VIE D’ANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME DEUXIEME (1819-1824)

 

APPROBATION

 

         Comme le second ouvrage intitulé : Vie d'Anne Catherine Emmerich par le P. Schmoeger, de même que le premier, ne contient rien de contraire à l'enseignement de l'Eglise catholique, quant au dogme et à la morale, mais, au contraire, lu en esprit de piété, peut beaucoup contribuer à l'édification des fidèles, nous accordons aussi avec plaisir à ce volume, après examen préalable, l'approbation qui nous a été demandée par l'auteur.

Pierre Joseph, évêque de Limbourg

 

PRÉFACE

 

         C'est une nouvelle preuve du respect et de l'affection dont le nom d'Anne Catherine Emmerich est entouré chez les fidèles des pays les plus divers, que très-peu de temps après la publication du premier volume de sa biographie, il en ait été publie une traduction française (note) et une traduction italienne, accompagnées d'approbations épiscopales, en sorte que maintenant le second volume peut paraître simultanément en trois langues. Ce fait si satisfaisant faisait à l'auteur un devoir

d'autant plus rigoureux de n'épargner aucune peine pour faire connaître aussi fidèlement que possible tout ce qu'a été et tout ce qu'a fait cette personne favorisée de Dieu. Il ose dire, sans vouloir en tirer vanité, qu'à notre époque si productive en écrits de toute espèce, peu de livres, proportion gardée, arriveraient à la publicité, si leur composition présentait d'aussi grandes difficultés que celui-ci.

 

(note) Vie d'Anne Catherine Emmerich, par le P. Schmoeger, traduite par l'abbé de Cazalès, tome 1er Paris, Ambroise Bray, 1868.

Vita della serva di Dio Anna Caterina Emmerich, tradolta dal marchese Cesare Boccella. Torino. Marietti. 1869.

 

Le Pèlerin lui-même a bientôt trouvé trop rebutante la tâche de mettre en état d'être publiées les notes journalières prises par lui, lesquelles ont été la principale source où l'auteur du présent livre a puisé. En outre les tentatives faites par d'autres personnes ont échoué contre les difficultés que présentait le triage des matériaux qui y sont accumulés. L'auteur, lui aussi, a souvent perdu courage parce qu'il lui semblait qu'il ne pourrait trouver d'issue pour sortir de ce labyrinthe. Ce n'est que la ferme conviction qu'il rendait un témoignage touchant les voies merveilleuse de Dieu, les conseils et les encouragements du P. Capistran de Kaltern, homme très-expérimenté en ces matières, mais surtout le secours non interrompu des prières dont Marie de Moerl a accompagné son travail depuis 1858 jusqu'à sa bienheureuse mort qui l'ont rendue capable de mener à terme l’oeuvre une fois commencée.

         Anne Catherine elle-même avait désigné les notes recueillies par le Pèlerin « comme un jardin touffu où il n'y avait pas de chemin. » Dès le mois de mars 1820, elle raconta la vision qui suit, bien remarquable par la manière surprenante dont elle s'est réalisée : « Je me trouvai dans un jardin que le Pèlerin cultivait. Il y avait poussé une multitude de plantes touffues et verdoyantes

mais le Pèlerin, en les mettant en terre, les avait tellement serrées les unes contre les autres qu'il n'y avait pas de chemin pour y arriver. Le Pèlerin me conduisit dans la petite maison du jardin autour de laquelle il cultivait du cresson d'eau formant une masse très touffue (note). »

 

(note) La manière dont cette vision s'est réalisée est racontée dans le XVème chapitre.

