CHAPITRE XX




    Des Révélations et du discernement qu'on en peut faire. Du sentiment qu'on doit avoir des révélations particulières. Qu'on ne les doit point désirer, ni les croire témérairement. Règle pour discerner les vraies des fausses, tirées de la personne à qui la révélation se fait, de la révélation même et des circonstances qui l'accompagnent. Addition de quelques façons du parler de la Théologie mystique.

    I. Je pense que ce que nous avons dit jusqu'ici montre assez que toutes les visions et toutes les apparitions tendent principalement à révéler aux hommes quelque chose de caché, soit pour leur salut et leur instruction si elles viennent d'un bon esprit, soit pour leur perte et leur condamnation si c'est d'un mauvais esprit qu'elles viennent. Cela nous oblige donc de traiter ensuite particulièrement de ces révélations, et des moyens de les examiner et de les discerner. Car encore que nous avons répandu beaucoup de choses sur ce sujet dans les Chapitres précédents, il en reste néanmoins beaucoup qu'il faut traiter plus en particulier ; afin, qu'autant que nous en sommes capables, nous n'omettions rien qui regarde l'achèvement de l'ouvrage que nous avons entrepris.

    La révélation qui vient de Dieu ou des bons esprit, par son ordre, n'est autre chose que la manifestation des divins mystères et des secrets qui sont au-dessus de toutes les forces de la nautre pour l'utilité commune de l'Église, ou l'utilité particulière de quelques personnes.

    Quant à la révélation qui se fait par les démons, c'est une manifestation artificieuse et trompeuse de quelques secrets, qu'ils font par des illusions pour tromper quelqu'un. Ce mot de révélation explique ces définitions, parce qu'il signifie que l'on découvre quelque chose qui était caché comme par un voile. C'était cette révélation que David demandait à Dieu en lui disant (Ps 118. 18.) : Otez le voile de dessus mes yeux, et je contemplerai les merveilles de votre loi. L'âme de l'homme, comme dit saint Grégoire-le-Grand (Mor 1. 5. c. 25.), ayant été excluse des joies du paradis par le péché de nos premiers parents, a perdu la lumière des choses invisibles, et s'est entièrement abandonnée à l'amour des choses visibles, et elle est devenue d'autant plus aveugle à l'égard de la contemplation intérieure, que sa dépravation l'a davantage portée à se répandre au-dehors. Car l'homme qui aurait été spirituel, même en sa chair, s'il avait voulu garder le commandement de Dieu, est devenu charnel, même en son âme, par son péché ; en sorte qu'il ne peut plus avoir de pensées que par les images que lui fournissent les choses matérielles. C'est là le voile qui empêche les yeux de notre âme de voir les choses qui sont de Dieu ; et il n'y a que celui même qui nous éclaire qui peut retirer ce voile de devant nos yeux. C'est par sa grâce que notre âme veut et connaît le bien. Car, comme dit saint Bernard, en voulant le mal elle était morte, et en ignorant le bien elle était aveugle (Ser. 85. in Cant. n. 2.).

    Il y a encore un autre voile qui nous cache les vérités que Dieu révèle, duquel le Prophète a dit (Psal. 138. 6.): Votre connaissance est tout a fait merveilleuse : elle est au-dessus de moi, et je n'y pourrai atteindre. Dieu qui est la première et l'infaillible vérité ôte ce voile, en découvrant les vérités cachées, et nous faisant contempler ; comme dit l'Apôtre (2. Cor. 3. 18.), à visage découvert la gloire du Seigneur. Alors nous sommes transformés en sa ressemblance et en son image, nous avançant de clarté en clarté comme étant éclairés par l'esprit même de Dieu.

    Les Théologiens en traitant de la foi, traitent aussi des révélations publiques qui regardent la commune utilité de l'Église. Mais il est évident, tant par l'Écriture sainte que par des histoires approuvées, qu'il y a toujours eu des révélations particulières en tous les âges et tous les états des hommes depuis Adam jusqu'à nous ; et c'est de celles-là que nous traitons ici. Elles n'appartiennent pas à la foi, parce que, comme enseigne saint Thomas (1. p. q. 1. a. 8. ad. 2.), notre foi est appuyée sur les révélations faites aux prophètes et aux apôtres qui ont écrit les livres canoniques, et non point sur les révélations particulières qui peuvent avoir été faites à quelques docteurs. Cependant ceux à qui ces révélations particulières arrivent sont obligés de s'y attacher fermement, s'il leur est constant, avec une pleine certitude, qu'elles viennent de Dieu ; parce que Dieu qui révèle, comme il lui plaît, les secrets de sa sagesse, est la souveraine vérité qui ne peut ni tromper, ni être trompée.

    Quant aux choses qu'on estime communément avoir été écrites par de saints hommes ou de saintes femmes, on ne les croit pas, quelque approuvées qu'elles soient, de telle sorte qu'on les embrasse comme si l'on en était assuré d'une certitude de foi, mais en les regardant seulement comme probables. Car en ce qui est de la foi, nous sommes édifiés, comme dit saint Paul (Eph. 2. 20.), sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre de l'angle ; et nul ne saurait poser un autre fondement (1. Cor. 3. 11.). Les apôtres ont reçu la foi de Jésus-Christ lorsqu'il leur a révélé, ainsi qu'il parle lui-même, tout ce qu'il a appris de son Père (Joan. 15. 15.) ; et ils ont donné cette même doctrine de la foi à leurs successeurs comme un dépôt duquel saint Paul a dit à son disciple Timothée : Gardez l'excellent dépôt qui vous a été confié (1. Tim. 6. 20.). Qu'est-ce que ce dépôt, dit Vincent de Lerins (Commonitor. 1. c. 27.). C'est ce qui vous a été confié, et non pas ce que nous avez inventé. C'est ce que vous avez reçu, et non pas ce que votre pensée vous a fourni. Ce n'est point la production de votre esprit, mais l'instruction qui vous a été donnée. Ce n'est point une doctrine particulière que vous avez entrepris de publier, mais c'est la doctrine de la tradition publique. Ce sont des vérités venues de siècle en siècle jusqu'à vous, et non des sentiments qui viennent de vous.

    Ç'a été le propre des auteurs de sectes de faire de nouveaux dogmes, et de leur vouloir acquérir de la créance et de l'autorité par des révélations ou plutôt des illusions, comme s'ils les avaient reçues de Dieu même. Ceux qui sont instruits de l'histoire ecclésiastique, savent quelles ont été les fictions et les fables de Cérinthe, de Simon, de Marc, de Ménandre, de Basilide, de Valentin, et des autres hérésiarques dont saint Irénée, saint Epiphane, Eusèbe et Théodoret ont rapporté les erreurs. Tertullien s'étant si malheureusement laissé tromper par Montan, loue hautement dans tous ses ouvrages les visions et les prophéties de cet hérésiarque et des femmes qui le suivaient. Saint Augustin rapporte les extravagances des Manichéens et des Donatistes. Et les novateurs de notre siècle ont assez excité du tragédies lugubres par le prétexte de leurs fausses révélations. J'omets l'abominable secte des Illuminés qui a été éteinte dès les premiers siècles, mais qui s'est souvent renouvelée. Etant séduits par les apparitions elles révélations de Satan, ils se sont abandonnés aux désirs et aux passions infâmes de leur chair, et ont eu l'audace de se donner ce nom spécieux d'Illuminés, comme s'ils avaient été pleins d'une lumière divine.

