Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

XXVII

LE VICAIRE GENERAL DROSTE VIENT A DULMEN POUR LA QUATRIÈME FOIS

 

1. Rensing avait fait connaître à Overberg l'impression accablante que sa lettre du 18 mai avait faite sur Anne Catherine et aussi les plaintes avec lesquelles elle avait accueilli la communication du nom et de la condition des messieurs de Munster choisis pour la garder à vue.

« J'espérais, avait-elle dit, que la chose serait finie pour la fête de l'Ascension et que j'aurais ensuite le repos nécessaire pour me préparer comme il faut à la venue du Saint-Esprit, pendant l'intervalle qui sépare les deux fêtes et qui a toujours été pour moi un temps si saint : maintenant cette espérance, qui me donnait une grande joie, m'est aussi enlevée. Si l'on ne peut pas avoir des médecins de Munster, on pourrait prendre des hommes d'ici qui, eux aussi, sont en état de voir ce qui se passe et qui méritent bien autant de confiance que des jeunes gens faisant encore leurs études. M. de Druffel m'a dit qu'on enverrait des personnes dont je serais contente. Mais que des jeunes gens, comme N. qui n'a pas encore vingt ans, restent jour et nuit assis près de mon lit, c'est que ce je ne puis pas admettre.»

 

2. Overberg porta cet écrit à la connaissance du vicaire général qui s'en occupa sérieusement. La manière dont s'était exprimée Anne Catherine lui semblait peu d'accord avec l'idée qu'il s'était faite d'elle d'après l'enquête, comme d'une âme favorisée de grâces extraordinaires et qui ne vivait que pour l'obéissance ; aussi crut-il de son devoir de se rendre à Dulmen aussitôt que possible et d'avoir une explication avec Anne Catherine. Il écrivit à Rensing pour le blâmer d'avoir nommé devant elle les personnes désignées pour la surveiller et fit les remarques suivantes

« Il aurait dû suffire à la sœur Emmerich et à son entourage de savoir que les personnes en question avaient l'agrément de l'autorité ecclésiastique. Je n'en exigerais pas autant de tout le monde : mais quand, vis-à-vis de ceux auxquels Dieu paraît avoir accordé des grâces extraordinaires, j'ai aussi des exigences extraordinaires, et quand je conclus au plus ou moins de grâces, selon qu'on se soumet ou qu'on ne se soumet pas à ces exigences, je suis en cela la marche qu'ont tracée les hommes les plus renommés par leur sagesse.

Le 3 juin, il vint lui-même à Dulmen.

« Mon intention, dit-il dans un rapport écrit par lui sur cette visite, était surtout de connaître les dispositions intérieures de la sœur Emmerich : l'inspection des plaies n'était qu'un but secondaire. Celles-ci, lorsque j'arrivai, avaient saigné récemment. Je trouvai tout comme à l'ordinaire. Je voulus examiner son intérieur, à raison de la manière dont elle s'était exprimée sur la surveillance et sur les personnes à envoyer de Munster.»

 

3. A peine eut-il vu Anne Catherine et lui eut-il demandé des explications sur ses prétendues plaintes qu'il nota ce qui suit dans le procès-verbal de l'enquête

« Quant aux personnes qui devaient venir de Munster pour veiller auprès d'elle, la sœur Emmerich n'avait trouvé qu'une chose à objecter contre la jeunesse de ces messieurs, c'est qu'ils verraient peut-être en elle ou entendraient sortir de sa bouche des choses qu'ils pourraient mal comprendre. Et cette crainte est très naturelle, parce que la sœur Emmerich rêve quelquefois tout haut et on a déjà raconté, à sa connaissance, qu'elle avait dit que celui-ci ou celui-là était au ciel ou dans le purgatoire. Elle était du reste si bien disposée pour tous ceux que je voudrais envoyer qu'il n'y a eu aucun besoin de la raisonner sur ce point.»

Quant à ce qui concernait son impatience des délais apportés à la mise en surveillance, il fut également satisfait de ce qu'elle lui dit à ce sujet. Voici ce qu'on lit dans son procès-verbal.

« La sœur Emmerich s'est exprimée en ces termes : « Jusqu'à présent, pendant le temps qui s'écoule de l’Ascension de Notre Seigneur à la Pentecôte, je me suis toujours trouvée présente en esprit dans le Cénacle avec les disciples attendant la venue du Saint-Esprit.» (Clara Soentgen a déposé de son côté que la sœur Emmerich pendant ce temps est ordinairement plus recueillie que de coutume, dit une note ajoutée au procès-verbal. )» Cette fois encore je désirais qu'il en fût de même et je m'étais trop fortement mis dans la tête que je ne devais pas en être empêchée. Mais en cela j'ai bien failli. J'ai été aussi trop hardie.» Souffrir ou mourir, « ai-je dit. Dieu m'a punie pour cela. Il m'a dit : « Si tu veux souffrir, tu dois vouloir souffrir ce que je veux que tu souffres.»

