Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

XXXII

LE DOCTEUR GUILLAUME WESENER ; SA POSITION VIS-A-VIS D’ANNE CATHERINE. - RAPPORTS D’ANNE CATHERINE AVEC LE MAGNETISME.

 

1. Il est temps d'étudier de plus près un homme qui, sous bien des rapports, tient une place considérable dans la vie de la servante de Dieu et aux fidèles relations duquel nous sommes redevables de la connaissance de tant de faits importants. Comme nous le savons déjà, le médecin du district, Guillaume Wesener, avait été conduit au lit de douleurs d'Anne Catherine par la première publicité donnée à l'existence des stigmates et un plus long commerce avec elle lui avait fait retrouver la foi qu'il avait perdue et la réconciliation complète avec Dieu. Sa profonde reconnaissance pour cette grâce, dont il se considérait comme redevable à Anne Catherine, le porta à tenir note de ses expériences et de ses observations sur elle ; il voulait conserver le souvenir des faits et des traits nombreux qui lui paraissaient prouver sa vocation extraordinaire et la rare perfection de ses vertus : il mit un soin particulier à noter les incidents et les entretiens qui avaient eu une influence considérable sur lui ou une importance décisive pour le progrès de sa vie intérieure. Ces notes simples et sans art montrent clairement, comme celles que, cinq ans plus tard, Clément Brentano commençait à écrire sur la direction imprimée à son âme par son commerce salutaire avec Anne Catherine, par quelles voies et par quels moyens la vierge favorisée du ciel gagnait les âmes à Dieu et à sa sainte loi. Il serait difficile d'imaginer deux personnes qui, par la direction donnée à leur vie, le tour de leur esprit et leurs facultés naturelles, fussent plus complètement dissemblables que le médecin tout uni de Dulmen et le poète Brentano, si richement et si merveilleusement doué ; et pourtant tous deux s'accordent pour avouer que leur liaison avec Anne Catherine, amenée, non par leur propre volonté et par des projets conçus à l'avance, mais par des circonstances fortuites en apparence, est devenue la disposition la plus féconde en conséquences et la plus miséricordieuse que Dieu ait prise à leur égard. On se plaît aujourd'hui à excuser des hommes fort vantés à cette époque et leurs discours vides et sonores où se faisaient entendre à peine quelques échos lointains de la doctrine chrétienne, en alléguant que la foi de leurs contemporains était devenue trop faible pour pouvoir supporter la vérité tout entière. Mais quoi ! le divin Sauveur aurait-il donné à ses envoyés la mission de céler son saint Evangile, en présence de tel ou tel siècle ? ou de soustraire le bienfait de sa parole de salut à ceux-là mêmes qui en auraient le plus grand besoin. Combien la prétendue sagesse de cet enseignement dirigé selon les principes du monde est confondue par la servante de Dieu qui, fidèle à son fiancé céleste, ne voyait de salut pour ses contemporains délaissés que dans la proclamation de la pleine et pure vérité de la foi catholique, et qui, pour cela, toutes les fois que l’occasion s'en présentait, rendait témoignage à cette hérité dans un langage où se manifestait un esprit dont la lumière de la foi était devenue la loi et la vie.

 

          

2. Nous reproduirons, en laissant de coté quelques détails secondaires sans grand intérêt, les paroles mêmes où Wesener rend compte de l'impression produite sur lui par Anne Catherine, non-seulement aussitôt après qu'il eut fait connaissance avec elle, mais encore après des rapports de plusieurs années ; nous y ajouterons quelques-uns des entretiens qu'elle avait avec lui sur des choses concernant la foi. Ces récits, avec ceux de Clément Brentano qui seront reproduits plus tard, nous serviront à donner un portrait plus complet et plus vivant de toute la personne d'Anne Catherine, et une idée de son influence extraordinaire sur les âmes.

« Ce fut on l'année 1806, dit Wesener, que j'entendis parler pour la première fois d'Anne Catherine ; j'étais encore médecin à Reklinghausen, d’où Krauthausen, médecin du couvent d'Agnetenberg, m'appela en consultation sur les phénomènes pathologiques inexplicables qui se produisaient chez Anne Catherine. A cette époque, j'avais lu quelque chose sur le magnétisme dans les Archives de Reil et je parlai à mon confrère d'accidents cataleptiques, ce qui toutefois ne lui parut rien éclaircir et ne l’empêcha pas de continuer à traiter sa malade par les moyens médicaux. Krauthausen était un homme âgé, d'un caractère morose, qui traitait gratuitement les malades du couvent, et c'était une des raisons pour lesquelles Anne Catherine n'osait refuser aucun de ses remèdes, quoiqu'elle fût obligée de les payer. Il me raconta que la liste des maladies de cette personne était très-longue et qu'elles avaient toutes un caractère particulier, car, à peine était-elle guérie de l'une qu'elle était prise de l'autre ; que chacune suivait son cours et, au moment où la mort paraissait prochaine et inévitable, prenait tout à coup une tournure favorable, sans que l'art médical exerçât là-dessus une influence appréciable. Ce fut le 21 mars 1813 que j'entrai pour la première fois en rapport avec elle. Avant entendu parler de ses stigmates dans une société peu nombreuse, j'en pris occasion, en ma qualité de médecin, de visiter la nonne malade. Je la trouvai dans son lit, n'ayant pas sa connaissance ; mais, lorsqu'elle revint à elle, elle me regarda d'un air ouvert et amical, et, quand l'abbé Lambert m'eut nommé à elle, elle dit en souriant qu'elle me connaissait bien. Comme tout cela me paraissait très-étrange et que je croyais voir là une sotte plaisanterie, je voulus y mettre promptement fin par une attitude grave et imposante ; toutefois mon attente ne fut pas remplie. Plus je frayai avec la malade, plus j'appris à voir en elle mieux que la personne pleine de calme, de candeur et de simplicité qui s'était montrée à moi à la première vue et qu'elle était aux yeux de tout le monde. Je reconnus de plus en plus en elle une âme simple, vraiment chrétienne, vivant en paix avec elle-même et avec le monde entier, parce qu'elle voyait partout la sainte volonté de Dieu. Elle se considérait comme la pire des créatures et préférait les autres à elle-même. Je n'oublierai jamais non plus avec quelle simplicité et quelle bonté, lorsque nous eûmes fait plus ample connaissance, elle chassa le trouble qui m'agitait et calma mes vives inquiétudes sur les dangers menaçants de la guerre. Elle me dit souvent et positivement que Napoléon tomberait bientôt et que Dulmen serait épargné par les armées françaises, ce qui se vérifia d'une façon remarquable. La garnison française de Minden avait dans ses rangs une masse de bandits effrénés qui firent beaucoup de mal à Dorsten, mais qui passèrent près de Dulmen sans y entrer.» Dans nos rapports, je trouvai la malade toujours simple et naturelle. Elle éprouvait beaucoup de chagrin et de confusion de ce qu'on faisait tant d'état d'elle. Elle était affable et affectueuse pour tous, elle secourait les pauvres en secret et aidait les malades et les malheureux à porter leur fardeau. Ce n'est qu'assez tard que j'ai en plus de lumières sur cette faculté qu'elle avait de se charger des souffrances d'autrui ; mais on ne pouvait jamais méconnaître en elle cette forme que prenait sa compassion. Elle possédait à un haut degré le don de consoler et j'ai souvent fait l'épreuve de sa charité sympathique. Elle a ressuscité en moi la confiance en Dieu et la pratique de la prière, et n'a pas médiocrement allégé par là les lourds fardeaux que j'avais à porter et qu'aggravait encore un penchant naturel à la mélancolie. Son âme vivait entièrement en Dieu, quoiqu'elle fût sans cesse rappelée dans la sphère des choses terrestres, à cause de la quantité de personnes qui venaient auprès d'elle se soulager du poids de leurs chagrins et lui demander des consolations et des conseils. Elle leur donnait l'un et l'autre et rendait le calme à tous les affligés. On devine aisément où était pour elle la source de ces consolations qu'elle donnait aux autres quand on considère combien son coeur était libre à l'endroit de toutes les créatures.

           « Lors de notre premier entretien, elle m'engagea avec un visage souriant et de douces paroles à me calmer et à avoir bon courage.» « Dieu est infiniment miséricordieux, disait-elle ; quiconque est repentant, quiconque a bonne volonté trouve grâce devant lui.» Elle m'exhortait en outre fortement à assister et à secourir les pauvres, parce que c'est une oeuvre particulièrement agréable à Dieu. Elle disait en gémissant : « Jamais il n'y a eu dans le monde si peu d'amour du prochain qu'aujourd'hui ; pourtant c'est une si belle vertu, et l'indifférence ou le mépris pour le prochain est un si grand vice !» Elle protestait aussi que la foi catholique est la seule véritable, la seule où l'on puisse trouver le salut. Enfin, toutes les fois que l'occasion s'en présentait, elle parlait chaleureusement de l'incomparable bonheur d'appartenir à l'Eglise catholique.» Fions-nous à Dieu ! aimait-elle à dire, et tenons à notre sainte foi. Y a-t-il quelque chose de plus consolant sur la terre ? Quelle religion, ou quelle philosophie pourrait la remplacer ? Je plains par-dessus tout les juifs. Ils sont pires à cet égard et plus aveugles que les païens eux-mêmes. Leur religion n'est plus qu'un conte de rabbins et la malédiction du Seigneur repose sur eux. Mais combien le Seigneur est bon à notre égard, lui qui vient comme à moitié chemin au-devant de la bonne volonté et fait dépendre la communication de plus en plus abondante de sa grâce du désir que nous en avons. Même un païen ou un homme qui n'a aucune connaissance de notre sainte foi peut être sauvé, si, ayant une ferme conviction et la volonté sincère de servir Dieu comme le souverain maître et l'auteur de toutes choses, il suit la lumière divine déposée dans notre nature et s'il pratique la justice et l'amour du prochain.»