    La pudeur m'empêche de parler ici de leurs assemblées secrètes et des crimes qui s'y commettaient ; mais aussi cela n'est pas nécessaire ; parce que la divine Providence a voulu qu'elles fussent découvertes et publiées, afin que les hommes qui sont sujets à l'erreur et enclins à suivre les passions de la chair, ne pussent être insensiblement corrompus par les pratiques si honteuses et si criminelles de ces hérétiques. Ces méchants hommes, de peur de paraître avoir violé témérairement toutes les lois, et renoncé à toute modestie et à toute pudeur, se vantaient d'en avoir été dispensés par une révélation divine ; et qu'ainsi il leur était permis et à ceux qui les voudraient suivre, de s'abandonner à toutes les inclinations de la chair et des sens, à cause qu'ils étaient établis comme dans un état d'innocence qui les mettait au-dessus de tous les préceptes de Dieu et des hommes.

    II. Il est bien à désirer que tous les hommes principalement ceux qui ont entrepris la conduite des âmes, apprennent par ces exemples à fermer l'entrée aux révélations particulières, et à n'être point faciles à les approuver, si elles ne sont confirmées par des miracles ou par des témoignages de l'Écriture sainte, selon la règle qu'Innocent III a donnée sur ce sujet (Cap. cum ex injuncto. de haeret.).

    Les révélations que l'on dit contenir une dispense de quelque loi ou de quelque voeu, demandent une grande attention. Car encore que Dieu puisse changer les lois dont il est l'auteur, ainsi que l'enseigne saint Bernard (De praecep. et dispen. c. 3.), et qu'il en ait effectivement changé quelques-unes, comme lorsqu'il commanda aux Juifs d'emporter les dépouilles des Égyptiens (Exo. 12.), comme lorsqu'il commanda à Abraham d'immoler son fils (Gen. 22.), comme lorsqu'il inspira à un Prophète d'obliger un autre Prophète de lui faire une blessure (3. Reg. 20. 35.), comme lorsqu'il obligea le prophète Ozée de prendre une femme débauchée pour en avoir des enfants (Ose. 1. 2.), où l'on voit des dispenses de la loi dont les interprètes de l'Ecriture ont traité au long : néanmoins si des révélations particulières paraissent autoriser de semblables choses, il n'y faudrait nullement ajouter foi, à moins que l'on ne connût très clairement, par le don du discernement des esprits, que c'est Dieu même qui parle et qui révèle, et que cela fût confirmé, comme par un témoignage divin, par des miracles véritables et approuvés. Car puisque l'obligation de garder la loi de Dieu est très certaine, on doit avoir une certitude très évidente que l'on en est dispensé, pour s'en pouvoir exempter. Il faut aussi, conformément aux règles que les saints Pères ont données sur ce sujet, rapporter la chose dont il s'agit aux pasteurs des âmes ; et dans les rencontres plus importantes et plus difficiles il faut recourir au souverain Pontife ou aux Évêques à qui Jésus-Christ a donné la souveraine puissance de lier, de délier et de dispenser, quand il y a une cause juste de dispense. Et personne ne doit facilement ajouter créance à ressortes de dispenses, si elles ne viennent d'une légitime autorité. Autrement, comme Cajetan l'observe fort bien, ce serait ouvrir une voie aux désobéissances, aux dissolutions et à d'autres excès ; parce que ceux qui auraient reçu ces révélations soutiendraient qu'elles les poussent à ces désordres. Cajetan (2. 2. qu. 174. a. 6.) a dit beaucoup de choses sur ce sujet qu'on peut lire dans ses ouvrages. Et les exemples que nous avons rapportés de l'ancien Testament n'ont rien de contraire à cette précaution que nous recommandons. Car la loi ancienne a été l'ombre de l'avenir (Colos. 2.17.) ; et les Israélites étaient gouvernés par des prophéties et des révélations, et toutes choses, comme dit l'Apôtre, leur arrivaient en figure (1.Cor.10. 11.). Mais dans la loi de Grâce nous ne lisons point qu'il se soit fait aucune révélation par laquelle quelque personne ait été dispensée de la loi commune indépendamment des prélats de l'Église, à qui Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné la puissance de dispenser.

    Il est donc extrêmement sûr de ne croire pas à tout esprit, mais d'être dans la défiance et la crainte, et d'éprouver si les esprits sont de Dieu (1. Jo. 4. 1.), et de ne passer jamais les bornes qu'il a prescrites à la conduite des hommes. Dans l'ancien Testament, Dieu a parlé en diverses manières par ses Prophètes ; mais dans le nouveau il nous a parlé par son Fils qui est son unique Verbe, par lequel il nous a dit et révélé toutes choses que nous avons besoin de savoir. En sorte qu'il n'est pas maintenant nécessaire de recevoir de nouvelles révélations, si ce n'est quelquefois pour savoir comme on se doit conduire dans quelques actions singulières. Quant aux autres choses qui regardent le salut, Notre-Seigneur a dit à ses Apôtres : Je vous ai instruits de tout ce que j'ai appris de mon Père (Joan. 15. 15.).

    C'est pourquoi tous les hommes sages exhortent, d'un commun consentement, les personnes adonnées à l'exercice de l'oraison de ne demander ou de ne désirer jamais de recevoir des révélations de Dieu, mais plutôt de les rejeter, à l'exemple des Saints que nous lisons s'être estimés indignes de recevoir des visions en cette vie, et avoir cru qu'il leur suffisait de pleurer leurs péchés, et de voir Jésus-Christ et les bienheureux esprits dans l'autre vie. C'était pour cela qu'ils détournaient leurs yeux de ce qui leur apparaissait, s'ils n'avaient une entière certitude, par l'onction sainte qui les instruisait, que ces apparitions étaient de Dieu.

    Saint Ambroise (Apud Sur. 19. Junii) raconte que les saints Martyrs Gervais et Protais lui apparurent, et qu'il pria Dieu d'éloigner cette vision, si c'était une illusion des démons, et de rendre cette apparition plus certaine et plus claire, si c'était une vérité. Nous voyons dans les vies des Pères du désert cet important avis (Lib. 5. libel. 15. c. 69.) : Quand même un Ange vous apparaîtrait pour vous faire connaître quelque vérité, vous ne devez point le recevoir, mais vous devez vous humilier en disant : Vivant dans le péché, comme je suis, je ne suis pas digne de voir un Ange. Nos premiers parents méritèrent d'être condamnés à la mort avec toute leur postérité, pour avoir été prompts à croire un démon qui leur assurait une fausseté comme si ç'avait été une vérité qui leur aurait été révélée.

