit pourtant le chapelain revenant ˆ Dulmen porter pendant tout le voyage une flamme blanche sous le bras.

Ç JՎtais toujours dans lՎtonnement, dit-elle, de ce qu'il ne se bržlait pas et jÕavais presque envie de rire en le voyant aller ainsi son chemin, sans faire aucune attention ˆ cette lumire : c'Žtaient pourtant des flammes de couleurs variŽes comme celles de lÕarc-en-ciel. Je ne vis d'abord que ces flammes de diverses couleurs : quand il fut plus prŽs, je ils aussi le vase. Il le porta en passant devant ma maison et ˆ travers toute la petite ville. Je n'y pouvais rien comprendre : jՎtais presque attristŽe, pensant qu'il se dirigeait vers lÕautre porte pour l'emporter hors de la ville. Les reliques qui Žtaient dedans me prŽoccupaient beaucoup. Je fus informŽe qu'il y en avait de trs anciennes et d'autres plus modernes qui avaient ŽtŽ retirŽes des lieus o elles Žtaient ˆ l'Žpoque des anabaptistes. Le lendemain, Niesing lui ayant remis le reliquaire, elle en Žprouva beaucoup de joies et le 12 janvier elle raconta au Plerin la vision suivante relative ˆ une relique qui s'y trouvait : Ç Je vis venir ˆ moi l'‰me d'un jeune homme sous une forme vague et toute lumineuse, avec un vtement ˆ peu prs semblable celui de mon conducteur: Une aurŽole, blanche l'entourait et il ma dit qu'il avait gagnŽ le ciel par la continence et par la victoire remportŽe sur les penchants de la nature. Il lui avait mme ŽtŽ avantageux de s'tre abstenu de cueillir de roses malgrŽ le dŽsir, qu'il en avait Alors mon sens intime subit une sorte d'Žclipse et je passai ˆ une autre cne. Je vis cette ‰me, sous la forme d'un adolescent de treize ans; se promener avec plusieurs camarades dans un grand et beau jardin de plaisance. Il avait un chapeau froncŽ, une sorte de jaquette jaune; trs-juste, ouverte par devant, descendant par-dessus le haut-de-chausses, et dont les manches se terminaient par une sorte dÕappendice prs de la main. Les culottes et les bas ne faisaient qu'un et Žtaient lacŽs trs Žtroitement sur les c™tŽs. La partie lacŽe Žtait dÕune autre couleur que le reste. Les genoux avaient des attaches : les souliers Žtaient Žtroits et garnis de rubans. Il y avait dans le jardin des haies bien taillŽes; plusieurs berceaux de verdure ŽlŽgamment disposŽs et des petits pavillons dÕagrŽment qui souvent Žtaient carrŽs ˆ l'extŽrieur, tandis que l'intŽrieur Žtait en forme de rotonde. Il y avait aussi des champs avec beaucoup d'arbres et des gens qui travaillaient. Ces travailleurs avaient des vtements assez semblables ˆ ceux dont jÕavais coutume d'habiller les bergers ˆ la crche du convent. Le jardin appartenait ˆ des personnes d'un rang ŽlevŽ habitant la ville voisine, ville importante qui Žtait patrie du jeune homme, il Žtait permis de s'y promener. Je vis les adolescents sauter gaiement et cueillir des roses rouges et blanches sur des haies de rosiers : mais le bienheureux jeune homme surmonta l'envie qu'il avait de faire comme eux et les autres lui mirent sous le nez; pour le narguer leurs gros bouquets de roses. Ici lÕesprit bienheureux me dit : Ç JÕavais ŽtŽ prŽparŽ ˆ cette victoire sur moi-mme par une autre beaucoup plus utile et plus difficile que j'avais remportŽe. Il y avait dans une famille voisine de la maison de mon pre une jeune fille d'une rare beautŽ; compagne de mes jeux, et que jÕaimais beaucoup en toute innocence. Mes pieux parents allaient souvent au sermon et jÕentendis une fois ˆ lՎglise le prŽdicateur dire quÕil fallait se garder de semblables relations : j'Žvitai alors en me faisant beaucoup de violence, la sociŽtŽ de cette jeune fille et ce fut cette victoire sur moi-mme qui fut cause que je renonai ˆ cueillir des roses. È LorsquÕil eut dit cela jÕentrai plus avant dans la vison et je vis cette jeune fille de gr‰ce et fra”che comme une rose aller par la ville : je vis la belle maison des parents de l'adolescent situŽe sur une grande place carrŽe qui Žtait celle du marchŽ. Toutes les maisons avaient sur le devant des portiques en arcades. Son pre Žtait un riche nŽgociant. J'entrai dans la maison, je vis le pre, la mre et plusieurs autres enfants. C'Žtait une bonne et pieuse famille, chrŽtiennement gouvernŽe. Le pre faisait le commerce de drap et de vin : il Žtait vtu avec luxe et portait une escarcelle de cuir pendue au c™tŽ. C'Žtait un homme grand et gros ; la mre, qui Žtait aussi fortement constituŽe, avait une riche et singulire coiffure. Ses cheveux relevŽs au-dessus du front formaient une espce de bourrelet retenu par une broche d'argent; par lˆ-dessus elle portait un bonnet pointu enroulŽ dans de larges dentelles et d'o pendaient par derrire de larges rubans. Son vtement Žtait rouge et brun. Le jeune homme Žtait lÕa”nŽ de leurs enfants. Devant la maison Žtaient des chariots chargŽs de marchandises. Au centre du marchŽ Žtait une fontaine entourŽe d'une belle grille de fer artistement travaillŽe avec des figures de grandeur naturelle; au milieu du bassin se trouvait encore une figure qui versait de l'eau. Il y avait aux quatre coins de la place de petits b‰timents semblables ˆ des guŽrites. La ville elle-mme Žtait situŽe dans une contrŽe fertile : d'un c™tŽ elle Žtait entourŽe comme d'un fossŽ ; devant la porte qui Žtait ˆ l'opposŽ coulait une rivire assez forte. Elle avait environ sept Žglises, mais aucun clocher remarquable. Les toits ˆ la vŽritŽ Žtaient ˆ angles trs-aigus, mais devant les maisons il y avait des constructions affectant la forme carrŽe.