 

 3.» Une fois, je dirigeai la conversation sur la prière, et je dis que, selon moi, la vraie prière consistait dans l'accomplissement du devoir et la charité envers le prochain, mais que pourtant je désirerais savoir comment elle pouvait persévérer dans l'oraison pendant des heures entières, oublier tout ce qui l'entourait et se perdre, pour ainsi dire, en Dieu. Elle me répondit : « Réfléchissez un peu ; n'est-il pas possible à un homme de s'absorber tellement dans la lecture d'un livre qu'elle lui fasse oublier tout ce qui est autour de lui ? Or, si l'on s'entretient avec Dieu lui-même, qui est la source première de toute beauté, comment ne se perdrait-on pas tout entier dans cet entretien ? Commencez par adorer Dieu en toute humilité, et le reste viendra.» Je répliquai en parlant des tentations que l'homme a à souffrir de l'esprit mauvais, et elle reprit : « Il est vrai que l'ennemi cherche à empêcher l'homme de prier et que, plus celui-ci est fervent, plus l'autre multiplie ses attaques. Une similitude de ce qui se passe alors m'a été montrée un jour. Je me trouvais dans une belle église ; j'y vis trois femmes en prière et derrière elles une horrible figure. Elle caressa la première de ces femmes qui s'endormit. Elle passa ensuite à la seconde qu'elle chercha à endormir aussi, mais n'y réussit pas complètement. Elle frappa et maltraita la troisième au point que j'en eus une grande pitié. Dans ma surprise, je demandai à mon guide ce que tout cela signifiait ; il me fut répondu que c'était un tableau symbolique de la prière. La première femme manquait de sérieux et de ferveur, c'est pourquoi le malin esprit l'avait bientôt endormie. La seconde était meilleure, mais pourtant tiède. La troisième était bonne et sa prière fervente, c'est pourquoi la tentation avait été plus violente, mais heureusement surmontée. Une prière particulièrement agréable à Dieu est celle qu'on fait pour autrui et, par-dessus tout, pour les pauvres âmes en peine. Priez pour elles, si vous voulez placer vos prières à gros intérêt. Quant à ce qui me concerne personnellement, je m'offre à Dieu, mon souverain maître, en lui disant : « Seigneur, faites de moi ce que vous voudrez. p Alors je suis en assurance, car le meilleur, le plus aimant des pères ne peut me faire que du bien. Les pauvres âmes du purgatoire y souffrent des peines inexprimables, la différence entre les souffrances du purgatoire et les supplices de l'enfer consiste en ceci, que dans l'enfer le désespoir règne seul, au lieu que, dans le purgatoire, c'est l'espoir de la délivrance qui domine. Le plus grand tourment des damnés est la colère de Dieu, On peut se faire une faible idée de cette colère en pensant à la terreur d'une personne qui voit fondre sur elle un homme en fureur sans voir aucun moyen d'échapper à ses menaces et à ses violences.»            Comme je tournais la conversation vers la destination de l'homme, elle me dit : « Savez-vous pourquoi Dieu a créé l'homme ? Pour sa propre glorification et pour notre béatitude. Lors de la chute des anges, Dieu résolut de créer l'homme pour l'élever à la place des légions tombées du ciel. Dés que le chiffre des anges déchus sera égalé par celui des hommes justes qui doivent les remplacer, la fin du monde viendra.» Je lui demandai dans mon étonnement d'où elle avait appris cela ; mais elle répondit qu'à proprement parler, elle ne le savait pas.    

 

4.» Dans un entretien sur les indulgences, où je lui dis que je les regardais seulement comme la rémission des anciennes pénitences ecclésiastiques, elle me répondit» Non, les indulgences sont quelque chose de plus, car par elles nous obtenons la rémission des châtiments que nous sommes destinés à souffrir après la mort dans le purgatoire. Mais, pour gagner une indulgence, il ne suffit pas de faire tant bien que mal la prière ou la bonne oeuvre prescrite, il faut encore s'approcher des sacrements avec un véritable repentir et un amendement réel. J'ai toujours vécu dans la croyance qu'une indulgence ne se gagne pas sans repentir sincère et sans amendement sérieux, et qu'au fond une indulgence est attachée à toute oeuvre méritoire. Les bonnes oeuvres d'une personne sont aussi diverses que les chiffres : s'il découle sur la moindre d'entre elles quelque chose des mérites de Jésus-Christ, elle acquiert une grande valeur. Ce que nous offrons à Dieu en union avec ces mérites infinis, quand ce ne serait qu'un bon acte des plus insignifiants en apparence nous est compté par lui et déduit sur les châtiments que nous avons mérités. Je ne puis assez déplorer le triste aveuglement de tant de gens pour lesquels la sainte foi est devenue quelque chose de chimérique. Ils vivent tranquillement dans leurs péchés d'habitude, et avec cela ils s'imaginent pouvoir gagner des indulgences au moyen de certaines formules de prières. Mais beaucoup de chrétiens verront un jour des païens et des Turcs qui se sont efforcés de vivre vertueusement selon la loi naturelle, mieux traités qu'eux au tribunal de Dieu. Nous avons la grâce et nous n'en tenons pas compte ; elle nous est comme imposée, et nous la repoussons loin de nous. Celui qui voit une petite pièce de monnaie dans la poussière court bien vite et se baisse pour la ramasser ; mais, si la grâce du salut éternel est à ses pieds, il fait un effort pour passer par dessus et s’éloigne pour poursuivre les chimères de ce monde. A ces sortes de gens, les indulgences ne servent de rien ; bien plus, les pratiques religieuses que leur fait faire une aveugle routine seront leur condamnation.»    

 

5. C'est à cette aveugle poursuite des biens de ce monde que paraissait se rapporter une vision qu'elle raconta ainsi : « Je me trouvai dans une vaste plaine que je pouvais voir tout entière. Elle était couverte d'une multitude innombrable, et tous travaillaient de diverses manières et faisaient les plus grands efforts pour atteindre un but qu'ils se proposait. Mais au milieu de la plaine se tenait le Seigneur, plein d'une bonté infinie, et il me dit : « Vois, comme ces gens se tourmentent et se fatiguent, comme ils cherchent partout aide et consolation ; comme ils courent après le gain ; mais ils ne font pas attention à moi, leur maître et leur bienfaiteur, qui me tiens pourtant ici visible à tous les regards. Il n'y en a qu'un petit nombre qui conserve un sentiment de reconnaissance envers moi ; mais ceux-là aussi se bornent à me, jeter un remerciement en passant, comme une chétive aumône.» Il vint alors une troupe de prêtres pour lesquels le Seigneur montrait une inclination particulière ; mais ils passèrent rapidement, lui jetèrent quelque chose à la hâte et se perdirent dans le grand tourbillon. Je n'en vis qu'un seul parmi eux s’approcher davantage, mais d'un air assez indifférent. Quand il fut près du Seigneur, celui-ci le prit par l’épaule et lui dit : « Pourquoi t'éloignes-tu de moi ? Pourquoi ne me payes-tu pas ta dette, à moi qui t'aime si tendrement ?» Là-dessus, cette vision s'évanouit à mes yeux. Mais j'ai eu plusieurs contemplations touchant la manière de vivre de notre clergé actuel, et elles m'ont causé une grande tristesse. Grâce à l'influence de l'esprit du siècle, à la tiédeur générale et à la décadence qui est partout, si le Sauveur aujourd'hui revenait en personne parmi nous pour y annoncer sa doctrine, il trouverait autant de contradicteurs pleins de haine qu'il en a trouvés parmi les Juifs.»           

 

6.» Je lui ai entendu raconter la vision symbolique qui suit sur les doctrines de notre époque et leur enseignement : « Mon conducteur me mena devant un grand édifice et me dit : « Entre là ! je te montrerai les enseignements des hommes.» Nous entrâmes dans une salle spacieuse qui était remplie de professeurs et d'auditeurs. On se disputait avec chaleur ; c'étaient des cris et un tapage sans fin. Ce qui me parut merveilleux, c'est que je voyais jusque dans le coeur des maîtres et que je remarquais dans tous un petit coffret noir. Au milieu de la salle se tenait une grande femme d'apparence imposante qui se mêlait à la dispute et qui proprement donnait le ton. Je restai quelques moments avec mon guide à l'écouter, mais je vis avec surprise que les auditeurs disparaissaient les uns après les autres et que la salle elle-même devint très promptement et sans qu'on s'en aperçût, comme une vieille ruine au moment de s'écrouler, si bien que le plancher ne présentait plus de solidité à qui y marchait. Les docteurs jugèrent prudent d'aller chercher une autre salle. Ils montèrent un étage plus haut, et se remirent à disputer avec la même ardeur. Mais là aussi l'état de décrépitude et de ruine de l'édifice entier se manifesta si vite, qu'à la fin je me vis avec effroi sur une planche à moitié pourrie et que je priai mon conducteur de me tirer du danger d’être précipitée dans un gouffre profond. Il me rassura et me conduisit en lieu sûr. Comme je l'interrogeais sur la signification du petit coffret noir, il me dit» C'est la présomption et l'esprit de dispute ; la femme est la philosophie ou, comme ils l'appellent, la raison pure, qui veut tout régler selon ses formules. C'est à elle que s'attachent ces docteurs, et non à la vérité, trésor précieux transmis par la tradition.»