    Il y a du péril soit à rejeter un esprit envoyé de Dieu comme s'il était mauvais, soit à prendre Satan pour un Ange de lumière. C'est pourquoi l'on a besoin de recourir à l'oraison et au conseil d'un père spirituel. Et il faut être tout à fait soigneux de ne désirer jamais ces dons singuliers qui ne procèdent que de la seule volonté de Dieu, et nullement de nos propres efforts ou de notre vertu. Ces désirs viennent de l'orgueil, de vaine curiosité et de manquement de foi. C'est par là, dit saint Augustin (Conf. l. 10. c. 35. n. 4.), qu'il arrive même dans les choses de la religion, que l'on ose tenter Dieu en lui demandant des prodiges et des miracles par le seul désir d'en voir, et non par aucune utilité qui en doive naître. Sainte Catherine de Sienne instruite de Dieu donne un semblable avertissement : Satan, dit-elle (Dial. c. 71.), voyant une âme disposée à désirer ou à recevoir des visions spirituelles, s'efforce de trouver un piège où il la fasse tomber par sa tentation. Et à ce dessein il se transforme en diverses manières dans cette âme. Quelquefois sous la forme de celui qui est la vérité même, c'est-à-dire de Jésus-Christ. Quelquefois il se montre sous la forme d'un Ange, ou de quelques saints, selon qu'il comprend que l'âme doit recevoir plus volontiers sa vision ; et il use de cette conduite pour la surprendre par l'amorce d'un plaisir spirituel. Et si l'âme ne s'élève soigneusement contre cet ennemi par une profonde humilité en méprisant ses visions et ses révélations, s'étant laissé prendre par cette amorce elle demeure en la main de Satan.

    Le bienheureux Jean de la Croix assure (Lib. 2. ascensus Mont. Carm. c. 21. 27.) qu'une âme ne saurait éviter les illusions du démon, si elle n'abhorre les visions et les révélations ; car il est certain qu'il n'y a jamais nulle nécessité de les vouloir ou de les admettre, mais qu'il faut plutôt les rejeter, pour se disposer à l'union que l'on doit avoir avec Dieu en l'aimant. Et c'est ce qu'a voulu signifier Salomon lorsqu'il a dit : Quel besoin l'homme a-t-i1 de chercher des choses qui sont au-dessus de lui (Eccle. 7. 1.) C'est comme s'il avait dit plus clairement : il n'y a nulle nécessité, pour acquérir la perfection, de désirer des choses surnaturelles qui arrivent par une voie inusitée, et de rechercher ce qui surpasse notre capacité. Néanmoins, parce que les voies de Dieu sont diverses, et qu'il tire les uns par les voies ordinaires en les tenant dans les communs exercices de la vertu, et les autres par des voies cachées en les attirant à soi par des visions et des révélations ; afin que personne ne tombe dans les pièges de Satan, en marchant dans une voie qui n'est pas ordinaire, il faut donner des règles pour discerner les vraies révélations de celles qui sont fausses.

    III. C'est une entreprise très difficile. Et pour le faire clairement et avec méthode, autant qu'il se peut, il faut réduire à trois chefs tout ce qui appartient à ce sujet ; savoir à la personne à qui la révélation est faite, à la révélation même, et aux circonstances dont elle est accompagnée. Or il faut donner sur chacune de ces choses quelques règles qui sont nécessaires pour juger équitablement et prudemment de la révélation qui est proposée.

    1. Commençons par la personne à qui la révélation est faite. Il Faut premièrement examiner sa foi, si elle est vraiment catholique, parce qu'il est impossible de plaire à Dieu sans la foi (Heb. 11. 6.). Que si l'on trouve que sa foi soit pure, il faut encore observer si les moeurs sont conformes à la foi, puisque la foi sans les oeuvres est morte (Jac. 2. 26.). C'est pourquoi l'on ne doit point ajouter de créance aux superbes, aux opiniâtres, aux avares, aux charnels, aux colères, aux impatients, aux hypocrites ; ni aussi à ceux qui sont précipités, indiscrets, inconstants dans les exercices spirituels ; ni à ceux qui s'ingèrent dans la charge de Pasteur sans une mission légitime ; ni à ceux qui traînent après eux comme captives des femmes chargées de péchés (2. Tim. 3. 6.), ainsi que faisait autrefois Montan, et comme ont fait d'autres hérésiarques ; ni à ceux qui veulent mettre en crédit des exercices de piété et de pénitence qui sont nouveaux et singuliers, et que les supérieurs n'ont point approuvés ; ni à ceux qui font des démonstrations d'une sainteté affectée ; ni à ceux qui sèment des discordes et des querelles ; ni à ceux qui étant imparfaits et ne faisant que commencer, se vantent témérairement d'être arrivés à une haute perfection ; ni à ceux qui méprisant les conseils des autres, et fuyant adroitement l'examen des supérieurs, se donnent la gloire d'être instruits en toutes choses par le Saint-Esprit ; ni à ceux qui ne pouvant supporter les mépris des autres, haïssent ceux qui n'approuvent pas leur vie et leur conduite ; ni à ceux qui ont de la complaisance en ces révélations dont nous parlons, et qui sont impatients et tristes quand ils en sont privés.

    2. Il faut observer si la personne à qui ces révélations arrivent a une humilité solide et profonde : car la vraie révélation produit la connaissance de sa propre faiblesse et de la misère humaine. Et comme dit saint Macaire d'Égypte (Hom. 10.), l'âme qui aime véritablement Dieu et Jésus-Christ, quoiqu'elle ait fait un très grand nombre d'oeuvres de justice, quoique elle soit digne de recevoir divers dons du Saint-Esprit et des révélations célestes, se conduit néanmoins comme si elle n'avait encore rien fait et n'avait encore rien acquis, à cause de l'amour immense et insatiable qu'elle a de plaire à Dieu. C'est ce qui porta le prophète Isaïe à se reconnaître comme un homme dont les lèvres étaient impures (Isa 6. 5.), après qu'il eut vu le Seigneur assis sur un trône extrêmement élevé. Pareillement le prophète Jérémie, après avoir connu que Dieu l'avait sanctifié, et l'avait choisi pour être prophète, se représenta comme un enfant qui ne savait pas encore parler (Jer. 1. 6.). Les Apôtres, après avoir entendu ce témoignage que le Père éternel rendit du ciel à son Fils : Voilà mon Fils bien-aimé, se prosternèrent le visage contre terre, et furent saisis d'une extrême crainte. (Mat. 17. 5. 6.) Saint Paul, comme observe saint Ambroise (In Ps. 36. 20.), se plaisait dans ses faiblesses, et non pas dans ses révélations. Cet Apôtre raconte qu'il avait eu une révélation il y avait plus de quatorze ans (2. Cor. 12. 2.). Ce qui montre qu'il l'avait tenue cachée sous le silence durant tout ce temps-là, et qu'il n'en aurait point parlé s'il ne l'avait jugé utile pour nous apprendre à ne nous point élever des révélations qui nous peuvent arriver. Car si cet Apôtre ne s'est point élevé d'une si grande grâce, il ne faut point aussi que nous nous en élevions. Si donc quelqu'un s' élevant et devenant superbe par une révélation, se préfère aux autres, s'il donne quelque témoignage d'estime de soi-même, on doit croire qu'il n'a point reçu une vraie révélation, mais seulement une illusion, vu que l'humilité, selon le témoignage de saint Jérôme (Epist. 27. c. 7.), est la première vertu des chrétiens, et est, comme l'enseigne saint Thomas (2. 2. q. 161. art. 5. ad. 2. ), le fondement de toutes les autres vertus, en éloignant de l'âme l'orgueil qui est le vice à qui Dieu résiste davantage. Nous avons reçu l'esprit de Dieu, dit l'Apôtre (1. Cor. 2. 12.), pour connaître les dons qu'il nous a faits : car l'homme n'est point propre à recevoir les grâces de Dieu s'il ne connaît qu'il ne peut rien de lui-même, mais que c'est Dieu qui opère tout ce qu'il y a de bon en nous. Et il est de la sagesse, comme dit le Sage, de savoir de qui l'on en reçoit le don (Sap. 8. 21.). Mais c'est une autre chose que d'avoir de l'orgueil pour une révélation, et d'entre être seulement tenté par Satan après que l'on l'a reçue ; car le premier est une marque d'une fausse révélation ; mais le second ne l'est nullement, principalement si celui que le démon excite à l'orgueil résiste fortement à cet ennemi.