         Aprs cela je vis encore que le jeune homme alla dans un convent pour y Žtudier. Je ne pais pas bien dire quel Žtait ce pays : cela semblait une ville allemande, cependant je n'en ai pas la certitude. Ce couvent Žtait ˆ une douzaine de lieues de la ville, situŽ dans un lieu solitaire, sur une montagne o il y avait des vignes. LÕadolescent Žtait trs-studieux et tellement plein de confiance dans la Mre de Dieu que, quand il ne comprenait pas quelque chose dans les livres, il disait ˆ son image de Marie: Ç Vous avez enseignŽ votre enfant, vous tes aussi ma mre, instruisez-moi donc aussi. È Et alors Marie lui apparaissait en personne et l'enseignait, et il Žtait plein de simplicitŽ et de confiance avec elle. Son humilitŽ Žtait cause qu'il ne voulait pas tre ŽlevŽ ˆ la prtrise, mais tous faisaient grand cas de lui ˆ casse de sa piŽtŽ. Il passa trois ans dans le couvent; o il fut gravement malade pendant un an ; il y mourut dans la vingt-troisime annŽe de son ‰ge et il y fut enterrŽ. Il y avait, parmi ceux qui l'avaient connu, un homme qui ne pouvait pas ma”triser ses passions et qui tombait trs souvent dans le pŽchŽ. Ayant une trs-grande confiance dans le dŽfunt, il vint prier sur son tombeau plusieurs annŽes aprs sa mort. Le bienheureux lui apparut et lui donna des instructions, puis il lui dit de remarquer un signe en forme d'anneau qu'il avait au doigt et qu'il avait reu lors de ses fianailles avec JŽsus et Marie: il lui enjoignit de dire qu'on ežt ˆ chercher ce signe sur son corps comme preuve qu'il lui Žtait rŽellement apparu. L'ami, qui Žtait un homme d'une trentaine d'annŽes, rapporta ce qui lui avait ŽtŽ dit. On fit la levŽe du corps, on trouva le signe et on se le partagea comme relique. Ce jeune homme n'a pas ŽtŽ dŽclarŽ saint. Il me rappela beaucoup saint Louis de Gonzague par toute sa manire d'tre. È

