XVIII. ORIGINE DU CHEMIN DE LA CROIX

Pendant tout ce débat, la mère de Jésus, Madeleine et. Jean s'étaient tenus dans un coin du forum, regardant et écoutant avec une douleur profonde. Lorsque Jésus fut mené à Hérode, Jean conduisit la sainte Vierge et Madeleine sur tout le chemin qu'avait suivi Jésus. Ils revinrent ainsi chez Caiphe, chez Anne, dans Ophel, à Gethsémani, dans le jardin des Oliviers ; et dans tous les endroits où le Sauveur était tombé, où il avait souffert, ils s'arrêtaient en silence, pleuraient et souffraient avec lui. La sainte Vierge se prosterna plus d'une fois, et baisa la terre aux places où son fils était tombé. Madeleine se tordait les mains, et Jean pleurait, les consolait, les relevait, les conduisait plus loin. Ce fut là le commencement du saint chemin de la Croix et des honneurs rendus à la Passion de Jésus, avant même qu'elle ne fût accomplie. Ce fut dans la plus sainte fleur de l'humanité, dans la mère virginale du Fils de l'homme, que commença la méditation de l'Eglise sur les douleurs de son rédempteur. Dès ce moment, quand il n'était encore qu'à la moitié de sa voie douloureuse, la mère pleine de grâce arrosait de ses pleurs et révérait les traces des pas de son fils et de son Dieu. O quelle compassion ! Avec quelle force le glaive tranchant et perçant ne s'enfonça-t-il pas dans son coeur ! Elle, dont le corps bienheureux l'avait porté, dont le sein bienheureux l'avait allaité, cette bienheureuse qui avait entendu réellement et substantiellement le Verbe de Dieu, Dieu lui-même dès le commencement, qui l'avait conçu et gardé neuf mois sous son coeur plein de grâce, qui l'avait porté et senti vivre en elle avant que les hommes ne reçussent de lui la bénédiction, la doctrine et le salut, partageait toutes les souffrances de Jésus, y compris son violent désir de racheter les hommes par ses douleurs et sa mort. C'est ainsi que la Vierge pure et sans tâche inaugura pour l'Eglise le Chemin de la Croix, pour y ramasser à toutes les places, comme des pierres précieuses, les inépuisables mérites de Jésus-Christ, pour les cueillir comme des fleurs sur la route, et les offrir à son Père céleste pour ceux qui ont la foi. Tout ce qu'il y a jamais eu, et tout ce qu'il y aura jamais de saint dans l'humanité, tous ceux qui ont soupiré après la rédemption, tous ceux qui ont jamais célébré avec une compassion respectueuse l'amour et les souffrances du Sauveur, faisaient ce chemin avec Marie, s'affligeaient, priaient, s'offraient en sacrifice dans le coeur de la mère de Jésus qui est aussi une tendre Mère pour tous ses frères réunis par la foi dans le sein de l'Eglise.

Madeleine était comme hors d'elle-même à force de douleur. Elle avait un immense et saint amour pour Jésus ; mais lorsqu'elle aurait voulu verser son âme à ses pieds, comme l'huile de nard sur sa tête, un horrible abîme s'ouvrait entre elle et son bien-aimé. Son repentir et sa reconnaissance étaient sans bornes, et quand elle voulait élever vers lui son coeur, comme le parfum de l'encens, elle voyait Jésus maltraite, conduit à la mort à cause de ses fautes dont il s'était chargé. Alors ces fautes pour lesquelles Jésus avait tant à souffrir, la pénétraient d'horreur ; elle se précipitait dans l'abîme du repentir, sans pouvoir l'épuiser ni le combler ; elle se sentait de nouveau entraînée par son amour vers son Seigneur et Maître. et elle le voyait livré aux plus horribles traitements. Ainsi son âme était cruellement déchirée et ballottée entre l'amour, le repentir, la reconnaissance, l'aspect de l'ingratitude de son peuple, et tous ces sentiments s'exprimaient dans sa démarche, dans ses paroles, dans ses mouvements.

Jean aimait et souffrait. Il conduisait pour la première rois la Mère de son Maître et de son Dieu, qui l'aimait aussi et souffrait aussi pour lui, sur ces traces du chemin de la Croix où l'Eglise devait la suivre, et l'avenir lui apparaissait.