    3. Il faut aussi considérer la constitution du corps de laquelle souvent les moeurs des hommes dépendent. Car la tromperie et l'illusion peuvent arriver plus facilement à ceux qui sont d'un tempérament faible, à ceux dont l'imagination est véhémente et pleine de trouble, à ceux qui abondent en cette bile noire qui a de coutume d'altérer l'imagination, et d'imprimer diverses images dans les sens. Cette bile les trouble jusqu'à faire qu'en veillant même ils se figurent des songes, et s'imaginent de voir et ouïr ce qui n'est nullement présent ni à leurs yeux ni à leurs oreilles. Une longue inanition, des jeûnes fréquents et des veilles immodérées, dont le cerveau est desséché, produisent à cause de la dissipation des esprits, de vains fantômes par lesquels l'âme est trompée et auxquels elle s'attache avec obstination comme à des révélations divines.

    Il importe aussi beaucoup d'examiner et de reconnaître quel est, et quel a été celui qui reçoit les révélations ; s'il est assidûment appliqué à l'exercice des vertus et de l'oraison ; s'il est maître de ses actions, ou s'il est sous l'obéissance d'un supérieur discret, expérimenté et prudent ; s'il a l'esprit bien fait ; s'il est d'un bon naturel ; s'il est modéré dans ses discours, soit que l'on parle des choses de Dieu ou de choses indifférentes ; avec quelle patience il supporte les adversités et les contradictions : s'il divulgue partout les révélations qui lui arrivent, et à quelle fin il en parle ; comment et par qui il a été instruit ; avec quelles personnes il a habitude ; à quels exercices il est accoutumé et à quelles occupations il se plaît ; s'il est pauvre, ou riche, vu qu'il faut craindre la fiction dans les pauvres, et l'ambition dans les riches ; si c'est un vieillard ou un enfant, car les vieillards sont sujets à rêver à cause que les forces de leur esprit sont épuisées, et les enfants, qui ont le cerveau plus humide, peuvent avoir l'imagination facilement émue, et prendre le faux pour le vrai. Il faut aussi craindre que ceux qui commencent ne soient trompés : car une ferveur nouvelle et naissante est sujette à la tromperie, principalement dans les jeunes gens, à cause qu'ils ont trop d'ardeur, que leurs mouvements sont inconstants, et qu'ils ont des impétuosités précipitées et indomptées.

    Il ne faut pas aussi omettre la considération des autres révélations, si quelques-unes ont précédé celle qu'on examine. Il faut tâcher de reconnaître si elles ont été vraies et approuvées par des personnes capables d'en juger, et si le démon n'a jamais trompé ces personnes, ou ne s'est point efforcé de les tromper.

    4. Il faut avoir plus de précaution à l'égard des femmes, dont le sexe doit être d'autant plus suspect qu'il est plus faible. Elles sont d'un tempérament plus humide, et la véhémence de leurs pensées et de leurs affections leur fait imaginer qu'elles voient ce qu'elles désirent. Et ce qui leur vient des agitations de leur esprit qui sont violentes en elles, elles le croient venir de la vérité. Et comme elles ont la raison moins forte que les hommes, il n'est pas difficile à Satan de se servir de leur faiblesse naturelle pour les tromper premièrement elles-mêmes par diverses illusions, et de jeter ensuite d'autres personnes dans des erreurs par leur ministère.

    Saint Augustin raconte une chose fort remarquable de sa sainte mère. Comme elle avait un très grand désir de le retirer de la vie impure où il était plongé, elle pensait continuellement à l'engager au mariage, et désirait que Dieu lui fit connaître sa volonté sur ce sujet par quelque révélation. Elle voyait seulement, dit-il parlant à Dieu (Conf. l. 6. c. 13.), quelques images vaines et fantastiques causées par les efforts continuels de son esprit dans la violente application qu'elle avait à cette pensée. Elle me les racontait avec mépris, et non avec la foi qu'elle avait accoutumé d'ajouter aux choses que vous lui faisiez connaître. Elle ne fut point trompée par ces sortes de visions, à cause qu'ayant la grâce du discernement, elle savait quelle différence elle devait faire entre les révélations de Dieu, et ses songes. Mais à cause que cette grâce n'est pas donnée à tous les hommes, les Supérieurs et les Pasteurs des âmes doivent résister aux révélations prétendues des femmes, et les mépriser, et même les reprendre de la hardiesse qu'elles ont de prétendre à ce qui est au-dessus d'elles. Il faut aussi reconnaître soigneusement quelles sont les moeurs de ces femmes ; si elles aiment à voir le monde ; si elles sont causeuses, vaines, avares, médisantes ; si elles donnent le moindre soupçon contre leur honneur ; si elles s'ingèrent, contre le précepte de l'Apôtre, dans le ministère d'enseigner et de prêcher ; si elles sont modestes et retenues à l'égard de leurs confesseurs et de leurs directeurs ; car si sous prétexte de leurs confessions et de leurs directions elles passent des journées entières à s'entretenir avec eux, et ne font autre chose que de raconter leurs visions et leurs révélations, il n'y a point de peste plus pernicieuse, ni de venin plus incurable. C'est d'où sont arrivées les chutes de très savants hommes, et ce qui a fait tomber plusieurs colonnes de l'Église, comme nous l'apprenons de l'histoire Ecclésiastique en le déplorant. Saint Jérôme fait excellemment remarquer dans sa lettre à Ctésiphon , que toutes les hérésies ont été inventées ou répandues par le moyen des femmes. Simon le magicien, dit ce Père (Adv. Pelag. t. 2.), fit son hérésie par le secours d'une femme débauchée, nommée Hélène. Nicolas d'Antioche, inventeur de toutes sortes d'infamies et d'impuretés, menait après lui des troupes de femmes. Marcion envoya devant lui une femme à Rome, pour préparer les esprits à ses tromperies. Apelles avait toujours avec lui une femme nommée Philomène. Montan, prédicateur d'un esprit impur, corrompit plusieurs Églises, premièrement par les présents de Prisque et de Maximille, qui étaient des femmes de qualité et fort riches, et ensuite il les infecta de son hérésie. Mais je veux omettre les anciens exemples, et passer à ceux qui sont plus proches de notre temps. Arius trompa premièrement la soeur de l'Empereur, pour tromper ensuite tout le monde. Donat se servit par toute l'Afrique des richesses de Lucite pour corrompre, comme par des eaux empoisonnées, ceux qui eurent le malheur de l'écouter. En Espagne Agapé gagna Elpide, je veux dire qu'une femme aveugle tira avec elle un homme aveugle dans le même précipice, et eut pour son successeur Priscillien, qui s'étant tout à fait attaché à la doctrine du magicien Zoroastre, de magicien qu'il était lui-même, était devenu Évêque. Une nommée Galles s'étant jointe à lui, laissa sa soeur, qui était une coureuse, héritière d'une autre hérésie, mais qui approchait de celle de son hérésiarque.