Ç Son ‰me me conduisit dans un lieu qu'il me dit appartenir ˆ la JŽrusalem cŽleste. Tout y Žtait lumineux et transparent. J'arrivai sur une grande place ronde, entourŽe de beaux, palais resplendissants; au milieu, s'Žtendait, ˆ travers la place, une grande table couverte de mets qu'on ne saurait dŽcrire. De quatre des palais environnants partaient des arcades de fleurs qui venaient se rŽunir au-dessus du centre de la table et y formaient une couronne ŽlŽgante autour de laquelle je vis briller les noms de JŽsus et de Marie. Il n'y avait lˆ aucun produit de l'art : tout Žtait vŽgŽtation et fructification naturelle. Ces arcades prŽsentaient un mŽlange de fleurs trs-variŽes, de beaux fruits et de figures brillantes. Je connus lˆ la signification de toutes ces choses et de chacune d'elles, car je vis ce quelles Žtaient en rŽalitŽ : ce nՎtait pas proprement une signification, c'Žtait plut™t une essence, une substance qui pŽnŽtrait dans l'esprit comme un rayon de soleil multiple et qui en mme temps instruisit. Ici-bas cela ne peut pas s'exprimer avec des paroles. Il y avait sur un des c™tŽs, un peu en arrire des palais, deux Žglises, l'une plus rapprochŽe consacrŽe ˆ Marie, l'autre ˆ l'enfant JŽsus. Elles Žtaient octogones. Lorsque j'y fus arrivŽe, d'innombrables ‰mes

d'enfants bienheureux sortirent de tous les c™tŽs, ˆ travers les parois, sur tous les points des palais resplendissants, et volrent au-devant de moi pour me souhaiter la bienvenue.

Ils se montraient au commencement sous la forme qu'affectent gŽnŽralement les ‰mes dans leurs apparitions; mais ensuite je les vis habillŽs de la manire dont ils l'Žtaient pendant leur vie et je reconnus plusieurs de mes compagnons d'enfance, dŽcŽdŽs ˆ une Žpoque antŽrieure. Je reconnus avant tous les autres le petit Gaspard, le frre de Diericke, un enfant espigle, quoique point mŽchant d'ailleurs, qui Žtait mort dans sa onzime annŽe, ˆ la suite d'une longue et trs douloureuse maladie. Cet enfant vint ˆ moi, il me conduisit et m'expliqua tout. je m'Žtonnais de voir si beau et si distinguŽ ce petit Gaspard qui, de son vivant, n'Žtait ni l'un ni l'autre. Comme jÕexprimais ma surprise de me trouver