« De là, mon guide me conduisit dans une autre salle, où plusieurs docteurs étaient assis sur des chaises. Là, c'était tout autre chose ; les paroles coulaient avec tant de clarté et de limpidité que j'en étais grandement réjouie. L'ordre et la charité régnaient dans ce lieu, et beaucoup d'auditeurs s'y étaient réfugiés en quittant ces salles qui tombaient en ruines. Mon conducteur me dit : « Ici est la vérité simple et sans artifice. Elle vient de l'humilité et engendre l'amour avec la plénitude de la bénédiction.»   

 

7. Un jour que j'exprimais à Anne Catherine mon regret de ce que nous ne possédons pas une connaissance plus précise de la vie de Jésus avant sa prédication, elle répondit : « J'en connais jusqu'aux moindres détails, comme si je l'avais vue moi-même. Je connais tout aussi bien l'histoire de la mère de Jésus, et je m'étonne souvent de ce que tout cela est si vivement présent à mon esprit, n'ayant jamais pu le lire nulle part.» Elle me promit de me raconter l'une et l'autre histoire, et, lorsqu'en temps opportun, je lui rappelai cette promesse, elle commença par m'expliquer comme quoi il avait été annoncé à sainte Anne que le Messie naîtrait de sa postérité : « Anne, dit-elle, avait mis au monde plusieurs enfants, mais elle savait que le vrai rejeton n'était pas encore venu ; c'est pourquoi elle s'efforçait par la prière, le jeune et les sacrifices, d'obtenir la grâce promise. Elle resta environ dix-huit ans sans avoir d'autre postérité, sur quoi elle s'attrista tellement que, dans son humilité, elle attribua à ses péchés l'inexécution de la promesse. Joachim alla en pèlerinage au temple de Jérusalem pour y faire faire un sacrifice expiatoire ; mais il fut repoussé. Il pria avec une grande tristesse et reçut en songe l'assurance que sa femme concevrait. Anne de son côté reçut une semblable promesse et enfanta au temps déterminé la petite Marie. Alors Joachim et Anne, reconnaissant en elle le pur don de Dieu, résolurent de la conduire au temple et de la consacrer au service du Seigneur. Ils conduisirent Marie au temple dans sa troisième année. Quand ils furent arrivés, ils voulurent prendre par ses petites mains leur enfant qui était habillée d'une robe bleu de ciel, et l'aider ainsi à monter les hauts degrés du temple. Mais l'enfant les franchit seule avec beaucoup d'agilité et arriva ainsi dans le temple avec ses parents. En prenant congé d'eux, la petite Marie ne fut ni inquiète, ni triste ; mais elle se confia paisiblement à la garde des prêtres. On l'instruisit de toute espèce de choses et on lui donna du travail à faire pour le temple. Lorsqu'elle eut atteint sa quatorzième année, on écrivit à ses parents de reprendre leur fille, parce que, d'après les statuts, on ne devait garder aucune jeune fille au-delà de cet âge. Elle serait volontiers restée au temple dans l'état de virginité ; mais cela ne lui fut pas accordé. Ses parents étaient embarrassés de trouver un époux digne d'un enfant si admirable ; alors, ils eurent recours au temple pour y faire interroger le Très-Haut. L'ordre fut donné aux jeunes gens qui prétendaient à la main de Marie de porter leurs bâtons dans le Saint des Saints ; mais on les y retrouva tels qu'ils y avaient été déposés. De nouvelles prières et de nouveaux sacrifices ayant été faits, une voix annonça qu'il manquait encore le bâton d'un jeune homme. On fit des recherches et on trouva enfin Joseph, issu d'une noble famille, mais qui était méprisé des siens à cause de sa simplicité et parce qu'il était resté célibataire. Il apporta aussi son bâton qui, placé dans le Saint des Saints, y fleurit le lendemain et se trouva surmonté d'un lis blanc. Là-dessus, Marie fut fiancée à Joseph et, quand Marie lui fit part de son vœu de virginité perpétuelle, il en fut tout joyeux. Marie pensait toujours au Rédempteur promis ; mais, dans son humilité, elle ne demandait à Dieu que de vouloir bien faire d'elle la servante de la mère élue par lui. C'est pourquoi elle fut surprise jusqu'à en être effrayée quand l’ange lui annonça sa sublime maternité ; mais elle ne dit rien à son mari de toutes ses visions ni du message de l'ange.»    

« Il arrivait aussi à Anne Catherine, en parlant de l'aumône et de la pratique des devoirs d'état, de faire mention de ses contemplations. Ainsi, elle me dit un jour» Employez vos forces et ce que vous possédez à faire du bien à vos malades, mais sans faire tort à votre propre famille. D'ailleurs, ce n'est pas un seul nécessiteux, mais plusieurs qui réclament votre assistance. Les pauvres doivent trouver leurs mérites dans la pauvreté, car la foi nous apprend que la pauvreté est un état digne d'envie, puisque le Fils de Dieu lui-même l'a choisi pour lui et qu'il a donné aux pauvres les premiers titres au royaume des cieux.» A cette occasion, elle raconta des traits singulièrement gracieux de l’enfance de Jésus-Christ, et elle dit que Marie, quelques jours après la nativité, s'était tenue cachée dans une demeure souterraine pour éviter l'affluence des curieux.»           

 

8. Quand Wesener fut entré dans des rapports de plus en plus intimes avec Anne Catherine, il devint clair que Dieu l'avait appelé près d'elle, comme plus tard Clément Brentano, en qualité d'instrument qui devait l'aider à accomplir sa mission. Elle prit l’habitude de se servir de lui comme d'une main par laquelle elle faisait arriver sans cesse des dons charitables à des pauvres et à des malades qui ne pouvaient pas venir la trouver. Il avait toujours à traiter comme médecin une quantité de pauvres auxquels il distribuait, d'après les conseils d'Anne Catherine, non-seulement ses propres aumônes, mais encore l'argent, les chemises et les pièces d'habillement qu'elle lui remettait pour cela. Par une bénédiction particulière de Dieu, la pieuse fille était en mesure de distribuer, chaque année, des aumônes de toute espèce tellement abondantes qu'elles dépassaient de beaucoup le montant de sa pension de 180 thalers. Tout instant du jour ou de la nuit qu'elle pouvait employer à des travaux manuels appartenait aux pauvres et aux malades, et, quand ses minces ressources ne suffisaient pas à lui procurer ce qu'il fallait de laine et de toile, elle savait se le faire donner par des âmes charitables ; sous ses adroites mains, des chiffons de soie qu'il semblait impossible d'utiliser se transformaient rapidement en jolis petits bonnets pour les nourrissons de pauvres accouchées. Elle avait même coutume de s'adresser, avec une familiarité touchante, à sainte Lidwine, à Madeleine d'Hadamar et à d'autres bienheureuses vierges stigmatisées d'une époque plus rapprochée, pour obtenir, par leur intermédiaire, les étoffes qui lui manquaient. Elle leur disait avec chaleur, comme si elle eût eu affaire à des vivants.» Chère Madeleine, est-ce toi ? Vois, nous touchons à Noël, et il, y a encore tant d'enfants qui ont besoin de bas et de bonnets ! Il faut que tu tiennes ta promesse et que tu m'apportes de la laine et de la soie.» Mais jamais elle n'avait à se plaindre que ses prières restassent sans résultat.

Wesener avait coutume de lui décrire les souffrances de ses malades, et il put ainsi, d'après des expériences presque journalières, acquérir la ferme conviction qu'elle voyait et assistait en esprit chacun de ceux qu'il avait à traiter. Il usait avec le plus grand succès de ses indications et de ses conseils, et souvent il reconnaissait avec surprise que ses malades étaient redevables d'un mieux inattendu, non pas aux remèdes qu'il leur donnait, mais à l'assistance d'Anne Catherine, qui avait pris sur elle les maladies pour faciliter la guérison de ceux qui en souffraient ou pour leur préparer une bonne mort. Il fut jusqu'au dernier instant, à la grande consolation d'Anne Catherine, le fidèle ami et soutien de l'abbé Lambert. Ce vieillard infirme ne pouvait plus se passer des secours de la médecine, et Wesener les lui donnait avec une charité attentive que sa vénération pour Anne Catherine pouvait seule lui imposer. Or celle-ci était très-occupée de l'abbé Lambert, comme le montre un incident où l'on peut voir aussi un exemple des avertissements surprenants qu'elle recevait d'avance sur des dangers prochains.        

Voici ce que rapporte le journal de Wesener, à la date du 15 février 1815 : « Je voulais, dit-il, tranquilliser la malade à propos de très-grandes craintes qu'elle ressentait pour l'abbé Lambert. Celui-ci souffre d'une toux chronique avec oppression de poitrine, et il a eu aujourd'hui un accès si violent qu'il était tombé dans une espèce de paralysie et qu'il avait perdu connaissance. Cela arriva dans la chambre de la malade et heureusement en présence de son confesseur, lequel me confia que, le jour précédent, elle l'avait prié très-instamment de rester aujourd'hui prés d'elle dans l'après-midi, parce qu'elle avait de graves inquiétudes. Et cette prière avait été cause que le père Limberg s'était trouvé présent, en ce moment.»    