    Je pourrais rapporter encore plusieurs autres exemples des siècles suivants. Mais ce que j'en viens de dire est très suffisant pour apprendre à ceux qui ont entrepris la conduite des âmes à se tenir sur leurs gardes et à ne croire pas facilement les révélations des femmes, excepté celles que l'on aura reconnues, par une longue expérience et un très soigneux examen, être véritablement de Dieu.

    5. Ce fut ainsi que les visions et les révélations de sainte Thérèse furent examinées et approuvées par des hommes éclairés de la science humaine et divine, et dont on eut divers signes et diverses convictions, qu'il est à propos de rapporter ici sommairement ; afin que ceux qui sont occupés à l'examen de semblables choses, s'en puissent servir comme d'une pierre de touche pour examiner les révélations qui se présentent, et discerner le bon esprit du mauvais. Voici donc les marques par
lesquelles on reconnut que sainte Thérèse était conduite par le bon Esprit, et que véritables.

    Elle craignait toujours les illusions de Satan. C'est pourquoi elle ne demanda ni ne désira jamais de visions, mais elle priait plutôt Dieu de la conduire par la voie ordinaires ne désirant autre chose que l'accomplissement de la volonté de Dieu en elle. Le démon ayant accoutumé de commander que l'on ne dise à personne ce qu'il révèle, elle entendait toujours au contraire que l'esprit qui lui apparaissait, lui disait de communiquer ses révélations à des hommes doctes, de crainte qu'elle ne fût séduite en les tenant cachées. C'est pourquoi elle se soumettait toujours à la censure des hommes célèbres qui florissaient alors en Espagne par leur doctrine et leur sainteté, comme furent saint Pierre d'Alcantara, saint François Borgia, Jean d'Avila, Balthazar Alvarez, Dominique Bannès, et quelques autres. Elle obéissait très exactement à ses directeurs ; et après ses visions elle faisait plus de progrès en charité et en humilité. Elle traitait plus volontiers, avec ceux qui étaient moins crédules et plus timides à l'égard de ses visions, et elle aimait davantage ceux de qui elle avait des persécutions à souffrir. Elle avait l'esprit dans une tranquillité souveraine et dans une joie qui surpassait toutes les consolations et toutes les joies du monde. Elle avait un zèle très ardent du salut des âmes. Ses pensées étaient extrêmement pures. Elle avait une grande candeur et un fervent désir de la perfection. Si elle avait quelque imperfection et quelque défaut, celui qui lui parlait intérieurement l'en reprenait toujours. Il lui disait que si elle demandait à Dieu des choses justes, elle les obtiendrait indubitablement; et elle en a beaucoup demandé qu'elle a toujours obtenues. Tous ceux qui communiquaient avec elle se trouvaient excités à la modestie, à la piété, à l'amour de Dieu par ses entretiens, si quelque méchante disposition ne les en empêchait. Ses visions lui arrivaient ordinairement après de longues et de ferventes oraisons ou après la communion ; et elles allumaient dans son coeur un très ardent désir de souffrir pour Dieu. Elle châtiait sa chair par des jeûnes, par des disciplines et par des cilices ; et elle mettait sa joie dans les afflictions, dans les murmures et les maladies qu'elle souffrait. Elle aimait la solitude, fuyant la conversation des hommes et étant dégagée de toute affection des choses de la terre. Elle était toujours la même dans la prospérité et dans l'adversité, et conservait une tranquillité d'esprit toujours égale. Les hommes doctes n'ont jamais rien trouvé dans ses révélations, ni dans les circonstances dont elles ont été accompagnées qui n'ait été conforme aux règles de la foi et de la perfection chrétienne, et il n'y avait rien qu'on y pût reprendre.

    Si l'on observe de pareilles marques de sainteté dans quelques personnes, il ne faut nullement douter que ces révélations ne viennent de Dieu. Il faut encore examiner dans la personne qui reçoit des révélations, si ses actions sont conformes à la lumière dont elle est remplie ; si elle est fidèle aux dispositions de Dieu, et si elle y obéit avec la paix, la joie et la vigilance qui sont nécessaires ; si elle vit de la foi avec simplicité de coeur, et n'est point agitée de divers désirs inutiles ; si elle est constante dans sa voie et dans sa vocation : si toutes ses actions et toutes ses entreprises sont proportionnées et mesurées à l'étendue des grâces qu'elle a reçues, et ne s'étendent point au-delà. Et puisque la grâce et l'amour de la croix vont toujours d'un pas égal, il faut considérer attentivement si cette personne aime et désire véritablement la croix, et si elle a en horreur les lois du monde et les délices des sens.

    IV. Mais il faut passer des personnes aux révélations mêmes, et examiner la qualité des choses qui sont révélées.

    1. Il y faut premièrement considérer la vérité et la conformité qu'elles ont à l'Écriture sainte, aux traditions divines et apostoliques, aux moeurs et aux définitions de l'Église ; puisque l'Apôtre a dit en écrivant aux Galates, qu'il faudrait prononcer anathème, même contre un Ange du ciel, s'il annonçait un Évangile différent de celui que nous avons reçu (C. 1. v. 8.) ; et que le même Apôtre a écrit aux fidèles de Thessalonique : Conservez les traditions que vous avez apprises (2. Th. 2. 14). Or l'autorité de l'Église est infaillible selon le témoignage des Apôtres, qui ont usé de cette manière de décider si pleine d'autorité : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous (Act. 15. 28.). De sorte que s'il se rencontre dans les révélations quelque chose de contraire aux traditions et aux décisions de l'Eglise, il le faut rejeter comme des illusions et des mensonges ; puisque Dieu est la vérité même, et que le Prophète Roi s'écrie en lui parlant : La vérité est le principe de vos paroles (Psal. 118. 160.). C'est pourquoi saint Épiphane soutenait qu'il ne fallait point croire les révélations de Maximille, à cause qu'elles n'étaient pas conformes à l'Écriture sainte.

    Richard de saint Victor parle excellemment sur ce sujet en suivant le même sentiment. J'ai, dit-il (De praepar. ani. ad. cont. c. 81.), pour suspecte toute vérité qui n'est point confirmée par l'autorité de l'Écriture sainte ; et je ne recevrais pas mêmeJesus-Christ dans une démonstration extérieure et sensible de sa gloire, s'il n'était accompagné de Moïse et d'Élie. Si Jésus-Christ m'instruit de quelques choses extérieures ou de ce qui se passe dans mon intérieur, il m'est facile de recevoir sa révélation, parce qu'il s'agit de choses dont je puis reconnaître la vérité par ma propre expérience. Mais lorsque l'âme est élevée à ce qui est plus haut, à cause qu'il s'agit de choses célestes et qui sont profondes et cachées, je ne reçois point Jésus-Christ dans une si haute élévation sans un témoignage qui m'assure que c'est lui ; et nulle révélation, quelque vraisemblable qu'elle soit, ne pourra être entièrement assurée sans le témoignage de Moïse et d'Élie, c'est-à-dire sans l'autorité des Écritures saintes.