lˆ, il me dit : Ç Ce ne sont pas tes pieds qui t'amnent ici, c'est la vie que tu mnes. È Ce discours me rŽjouit beaucoup. Comme au commencement je ne le reconnus pas tout de suite, il me dit : Ç Ne te souviens-tu pas comment jÕai aiguisŽ ton couteau ? Je me suis vaincu moi-mme en cette occasion et cela m'a ŽtŽ avantageux. Ta mre tÕavait donnŽ quelque chose ˆ couper en deux et ton couteau Žtait si ŽmoussŽ que tu ne pouvais en venir ˆ bout : tu pleurais et tu avais peur que ta mre ne se f‰ch‰t. Je vis cela et je me dis d'abord : Ç Je veux voir comment sa mre la traitera; È mais ensuite je fis un effort sur moi et je me dis : Ç Je vais repasser le couteau de la pauvre fille. È Je le fis en effet, je te vins en aide et cela a profitŽ ˆ mon ‰me. Te souviens-tu encore qu'un jour o les enfants jouaient d'une manire peu convenable, tu leur dis que c'Žtait un vilain jeu, qu'il ne fallait pas faire cela : puis tu te retiras, tu t'assis dans un fossŽ et tu pleuras. Je vins alors ˆ toi et je te demandai pourquoi tu ne voulais pas jouer avec nous. Tu me rŽpondis que quelquÕun t'avait emmenŽe en te prenant par le bras. Je rŽflŽchis lˆ-dessus et je pris sur moi pour ne plus jouer ˆ des jeux de ce genre. Cela m'a ŽtŽ bon. Te rappelles-tu encore qu'au jour o nous allions en troupe ramasser des pommes tombŽes d'un arbre, tu nous dis qu'il ne fallait pas faire, cela. Je rŽpondis que, si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient. Tu dis alors qu'il ne fallait donner ˆ personne une occasion de scandale. Et tu ne pris pas une seule pomme. Je remarquai aussi cela, ˆ part moi, et j'en tirai profit.- Un jour je voulais te jeter un os et je vis que quelquÕun dŽtourna de toi le coup. Cela aussi m'alla au coeur. È Le petit Gaspard me remit encore en mŽmoire une quantitŽ de choses du mme genre. Je vis alors que nous recevions tous pour chaque victoire sur nous-mmes et, chaque bonne action de toute nature un mets particulier ne nous mangions, en ce sens que nous en avions lÕintelligence et qu'il brillait ˆ travers nous.. Cela ne peut s'expliquer dans le langage humain. Nous n'Žtions pas assis ˆ une table, nous volions en quelque sorte d'un bout ˆ l'autre et chacun ressentait une saveur particulire pour chaque acte de renoncement. Au commencement une voix se fit en entendre disant : Ç Celui-lˆ seul peut comprendre cette nourriture qui la prend. È Mais ces mets Žtaient la plupart du temps des fleurs merveilleuses, des fruits, des pierres brillantes, des figures, des plantes d'une substance spirituelle tout autre que celle des objets d'ici-bas. Ils Žtaient servis sur des plats brillants, transparents, d'une beautŽ indescriptible, et il en sortait une force merveilleuse pour ceux qui, par tel ou tel acte de renoncement accompli sur la terre, s'Žtaient mis dans une certaine relation avec l'un ou l'autre de ces mets. Toute la table Žtait aussi couverte de petits verres de cristal en forme de poire, semblables ˆ ceux dans lesquels m'avaient ŽtŽ prŽsentŽs quelquefois des breuvages. salutaires; nous buvions dans ces vases. Un des premiers mets qui furent servis Žtait de la myrrhe qui Žtait merveilleusement arrangŽe. D'un plat d'or sortait un petit calice dont le couvercle avait un petit bouton, sur lequel Žtait un beau petit crucifix. Sur le bord du plat Žtaient des lettres lumineuses d'un bleu violet; je ne pus comprendre ce qu'elles disaient : je ne le comprendrai que dans l'avenir. De ce plat sortaient, comme par une vŽgŽtation naturelle, de beaux bouquets de myrrhe qui s'Žlevaient en forme de pyramides de couleur jaune et verte jusqu'ˆ la coupe du calice. C'Žtaient de petites feuilles frisŽes avec des fleurs semblables ˆ des Ïillets d'une beautŽ extraordinaire : en haut Žtait un bouton rouge entourŽ de pŽtales du plus beau bleu violet. L'amertume de cette myrrhe Žtait, pour l'esprit, une douceur merveilleusement aromatique et fortifiante. J'eus ma part de ce plat ˆ cause de toute l'amertume de coeur que j'avais supportŽe en silence ds mes premires annŽes. Pour ces pommes que j'avais laissŽes ˆ terre sans y toucher, des pommes lumineuses me furent donnŽes ˆ savourer : il y en avait un grand nombre rŽunies sur une mme branche. J'eus aussi un mets particulier pour le pain sec que j'avais distribuŽ en grande quantitŽ ˆ des pauvres. Il avait une grande ressemblance avec ce pain, mais il Žtait comme du cristal o se rŽflŽchissaient mille couleurs et il Žtait servi sur large assiette de cristal. Pour avoir refusŽ de prendre part ˆ ce jeu inconvenant, je reus un vtement blanc. Le petit Gaspard m'expliquait tout, et ainsi nous avancions toujours davantage le long de la table. Je vis encore, comme m'Žtant destinŽe; une petite pierre toute seule sur un plat, telle que je l'avais reue autrefois au couvent. J'entendis aussi dire lˆ que je recevrais avant ma mort un vtement blanc et une pierre blanche sur laquelle serait inscrit un nom que seule je pourrais lire. C'Žtait ˆ l'extrŽmitŽ de la table que l'amour du prochain recevait sa rŽcompense. È

Ç C'Žtaient des vtements blancs, des fruits blancs, de grosses roses blanches et toute espce d'aliments et objets merveilleux d'une blancheur admirable. Il m'est possible de dŽcrire tout cela. Le petit Gaspard me dit : Ç Il faut que tu voies aussi quelles crches nous avons ici. Tu as toujours aimŽ ˆ faire de petites crches.'È Alors nous all‰mes tous dans les Žglises, d'abord dans l'Žglise de la mre de Dieu o l'on chantait incessamment. Il y avait aussi un autel sur lequel se succŽdaient toutes sortes de tableaux de la vie de Marie, et tout autour Žtaient, ˆ des hauteurs diverses, des choeurs d'adorateurs. Il fallait passer par cette Žglise pour, arriver ˆ la petite crche qui Žtait dans l'autre Žglise. Dans celle-ci aussi il y avait un autel sur lequel Žtait reprŽsentŽe la naissance du Sauveur, puis, succŽdant les uns aux autres, des tableaux de sa vie jusqu'ˆ l'institution du Saint-Sacrement, tout ˆ fait dans le genre de ceux que j'ai vus en vision.