 

9. Les rapports de Wesener avec le père Limberg lui-même eurent encore plus d'importance pour Anne Catherine. Cet homme craintif, malgré tout ce qu'il avait vu, aurait abandonné sa fille spirituelle dés qu'il avait eu connaissance des sottes calomnies répandues contre elle, s'il n'eut été soutenu par le médecin qui avait l'expérience du monde et que rien ne pouvait ébranler. Le père Limberg ne possédait pas l'énergie nécessaire pour répondre tranquillement et sans hésitation aux contradictions, aux arguments spécieux ou aux suspicions malignes qui se produisaient avec une confiance présomptueuse. Il s'effrayait, tergiversait et se disait qu'il valait mieux tout laisser là que de s'exposer à de telles tracasseries. Cependant il reprenait toujours courage près de Wesener, car il voyait avec quel sérieux et quelle persévérance celui-ci remplissait les devoirs d'un bon chrétien, depuis qu'Anne Catherine l'avait ramené à la foi, et avec quelle indifférence pour le jugement de la foule il rendait témoignage à la vérité clairement reconnue. Cela l'encourageait et le fortifiait, mais lui donnait aussi une confiance sans bornes dans Wesener, en sorte qu'il faisait un devoir à sa pénitente d'user avec docilité de tous les remèdes qu'ordonnait le docteur. Anne Catherine se trouvait donc par là, envers Wesener, exactement dans la position où elle avait été autrefois à Agnetenberg envers Krauthausen, le médecin du couvent. Cependant, encore ici, elle se soumettait avec une simplicité et une abnégation parfaites à toutes les ordonnances, et le médecin comme le confesseur restaient intimement persuadés que les plus fortes dose de musc, d'opium et de camphre, sans parler de l'eau-de-vie bouillante, étaient les moyens les plus appropriés à la guérison de ce corps miraculeux qui ne portait jamais en lui-même les causes de ses maladies, mais qui endurait en elles les souffrances de l'Église. Jamais une plainte ne venait sur ses lèvres quand un surcroît de douleur ou l'étourdissement stupéfiant causé par ces remèdes lui montraient clairement combien ils lui étaient contraires ; elle se montrait même d'autant plus docile, plus affectueuse et plus reconnaissante, au point que des années se passèrent avant que Wesener et Limberg missent quelque modération dans l'application de leurs moyens curatifs. Un seul fait suffira pour apprendre dans quelle proportion ils étaient administrés. Voici ce que dit le journal de Wesener à la date du 16 mai 1814 :

« La malade souffre le martyre ; elle a des douleurs terribles dans le diaphragme et semble avoir perdu l'ouïe. Son entourage l'a déjà plusieurs fois crue à la mort. Les spasmes dans l'estomac et le gosier sont si fréquents que nous devons nous attendre à une fin prochaine. La malade, en outre, est si défaite et souffre si horriblement, que le père Limberg veut lui donner l'extrême-onction. Je ne pense pas que ce soit encore absolument nécessaire ; en attendant, il m'est impossible dé rester plus longtemps simple spectateur de pareilles souffrances, et je suis obligé de faire violence à la conviction où je suis qu'aucun remède n'y peut rien faire, la malade ne pouvant rien garder. . . Je lui ai donné quatre gouttes de musc qui ne sont pas arrivés jusqu'à l'estomac, mais qui ont été rejetées aussitôt. J'ai fait encore donner la même dose par intervalles, mais sans plus de succès. Dans la nuit, la malade a terriblement souffert. On lui a fait prendre du musc à plusieurs reprises ; mais elle a toujours été forcée de le vomir à l'instant, et ce n'est qu'après minuit qu'elle en a enfin avalé cinq gouttes sans difficulté. Les spasmes ayant augmenté le matin, on a encore donné à deux reprises cinq à six gouttes. Je l'ai trouvée dans un état de prostration indescriptible ; son aspect était vraiment effrayant. En la quittant, je ne croyais pas la retrouver en vie. Le 18 mai, elle fut sans connaissance presque toute la journée. Plusieurs fois elle avait vomi de l'eau avec des efforts terribles. Je me suis décidé à veiller la nuit auprès d'elle. Son état ne varia pas jusqu'à minuit ; mais alors il vint un peu de calme et de sérénité. Je lui fis une lecture dans un livre de piété, et je l'entretins ensuite de sujets religieux. Cela la soulagea tellement qu'elle fut en état de parler comme à l'ordinaire. Comme je lui exprimais mon étonnement, elle répondit : « Cela m'arrive toujours ainsi. Quelque faible que je sois, je me sens toujours soulagée et fortifiée quand on parle de Dieu et de notre sainte religion ; mais, si l'on parle des choses du monde, cela empire encore mon état.»

 

 Lorsque, six ans plus tard, Clément Brentano fut témoin d'un essai du même genre qu'on faisait avec du musc, il exprima involontairement son vif déplaisir, et elle lui dit à ce propos : « Il est vrai que ce remède m'est particulièrement antipathique ; j'en ai beaucoup souffert et il m'a fait beaucoup de mal. Mais je dois le prendre par obéissance pour mon confesseur, qui pourtant a déjà vu, par plus d'une expérience, dans quel état de faiblesse me fait tomber l'emploi de ce médicament.»

 

10. Peu de temps après, ayant eu une vision où Dieu lui avait fait voir beaucoup de choses touchant le cours de sa vie passée, elle racontait les particularités suivantes, qui se rapportent aux remèdes donnés à contre-temps et aux conséquences qu'ils avaient eues :     

« J'ai eu une vision qui m'a paru présenter le côté douloureux de mon existence. Tout ce que des personnes de ma connaissance ont fait durant ma vie pour contrarier ma tâche m'a été montré dans des tableaux où figuraient ces personnes : c'étaient des choses auxquelles je n'osais jamais penser, de peur qu'elles ne devinssent pour moi des tentations d'aversion et de mécontentement. J'ai encore essayé d'y résister cette nuit ; je me suis défendue et j'ai lutté avec beaucoup d'efforts ; mais j'ai eu la consolation de m'entendre dire que j'avais bien combattu.

« Les choses m'ont été représentées de différentes manières : tantôt c'était comme si une épreuve passée fut redevenue actuelle, tantôt je voyais des gens qui s'empressaient, tantôt cela m'arrivait comme un récit. En outre, on m'a montré tout ce que j'ai perdu par là dans ma vie corporelle et dans mon action spirituelle, et j'ai vu clairement de combien de mal telles ou telles personnes ont été cause pour moi à mon insu ; car tout ce qu'auparavant j e soupçonnais seulement sans en avoir la certitude, je l'ai vu distinctement dans son ensemble. Ç'a été une rude épreuve que de ressentir de nouveau les douleurs et les angoisses de ma vie passée, avec toute la méchanceté et la fausseté des hommes, et non-seulement de ne me laisser aller à aucun ressentiment, mais d'avoir la plus sincère affection pour les plus cruels ennemis.

« Les visions ont commencé par ce qui touchait ma profession religieuse et par tout ce que mes parents ont fait pour l’empêcher. Il ont exercé ma patience et ont tout fait en secret. Les nonnes m'ont fait beaucoup souffrir. J'ai vu leur grande déraison ; comment d'abord elles m'ont maltraitée, puis quand mon état fut connu, comment elles m'honoraient d'une manière exagérée et pourtant revenaient sans cesse à leurs commérages. Elles m'ont fait bien du mal, car je les aime beaucoup. J'ai vu le médecin du couvent, ses remèdes, et combien ils m'étaient nuisibles. J'ai vu le second médecin, comment ses remèdes m'ont ruiné la poitrine et m'ont mise dans l'état le plus misérable. J’ai vu ma poitrine comme entièrement vide et creuse, et je sentais que, sans de grandes précautions, je pouvais m'en aller bien vite. J'aurais pu guérir de toutes mes maladies, sans aucun traitement médical, si l'on avait appliqué à propos les remèdes de l'Église.        « J'ai vu le tort qu'on a eu de me trop mettre en lumière, de ne regarder qu'à mes plaies et de ne pas tenir compte des autres circonstances. J'ai vu comment j'ai été forcée de m'exposer aux regards de tous, ce qui m'a dissipée et n'a fait de bien à personne ; j'aurais pu être bien plus utile si l'on m'avait laissée en repos. J'ai vu mes prières et mes supplications pour obtenir qu'on m'y laissât, prières que je ne  faisais pas de moi-même, mais par suite d'un avertisse ment intérieur ; j'ai vu comment tout a été inutile, et comment, contrairement à mon intime conviction, je suis devenue un spectacle pour le monde. Il m'a fallu subir les plus grandes humiliations ; mais ce que je faisais - dans l'affliction de mon coeur et par pure obéissance m'était d'autre part reproché comme de l'effronterie, sans que ceux qui me contraignaient à livrer mes signes en proie au public prissent ma défense.»

Quelque fréquemment qu'Anne Catherine fût favorisée de contemplations de ce genre, sa position extérieure ne changeait pas. Le traitement absurde qu'elle avait à supporter de la part de ses amis et de ses ennemis persistait après comme avant, et les ordonnances des médecins allaient leur train ; mais, grâce à ces visions, son âme recevait la lumière qui lui faisait reconnaître dans les personnes et dans les choses les instruments et les moyens préparés par Dieu pour la faire avancer de plus en plus vers son but, si elle persévérait fidèlement ; elle y trouvait aussi l'impulsion et la force qui l'aidaient à réparer, par un redoublement de charité et de patience, les fautes que lui faisait commettre la fragilité humaine. L'ange, dont elle recevait d'ailleurs tant d'avis, ne lui ordonnait jamais de repousser les remèdes. Cela entrait dans le plan de Dieu, d'après lequel Anne Catherine, tenant la place du corps de l'Eglise, avait à expier le péché de ceux qui, par des doctrines, des principes, des desseins et des mesures nuisibles, cherchaient à exercer sur l'Eglise une action analogue à celle que. produisaient sur Anne Catherine elle-même le musc, l'opium, le camphre et les lotions d’eau-de-vie. Elle avait la conscience que son expiation était d'autant plus efficace qu'elle se soumettait avec plus de simplicité et de docilité aux prescriptions qui lui imposaient l'usage de ces médicaments ; c'est pourquoi on ne rencontrait chez elle ni résistance, ni contradiction. Mais quand on sait de quels fléaux destructeurs l’Eglise était menacée à cette époque, quand on se souvient, par exemple, des ravages que faisaient l'esprit malsain du philosophisme et l’exaltation factice du faux mysticisme qui, chez un si grand nombre de ses adhérents, aboutissait ordinairement à des débordements monstrueux, on est conduit involontairement à reconnaître dans l'opium et l'eau-de-vie frelatée un symbole frappant de ces fausses doctrines.     