    Le Prince des Apôtres a suivi cette règle ; car en racontant la transfiguration de Notre-Seigneur Jésus-Christ et comme on entendit une voix qui venait du Ciel et qui disait : Voici mon Fils bien-aimé dans lequel j'ai mis toute ma complaisance et toute mon affection (2. Pet. 1. 17. 18.), et après avoir témoigné qu'il avait entendu lui-même cette voix comme il était avec Notre-Seigneur sur la montagne sainte, et qu'il avait été lui-même spectateur de sa majesté et de sa gloire, il ne veut pas néanmoins que l'on s'assure de cette révélation qu'autant qu'elle est conforme aux oracle des Prophètes. C'est pourquoi il dit : Nous avons les  paroles des Prophètes dont la certitude est plus affermie, auxquelles vous faites bien de vous arrêter, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur (Ibid. v. 19.) ; car c'est comme s'il disait en termes formels : quoique Dieu le Père ait fait entendre véritablement du Ciel cette voix, néanmoins le témoignage des Prophètes est plus assuré et plus infaillible que toute la science des hommes, et que toutes les visions et les révélations qu'on peut recevoir ; parce que les sens peuvent être trompés, au lieu que l'Écriture sainte ne saurait tromper.

    Mais à cause que les Hérétiques font violence à la parole de Dieu par des interprétations corrompues, afin de prouver leurs mauvais dogmes, il faut prendre soigneusement garde que l'on ne l'explique pas dans un autre sens que celui qui lui est attribué par l'Église, laquelle étant la colonne et l'appui de la vérité (1. Tim. 3. 15.), affermit et assure les hommes dans leur créance par le poids de son autorité ; afin qu'ils ne se laissent point emporter à tous les vents des opinions humaines (Eph. 4. 14.), mais qu'ils discernent le vrai sens de l'Écriture sainte, des sens illégitimes et supposés.

    2. Pour s'assurer qu'une révélation est de Dieu, il faut considérer si elle a les conditions que l'Apôtre saint Jacques attribue à la sagesse qui vient du Ciel. La sagesse, dit-il (Jac. 3. 17.), qui vient d'en haut, est premièrement chaste, c'est-à-dire pure et dégagée de toutes délices charnel et terrestres ; elle est amie de la paix, c'est-à-dire toujours tranquille et éloignée de toute contestation ; elle est modérée, c'est-à-dire composée et modeste dans son extérieur, dans ses actions, dans sa conversation et dans toute sa conduite ; elle est docile, c'est-à-dire elle cède avec facilité au jugement des autres ; elle s'accommode aux gens de bien, c'est-à-dire  elle acquiesce à leurs sentiments ; elle est pleine de miséricorde et de bons fruits, c'est-à-dire de bonnes oeuvres, répandant abondamment ses richesses sur tous les pauvres ; elle ne juge point, comme font plusieurs qui examinent les moeurs et les actions des autres et qui les interprètent sinistrement ; elle n'est point double ni dissimulée, c'est-à-dire elle est exempte d'artifices et de tromperies, et est tout à fait simple et sincère. Voilà les marques et les caractères de la vraie sagesse. Voilà les vertus auxquelles excitent les révélations qui viennent de Dieu. Que si on contraire les révélations que l'on reçoit portent aux querelles, aux contentions, aux soins du siècle, à la vanité, à l'orgueil, à l'opiniâtreté, elles viennent sans doute de la sagesse charnelle et mondaine, qui n'est point capable de ce qui vient de l'Esprit de Dieu, ou elles procèdent d'un esprit malin.

    3. Si la révélation tend à persuader quelque entreprise grande et inusitée, il ne faut pas y ajouter créance aussitôt comme si elle était envoyée de Dieu ; mais il la faut soumettre à l'examen et au jugement des Supérieurs comme l'enseigne Cassien. Il faut, dit-il (Coll. 2. c. 10.), que n'ayant aucune créance à son jugement, on se soumette en toutes choses à celui des Supérieurs, et que l'on reconnaisse, par leur conduite, ce qu'on doit juger être bon ou mauvais. Car quelquefois notre ennemi, qui est plein d'artifices et de ruses, suggère un bien qui paraît plus grand et plus parfait; afin que l'âme étant trompée par la fausse apparence qu'il lui présente, se retire de ce qui est vraiment bon, et s'attache insensiblement à ce qui est mauvais ; étant certain que rien n'est plus contraire au vrai bien qu'une apparence fausse et une imagination d'un plus grand bien. Souvent aussi cet ennemi excite à des biens plus parfaits qui ne conviennent point à la profession propre et à la vocation de la personne à qui il les propose. Ainsi il tâche de persuader une vie solitaire à un homme marié, le commerce du monde à un homme engagé dans la solitude, des jeûnes immodérés à une personne faible et malade, l'amour de la contemplation à un père de famille, en lui faisant quitter le soin des affaires de sa maison. Il en excite d'autres à la compassion vers les pauvres, afin de les pousser à l'avarice, et à l'amour de l'argent par le prétexte de faire largement l'aumône. Il mêle aussi la fausseté et le mal parmi la vérité et la bonté, en exhortant à de bonne actions, et reprenant quelques vices ; afin que s'étant acquis de l'autorité dans l'esprit de ceux qui ne se défient point de lui, il les excite ensuite à ce qui est mauvais, et répande en eux son venin par ses persuasions artificieuses.

    4. Lorsque plusieurs personnes reçoivent sur une même chose des révélations diverses, et opposées les unes aux autres, il se peut faire que l'une soit vraie et l'autre fausse, le démon s'efforçant de détruire la première qui est véritable par la suivante qui est fausse. Pour l'ordinaire néanmoins ces sortes de révélations sont les unes et les autres suspectes et douteuses, et doivent par conséquent être examinées avec plus de soin.

    On doit aussi tenir une révélation pour fausse ou du moins pour suspecte, lorsque les choses qui sont révélées ne regardent point la gloire de Dieu, ou le salut des hommes ; lorsqu'une personne est remplie de lumière et de splendeur à la vue des autres, si elle n'est vraiment humble et d'une sainteté éprouvée depuis longtemps ;
lorsque la révélation découvre les péchés secrets de quelqu'un qu'il ne sert de rien de savoir, principalement si l'on est poussé à les divulguer. Que si on les découvre à quelqu'un pour l'engager à la correction d'un pécheur, il faut surseoir néanmoins et différer la correction jusqu'à ce qu'on ait reconnu de quel esprit vient ce mouvement. Mais parce que Dieu a de coutume de ne révéler que des choses qui surpassent la connaissance des hommes, une révélation devient suspecte, comme n'étant point nécessaire et étant superflue, lorsqu'elle ne révèle que ce qui pouvait être connu par une intelligence humaine.

    Enfin quand il s'agit de révélations de l'avenir, dont la vérité dépend des événements, il faut remarquer une règle que nous avons déjà donnée, et que l'on tire de saint Thomas (2. 2. q. 171. art. 6. ad 2.), savoir qu'une révélation peut être vraie, encore qu'elle ne soit suivie d'aucun effet. Car outre la raison que nous avons marquée en rapportant cette règle (C. 17. §. 5. n. 1.), l'événement de la chose qui nous est révélée est quelquefois entendu de bien d'une autre manière qu'elle n'est entendue par nous. De sorte que si nous ne voulons point être trompés, on ne doit avoir nul égard à la façon de parler des hommes. Plusieurs choses ont été prédites de Jésus-Christ et de son règne par les prophètes, selon la révélation qu'ils en avaient reçue de Dieu, lesquelles étaient entendues par les juifs charnels du royaume temporel du Messie, quoiqu'elles n'aient été écrites que pour être entendues de son royaume spirituel et éternel. On peut lire sur ce sujet le traité du chemin pour monter au mont Carmel du B. Jean de la Croix, où il en parle fort amplement (L. 2. 19. et 20.).