Ici la narratrice s'interrompit pour exhorter le Plerin ˆ travailler ˆ son salut avec plus d'ardeur, ˆ tout faire aujourd'hui, ˆ ne pas remettre au lendemain. Car la vie est courte et le compte ˆ rendre si rigoureux ! Aprs cela elle continua : Ç J'allai alors dans un lieu plus ŽlevŽ. Je montai prs de l'Žglise dans un jardin plein de fruits magnifiques avec des tables ŽlŽgamment ornŽes et des dressoirs couverts de riches dons. De tous c™tŽs je voyais voler lˆ des ‰mes qui sur la terre avaient fait beaucoup de bien par leurs Žtudes et leurs Žcrits et qui s'Žtaient ainsi rendues utiles aux autres. Elles allrent de divers c™tŽs dans le jardin : tant™t une d'elles, tant™t plusieurs s'arrtaient prs d'une table pour recevoir ce qui leur Žtait destinŽ. Au milieu du jardin s'Žlevait un appareil demi-circulaire, avec des gradins, o Žtaient exposŽs les objets les plus prŽcieux. En avant et des deux c™tŽs s'avanaient des bras dont chacun prŽsentait un livre. Ce jardin, lˆ o l'on voyait des chemins vers l'extŽrieur, paraissait avoir de belles portes. Par une de ces portes, je vis entrer un superbe cortge : toutes les ‰mes prŽsentes se pressrent en foule de ce c™tŽ et formrent deux rangs pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. C'Žtaient des ‰mes en grand nombre qui introduisaient le bienheureux Stolberg. Elles formaient comme une procession avec des bannires et des guirlandes de fleurs. Quatre portaient sur leurs Žpaules, mais sans que ce fžt un poids pour elles, une litire d'honneur o le bienheureux Žtait plut™t assis que couchŽ. Les autres suivaient et ceux qui Žtaient venus recevoir la procession portaient des fleurs et des guirlandes. Stolberg avait au-dessus de sa tte une couronne, formŽe surtout de roses blanches, de petites pierres Žtincelantes et d'Žtoiles. Cette couronne ne reposait pas prŽcisŽment sur sa tte, mais planait toujours au-dessus. Au commencement toutes ces ‰mes mÕapparurent sous des formes semblables, comme celles que j'avais vues plus bas dans le ciel des enfants : mais ensuite chacune m'apparut comme portant le costume et les insignes de sa condition sur la terre, et presque toutes Žtaient de celles qui par leurs travaux et leurs enseignements en avaient amenŽ d'autres dans la voie du salut. Je vis Stolberg descendre de son sige qui disparut aussit™t, puis je le vis s'avancer vers les dons qui lui Žtaient destinŽs. Je vis para”tre un ange derrire les gradins de lÕhŽmicycle. De trois c™tŽs de cet appareil couvert de fruits, de fleurs et de vases prŽcieux, s'avanait un bras tenant un livre ouvert, en face des assistants. L'ange reut des esprits qui l'entouraient des livres dans lesquels il effaa ou marqua diverses choses et qu'il plaa sur deux piŽdestaux qui Žtaient ˆ ses c™tŽs. Ces esprits reurent de lui ˆ leur tour des Žcrits grands et petits qu'ils rŽpandirent, les faisant passer de main en main. Je vis notamment une infinitŽ de petits Žcrits dirigŽs d'un certain c™tŽ par l'intermŽdiaire de Stolberg. Il me semblait que c'Žtait la continuation dans le ciel des travaux et des oeuvres opŽrŽs sur la terre par ces sortes d'‰mes. Je vis alors aller de ces gradins ˆ Stolberg un grand plat transparent et au milieu de ce plat appara”tre un beau calice d'or autour duquel Žtaient disposŽs des raisins, des petits pains, des pierres prŽcieuses et de petits flacons de cristal. Le calice n'Žtait pas fixe comme sur l'assiette de myrrhe : ils y buvaient ainsi que dans les flacons et se nourrissaient de tout ce qui Žtait lˆ. Stolberg distribuait tout aux uns et aux autres. Lorsque les ‰mes se communiquaient quelque chose, je les voyais souvent se donner la main. Aprs cela tous furent emmenŽs plus haut pour rendre gr‰ce. Aprs cette vision mon guide me dit qu'il me fallait aller ˆ Rome auprs du Pape et exciter son zle pendant sa prire : il devait me dire tout ce que j'aurais ˆ faire lˆ. È

 

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