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Biographie de Sédir
par Émile Besson, publiée en 1971.

L'Homme

        Le 3 février 1926 s'éteignait à Paris une des voix les plus prestigieuses et les plus émouvantes qu'il ait été donné d'entendre ; une voix qui a versé dans le coeur de très nombreux êtres la consolation, la certitude, la paix : la voix de Sédir.

« Une voix, disait le poète Théophile Briant, qui s'était consacrée depuis des années à la diffusion de l'Evangile et qui nous mettait en garde contre les prostitutions multipliées de la Parole. »  « La dette de notre temps, disait Sédir, sera lourde, où tant de prose malsaine s'imprime, où tant de paroles néfastes et vides sont lancées du haut des tribunes et des planches. »

 « Le silence, écrivait-il en 1923, n'est pas le non-parler ; il est un acte positif, une force affirmative, il est un génie, il est un dieu, il est un royaume occulte, et il progresse, comme toute créature, entre deux conseillers, un ange de Lumière et un ange deTénèbres.»

 « Tout parle dans l'Univers, mais aussi  tout écoute ; communément on cherche à savoir ce que  les créatures disent, mais les sages s'inquiètent plutôt de  connaître ce qu'elles taisent.

 « Si le monde des sons contient la  nourriture intellectuelle de notre esprit, le monde du silence est celui du mystère, le lieu des réserves idéales, le royaume originel du Vrai, du Beau et du Bien. Les portes en sont étroites et on ne les trouve qu'après avoir  longtemps erré dans les broussailles de la parole. Il faut avoir expérimenté la justesse du proverbe  persan : Le mot que tu retiens est ton esclave ; celui qui t'échappe est ton maître. Qui peut prévoir les conséquences d'une parole ? La parole est entre deux silences comme le temps entre deux éternités, comme l'espace entre deux infinis. Parler, c'est semer ; mais dans le silence se célèbrent les mystères ; les dieux y labourent les âmes. »

   Paul Sédir, de son vrai nom Yvon Le Loup,  naquit à Dinan le 2 janvier 1871. Il était le fils d'Hippolyte Le Loup et de son épouse Séraphine Foeller, de  Neustadt, près de Fulda (Hesse-Nassau).

 Il ne resta pas longtemps dans sa Bretagne  natale ; la plus grande partie de son enfance se déroula à Paris, d'abord dans le quartier des Batignolles, puis au  4, avenue de l'Opéra.

 La vie de Sédir a été humilité et  effacement. Celui qui écrit ces lignes a vécu pendant vingt ans  auprès de lui, et les douze dernières de ces années dans une  intimité quotidienne. Il peut s'en porter  garant.

 Disons tout de suite que ce qui nous a attirés, si nombreux, ce qui nous a attachés à lui, c'est assurément l'envergure de son esprit, la noblesse de ses sentiments, l'affabilité de son accueil, son rayonnement, mais c'est par-dessus tout sa sincérité. Sédir a vécu ce qu'il a enseigné ; il a donné lui-même, dans la plus profonde simplicité, l'exemple des vertus dont il faisait resplendir la lumière aux   regards de ses auditeurs et de ses lecteurs. En lui la parole et l'action ont formé une magnifique unité ; il a été, dans toute la vérité et toute la grandeur de ce mot, un serviteur du Christ.

 Et c'est pour cela que ses paroles avaient une telle résonance. Un simple mot sorti de sa bouche vous bouleversait jusqu'au tréfonds, parce qu'il était un jaillissement de son coeur, l'expression d'une réalité spirituelle non pas seulement comprise, mais vécue. Auprès de lui on se sentait en sécurité, surtout on se sentait meilleur ; tout  devenait clair et simple, et le courage vous   venait de travailler, de supporter, d'aller de l'avant.

   * * *

    Dès ses débuts il connut la peine : la situation matérielle difficile de ses parents ; pour lui, une tuberculose latente accentuée par les privations, une fracture de la  jambe, le mal de Pott.

 Étant enfant, il aurait aimé être berger. Il était dit qu'il mènerait, pour reprendre la parole de Péguy, « un bien autre troupeau à la droite du Père  ».

 Plus tard, il eut un désir différent  quoique voisin. Il avait toujours été adroit de ses mains et il a souvent dit à ses proches qu'il aurait rêvé d'être «  bricoleur ».

 Sa mère nous a raconté qu'en 1882 il  fut possible de lui faire donner des leçons de violon et qu'il jouait assez bien. Elle nous a également dit que tout enfant il a eu une très belle écriture qu'il a conservée toute sa vie.

 Il apprit le catéchisme en l'église Saint-Augustin. Il commença presque tout seul ses études primaires à l'école des François-Bourgeois, où enseignaient les frères de la Doctrine chrétienne. Le 10 juillet 1883 il obtint le certificat d'études supérieures ; puis, en août 1888, le baccalauréat de l'enseignement secondaire spécial.

 Une malencontreuse chute lui fractura une  seconde fois la jambe. Lors de son immobilisation, il lut beaucoup et commenta les Pères de l'Église. Et il cultiva  le dessin avec amour.

 A cette époque, le jeune Le Loup se préoccupa de se faire une situation. Il avait obtenu une place d'employé dans une administration. Un vieil ami de la maison, qui avait un poste à la Banque de France, l'aida a se présenter au concours d'entrée. Le Loup entra à la Banque de France le 28 octobre 1892 comme « agent auxiliaire » et il resta vingt ans dans le même service des « Dépôts de titres ».

 Il disposait d'une heure un quart pour le  repas de midi. Sa promenade constante fut les quais de la Seine où il furetait dans les boites des bouquinistes. Immenses satisfactions pour son esprit, mais travail aride pour mettre en ordre les connaissances éparses.