    Saint Bonaventure enseigne aussi qu'il est assez ordinaire à des gens de piété d'être trompés par de prétendues révélations. Car souvent priant par l'inspiration de Dieu pour le succès d'une affaire, la confiance qu'ils conçoivent d'obtenir ce qu'ils demandent, leur fait imaginer qu'ils sont exaucés ; et ils pensent que ce qu'ils disent par la confiance en leur propre sentiment, vient de l'esprit de Dieu ; en quoi ils sont trompés, assurant le faux pour le vrai et l'incertain pour le certain.

    5. Saint François de Sales (Liv. 2. let. 23.) enseigne que les révélations doivent être suspectes par cette seule circonstance qu'elles sont fréquentes, principalement lorsqu'elles contiennent des choses qui n'ont accoutumé d'être manifestées que rarement, et qu'il n'est pas expédient de savoir, comme sont l'assurance du salut, la confirmation en grâce, le degré de sainteté auquel une personne est parvenue, et d'autres choses de ce genre.

    Une femme de qualité avait demandé à saint Grégoire-le-Grand une révélation de cette sorte. Et ce saint Pape la reprend de sa curiosité en ces termes (Ep. 22. 1. 6.) : Quant à ce que vous avez ajouté dans votre lettre, que vous me seriez importune jusqu'à ce que je vous ai écrit que j'ai reçu révélation que vos péchés ont été remis, vous me demandez une chose difficile et inutile ; difficile, parce que je suis indigne que Dieu me révèle quoi que ce soit ; inutile, parce qu'il ne nous est pas expédient d'avoir assurance de la rémission de vos péchés, sinon lorsque vous n'aurez plus la puissance de les pleurer, ce qui ne sera que dans le dernier jour de votre vie. Et jusqu'à ce que cette dernière heure vienne, vous devez craindre les fautes que vous avez commises, ayant toujours votre pénitence pour suspecte, et craignant toujours ; et vous devez tous les jours vous laver de vos péchés par vos larmes. Saint Paul (2. Cor. 12. 2, 3, 4.) étant assuré d'être monté jusqu'au troisième ciel, d'avoir été conduit dans le paradis, d'avoir entendu des choses qu'il n'est pas permis à un homme de raconter, ne laissait pas néanmoins de dire en tremblant : je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu'ayant prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même (1. Cor. 9. 27.). Celui qui avait été élevé jusque dans le ciel, craint encore, et une personne qui vit encore sur la terre, ne voudra-t-elle donc point craindre ? Considérez, ma très chère fille, que l'assurance a de coutume de produire la négligence, vous ne devez donc point la chercher en cette vie.

    C'est encore une hardiesse fort périlleuse que de faire promettre à un ami qu'il fera connaître l'état où il sera après sa mort, car c'est donner une entrée aux illusions ; et ceux qui font entre eux de ces sortes d'engagements, se peuvent à peine justifier d'un manquement de foi, et d'une vaine curiosité. C'est pourquoi il est beaucoup meilleur de marcher simplement dans la foi, et de travailler à son propre salut avec crainte et avec tremblement (Phil. 2. 12.).

    V. Il faut considérer en dernier lieu quelles sont les circonstances des révélations ; car elles demandent un examen particulier et exact.

    I. Les révélations qui viennent de Satan, sont accompagnées de beaucoup de discours et de raisonnements pour persuader qu'elles sont véritables. Elles inspirent ainsi un très grand désir de les répandre et de les publier. Mais quand elles sont véritablement de Dieu, celui qui les reçoit, les cache sous le silence, et ne les découvre que fort humblement à son seul confesseur, dont il croit et suit les avis sans se rien attribuer, et sans rien discerner ni rien décider de ce qui se passe en lui. Nous lisons que de saints hommes n'ont jamais découvert leurs révélations aux autres, si la charité ne le demandait, ou si le commandement du supérieur ne les pressait de le faire.

    C'est une marque de l'esprit de Dieu de s'abstenir de toutes les choses qui rendent un homme remarquable, de parler de soi modestement, de n'user point de ces paroles pleines d'arrogance : Dieu m'a dit telle chose, Dieu m'a révélé telle chose. Et afin que personne ne soit trompé, c'est un très bon conseil d'observer quelle est la fin par laquelle on est porté à publier les révélations qu'on prétend avoir reçues ; si ce n'est point par légèreté ou par vanité ; si c'est pour sa propre utilité, ou pour l'utilité d'autrui ; si c'est pour le bien d'une seule personne ou de plusieurs ; s'il y paraît quelque marque de cupidité, d'avarice ou de propre estime ; quels termes on emploie pour les raconter, c'est-à-dire si l'on s'en explique humblement et avec quelque honte, ou avec enflure et inconsidération ; si c'est en peu de paroles ou avec de longs discours. Il faut aussi examiner ce que sainte Thérèse a enseigné : qu'on ne doit ajouter aucune foi aux choses qui sont révélées, précisément par la raison qu'elles sont révélées, mais que si elles appartiennent à la foi c'est à cause de cette foi qu'on les doit croire. S'il est commandé quelque chose dans ces révélations, il en faut rendre compte au supérieur, et ne l'accomplir que par obéissance ensuite de son commandement. Celui qui marche par cette voie ne s'égarera jamais.

    2. Lorsque Dieu révèle quelque chose, il ne parle point d'une manière humaine, en disant les paroles les unes après les autres ; mais il fait entendre en un moment tout à la fois plusieurs pensées, tout de même que lorsque des gens experts à compter paient des sommes, ils ne comptent pas les espèces les unes après les autres, mais ils en jettent sur une table plusieurs à la fois. Sainte Brigitte (Reg. c. 29.) témoigna que ce fut en cette manière que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui révéla la règle qu'elle a écrite, laquelle étant assez étendue lui fut néanmoins dictée en très peu de temps ; en sorte qu'elle n'a pu raconter ni personne comprendre comment tant de paroles ont pu être proférées ou reçues en si peu de temps. St. Grégoire-le-Grand traite dans ses Morales de cette admirable façon de parler de Dieu, disant entre autres choses (L. 28. c. 7.) : Lorsque Dieu parle par lui-même, il instruit le coeur de sa parole sans employer de parole extérieure ni de syllabe. C'est un langage qui ne fait point de bruit, qui ouvre les oreilles, et qui ne fait point entendre de son.

    3. Il faut examiner quel est l'abord de la révélation ; si elle cause de l'émotion et du trouble ; si elle fait agir avec ardeur et avec inquiétude, ou si elle arrive paisiblement et tranquillement ; si elle donne de la joie au commencement qui se convertisse aussitôt en tristesse, ou si elle donne plutôt au commencement de l'horreur qui se dissipe peu à peu, et qui se termine en joie : car l'un est l'effet d'une révélation vraie, et l'autre d'une fausse. Que si au commencement ou dans le progrès la personne qui reçoit la révélation tombe par terre, comme nous avons vu qu'il est arrivé quelquefois, et est agitée de mouvements extraordinaires où il paraisse quelque chose d'indécent et qui offense les yeux des assistants, il ne faut nullement douter que cette révélation ne soit de Satan. Mais ceux à qui le démon apparait, peuvent à peine éviter quelque mal et quelque incommodité, et du moins on remarque quelque chose d'horrible dans leur visage.