 

11. Il y avait, en outre, les dangers provenant du magnétisme contre lesquels Anne Catherine devait agir, au moyen de diverses souffrances expiatoires, et ici aussi le médecin et le confesseur furent les premiers qui essayèrent de la guérir par des moyens magnétiques, de même qu'auparavant ils l'avaient essayé à l'aide de l’opium et du musc. Wesener dit à ce sujet» M. Limberg me raconta qu'Anne Catherine étant dans un état de catalepsie, il avait fait sur elle diverses expériences magnétiques, mais qui n'avaient eu aucun succès. Je me proposai alors de faire les expériences moi-même à la première occasion. Je commençai peu de jours après, pendant que la malade était en extase. Tout son corps était raide et immobile. Je prononçai quelques paroles sur le creux de l'estomac, sur l’extrémité des orteils ; je mis le bout des doigts de ma main droite sur le creux de l'estomac et je parlai sur le bout des doigts de la main gauche ; je lui criai dans l'oreille : mais rien de tout cela ne fit sur elle la moindre impression. Sur mon désir, le confesseur répéta les mêmes tentatives, qui restèrent également sans effet. Mais, lorsqu'il prononça le mot d'obéissance, elle tressaillit tout d'un coup en poussant un profond soupir, reprit l'usage de ses sens, et, comme le confesseur lui demandait ce qu'elle avait, elle répondit : « On m'a appelée.»  

Le médecin et le confesseur s'abstinrent alors de nouvelles tentatives jusqu'au mois de janvier de l’année suivante ; mais, pendant ce mois, Anne Catherine tomba dans un tel état de souffrance que l'un et l'autre pouvaient à peine en supporter la vue. Durant plusieurs semaines, elle eut, chaque jour, pendant une heure, des douleurs spasmodiques au coeur, avec des accès de suffocation d'une telle violence que la mort semblait inévitable ; cependant la communion quotidienne lui donna la force de résister à ces effroyables douleurs. Ce ne fut pas la malade, mais le médecin et le confesseur qui furent déconcertés et perdirent enfin patience. Voici ce que rapporte Wesener à la date du 26 janvier :

« J'étais le soir chez elle. Elle était horriblement mal, et le pouls était tombé très-bas. Vers cinq heures, survint une sorte de spasme tonique. Les yeux de la malade étaient ouverts, mais insensibles au point que je pouvais toucher la cornée avec le doigt sans que les paupières se fermassent. Le jour précédent, comme elle pouvait un peu parler, elle m'avait révélé que sa vue était si étonnamment perçante que, même à l’état naturel de veille, elle pouvait voir beaucoup d'objets les yeux fermés. Le spasme tonique dura une heure ; mais, peu de temps après, elle tomba en extase, se releva sur les genoux et pria les bras étendus. J'engageai son confesseur à essayer du magnétisme, c'est-à-dire à lui demander quelle était sa maladie et où en était le siège principal. Il le fit à plusieurs reprises et en insistant ; mais la malade ne répondit pas. Je le priai alors de lui ordonner de le dire en vertu de l'obéissance. A peine le mot d'obéissance était-il parti de sa bouche qu'elle tressaillit et s'éveilla avec un profond soupir. Interrogée sur son mouvement d'effroi, elle répondit : « Quelqu'un m'a appelée.» Elle tomba de nouveau dans une défaillance causée par la faiblesse, et je lui donnai douze gouttes d'essence de musc. Le lendemain matin, elle me dit, qu'elle avait passé toute la nuit dans un état de vertige continuel, par suite de sa faiblesse.» Et certainement encore plus à cause du musc qu'elle ne pouvait supporter.

Il n'y avait pas de guérison possible pour cet état de souffrance, parce qu'il avait sa cause non dans une maladie corporelle, mais dans les péchés d'autrui qu'Anne Catherine s'était chargée d'expier ; c'est pourquoi elle ne put répondre à la demande que lui faisait son confesseur. S'il avait désiré qu'elle rendit compte de ses contemplations intérieures, il aurait sans doute reçu des explications complètes. Quand, enfin, les convulsions cessèrent, la malade fut prise de vomissements continuels d'un liquide aqueux, quoiqu'elle ne put pas avaler une goutte d'eau et qu'elle mourut presque de soif. Cependant elle fut chaque jour plusieurs heures dans un état de prière extatique qui, le 9 février, dura environ neuf heures sans interruption. Elle donna l'explication suivante au confesseur, ainsi qu'au médecin qui voyait son art et ses efforts déconcertés par ces souffrances et dont la sympathie cordiale la touchait      « Jeudi (8 février), comme je disais mes heures, ma méditation se porta sur notre indignité et sur la miséricorde et la longanimité infinies de Dieu ; je fus toute bouleversée par la pensée qu'en dépit de ces miséricordes, tant d’âmes se perdent pour toujours. Je ne pouvais m'empêcher de supplier le Seigneur de faire grâce à ces malheureux.

Je vis alors tout à coup ma croix, qui est là-dessous attachée au montant du bois de lit (note), entourée d'une lueur brillante. J'étais parfaitement éveillée, avec le plein usage de mes sens ; je me dis : « N'est-ce pas une vaine imagination ?» et je continuai à dire mes heures ; mais l'éclat de la croix m'éblouissait. Alors je fus forcée de reconnaître que ce n'était pas une illusion ; je me recueillis et priai avec toute la ferveur possible, demandant à Dieu, mon Sauveur, grâce et miséricorde pour tous et surtout pour les faibles et les égarés. L'éclat de la croix devint plus vif et je vis alors un corps qui y était attaché. Des plaies de ce corps crucifié, le sang coulait à flots jusqu'au bas de la croix ; mais je ne le vis pas se répandre en dehors de la croix. Je redoublai ma prière et mes actes d'adoration ; alors le corps étendit son bras droit en l'arrondissant, comme s'il voulait nous embrasser tous ensemble. Pendant que tout cela se passait, j'avais tellement ma connaissance que j'observai très-bien plusieurs objets autour de moi et qu'entre autres choses je pus, chaque fois que l'horloge sonna, en compter tous les coups. J'entendis en dernier lieu sonner six coups ; mais je ne sais rien de ce qui se passa ensuite autour de moi. J'entrai alors tout entière dans la contemplation intérieure, et je méditai sans interruption la Passion de Jésus-Christ. J'ai vu toute l'histoire de la Passion de mes propres yeux, exactement comme dans la réalité. J'ai vu le Sauveur sortir, portant sa croix ; j'ai vu Véronique et Simon contraint de porter la croix. J'ai vu le Seigneur étendant ses membres, puis cloué à la croix : Cela me bouleversait jusqu'au fond de l'âme ; j'avais de la tristesse, mais avec un mélange de joie. Je vis la mère du Seigneur et plusieurs de ceux qui lui appartenaient. Je continuai à adorer mon Seigneur Jésus et à lui demander merci pour moi et pour tous les hommes.

 

(note) C'était une petite croix d'argent avec deux parcelles de la vraie croix.

 

Là-dessus, il me dit : « Vois mon amour ; il est sans bornes ! Venez, venez tous dans mes bras ; je veux tous vous rendre heureux !» Mais alors je vis que la plupart se détournaient de lui et s'arrachaient violemment à ses embrassements. Dés le commencement de cette apparition, je priai le Seigneur, en vue de la guerre présente, de nous donner enfin la paix et de mettre fin aux horreurs des combats ; je lui ai demandé de nouveau grâce et merci. Alors une voix me dit : « Ce n'est pas encore la fin de la guerre ; plus d'un pays s'en ressentira encore cruellement ; toutefois, prie et aie confiance» Maintenant, j'espère trés-fermement que le pays de Munster et Dulmen ne seront pas trop maltraités.» M. Lambert et la soeur de la malade ont encore rapporté que, pendant tout le temps de cette apparition, c'est-à-dire depuis dix heures du matin jusqu'à cinq heures du soir environ, elle était restée très-calme ; notamment, qu'elle eut, de dix heures à midi, les yeux ouverts et le visage coloré, mais depuis midi jusque vers cinq heures, les yeux fermés et tout à fait immobiles. Ils n'avaient rien remarqué de plus chez elle, si ce n'est que des larmes à peu prés continuelles coulaient sur ses joues.»