   * * *

    Il y avait environ deux ans que Sédir étudiait l'ésotérisme par ses propres moyens, sans autre guide que la lumière intérieure, sans autres adjuvants que son  intelligence, sa faculté d'observation, sa puissance de travail et les livres que son budget, plus que modeste, lui permettait d'acquérir. C'est alors qu'il décida de se mettre en rapport avec ceux qui représentaient à Paris le courant d'idées dont il avait, seul, abordé l'étude.

 Aux environs de 1888, Lucien Chamuel, qui  devait éditer les premiers ouvrages de notre ami, avait fondé avec Papus (le docteur Gérard Encausse) la «  Librairie du Merveilleux ». Cette maison d'édition (salle de conférences et librairie), située 29, rue de Trévise, était alors le rendez-vous de ceux qui s'intéressaient à l'hermétisme.

 C'est là qu'à la fin de 1889 Yvon Le Loup se présenta. Et voici comment un assistant raconte cette première entrevue :
 « Je me trouvais un soir dans la fameuse  boutique de la rue de Trévise où régnait le bon Chamuel, quand se présenta un jeune homme mince et lent qui  déclara à brûle-pourpoint :
 « — Voilà ! je veux faire de  l'occultisme.
 «  A l'aspect gauche et non dégrossi de l'arrivant, je ne pus m'empêcher de rire. La suite me montra combien j'avais tort. Papus, qui savait utiliser les hommes, ne rit pas. Il dit :
 « —  C'est très bien, mon garçon. Venez chez moi dimanche matin.
 « Et, ce dimanche-là, Papus confia au néophyte le soin de tenir en ordre la précieuse bibliothèque qu'il se constituait.
 « Ainsi débuta dans les hautes études le gars breton qui se nommait Yvon Le Loup. »

 A cette époque, Papus — de six ans et demi plus âgé que Sédir — avait déjà publié le Traité élémentaire de sciences Occultes et il  préparait son remarquable Essai de philosophie synthétique. Il avait fondé, en 1888, la revue L'Initiation et, en 1890, Le Voile d'Isis, consacré surtout au côté  ésotérique de l'occultisme. Il avait également constitué un groupement d'étudiants occultistes qui se réunira plus tard 4, rue de Savoie, d'abord sous le nom de «  Groupe indépendant d'Etudes ésotériques », puis qui s'intitula « Université libre des  hautes Etudes », avec ce sous-titre : « Faculté des Sciences hermétiques ». Papus s'était classé d'emblée  comme un animateur hors pair. Sa haute silhouette, sa carrure qu'une obésité précoce alourdissait un peu, sa face puissante et léonine, son regard incisif, lumineux et fin, voilé parfois de rêverie profonde, son nez large aux narines mobiles, sa bouche où se lisait la bonté, son front vaste et d'un beau modelé faisaient de lui un type d'homme remarquable, taillé pour le combat.

 En face de Papus bouillonnant on voyait, dans  cette retraite de la rue de Trévise où le jeune Le Loup faisait son entrée, Lucien Chamuel calme, accueillant, mettant à la disposition de ces adolescents épris de science, grands remueurs d'idées, les conseils de son expérience de réalisateur, les trésors de ses connaissances théoriques et  pratiques. Il savait canaliser les enthousiasmes de ceux qui voulaient se faire imprimer avant d'avoir vraiment quelque chose à dire ; fournissant lui-même un labeur acharné, il avait autorité pour mettre ses camarades en garde contre les improvisations et leur conseiller le travail en profondeur. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Erudit sans vanité, s'y connaissant en hommes, il pouvait suggérer à celui-ci  une étude, redresser un point faible dans l'ouvrage de celui-là, orienter un autre vers le genre de travaux pour lequel il  avait des aptitudes. Il témoigna   immédiatement une grande amitié à Sédir. C'est lui, plus  tard, lorsque sa maison d'édition fut transférée au 5 de la rue de Savoie, qui édita, de 1894 à 1898, les premiers articles, les tout premiers ouvrages de notre ami.

       * * * 

 Possédant une mémoire prodigieuse, un  sens critique très aigu, une rare intuition, Sédir lut et assimila un nombre considérable d'ouvrages, la plus grande part  traitant de philosophie, de symbolisme, d'ésotérisme, tout en se créant une culture générale des plus complètes. Il nous a dit les exercices, véritables tours de force, auxquels il s'est livré pour se former un style. Par-dessus tout, se   sachant porteur d'un message d'une sublimité unique, il voulut que la forme de son récit fût aussi digne que possible de la communication qu'il avait à faire, et en vérité le style de Sédir est d'une particulière élévation. Surtout il parle au coeur, il  éveille en son lecteur le désir du plus élevé, du meilleur qui sommeille au fond de l'être, il montre la voie vers  l'idéal, la voie austère mais si attirante suivie par les êtres privilégiés que le Christ a désignés comme « le sel de la terre » et « la lumière du monde ».

 Non seulement Papus ouvrit à Sédir les trésors de sa bibliothèque, mais il le mit en rapport avec les chefs du mouvement occultiste d'alors, notamment avec Stanislas de Guaita. Une intimité véritable se noua entre eux et Sédir fut très vite un  habitué des soirées que Guaita donnait dans son appartement de l'avenue Trudaine et où se rencontrait l'élite des amateurs de hautes sciences. Guaita possédait une immense bibliothèque qu'il mit à la disposition de son jeune ami, et Sédir, après ses journées de travail à la Banque de France, venait poursuivre ses études chez Guaita. Très souvent il passait la nuit entière dans la lecture et la méditation.