    Il faut aussi avoir égard au lieu où la révélation arrive, parce que Dieu découvre ses secrets à l'âme qui est séparée du commerce des hommes. C'est pourquoi l'on doit tenir pour suspectes les révélations qui arrivent dans des lieux publics, ainsi que nous l'avons observé des extases. Il faut aussi examiner les pensées qui ont précédé et qui accompagnent la révélation ; parce que le Saint-Esprit ne vient point dans un homme dont l'esprit est occupé de choses mauvaises. Enfin on doit considérer les effets de la révélation ; car les choses fausses ont toujours un mauvais succès.

    4. La lumière que Dieu répand dans l'âme doit faire connaître la certitude de ses révélations et des choses qu'il révèle, tout de même que la lumière naturelle fait connaître les premiers principes des sciences dont on tire des conclusions. Car ainsi que la voix en même temps manifeste et elle-même, et celui qui parle, et la chose qu'elle signifie ; de même cette lumière céleste ne fait pas seulement connaître Dieu qui révèle, et les choses qui sont révélées, mais se fait aussi connaître elle-même. Car c'est son office propre que d'éclairer l'âme pour la rendre certaine que c'est Dieu qui parle : ce qui étant supposé, il s'ensuit nécessairement que les choses qui sont révélées, sont véritables et infaillibles. Ce fut cette lumière qui éclaira l'âme d'Abraham, lorsqu'il témoigna qu'il était tout prêt d'immoler son fils, sans douter en aucune sorte que c'était Dieu qui lui avait commandé de l'adorer par cette victime. Et Samson ne se tua avec ses ennemis sous les ruines de la maison dont il renversa les colonnes, qu'à causa qu'il connut évidemment, par la lumière divine dont il fut rempli, que cette action serait agréable à Dieu. Ainsi de saintes Vierges se sont jetées involontairement dans les flammes pour rendre témoignage de leur foi, à cause que Dieu les y a poussées, et qu'il a assez éclairé leur âme pour leur faire connaître sa volonté dans ces occasions si singulières et si uniques. Car il n'est pas permis d'avoir une autre pensée de ces saintes personnes dont l'Église catholique honore le martyre par un culte public. Néanmoins parce que cette lumière si infaillible et si nette n'accompagne pas toujours les révélations divines, c'est un sage conseil de s'en rapporter à un supérieur qui reconnaisse, par les règles que nous avons marquées, si le commandement de Dieu n'est mêlé d'aucune incertitude, comme saint Augustin en avertit sagement (De Civ. D. 1. 1. c. 26.).

    5. Les révélations véritables et divines font toujours faire plus de progrès à l'âme dans la connaissance de la vérité et dans la doctrine et la science des Saint. C'est pourquoi il faut observer si les paroles d'un homme après la révélation ressentent une sagesse céleste, ou cette sagesse terrestre qui est une folie devant Dieu. Car il est écrit dans la parole de Dieu (Eccli. 27. 7.) : Comme le fruit d'un arbre montre quel soin l'on a eu de le cultiver, ainsi la parole produite par la pensée montre quel est le coeur de l'homme. Ne loues point un homme avant qu'il ait parlé, car c'est par la parole qu'on l'éprouve. La bouche parle de l'abondance du coeur ; et un homme de bien tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et un méchant en tire de mauvaises de son mauvais trésor (Mat. 12. 34. 35.) : C'est par ces marques que l'on discerne l'esprit dont la parole procède : Car un homme de bien n'avance qu'une doctrine saine, et tous ses discours se rapportent à la loi de Dieu. il met un frein à sa bouche en prenant soigneusement garde à ne pécher point dans ses discours. Il est prompt à écouter et lent à parler (Jac. 1. 19.) discernant quel est le temps de parler, et quel est le temps de se taire (Eccle. 3. 7.). Ses discours sont assaisonnés du sel de la sagesse, en sorte que ceux qui l'écoutent disent avoir des sentiments de compoction : Cet homme est véritablement un enfant de Dieu (Marc. 15. 39.).

    Mais un méchant homme fait des discours vagues et incertains, ayant l'âme pleine de fantômes, d'obscurités et d'incertitudes. Il emploie des expressions grandes, magnifiques, inusitées, pour attirer la louange et l'admiration de ceux qui l'écoutent. Il n'a point de modération, et ne peut retenir sa langue dans les termes que la droite raison prescrit. Son discours est éloigné de la doctrine commune des saints Pères. Il embrasse les nouvelles découvertes, ne cessant point de vanter ses révélations comme célestes, ainsi que faisait autreois le très docte, mais le très malheureux Tertullien.

    Mai parce que les dons de Dieu par lesquels le Saint Esprit éclaire une âme qui est détachée de toutes choses et qui n'est attachée qu'à Dieu seul, sont quelquefois très haut et très ineffables, en sorte que l'âme même qui les reçoit, ne saurait qu'à peine les comprendre et beaucoup moins les expliquer par des paroles, il faut prendre soigneusement garde qu'en nous efforçant de nous tirer d'un péril nous ne tombions pas dans un autre plus grand. Car la hauteur des dons célestes surpasse souvent la force et la signification de tous les termes que les hommes ont institués pour exprimer leurs pensées. Si quelqu'un veut faire connaître à son directeur quels sont les dons singuliers qu'il a reçus de Dieu, la langue ne saurait suffire à la pensée. C'est pourquoi il est nécessaire d'inventer de nouveaux termes et de nouvelles expressions pour faire connaître ces dons. Les hommes charnels n'entendant point ce langage, ont accoutumé de le condamner comme plein d'erreur par un jugement précipité. C'est de cette sorte que quelques personnes condamnent la Théologie mystique, comme si elle contenait des termes obscurs, horribles, inouïs, inintelligibles, et différents de la doctrine des Philosophes et des Théologiens, ou qu'ils s'en moquent comme de choses frivoles, ou s'imaginent que cette Théologie n'est point différente des erreurs des Begardes et des Illuminés condamnés il y a longtemps.

    Il faudrait un volume entier pour défendre la théologie mystique contre les erreurs des ignorants ; et nous en traiterons peut-être ailleurs, Dieu aidant. Cependant nous avertissons qu'on ne doit point prendre sujet de cela d'attribuer des erreurs ou des illusions à personne, si les marques d'une vie sainte et d'une véritable révélation que nous avons rapportées se rencontrent avec un langage mystique.

    Cette Théologie mystique doit avoir ses termes, comme en ont tous les arts et toutes les sciences. Et puisqu'elle est entièrement surnaturelle, son principe, sa fin, et ses moyens et ses voies pour tendre à sa fin, et pareillement ses termes et ses expressions surpassent l'ordre et les forces de la nature, et le langage de la sagesse humaine.

    Mais il est temps de finir ce livre, en rendant grâces au Dieu Eternel, vivant, et vrai, duquel, par lequel, et dans lequel sont toutes choses. Qu'il reçoive gloire dans l'éternité. Amen.