Le 8 février était le jeudi d'avant la Septuagésime. Anne Catherine avait reçu ce jour-là la tâche qu'elle avait à remplir pendant le saint temps de Carême et elle l'avait acceptée avec un ardent désir du salut des âmes. Son humilité l'empêchait de communiquer au médecin, sans l'ordre exprès du confesseur, des détails plus précis tirés de sa contemplation qui embrassait beaucoup de choses ; mais le peu qu'elle dit suffit pour que Wesener ne pensât plus de quelque temps à une application ultérieure des moyens magnétiques. Ni lui ni le confesseur n'osèrent faire mention devant Anne Catherine de leurs tentatives avortées, car il leur fallait bien reconnaître qu'elles avaient trop peu agi sur elle pour qu'elle en eut le moindre sentiment ou le plus faible souvenir. Ils laissèrent donc la chose tomber dans l'oubli ; mais, un an plus tard, un ami de Neeff et de Passavant vint à Dulmen pour faire des observations sur Anne Catherine qu'il croyait un sujet magnétique. Ce médecin était plein d'un enthousiasme touchant au fanatisme pour la somnambule de Neeff et en général pour le magnétisme où il prétendait avoir trouvé une telle confirmation de la foi chrétienne qu'il déclarait hautement avoir été guéri par là d'une incrédulité absolue. Comme il avait à un rare degré le don de la persuasion, il ne lui fut pas difficile de faire avouer à Wesener et à Limberg que des vues aussi élevées sur le magnétisme ne leur avaient jamais été présentées ; et tous deux, malgré les expériences antérieures faites sur Anne Catherine, étaient sur le point de se déclarer partisans et défenseurs de la médecine magnétique, lorsqu'intervint une sagesse plus haute qui fit connaître la vérité avec une clarté irrésistible. C'est par le journal de Wesener que nous savons comment les choses se passèrent.

 

12. Le Samedi saint, 5 avril 1817, le doyen Rensing fit annoncer à la malade la visite d'un médecin étranger arrivé de Francfort, lequel avait apporté un ordre écrit de le recevoir adressé à Anne Catherine par le vicaire général de Droste. Elle en fut si affligée qu'elle pria Wesener de représenter au doyen combien lui étaient pénibles les visites en général, et spécialement celle d'un homme qui était venu de si loin à cause d'elle. Le doyen n'accueillît point cette prière ; mais il réitéra l'ordre, qui fut communiqué à Anne Catherine par Wesener. Voici ce que celui-ci rapporte à ce sujet :

« Lorsque je lui annonçai cela, elle en fut d'abord attristée, mais reprit bientôt contenance et dit : « Puisqu'il en est ainsi, je me soumets par obéissance.» Elle me pria alors de venir avec l'étranger, à cause de la difficulté qu'elle avait à parler. Quelques heures après, je l'amenai. Elle le reçut poliment ; mais il fut tellement frappé à son aspect qu'il se jeta à genoux et demanda à lui baiser la main. Elle retira sa main avec une sorte d'effroi et reprocha à cet homme son exagération. Elle ne comprenait pas, disait-elle, comment, un homme raisonnable pouvait se laisser aller à donner de telles marques de respect à une misérable créature comme elle ; dans la soirée du même jour, elle m'exprima encore là douleur la plus vive de cet incident si affligeant pour elle, s'humilia et dit : « Que de tentations j'ai à combattre ! que d'épreuves pour la patience et l'humilité ! Voici maintenant qu'arrivent des tentations d'une espèce qui m'était inconnue jusqu'à présent !» Peu de jours après, Wesener rapporte ce qui suit :

« Grâce aux entretiens instructifs de M. le docteur N. . . avec M. Limberg et avec moi, nous nous sommes familiarisés davantage avec le magnétisme et nous avons reconnu qu'il n'est autre chose» que l'écoulement d'un esprit vital déterminant sur le malade.» Cet esprit, qui est répandu dans toute la nature, est reçu par le malade au moyen d'une communication spirituelle ou même corporelle ; il agit alors, dans celui qui le reçoit, d'après la nature de son principe ; y allumant une flamme qui appartient soit à la terre, soit aux régions supérieures, soit même aux régions inférieures, et opérant, suivant son origine, des effets salutaires ou pernicieux. Cet esprit vital, le chrétien peut et doit l'enflammer par la religion et par l'amour de Dieu et du prochain, de manière à le rendre salutaire pour le corps et pour l'âme.»

Wesener savait pourtant par de fréquentes expériences ce qui avait le pouvoir d'enflammer Anne Catherine, et, peu de temps avant, il avait écrit sur son journal : « Je l'ai trouvée aujourd'hui toute vermeille et comme enflammée ; je lui en demandai la cause, et elle me répondit          « M. Overberg est venu ici, et je n'ai parlé que de Dieu avec lui ; cela m'a fort animée ; mais, en outre, je ne me sens pas mal.» Or, ce même Wesener, soutenu par le confesseur, vint la trouver, tout plein de sa découverte de l'esprit vital magnétique, et il lui exposa avec tant de chaleur cette science nouvelle pour lui qu'elle put facilement reconnaître sur quelles dangereuses voies le père Limberg et lui étaient au moment de s'égarer. Elle se contint pourtant avec sa prudence ordinaire, écouta patiemment les zélés adeptes sans les contredire, et ne prit la parole que quand son ange lui en eut donné l'ordre. Voici ce que dit Wesener à ce sujet :

« Dans une visite postérieure, la malade me pria de rester un peu, parce qu'elle désirait me faire une ouverture.

« Vous avez remarqué, dit-elle, comment j'ai accueilli ce que le père Limberg, le docteur étranger et vous, m'avez dit sur le magnétisme. Je me suis montrée à peu près indifférente ; cependant, j'étais bien aise de ce qu'au moins vous vous efforciez de présenter la chose par un côté moral. Mais voilà que j'ai été avertie en vision pour la troisième fois. La première vision n'était pas favorable au magnétisme ; la seconde me le présenta sous un jour qui me remplit d'effroi ; mais, la nuit dernière, mon conducteur m'a montré que, dans ce qui s'y passe, presque tout est un prestige du démon. J'espère que je trouverai la force nécessaire pour vous raconter cela en détail. Quant à présent ; je ne puis vous dire qu'une chose : si nous voulons faire ce qu'ont fait les prophètes et les apôtres, nous devons aussi être ce que ces hommes étaient, mais alors nous n'avons aucun besoin de ces manipulations dont un magnétiseur fait usage, car, dans ce cas, le saint nom de Jésus suffit pour opérer ce qui est bon et salutaire. Qu'on s'efforce d'opérer une guérison au moyen de quelque chose qui se transmet d'une personne bien portante à un malade, ce n'est pas mauvais en soi ; mais les tours de passe-passe qu'on y ajoute sont quelque chose de sot et d'illicite. Le sommeil magnétique et l'intuition de choses éloignées et futures pendant ce sommeil, voilà où est le prestige du démon. Il se donne dans tout cela une apparence de piété pour gagner par là des adhérents et surtout pour attirer les gens de bien dans ses filets.» Elle dit cela d'un ton si grave que je lui répondis qu'en présence d'un semblable jugement, je ne me croyais pas autorisé à continuer une cure magnétique commencée sur une fille de la campagne qui avait un bras paralysé. Elle me demanda comment je m'y prenais, et, quand je lui dis que je faisais des passes avec les mains, que je traçais des cercles et que je soufflais sur la partie malade, que la malade buvait de l'eau magnétisée et portait autour du membre perclus une bande de flanelle également magnétisée, elle me dit : « Je puis, à la rigueur, considérer l'insufflation et le réchauffement du membre malade par l'imposition des mains comme des moyens naturels ; mais je repousse les passes et les cercles tracés comme des choses déraisonnables et conduisant à une superstition dangereuse.» Je lui demandai alors ce qu'elle pensait des vues du docteur étranger, et elle me dit : « Il faut bien se tenir sur ses gardes pour ne pas tomber dans la maison avec la porte. Cet homme reviendra sur le bon chemin, et j'ai la confiance que je pourrai lui être utile.»

 

13. Cet entretien fit une profonde impression sur Wesener, déjà convaincu par tant d'expériences de tout ce qu'il y avait de clairvoyance et de perspicacité chez Anne Catherine ; mais, dans son zèle, il oublia l'avis qu'elle lui avait donné de ne pas blesser l'étranger en lui faisant connaître trop brusquement celte sévère appréciation. II lui communiqua sans l'y avoir préparé tout ce qu'avait dit Anne Catherine, et cela causa à celui-ci une surprise d'autant plus pénible qu'il avait une très-haute opinion des lumières et de la piété de la somnambule de Francfort et de ses admirateurs. C'est pourquoi, loin d'être ébranlé par le jugement d'Anne Catherine, il répondit avec beaucoup de vivacité qu'on ne pouvait pas admettre que des hommes aussi graves et animés de sentiments aussi pieux pussent, avoir quelque chose de commun avec le mauvais esprit ; enfin, pour se rassurer, il prétendit qu'Anne Catherine n'avait vu le magnétisme que par son côté ténébreux, mais non par son côté lumineux. Or, selon lui, ce côté lumineux pouvait encore arriver à se faire reconnaître avec l'aide du confesseur. Il pria donc celui-ci de guérir le violent mal de dents dont Anne Catherine souffrait alors par l'imposition des mains et la bénédiction sacerdotale ; il appelait cela le» procédé curatif magnétique.» Le confesseur qui pourtant, depuis des années, avait mille fois expérimenté la merveilleuse sensibilité d'Anne Catherine à l'égard de la bénédiction du prêtre et de l'efficacité curative des moyens employés par l'Eglise, voyant cette fois le prompt soulagement qu'avait apporté l'imposition de ses mains, se sentit porté à en chercher la cause, non dans la vertu du caractère sacerdotal, mais dans l'esprit vital magnétique. Ce même homme qui, d'ordinaire, ne faisait usage pour Anne Catherine du pouvoir de bénir conféré à sa main par le sacrement de l'ordre que quand il la croyait à toute extrémité, se laissait maintenant entraîner par l'attrait de la nouveauté à soumettre» au procédé curatif magnétique» toute manifestation d'une souffrance physique chez sa fille spirituelle. Anne Catherine ne fut pas peu contristée de ce travers d'esprit jusqu'à ce que son conducteur invisible lui eut donné l'avis formel d'engager le confesseur à s'abstenir de cette façon d’agir.» C'est la volonté de Dieu, lui avait-il été dit, que tu portes tes douleurs avec patience ; ton confesseur ne doit rien te faire de plus que ce qu'il faisait auparavant.» Elle eut, en outre, pour l'instruction des autres, la vision suivante :