 Sédir fut immédiatement un des collaborateurs de L'Initiation où il publia, en octobre 1890, sous la signature Yvon Le Loup, son premier article intitulé : «  Expériences d'occultisme pratique. » C'est dans L'Initiation d'octobre 1891 que le nom de Sédir apparaît pour la première fois ; notre ami l'avait trouvé dans Le Crocodile, de Louis-Claude de Saint-Martin. Le 6 mai 1891, Le Voile d'Isis avait aussi annoncé sa collaboration.

 Sédir, anagramme de « désir ». Désir de Dieu, désir inextinguible de l'Absolu, du Permanent par dessus et par-delà l'existence quotidienne qu'il magnifie, désir d'un service toujours plus total, toujours plus parfait du prochain pour l'amour du Christ. Désir qui  fut pour toujours l'aiguillon de son âme, l'inspiration de ses efforts.

 Papus se l'adjoignait comme conférencier à sa « Société des Conférences spiritualistes », puis il lui confia un cours à sa « Faculté des Sciences  hermétiques » qui venait de s'installer 13, rue Séguier.

Sédir collabora à un très grand nombre de publications dont nous donnons la liste en appendice.

   * * * 

    Papus introduisit également Sédir dans  les cercles d'occultistes auxquels appartenaient alors,   entre autres, Paul Adam, F.-Ch. Barlet, F.-R. Gaboriau, Emile Gary de  Lacroze, Julien Lejay, Jules   Lermina, Victor-Emile Michelet, René Philipon. Sédir pouvait aussi  apercevoir Verlaine dans   certaines tavernes du Quartier Latin.

 C'était le temps où Guaita avait  entrepris la rénovation de l'Ordre rosicrucien et où Papus avait fondé l'Ordre martiniste. Yvon Le Loup s'affilia à ces deux associations et y acquit les différents grades. Dans l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, il devint docteur en Kabbale et, dans L'ordre martiniste, il fut membre   du suprême Conseil.

 Par l'entremise de Barlet, il devînt  membre de l'H. B. of L. (Hermetic Brotherhood of Luxor) dont Barlet était le représentant officiel pour la France. Cette association prétendait se rattacher à une tradition spécifiquement occidentale.

 Plus tard Le Loup s'inféoda au gnosticisme et fut consacré, sous le nom de T Paul, évêque de Concorezzo dans l'Église gnostique de Doinel. Par la suite, Marc Haven le fit entrer dans la « F. T. L. » dont il était un des fondateurs.

 Avec Philipon il rénova la Maçonnerie de Mizraïm. Et il fut membre du Conseil de la Société alchimique de France, de Jollivet-Castelot.

 Villiers de l'Isle-Adam, Barbey d'Aurevilly, Flaubert, Balzac, Péladan devinrent d'autres initiateurs.

   * * * 

    La magie pratique l'intéressait beaucoup. Chamuel raconte que Sédir avait à sa disposition des forces extraordinaires. « Un dimanche matin, nous avions fait une promenade à pied dans la vallée de Chevreuse. Le ciel s'assombrissait ; de gros nuages d'orage s'assemblaient. Sédir me proposa une expérience sur la possibilité de changer le temps par un moyen magique, de chasser en   peu d'instants les nuages, de sorte qu'on puisse voir à nouveau  l'azur du ciel. Après exactement cinq   minutes de concentration silencieuse, il me pria de lever les yeux et, en effet, au-dessus de nos têtes, on pouvait voir dans le ciel une échancrure bleue. »

 Une autre fois, en Vendée, Sédir fit  transformer l'aboiement furieux d'un chien en ces gémissements que l'on nomme « l'appel de la mort ».

 Dans le domaine moins obscur des recherches alchimiques il lui fut permis de retrouver les bases du « Grand Oeuvre ». Il ne réalisa pas l'or philosophal,  mais il prépara la poudre de projection   et un élixir aux propriétés puissantes.

 Au 4 de la rue de Savoie il avait constitué un laboratoire magique où seul un petit nombre d'amis éprouvés avaient accès. Mais rien ne transparut de ces travaux.

   * * * 

  Sédir devint très rapidement un maître dans le cénacle dont Papus était l'animateur. Titulaire de grades élevés dans les diverses organisations occultes d'alors, son influence était très grande. D'un dévouement sans limites, d'un zèle infatigable, il recevait ceux qui, attirés par les ouvrages de Papus ou par sa revue, demandaient conseils ou directions. Il les voyait, leur écrivait, et sa   correspondance se répandit dans le nouveau comme dans l'ancien  continent.

Les premières oeuvres

    Vers ce temps-là, Sédir s'était  installé à Montmartre ; d'abord, pendant peu de temps, 3, rue d'Orchampt, puis 14, rue Girardon, au haut de la butte.

 Montmartre était alors le quartier  vraiment original, le plus vivant de Paris. C'était un grand village indépendant de la ville et ceux qui y vivaient avaient un esprit bien à eux. Vers l'époque ou Sédir y monta, Pierre Louys écrivait : «Nous possédons en  plein Paris un hameau à peu près inconnu... qui est à lui seul toute la paix des champs dominant la bataille des villes ». « La Mecque des artistes », ajoutait Francis Carco.

 Entre 1894 et 1906, Sédir publia les premières traductions en français d'auteurs mystiques tels que Jacob Boehme, Gichtel, Jeanne Leade, William Law ; des préfaces à des rééditions ou à des traductions d'écrivains tels que Louis-Claude de Saint-Martin, Fabre  d'Olivet, Isaac Loriah, Salzmann ; enfin des ouvrages personnels où il expose quelques-uns des résultats de ses savantes recherches.