Plus tard elle répéta encore à plusieurs reprises : « J'ai vu le jardin du Pèlerin : beaucoup de plantes y ont poussé : mais il n'y a pas de chemin : tout est couvert de végétation. Il doit pourtant continuer à recueillir. » Ou bien encore : « Je vis le jardin du Pèlerin tellement encombré par la végétation que lui seul pouvait s'y frayer une voie  ; les autres se plaignaient de ce qu'on ne pouvait pas y entrer, ni s'y promener. Le jardin était couvert de fleurs et prospérait merveilleusement auprès d'une terre inculte et stérile. A l'entrée du jardin s'élevait un buisson de roses tout entouré d'épines. Le Pèlerin et d'autres encore auraient bien aimé y cueillir des roses, mais ils se piquaient aux épines. J'en vis un qui voulut prendre de ces roses, mais il se piqua si fort qu'il en poussa des cris. » Rien ne peut être plus frappant que ces tableaux. Le seul chemin qu'eût le Pèlerin dans son jardin si obstrué par la végétation, représente les sept jours de la semaine auxquels il rattachait sans distinction ce qu'il voyait et entendait près d'Anne Catherine, ce qu'elle lui racontait de ses visions, les impressions que produisaient en lui ces communications et, en outre, les sentiments de sympathie ou de répulsion que lui inspiraient les personnes du plus proche entourage de la voyante ou les visiteurs qu'il rencontrait près de son lit, enfin ses propres affaires et celles de ses amis les plus intimes. Ces matériaux très mélangés forment le contenu de ses manuscrits desquels l'auteur du présent livre a eu à tirer ce qui était nécessaire pour son but. Au reste le Pèlerin ne pouvait former d'avance d'autre plan que de rapporter tout aussi fidèlement et aussi complètement que possible : et comme la vie intérieure et l'action de cette créature favorisée du ciel étaient pour lui un mystère dont il ne pouvait apprendre que ce qu'elle-même lui communiquait avec l'autorisation de ses directeurs spirituels : Overberg et Limberg, il prenait note de tout cela aussi bien, que les circonstances le permettaient et réservait ce qui lui semblait obscur et inintelligible pour un examen futur plus approfondi. L'auteur, dans ce qu'il en a tiré, s'est tenu aussi fidèlement que possible à la lettre de la première rédaction. Toutefois ce n'était que le plus petit nombre des visions qui pouvait être raconté en une seule fois au Pèlerin par Anne Catherine et être rédigé par lui tout d'un trait. Des compléments, des additions, des corrections se succédaient dans l'intervalle de plusieurs jours, souvent éloignés les uns des autres : assez souvent l'auteur n'a trouvé la clef d'une vision, après de longues et pénibles recherches, que dans une parole de la voyante conservée par hasard et à peine remarquée, ou dans une comparaison attentive avec d'autres visions rapportées précédemment ou plus tard. Ç'a été particulièrement le cas pour la vision très importante de ce qu'elle appelle la maison des noces (note), laquelle se montre comme le point central de tout ce qui a été fait en vision par Anne Catherine. Le Pèlerin ne put jamais voir bien clair dans cette vision, mais heureusement il avait conservé tant de communications faites par Anne Catherine sur ce sujet que l’auteur, après s'être donné pour cela une peine incroyable, a pu parvenir à pénétrer plus avant dans l'intelligence de cette vision.

 

(note) Les détails se trouvent dans le VIIème chapitre.

 

Ce n'est qu'alors qu'il a pu saisir l'ordonnance intérieure et la signification de l'oeuvre immense accomplie par la prière de cette âme privilégiée au profit de l'Église tout entière et de quelques-uns de ses membres et qu'il s'est trouvé en meure de présenter sous son vrai jour l'histoire de sa vie.

         A cette occasion, l'auteur fait remarquer que, dans le second, comme dans le premier volume, indépendamment des sources citées dans le texte, il a tiré chacun des traits appartenant à l'enfance, à la jeunesse et à la vie postérieure d'Anne Catherine des notes écrites par Wesener et par le Pèlerin, lesquels conservaient avec soin tous les renseignements qu'ils pouvaient obtenir d'elle-même, de son confesseur, de ses anciennes con-

soeurs et des autres personnes en rapport intime avec elle, touchant les particularités de sa vie. En outre il a eu la bonne fortune d'avoir a sa disposition un nombre très-considérable de lettres inédites du Pèlerin, écrites par celui-ci, depuis l'époque de son séjour à Dulmen jusque peu avant sa mort, à des personnel en qui il avait la plus grande confiance et qui étaient de celles qu'il aimait et respectait le plus. L'auteur s'étant engagé, sur sa parole sacerdotale, à la plus grande discrétion en ce qui touche ces lettres intimes qui lui ont été confiées, il ne peut dire ici qu'une seule chose, c'est que leur contenu est devenu pour lui la preuve la plus claire de l'influence bénie et durable exercée sur le Pèlerin par ses rapports avec Anne Catherine. Parmi les contemporains qui ont eu des relations habituelles avec Anne Catherine et qu'elle a honorés à un degré plus qu'ordinaire de son affection et de sa confiance, deux personnes seulement vivent encore : mesdemoiselles Apollonie Diepenbrock et Louise Hensel. Toutes deux sont venues en aide à l’auteur avec la plus grande bienveillance par des communications verbales et écrites.