Le vicaire général prit de là occasion pour rappeler à Anne Catherine la devise de sainte Thérèse : « ce souffrir ou mourir» et celle de saint François de Sales : « aimer ou mourir.» Il lui fit observer que la première était bonne pour les saints, mais que la seconde convenait à tout le monde. Le procès-verbal ajoute» qu'elle saisit tout cela facilement et même qu'elle en fut réjouie, ainsi qu'on pouvait le voir.»

 

4. Peu de jours avant l'arrivée du vicaire général, Anne Catherine avait aussi reçu la visite de sa mère qui était inquiète d'elle. On peut facilement se figurer combien avait été douloureuse pour cette bonne vieille pleine de simplicité la nouvelle que sa fille était soumise à une enquête ecclésiastique. Pour la consoler, le curé de Saint-Jacques de Coesfeld avait pris la peine d'aller à Dulmen pour lui rendre compte de ce qu'il aurait vu ; alors elle se mit elle-même en route.

Clara Soentgen écrivit au vicaire général à propos de cette visite :

« Avant-hier est venue ici la vieille mère d'Anne Catherine ; celle-ci désirait que je fusse présente lors de sa visite, parce qu'elle était intimidée en présence de sa mère. Elle avait prié Dieu de faire en sorte que sa mère ne demandât pas à voir ses stigmates et ne lui fit pas de questions sur son état. Cette prière a été exaucée. La conduite de la vieille femme a été vraiment admirable. Elle n'a pas dit un mot des plaies, mais elle a seulement fait à sa fille des exhortations édifiantes. Comme des personnes étrangères lui disaient qu'elle avait grand sujet de se réjouir d'une telle fille et qu'on n'avait jamais entendu parler de rien de semblable, sa réponse fut qu'on ne devait pas lui dire de telles choses, que tant qu'une personne est en vie, il n'y a pas grand état à en faire. La sœur Emmerich m'a avoué qu'ayant déjà entendu dire des choses de ce genre, elle avait demandé à Dieu que sa mère répondit ainsi et qu'elle avait été exaucée.»

Quand sa mère fut partie, Anne Catherine éprouva un certain scrupule de ce qu'étant obligée de se montrer à tant d'étrangers et de curieux, elle s'était tenue dans une telle réserve vis-à-vis de sa propre mère : elle craignait d'avoir peut-être manqué par là au respect filial. Elle fit part au vicaire général de ses inquiétudes à ce sujet et lui demanda si elle n'aurait pas du montrer ses plaies à sa mère bien que celle-ci n'eut pas demandé à les voir.» Je lui répondis, écrit Droste dans le procès-verbal ; que si sa mère l'eût demandé, elle aurait dû lui obéir, mais qu'elle avait très bien fait, en cette occasion, de ne pas les montrer.»

 

5. Le vicaire général fut très satisfait de cette visite, comme le prouve ce qu'il écrivit le jour suivant à Rensing. Celui-ci avait été très sensible au reproche, bien peu grave pourtant, d'avoir nommé devant Anne Catherine les personnes qui devaient veiller auprès d'elle et cela l'avait mal disposé à l'égard de celle-ci. Dans cette situation d'esprit, il avait fait un commentaire très défavorable à Anne Catherine de quelques paroles assez simples du vicaire général, si bien que celui-ci prit en ces termes la défense de la malade

•» Quant à ce qui a été dit des visions, je n'ai pas cru moins du monde à une imposture, mais seulement à possibilité d'une illusion dont je ne rendais personne responsable. Maintenant que je me suis entretenu avec la sœur Emmerich, je ne puis conclure qu'une chose de la manière dont elle s'est exprimée par rapport à la surveillance à laquelle on veut la soumettre ; c'est que peut-être elle n'est pas encore arrivée au degré de perfection où Dieu la veut.» Il donna en outre par écrit les injonctions suivantes

« La mise à exécution du projet relatif à la sœur Emmerich ne doit pas être différée plus longtemps ; je désire qu'on commence le plus tôt possible. Quant au choix des personnes à employer, j'attends d'abord vos propositions. En règle générale, il faut préférer des gens âgés, comme méritant plus de confiance que de moins avancés en âge. J'agrée d'avance monsieur N. . . N. . . mais son fils est trop jeune. On ne peut confier cette tâche ni à lui, ni à d'autres aussi jeunes. Les surveillants, quand ils s'entretiendront entre eux doivent s'abstenir de rien dire qui puisse aggraver pour la malade une mesure déjà si pénible par elle-même. J’espère que pendant ce temps, vous la visiterez souvent et que vous pourrez savoir d'elle si elle désire qu'on modifie, telle ou telle disposition.»

 

6. Rensing prit alors les mesures nécessaires et put bientôt proposer vingt hommes de confiance, tous de Dulmen, qui se déclaraient prêts à veiller auprès de la malade, sous la direction d'un médecin qu'on ferait venir d'ailleurs.

Le vicaire général approuva tout, et l'on put, à la grande satisfaction d'Anne Catherine, commencer le 10 juin. Avant de raconter comment les choses se passèrent, il faut nécessairement prendre connaissance des rapports qu'Overberg et Rensing avaient faits au vicaire général sur les stigmates d'Anne Catherine, parce qu'ils contribuèrent essentiellement à établir un résultat certain pour toute l'enquête ecclésiastique.