 Nous donnons à la fin de cet ouvrage la  liste complète de ces livres, édités pour la plupart par Chamuel, Beaudelot, puis Chacornac, livres épuisés depuis  longtemps et aujourd'hui introuvables, sauf parfois sur quelque rayon de bouquiniste.

 Le premier fut la traduction de l'anglais, avec une préface, du Messager céleste de  la paix universelle, de Jeanne Leade, qui avait fondé la communauté des Philadelphes. Mentionnons aussi, entre autres : en collaboration avec Papus, un Almanach du Magiste, qui parut de 1894 à 1899.

 Ses travaux sur Jacob Boehme, qui ont rendu  accessible aux lecteurs français le précurseur, jusqu'alors méconnu, du mysticisme au XVIIIe siècle : Les Tempéraments et la Culture psychique d'après Jacob Boehme, données de mysticisme pratique ; une étude  sur Le Bienheureux Jacob Boehme, relation véridique de sa vie et de sa mort, de ses ouvrages et de sa doctrine (tirage à part de L’Hyperchimie de  Jollivet-Castelot) ; la traduction de De signatura rerum ; enfin une préface à L'Election de la Grâce.

 Les Miroirs magiques, où il traite du miroir magique comme auxiliaire de la divination et de la voyance.

 Les Incantations, ou comment on devient enchanteur, ouvrage dans lequel  il donne une longue liste de mantrams, c'est-à-dire de paroles et de sentences sacrées par quoi les Hindous essayaient, avec l'aide de puissances invisibles, d'obtenir la  maîtrise sur la nature et sur les hommes.

 La Création, théories ésotériques, où Sédir oppose les traditions ésotériques de l'Occident aux doctrines de la philosophie hindoue et aux théories des bouddhistes.

 Dans le recueil « Les Sciences maudites », dirigé par Jollivet-Castelot, Paul Ferniot et Paul Redonnel (La Maison d'Art - 1900) Sédir publia un essai sur La Cabbale, puis une étude sur La Médecine occulte, éditées par la suite par Beaudelot. Après avoir étudié la médecine et la chirurgie officielles, Sédir traite en détail de l'homéopathie et du spagyrisme, du magnétisme animal, des actions fluidiques, de la psychiatrie, de l'art magique de la guérison, des lacunes de là médecine officielle, du péché comme origine de la maladie.

 En 1901, en tirage à part de la revue L'Initiation : Eléments d'Hébreu d'après Fabre d'Olivet, Les Lettres magiques, et Initiations, Trois contes pour « les petits  enfants » : la rencontre, la tentation, l'adepte. Dans ces trois récits, Sédir a exprimé le processus de l'illumination progressive de l'homme, le passage de l'intellectualisme au mysticisme.

 Les Lettres magiques, ainsi que les trois contes, constituent les premières versions de l'ouvrage qui parut ensuite et fut réimprimé plusieurs fois sous le titre d'Initiations.

 Dans La Cabbale, de Papus (Chacornac - 1903), Sédir établit une importante bibliographie qui comprend 430 numéros.

 L'essai sur Le Cantique des Cantiques, Commentaire sur son sixième sens, parut d'abord en 1906 chez L. Coquemard, à Angoulême, puis en une édition augmentée en 1916, à Rouen (Albert Legrand éditeur) : c'est une introduction à l'hymne mystique dont est présentée une sextuple interprétation.

 Le Fakirisme hindou et les yogas, dont Chacornac fit deux éditions. Cet ouvrage, traitait d'un sujet alors peu connu.

La Rencontre

 Le 13 juin 1899 Sédir avait épousé Alice, Estelle Perret-Gentil, qui était née le 5 septembre 1867 aux environs de La Chaux-de-Fonds, épouse exemplaire, lumière qui s'effaçait volontairement, qui fut pour lui la compagne la plus parfaite. Elle devait mourir dix  ans plus tard.

 L'année qui précéda cette mort, celle d'une sainte, Sédir lui dédia le second volume de ses Conférences sur l’Evangile :
 « A ma femme bien-aimée,
 A ma silencieuse collaboratrice,
 Au grand coeur qui n'a jamais craint de prendre sur lui toute la souffrance pour que les paroles du Maître puissent revêtir ici une forme moins imparfaite
 J'offre ce livre ;
 D'elle procède tout ce qu'il peut y avoir de force persuasive dans ces pages ; à moi en reviennent les faiblesses. »

   * * * 

    Le bonheur de Sédir était de partager  les conquêtes de son esprit. Chaque horizon découvert, chaque problème élucidé, il en faisait part à ceux qui, comme lui, étudiaient ces vénérables traditions.

 Dans sa demeure de Montmartre il recevait  régulièrement ses amis, le vendredi soir. La petite salle à manger était bondée d'une jeunesse enthousiaste et  hétérogène qui buvait du thé ou du café et parlait sciences, occultisme, magnétisme et surtout qui fumait, au point que l'air était bleu, même les soirs d'été où la fenêtre restait ouverte. Quand on  entrait, Sédir se levait, serrant la main   pardessus les têtes, cherchant une place encore possible. Alice Sédir se faufilait entre les groupes afin de servir l'ami qui venait d'entrer et, après le brouhaha de l'arrivée et les paroles de bienvenue, chacun, par groupe d'affinités, reprenait la conversation.

 Sous une apparence qu'il n'arrivait pas à  rendre banale, Sédir était un homme étrange au rayonnement puissant, porteur d'une lumière intérieure qui pouvait  éclairer ceux qui se confiaient à lui.