« Je me trouvais dans une grande salle ; c'était comme une église qui était pleine de monde. Des hommes à l'air grave et imposant allaient à travers la foule et faisaient sortir de l'église un grand nombre des assistants. Je m'en étonnai beaucoup et je demandai à ces personnages pourquoi l'on renvoyait des gens qui paraissaient avoir de si bons sentiments et qui savaient parler à merveille. Là-dessus, un de ces hommes à l'air sévère me répondit : Ils n'appartiennent pas à ce lieu ; ils sont dans de fausses voies. Et, bien qu'ils parlent avec des voix d'anges, leurs opinions et leurs doctrines sont fausses.» Je vis alors que le docteur étranger était du nombre de ceux qui devaient être mis dehors. Cela me fit beaucoup de peine pour lui, et je voulais courir à lui pour le retenir ; mais autour de moi se trouvaient d'autres personnes qui essayèrent de m'en empêcher, en disant que cela ne convenait pas. Je ne me laissai pourtant pas arrêter, et je répondis : « Il s'agit du salut de son âme !» J'eus le bonheur de le retenir, en sorte qu'il ne fut pas mis dehors.

 

Cette simple vision trouva un accomplissement bien remarquable, car, malgré leur penchant apparent pour le catholicisme et en dépit de tous leurs beaux discours, la plupart des membres de ce cercle ensorcelé par la somnambule sont morts hors de l'Eglise. Seul, « le docteur étranger, « secouru par les prières d'Anne Catherine, arriva plus tard à trouver pour sa foi un autre et plus solide fondement que celui qu'il prétendait avoir rencontré dans la ressemblance des phénomènes du magnétisme avec les merveilles opérées par Dieu dans la personne de ses saint et de ses élus.    

Le père Limberg accepta les avertissements qui lui avaient été donnés et ne se hasarda plus à tenter la moindre expérience de» cure magnétique» sur sa fille spirituelle ; en dehors de la bénédiction sacerdotale selon l'Eglise. Wesener aussi semble avoir été bientôt guéri de son enthousiasme pour le magnétisme, car son journal se borne à mentionner ce qui suit :

« Je lui demandai ce qu'elle me conseillait de faire pour mon compte, quant à, l'application du magnétisme près des malades, à quoi elle répondit : « Vous pouvez faire usage de l'imposition des mains et de l'insufflation, quand vous avez la parfaite assurance que vous n'induisez en tentation et en danger ni vous-même, ni l'autre personne.»

Quant à ces visions où Anne Catherine avait appris à connaître l'essence du magnétisme, la dégradation où il peut entraîner une âme et les dangers qu'il lui fait courir, elle en communiqua quelque chose peu de temps après.» Lorsque j'entendis pour la première fois parler du magnétisme par le docteur étranger, dit-elle, mon attention n'avait jamais été appelée sur ce sujet. Mais chaque fois qu'il parlait de la personne clairvoyante et des amis qui étaient en rapport avec elle, cela excitait en moi, sans que je susse pourquoi, un sentiment de vive répulsion. Cette personne me fut ensuite montrée, et je fus instruite sur son état dans des visions qui me prouvèrent que cet état n'était rien moins que pur et venant de Dieu. Je vis que l'attrait sensible et le désir de plaire y avaient part, quoiqu'elle ne voulut pas se l'avouer, et que, sans s'en rendre compte, elle avait trop d'attachement pour son magnétiseur. Je vis encore çà et là, dans l'éloignement, quelques autres personnes de cette espèce ; on voit cela comme à travers un verre grossissant. Je les vis assises ou même couchées ; j'en vis quelques-unes ayant devant elles un verre d'où partait un tube qu'elles tenaient à la main. L'impression que je ressentais était toujours une impression d'horreur, ce qui venait moins de la nature même de la chose que de l'immense danger auquel je les voyais presque toujours succomber.

« Les gestes des magnétiseurs devant les yeux, leurs passes et leur manière de prendre la main avaient pour moi quelque chose de si repoussant que je ne puis l'exprimer, parce que je voyais à la fois l'intérieur du magnétiseur et celui de la somnambule, l'influence de l'un sur l'autre, la communication de la nature et des mauvais penchants du premier à la seconde. Je voyais toujours là Satan eu personne dirigeant tous les mouvements du magnétiseur et les faisant avec lui.

« Ces personnes sont dans leurs visions tout autrement que moi dans les miennes ; quand, avant d'entrer dans l'état d'intuition, elles ont en elles si peu que ce soit d'impur, elles ne voient que fausseté et mensonge, car le démon leur présente des tableaux et donne à tout une belle apparence. Quand une telle personne se dit seulement à l'avance qu'elle désirerait ce jour-là dire quelque chose d'intéressant, ou quand elle a en elle la moindre convoitise sensuelle, elle se trouve aussitôt exposée au plus grand danger de pécher. Plusieurs, à la vérité, reçoivent un soulagement corporel ; mais la plupart en ressentent des effets pernicieux pour l'âme, sans le savoir et sans reconnaître d'où cela leur est venu. Je ne puis comparer l'horreur que ces choses me font éprouver qu'à celle que m'inspirent une certaine association secrète et ses pratiques. Il y a aussi là une corruption que je vois sans pouvoir bien la décrire.

« La pratique du magnétisme confine à la magie ; seulement on n'y invoque pas le diable, mais il vient de lui-même. Quiconque s'y livre prend à la nature. quelque chose qui ne peut être conquis légitimement que dans l'Église de Jésus-Christ et qui ne peut se conserver avec le pouvoir de guérir et de sanctifier que dans son sein ; or la nature, pour tous ceux qui ne sont pas en union vivante avec Jésus-Christ par la vraie foi et la grâce sanctifiante, est pleine des influences de Satan. Les personnes magnétiques ne voient aucune chose dans son essence et dans sa dépendance de Dieu ; elles voient tout isolé et séparé, comme à travers un trou ou une fente. Elles perçoivent un rayon des choses par le magnétisme, et Dieu veuille que cette lumière soit pure, c'est-à-dire sainte. C'est un bienfait de Dieu de nous avoir séparés et voilés les uns devant les autres et d'avoir élevé des murs entre nous, depuis que nous sommes remplis de péchés et dépendant les uns des autres ; il est bon que nous soyons forcés d'agir préalablement avant de nous séduire réciproquement et de nous communiquer l'influence contagieuse du mauvais esprit. Mais en Jésus-Christ, Dieu lui-même fait homme nous est donné comme notre chef dans lequel, purifiés et sanctifiés, nous pouvons devenir une seule chose, un seul corps, sans apporter dans cette union nos péchés et nos mauvais penchants. Quiconque veut faire cesser d'une autre manière cette séparation établie par Dieu s'unit d'une façon très-dangereuse à la nature déchue, dans laquelle règne avec ses séductions celui qui l'a entraînée à sa chute.

« Je vois l'essence propre du magnétisme comme vraie ; mais il y a un larron qui est déchaîné dans cette lumière voilée. Toute union entre des pécheurs est dangereuse ; la pénétration mutuelle l'est encore davantage. Mais quand cela arrive pour une âme tout à fait ouverte ; quand un état qui ne devient clairvoyant que parce qu'il implique la simplicité et l'absence de calcul devient la proie de l'artifice et de l'intrigue, alors une des facultés de l'homme avant la chute, faculté qui n'est pas entièrement morte, est ressuscitée d'une certaine manière, pour le laisser plus désarmé et dans un état plus mystérieux, exposé intérieurement aux attaques du démon. Cet état est réel, il existe ; mais il est couvert d'un voile, parce que c'est une source empoisonnée pour tous, excepté pour les saints.

« Je sens que l'état de ces personnes suit, à certains égards, une marche parallèle au mien, mais allant d'un autre côté, venant d'ailleurs et ayant d'autres conséquences. Le péché de l'homme doué de la faculté commune de voir est un acte accompli avec ses sens, devant ses sens ; la lumière du dedans n'est pas obscurcie pour cela, mais elle exhorte dans la conscience, elle pousse comme un juge intérieur à d'autres actes sensibles de repentir et de pénitence ; elle conduit aux remèdes surnaturels que l'Église administre sous une forme sensible, aux sacrements. C'est alors le sens qui est pécheur et la lumière intérieure qui est l'accusatrice.

« Mais dans l'état magnétique, quand les sens s'ont morts, quand la lumière intérieure reçoit et rend des impressions, alors ce qu'il y a de plus saint dans l'homme, le surveillant intime, est exposé à des influences pernicieuses, à des infections contagieuses de l'esprit mauvais, dont l’âme, à l'état de veille ordinaire, ne peut pas avoir la conscience au moyen des sens, assujettis comme ils le sont aux lois du temps et de l'espace ; de même aussi elle ne peut pas se défaire de ces péchés à l'aide des remèdes purificateurs de l'Église. Je vois à la vérité qu'une âme tout à fait pure et réconciliée avec Dieu, même dans cet état ou la vie intérieure est ouverte, peut n'étre pas blessée par le diable. Mais je vois aussi que si auparavant, ce qui arrive bien facilement, surtout pour le sexe féminin, elle a consenti à la moindre tentation, Satan joue librement son jeu dans l'intérieur de cette âme, ce qu'il fait toujours de manière à éblouir et avec les apparences de la sainteté. Les visions deviennent des mensonges, et, si elle y voit par hasard quelque moyen de guérir le corps mortel, elle l'achète bien cher au prix d'une infection secrète de l'âme immortelle. Elle est fréquemment souillée par un rapport magique avec les penchants mauvais du magnétiseur.