         Le Pèlerin lui-même, en l’année 1831, avait soumis à un remaniement les premiers mois seulement de son séjour à Dulmen : mais l’auteur n'a pas fait usage de ce travail parce qu'il ne s'accorde pas avec la lettre de la première rédaction. Le Pèlerin ne voulait pas se copier lui-même et pour cela il remaniait son journal d'après des visions et des faits postérieurs, si bien qu'il en fut lui-même mécontent et abandonna pour toujours toute tentative ultérieure de ce genre. Mais il avait rendu ce travail encore plus difficile pour lui par des notes d'une autre nature qui ne peuvent pas être passées sous silence ici. Ainsi toutes les fois qu'Anne Catherine était empêchée par des dérangements extérieurs de lui communiquer quelque chose de ce qu'elle avait vu dans ses contemplations, il remplissait son journal de plaintes contre le confesseur et contre l’entourage qui étaient, à ses yeux, la vraie cause de ces interruptions intolérables pour lui. Comme il répétait ces mêmes plaintes dans des lettres confidentielles qui ont été publiées après sa mort, l’auteur n'a pas pu éviter d'en tenir compte. Ceux auxquels les lettres étaient adressées connaissaient le tempérament irritable du Pèlerin, ainsi que les circonstances et les relations au milieu desquelles ces lettres avaient pris naissance : et ainsi elles n'avaient pas pour eux le caractère d'âpreté qu'elles ne peuvent manquer d'avoir pour des lecteurs restés étrangers à tous ces détails. Il fallait donc que l'auteur s'appliquât, dans un esprit de justice impartiale, à exposer clairement et consciencieusement le véritable état des choses, afin que chaque lecteur pût se former une opinion sûre et bien motivée, quant à la culpabilité ou à l’innocence des personnes jugées souvent avec tant de sévérité par le Pèlerin et quant à toute la situation extérieure d'Anne Catherine. L'auteur s'y est senti d'autant plus engagé que lui-même n'a pu que difficilement se dérober à l’influence des plaintes si fréquentes du Pèlerin et n'a pu découvrir et éclaircir la pure vérité qu'après un long et scrupuleux examen. Il est fermement convaincu qu'en cela il se conforme entièrement aux intentions du Pèlerin lui-même qui, dix ans avant sa mort, nourrissait déjà la pensée de conter la mise en oeuvre de ses notes à une autre personne, à la discrétion de laquelle il livrerait ses manuscrits sans en retrancher une seule ligne, pour qu'elle pût en apprécier le contenu avec une consciencieuse impartialité. Plus s'éloignait dans le passé le moment où le Pèlerin s'était vu séparé d'Anne Catherine, plus il lui devenait facile de reporter ses regards avec tranquillité sur les années de son séjour à Dulmen et moins il pouvait se décider à se blesser de nouveau aux « épines » que la faiblesse humaine lui avait fait planter autour « des roses de son jardin ». Si, dans celte disposition d'esprit qui lui faisait voir les choses plus clairement et avec plus d'indulgence, il n'avait pas senti que ce serait supprimer des documents très-importants et très-utiles pour faire bien juger Anne Catherine que d'effacer sur son journal tous les témoignages de ses rapports personnels avec elle et avec son confesseur, il aurait certainement pris ce parti. Mais, avec une droiture et une force d'âme tout à fait rares, il conserva intégralement tout ce qu'il avait écrit, afin que son blâme comme sa louange rendît témoignage pour la servante de Dieu.

         En terminant, l'auteur, entièrement soumis aux décrets d'Urbain VIII, déclare qu'il n'attribue et demande qu'on n'attribue qu'une crédibilité purement humaine aux faits et incidents extraordinaires dont il est question dans le présent livre.

 

P. SCHMOEGER.

 

Couvent de Gars, fête de saint Jean-Baptiste, an 1870.