 Le maître de la maison avait autour de lui ses plus vieux amis, chers visages dont la plupart sont aujourd'hui disparus, amis des beaux jours d'autrefois qui sont maintenant des ombres dans nos mémoires et des lumières sur nos chemins...

   * * * 

    Comme le dit encore Théophile Briant, Sédir « était aux sciences occultes ce que Stéphane Mallarmé était à la poésie ». D'une culture encyclopédique, doué d'une puissance de travail prodigieuse, il avait fait le tour des connaissances humaines, il avait  exploré toutes les disciplines ; il traitait avec une égale maîtrise tous les sujets possibles. Dans les réunions à son foyer on parlait, on lui posait des questions et il y répondait avec cette bonne grâce dont il ne s'est jamais départi, redressant l'idée émise par quelques mots précis ou prenant une  adroite tangente où chacun pouvait   trouver un enseignement.

 Que de souvenirs nous remontent au coeur lorsque nous regardons vers ces jours du passé ! Nous n'en dirons que trois ; il faut essayer de se limiter !

Deux de ses amis étaient partis dans une laborieuse discussion philosophique dont le sujet n'importe pas ici. Chacun tenant pour son idée, ils n'arrivaient pas à se  mettre d'accord. L'un d'eux s'écria : « Allons trouver Sédir ; il nous départagera ou il conciliera nos  deux points de vue. » Sitôt dit, sitôt fait. Et les voici — il était fort tard dans la nuit, si je me souviens  bien — qui, devant leur grand ami attentif   et indulgent, reprennent leurs arguments.

 Celui-ci, dubitatif et souriant, écoute, hoche la tête en tirant de sa pipe d'abondantes bouffées, n'approuve ni ne désapprouve et ne dit mot.

 Mais les deux amis sont enchantés. Toute difficulté évanouie, ils sont pleinement d'accord ; la solution du problème leur parait éclatante de bon sens et de simplicité. Et ce n'est que plus tard qu'ils s'avisèrent que Sédir n'avait pas prononcé une syllabe.

 Un autre aspect du caractère de Sédir était la fidélité au devoir.

 Un certain soir d'hiver, la neige se mit à  tomber avec une telle abondance qu'en un instant tous les transports furent arrêtés. Il faut dire qu'à cette  heureuse époque le métro n'existait pas. Et c'était un soir de cours.

 Beaucoup auraient pensé qu'il était vain de se déranger, car la route est longue de Montmartre à la rue Séguier ; beaucoup se seraient dit que la salle serait déserte et la course inutile. Mais Sédir n'était pas de ceux-là. A l'heure réglementaire il entrait dans la petite salle et deux dames, qui avaient également bravé les frimas, à tout hasard, se trouvèrent être son seul public. Sans étonnement, comme si la salle eût été comble, Sédir fit son cours devant ses deux auditrices, sans l'abréger d'un mot ; puis il repartit vers dix heures, comme s'il avait fait le plus beau temps du monde. Son devoir était accompli.

 Voici enfin une de ses actions qui montre à quel point sa conduite était en parfaite concordance avec ses convictions et son enseignement :
 Un jour, dans la rue, sortant de chez lui, il  rencontre un homme qui lui dit : « Vous ne me connaissez pas, mais moi, je vous connais. » Et qui lui raconte que, si dans la journée il n'avait pas quarante francs (c'étaient des francs or), on le mettrait à la porte de son logement, ainsi que sa femme et ses enfants. Sédir sortit un papier de sa poche sur lequel il écrivit : « Ma chère Alice,   voudrais-tu donner quarante francs au porteur de ce mot. » Il aurait pu préciser : les quarante francs, car c'était tout ce qu'il y avait à la maison. Assurément ce  n'est pas Sédir qui a fait connaître cette anecdote. Sa chère Alice l'a racontée à quelques amis, en  ajoutant : « Sédir a compris que c'est Dieu qui avait envoyé l'homme, car celui‚-ci a demandé, non pas 35 francs ni 50, mais les 40 francs qu'ils possédaient. »

   * * * 

    Depuis des années que nous connaissions Sédir, nous l'avions toujours vu user de la plus grande prudence quand il parlait des choses de l'invisible. Il disait  toujours n'en rien savoir personnellement, se borner à répéter des choses qui lui avaient été dites ou qu'il avait lues, en général sans préciser : « Il y en a qui disent... »

 Un jour, brusquement, sans transition, cette  forme prudente disparut. Aux questions que nous lui posions il répondit désormais avec autorité et par une affirmation péremptoire : telle chose est ainsi telle chose se passe de telle façon.

 Après avoir parlé pendant des années comme ayant entendu dire, il parlait soudain comme sachant.

 C'est alors, également, ayant atteint les plus hauts sommets de la connaissance et des pouvoirs, qu'il abandonna ses titres, lança par-dessus bord ses « trésors de sagesse » et, rejetant toute initiation et toute logosophie, qu'il se sépara de la plupart de ses compagnons de route pour se consacrer uniquement à l'Evangile.

 Cette évolution surprit ses plus anciens amis. Plusieurs d'entre eux ne la comprirent jamais. Assurément ce changement correspondait à ce qu'il y avait en Sédir de plus profond ; on pourrait en donner une preuve par ce «Cours de mystique »  — professé en  1896 et publié en 1898 dans L'Initiation — et qui contient en germe ses travaux ultérieurs. Mais il y eut dans sa vie  une circonstance extérieure, un événement solennel et décisif  qui lui fit toucher du doigt le néant des sciences et des sociétés secrètes et qui le plaça pour toujours dans la seule voie de l'Evangile. Il n'eut plus qu'une doctrine : l'amour du prochain, qui donne la clef du monde, qu'un seul but : chercher le Royaume de Dieu, sachant que « le reste » lui serait donné par surcroît.