 

14. Il arrivait souvent aussi que des femmes magnétisées étaient montrées en vision à Anne Catherine, afin qu'elle priât pour leur salut ou qu'elle travaillât à prévenir les conséquences ultérieures de ces pratiques par des souffrances expiatoires. Elle disait ordinairement en pareil cas qu'elle était prête à porter secours à ces infortunées ; toutefois, elle priait ardemment pour être dispensée de se trouver en contact avec elles, même dans l'état naturel de veille. Une fois seulement, comme le docteur de Francfort vantait beaucoup les visions soi-disant pures et la piété de sa somnambule clairvoyante, elle lui dit très nettement :

« Je voudrais qu'elle fût ici en face de moi, car ses belles et agréables visions cesseraient bientôt, et elle-même en viendrait à voir par qui elle est trompée. Elle m'a été souvent montrée en vision et j'ai toujours vu que, pendant qu'elle était sous l'influence magnétique, le démon aussi usait de tous ses prestiges avec elle, et qu'elle le prenait pour un ange de lumière.»

           Wesener, pendant un voyage, s'étant trouvé par hasard en rapport avec le docteur Neeff qui magnétisait cette personne, lui signala le danger. Celui-ci en prit occasion de venir lui-même à Dulmen, afin d'étudier la prétendue ressemblance avec Anne Catherine. Il raconta alors que cette femme avait le don de voir des remèdes pour tous les maux et toutes les maladies possibles, qu'elle frayait avec des esprits bienheureux, qu'elle était conduite par son ange et par celui du magnétiseur à travers des mondes de lumière et recevait une espèce de sacrement provenant» du saint Gral.» . Tout cela fit frissonner Anne Catherine ; cependant elle s'efforça, avec toute la douceur que sa charité pouvait lui inspirer, d'appeler l'attention de cet homme infatué sur les grands dangers qu'il courait et sur les illusions dans lesquelles ils vivaient, lui et sa somnambule (tous deux étaient protestants) ; mais cela ne lui réussit pas. L'homme était comme ensorcelé : il invoquait la pureté d'intention avec laquelle la somnambule et lui, avant de commencer leurs opérations, priaient Dieu de les préserver de toutes les embûches et de tous les prestiges du diable. Il assurait que sa somnambule suivait une voie qui devenait chaque jour plus lumineuse et plus sublime, et, avec toutes ces protestations, il éluda tout examen plus approfondi de la nature intime de ses pratiques. Ce fut en vain qu'Anne Catherine déclara que la prétendue nourriture céleste et les mondes de lumière de la somnambule étaient des tromperies et des prestiges au moyen desquels l’esprit malin la tenait enchaînée dans ses filets ; le docteur n'en crut rien et ne voulut pas prendre la main qui lui était tendue pour le sauver.

« Lorsque ces deux personnes me sont montrées, dit un jour Anne Catherine, je le vois tirer de sa somnambule un fil qu'il dévide et où il fait comme un noeud qu'il avale, en sorte qu'elle le tire partout et le tient lié par là. Je vois ce peloton de fil dans son intérieur comme un nuage ténébreux qui pèse sur tout et étouffe tout. Bien des fois il lui vient à l’esprit qu'il devrait rejeter quelque chose hors de lui, mais il n'y parvient jamais.

 

15. Il arriva plusieurs fois que des gens poussés par la curiosité et par une intention malveillante eurent recours à une somnambule pour obtenir des révélations sur Anne Catherine. Ainsi, pendant l’enquête dont il sera parlé plus au long dans le second volume, on lui enleva sa coiffe pour la faire servir à mettre en rapport avec elle une somnambule de M. . . , à qui l'on voulait faire dire toutes sortes de choses touchant Anne Catherine.

« Cette personne, raconta-t-elle plus tard, me fut montrée par mon conducteur céleste, et je vis qu'elle se tourmentait beaucoup sans pouvoir arriver à rien savoir de moi. Je vis toujours le diable là-dedans. Quand je fus délivrée de mon emprisonnement, il me fut montré en vision que mon confesseur se trouvait auprès de cette personne. A l'un de ses côtés se tenait le diable ; un autre esprit était d'un autre côté. L'intention de l’ennemi était qu'elle dit de moi des choses infâmes en présence de tout le monde et devant mon confesseur ; mais, malgré toutes les peines qu'elle se donna pour cela, elle ne put rien voir. Enfin, quand elle prit la main du père Limberg, elle dit : « La soeur Emmerich est en prière. Elle est très-malade. Ce n'est pas une trompeuse, si personne ne l'est dans son entourage.» Lorsque mon confesseur revint de M. . . et me raconta la chose, j'eus encore une vision à ce sujet et je fus saisie de crainte à la pensée de recevoir de lui la sainte communion le lendemain, parce que je croyais qu’il avait participé par curiosité à une chose dans laquelle il devait savoir que le diable avait la main. Mais je fus consolée en apprenant que c'était sans l’avoir voulu qu'il s'était trouvé auprès de cette femme. Je la vis dire des mensonges à propos d'autres personnes, et je vis comment le diable lui suscitait des visions.

Dans l'enquête dont il vient d'être parlé, on fit, en outre, une tentative en sens inverse, en voulant forcer Anne Catherine à porter sur elle un conducteur magnétique qui devait la mettre en rapport avec un magnétiseur. On lui pendit au cou un petit flacon enveloppé dans de la soie qui excita aussitôt en elle un tel dégoût et de si violentes palpitations de coeur qu'elle le lança loin d'elle et rejeta avec énergie comme un impudent mensonge l'allégation que cette affreuse chose lui était envoyée par Overberg, le directeur de sa conscience.

 

16. Une femme de Dulmen se laissa un jour persuader d'aller chez une tireuse de cartes à Warendorf. Elle savait que cette personne avait coutume de prédire, d'après ses cartes, des mariages et des choses de ce genre, et elle se proposa de la mettre à l'épreuve par des questions touchant la soeur Emmerich.» Que se passe-t-il chez la Emmerich ?» lui demanda-t-elle. La femme étala ses cartes en trahissant une irritation intérieure, et dit : « Chose curieuse, tout est là confit dans la dévotion ! Voilà un homme âgé qui est assez gros, en voilà un plus jeune ! voilà une vieille femme qui se meurt (c'était la vieille mère d'Anne Catherine qui mourait alors auprès d'elle) ! La personne elle-même est malade ! Etrange maladie !» La questionneuse en eut assez et s'en alla tout effrayée. Quand Anne Catherine entendit parler de cette affaire, elle dit à ce sujet des observations dignes de remarque.            « Ce ne sont pas les cartes, dit-elle, qui montrent ou font voir quelque chose à ces sortes de personnes, mais c'est leur foi aux cartes qui les rend voyantes. Elles disent ce qu'elles voient et non ce que montre la carte. La carte est le simulacre du faux dieu, mais c'est le diable qui est ce faux dieu. Souvent il est forcé de dire la vérité, et alors la voyante l'annonce avec colère.»           

 

17. En janvier 1821, lorsqu'Anne Catherine, dans ses visions quotidiennes sur la prédication de Jésus, contempla la guérison d'un possédé, elle eut de nouveau une vision d'ensemble sur le caractère et les effets moraux du magnétisme, où les relations générales et les liaisons diverses du royaume des ténèbres avec les hommes lui furent représentées dans trois sphères ou trois mondes. La sphère inférieure, qui était la plus ténébreuse, renfermait tout ce qui tient à la magie et au culte formel du diable ; la seconde, ce qui se rapporte à la superstition et aux convoitises sensuelles ; la troisième était celle de la libre pensée, de la franc-maçonnerie, du libéralisme. Elle vit toutes ces sphères reliées entre elles par des fils innombrables entrelacés les uns avec les autres, qui, comme des degrés, conduisaient des plus élevées aux plus basses. Dans l'enceinte de la sphère inférieure et dans celle du milieu, elle vit les remèdes et les états magnétiques au nombre des moyens les plus puissants par lesquels le royaume des ténèbres attire les hommes à lui.            « Je vis, raconta-t-elle, dans la sphère la plus ténébreuse certains états et certaines relations qui, dans la vie ordinaire, ne sont pas considérés comme absolument illicites ; il y avait spécialement beaucoup de personnes magnétisées. Je vis quelque chose d'abominable entre elles et le magnétiseur : c'étaient comme des nuages noirs de toutes les formes qui allaient des uns aux autres. Je n'ai presque jamais vu personne sous l'influence du magnétisme sans qu'il s'y mêlât au moins une impureté charnelle très-subtile. Toujours aussi je vois leur clairvoyance ayant pour agents de mauvais esprits. Je vis des gens tomber de la région lumineuse située plus haut dans la région ténébreuse par suite de leur participation à ces procédés magiques qu'ils appliquaient au traitement des malades, prenant pour prétexte l’intérêt de la science. Je les vis alors magnétiser et ; égarés par des succès trompeurs, attirer beaucoup de personnes hors de la région lumineuse. Je vis qu'ils voulaient confondre ces guérisons d'origine infernale et ces reflets du miroir des ténèbres avec les guérisons opérées par la lumière et avec la clairvoyance des personnes favorisées du ciel. Je vis, à cet étage inférieur, des hommes très-distingués travailler à leur insu dans la sphère de l'Eglise infernale.