   * * * 

    Sur cet événement capital de sa vie, Sédir a fait des déclarations de la plus haute importance :

 Une lettre adressée le 15 octobre 1910 à L'Echo du Merveilleux, que nous reproduisons plus loin ;
 L'avant-propos que Sédir écrivit pour son Enfance du Christ, dont voici les principaux passages ;
 « J'ai déclaré, dans l' "Avant-Propos" de la première édition, que les idées que  j'exposais n'étaient pas de moi : «Celui qui me les a fournies, ajoutais-je, me pardonnera si j'ai involontairement déformé Sa lumière ; les erreurs et les omissions, je les réclame ; qu'à Lui retourne tout le bien que Son enseignement m'a donné, et qu'Il pourra produire encore malgré la maladresse de l'interprète. »
« Je renouvelle cette déclaration, avec toute la force dont je suis capable ; mais, pas plus qu'autrefois, je ne désignerai expressément Celui à qui je dois tout. On a pu croire et dire que mon mutisme était une ingratitude habile ; je suis heureux de cette méprise. Je continuerai à me taire, pour préserver un grand nombre de spiritualistes de ces médisances  profondes dont les suites sont redoutables ; — pour éviter à l'oeuvre de mon Maître une publicité prématurée ; — pour enfin ne pas Le rendre responsable de mes erreurs. »

 Enfin, et surtout, un chapitre de son ouvrage Quelques Amis de Dieu, intitulé « Un Inconnu », que nous insérons dans la troisième partie de ce livre.

    Ces dernières années, M. Alfred Haehl, qui fut un ami très cher de Sédir, a parlé ouvertement de l' « Inconnu » : Monsieur Nizier Anthelme Philippe. Il avait vécu plusieurs années dans l'intimité de Monsieur Philippe et il a écrit sur son Maître un ouvrage, dont l'authenticité de tous les éléments qui le composent fait un document d'une valeur inestimable. Il a consigné ce qu'il a vu et entendu, complétant ses récits et ses citations par ceux de témoins dont  il était devenu l'ami.

   Sédir a donc eu le privilège de rencontrer son idéal, non pas dans le monde abstrait des idées, non pas comme une conquête de l'intelligence, mais dans une personne vivante, avec tout ce que cette réalité mystérieuse et auguste — une personne vivante  — renferme d'insondable profondeur, de lumineuse douceur, d'invincible certitude.

        C'est sur le quai de la gare de Lyon, à  Paris, qu'un dimanche de juillet 1897, conduit par Papus, Sédir rencontra pour la première fois celui qu'il nomma  « Andréas » dans son roman Initiations et que Papus avait surnommé « le Père des pauvres  » dans un article consacré à son Maître spirituel.

La rencontre fut très brève, car le train allait partir, et Sédir put seulement échanger quelques mots avec cet homme. Mais Sédir le vit d'autres fois à Paris et fit  plusieurs séjours auprès de lui soit à Lyon où, secondé par Jean Chapas, il recevait de nombreux  affligés qui repartaient guéris et réconfortés, — soit dans sa maison de L'Arbresle où se réunissaient ses fidèles disciples : outre Jean Chapas, Marc Haven, Alfred Haehl, etc.

 En mai 1905, Sédir passa encore deux jours avec Alice Le Loup auprès de celui qui était tout pour eux. C'est Alice qui en avait exprimé le désir, sachant que  le temps qui lui restait à passer ici-bas était compté, car la maladie dont elle était atteinte était incurable. Elle ne quitta toutefois cette terre qu'en 1909, mais ce fut leur dernière visite : le Maître mourut en août 1905.

Les dernières oeuvres


La longue maladie qui devait emporter la compagne de Sédir ayant nécessité calme et repos, ce fut à Bourg-la-Reine que se continuèrent les réunions. L'amie qui hébergeait le jeune couple demeurait dans le fond d'une impasse, dans un pavillon dénommé « La  Solitude », non loin de la demeure de Médéric Beaudelot. Chaque dimanche, le vieux tramway amenait de la porte d'Orléans les mêmes fidèles pour passer l'après-midi auprès de celui qu'ils considéraient déjà comme leur guide.

 C'est sous les ombrages de cette banlieue parisienne que Sédir écrivit la première, toute petite et si attachante édition d'Initiations, dont nous avons déjà  parlé.

 Les premiers ouvrages mystiques de Sédir parurent chez Beaudelot (entre 1907 et 1911) sous le titre : Conférences sur l’Evangile (3 volumes). Ces conférences furent réimprimées par la suite en cinq volumes : L'Enfance du Christ, Le Sermon sur la Montagne, Les Guérisons du Christ, Le Royaume de Dieu, Le Couronnement de L’Oeuvre. En tête des chapitres est transcrit le texte intégral   des quatre évangiles.

 En 1909 parut chez Chacornac Le Bréviaire mystique, actuellement épuisé. Dans l'Avant-Propos de ce livre Sédir s'exprime ainsi : « J'ai écrit ces pages, non parce que j'ai cru dire quelque chose de nouveau, mais parce que plusieurs m'en ont fait la demande. Je ne cherche pas à glorifier une croyance, mais je souhaiterais que tout homme sincère :  rationaliste, catholique, panthéiste, luthérien, bouddhiste, parsi ou mahométan, reconnaisse ici le sentier de la Source. Or, Dieu seul peut étancher la soif d'une âme. »

 Sur la fraternité secrète des  Rose-Croix (Libraire du xxe siècle - 1910), un livre plusieurs fois réédité depuis lors, notamment par une Histoire et Doctrines des Rose-Croix (1932), actuellement épuisée. Ces deux ouvrages ont été récrits et complétés grâce à des notes laissées par Sédir, pour former un nouveau livre : Les  Rose-Croix.

 En 1912, Beaudelot édita Le Devoir spiritualiste, où Sédir expose sa  conception de l'idéal évangélique et sa réalisation dans la vie quotidienne ; puis, en 1915, La Guerre actuelle selon le point de vue mystique. Réimprimé et complété ensuite (chez Albert Legrand) sous le titre La Guerre de 1914 selon le point de vue mystique, cet ouvrage renferme cinq conférences données à Paris en 1915 et 1916. Pendant la guerre également, Sédir publia chez Crès Le Martyre de la Pologne.

 A cette époque, Sédir fit aussi d'Initiations le grand ouvrage que nous connaissons maintenant, et qui est vraiment « la pierre précieuse la plus brillante du diadème que sont ses ouvrages ». Sédir y raconte, sous une forme romancée, ses rencontres avec l' «  Inconnu ». Il faut préciser qu'il n'est pas un détail de ce récit qui ne soit matériellement vrai.

 Les personnages de ce livre sont le docteur,  Stella, et les envoyés du Ciel qu'il leur est donné de rencontrer : Andréas et Théophane. Sédir a donné sur ces personnalités les précisions suivantes :
 « Théophane représente un aspect intérieur d'Andréas : la Lumière pure de l'âme éternelle ; Andréas étant l'esprit immortel ; le docteur, la mentalité consciente ; Stella, l'intuition. Objectivement, ces personnages représentent des grades ou des fonctions dans l'armée de la Lumière. »

 Outre les ouvrages que nous venons de mentionner, signalons : Les sept jardins mystiques, La vraie Religion, Le vrai Chemin vers le vrai Dieu, Les Directions spirituelles, Quelques Amis de Dieu, L'Energie ascétique, L'Evangile et le Problème du Savoir,  Méditations pour chaque semaine, L'Education de la Volonté, Le Sacrifice, Mystique chrétienne, La Voie mystique, La Dispute de Shiva contre Jésus, Les Forces mystiques et la Conduite de la Vie.

 La mort d'Alice Le Loup, survenue le 23 avril 1909 précipita l'orientation de la vie d'apostolat de Sédir. Il quitta la Banque de France. Ses amis le pressaient de prendre la tête d'un mouvement spiritualiste. Mais Sédir n'était pas un constructeur. De même  qu'on chercherait en vain dans son oeuvre une doctrine, un enseignement systématique, de même il n'a jamais entendu organiser sa vie, son activité ; il n'a voulu qu'obéir aux circonstances, instruments de la volonté de Dieu. On lui a demandé de faire des conférences ; il en a fait. On lui a demandé d'éditer ses conférences ; il les a éditées. Puis on lui a demandé de grouper les bonnes  volontés qui s'étaient réunies autour de lui ; il les a rassemblées.

 Par la suite, il loua, proche d'une chambre qu'il habita rue de Beaune, puis rue Cardinet, un petit atelier de sculpteur, au 32 de cette seconde rue, qui devint la première demeure des « Amitiés Spirituelles ». L'aménagement de ce local était fort simple ; toutefois il marquait un souci d'esthétique duquel Sédir ne fut jamais esclave, mais qu'il a toujours eu.

 Les connaissances remarquables que Sédir mit au service de l'Evangile attirèrent très rapidement un public nouveau et le noyau d'habitués fut vite débordé. Sédir loua alors une salle en l'hôtel des Sociétés savantes, rue Danton, puis à la Société d'encouragement pour l'Industrie Nationale, en face de l'église Saint-Germain-des-Prés. Ensuite un ami cher (qui fut tué au cours de la guerre de 1914), qui était secrétaire des frères Marius et Ary Leblond, obtint pour Sédir le petit appartement du 10, rue du Cardinal-Lemoine où s'élaborait la revue « La Vie » et qui fut la seconde étape des « Amitiés Spirituelles ».

 Dieu seul sait jusqu'à quelle profondeur Sédir a aimé ses amis. Pendant des années, il nous a conduits par la main, nous écoutant avec une patience que rien n'a pu  lasser, oubliant ses propres douleurs pour se pencher sur nos chagrins ; pendant des années, il  nous a instruits, soutenus, avertis, consolés ; pendant des années nous avons entendu son verbe énergique et tendre, écho fidèle de Celui qui S'est fait chair pour le salut du monde ; pendant  des années, il a défriché — au   prix de quelles fatigues ! — le sol ingrat de nos coeurs pour le rendre capable de recevoir la semence de la vie éternelle ; pendant des années il a pris sur lui  nos fardeaux, le poids de nos préoccupations et aussi de nos infidélités, disciple de Celui qui est venu non pour être servi, mais pour servir et donner Sa vie.

 Sédir a voulu faire de ses amis des apôtres. Mais il leur a donné la devise de leur apostolat : « Ce n'est pas par la présentation de nos idées que nous voulons convaincre, c'est par le rayonnement de la flamme dont elles nous embrasent » et ailleurs : « L'exemple est la plus persuasive des éloquences. »

   * * * 

    Une de ses dernières lettres se termine par  les mots suivants :
 « Acceptez tous mes voeux. Ne pensez qu'au Christ, ne parlez que du Christ, ne travaillez que pour le Christ. Servez les pauvres et les malades. Tout le reste n'est que curiosité. »

 On peut considérer ces paroles comme le  résumé des directives, comme les dernières recommandations de celui qui fut, à partir de la « rencontre » et jusqu'à la fin de sa vie, un Témoin du Christ, un Messager de l'Evangile. Sa vie, son enseignement furent un  témoignage rendu à la certitude qui avait empli, illuminé son être. Il aurait pu prendre à son compte les paroles de Saint Paul : « Paul, esclave de Jésus-Christ. Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Le Christ est ma vie. »

 Une dame appartenant à la haute société protestante nous disait : « Quand Sédir parle du Christ, Il est là, présent. » Voilà le secret de son  apostolat. Il nous plaçait en présence du Christ ; par lui, c'est le Christ qui nous parlait, nous instruisait, nous encourageait, nous relevait.

 De même que le Christ fut toute sa pensée, tout son amour, toute son espérance, de même l'Evangile fut toute sa foi, tout son enseignement. A la lumière de l'Evangile il répondait à toutes les questions, il dissipait toutes les inquiétudes, il rendait la confiance, l'espoir, il redonnait la certitude. Les pages qu'il a écrites sur l'Evangile et qui remplissent ses livres sont les plus belles, les plus   émouvantes, les plus réconfortantes que l'on peut lire.

 Mais il n'a jamais voulu entendre parler d'un christianisme austère. Souvent il a dit la parole bien connue : un saint triste est un triste saint. Et il écrivait  à ses amis :
 « Une profonde, une grave incompréhension de l'Evangile : on se figure qu'il nous interdit toute joie parce qu'il nous demande le renoncement. Nous nous trompons. Il n'est rien de pur ici-bas, en effet, mais c'est de notre faute ; car, si quelque beauté parfaite  s'offre à nous, nous n'en reconnaissons jamais le prix. Impurs et laids, nous la repoussons. Et cependant palpitent en nous le   souvenir et l'espoir d'une patrie sans frontière qui, par-delà les étoiles, développe ses paysages sous des soleils toujours à leurs midis. Nous savons qu'une terre de béatitude existe ; nous désirons y prendre pied, mais c'est avec roideur et gaucherie. Nous nous essayons aux gestes de l'Amour avec les mines renfrognées de l'avare récalcitrant à l'aumône. Vers les cieux clairs que traversent les anges souriants, nous ne levons que des visages maussades. »

 « Il faut nous détendre. Dieu n'est pas que dans l'Infini ; Il traverse également le Fini ; le Ciel n'exclut pas la Terre. Si nous voulons y entraîner les autres, ne leur cachons pas qu'il est aimable et que son air est délicieux à respirer. Se perdre dans les plaisirs de ce monde est une erreur ; mais maudire les pauvres joies à peu près saines, les pauvres beautés à peu près nobles que l'on peut cueillir sur ces chemins-ci est une autre erreur. »

 « Epanouissez-vous ; ouvrez les portes et  les fenêtres ; faites doux accueil à tout être et à toute chose. "Aimez-vous les uns les autres", cela ne veut pas dire de vous imposer des gênes mutuelles plus ou moins dissimulées. Que vos rencontres soient des fêtes ; soyez les uns aux autres des soleils. Vous n'êtes pas riches d'argent ; soyez fastueux par le coeur. »

   * * * 

    Tel est l'idéal que Sédir a  présenté. Théophile Briant, qui pénétra très  profondément dans la pensée, dans le coeur, dans la foi de Sédir, a écrit :
 « Le flambeau que Sédir reçut d'une main mystérieuse, il le tend vers nous. A nous de le saisir si nous en sommes dignes ! »
 Et il ajoute : « Même au coeur de la plus noire douleur, il ne faut jamais désespérer. La promesse du Sauveur est formelle : jusqu'à la fin du monde Dieu est toujours parmi nous. Mais il ne faut le chercher ni sur les planches, ni dans les palais, ni dans les endroits où retentissent-les trompettes de la renommée. Il est comme l'Inconnu de Sédir, noyé dans la foule anonyme. Il se dérobe "aux curiosités des pervers ».

« Aimons nos frères comme nous-mêmes et  nous le trouverons... C'est un Pauvre sans doute, car il ne saurait conserver de fortune que celle que lui dispense chaque jour l'Archange invisible qui chemine a ses côtés. Il est parmi nous. Il nous guette et il nous attend. Il promène, comme Tarcisius, l'Eucharistie de son coeur à travers les hommes, et il est le dépositaire des langues de feu. Sous ses habits neutres il cache la splendeur du Thabor, et peut-être le salut du Monde. »

   * * * 

    Après qu'il se fut séparé de  l'Institut fondé par Papus, Sédir donna dans Paris des conférences sur « L’Invisible et la vie quotidienne ». Sur la feuille d'invitation il avait écrit : « Après avoir parlé pendant plusieurs années des paysages que l’on découvre sur la route du Christ, je crois que le moment est venu de regarder quelques détails pratiques. Ainsi nous prendrons un contact plus direct avec les difficultés de la vie quotidienne qui sont par excellence le champ d'action du mystique, plutôt que la contemplation, la méditation ou les travaux de l' "esprit pur". »

 En avril 1913 Sédir s'installa 31, rue de Seine. C'est l'apogée de sa carrière d'homme public.
Ces changements coïncidèrent avec une transformation de son attitude extérieure. Il avait toujours aimé la bohème, où il apportait un surplus de noblesse personnelle. Les entraînements de culture physique où il excellait transformèrent sa silhouette.

 Il voulut avoir un chien — il s'est attaché particulièrement aux chiens de Brie — et le soigna fraternellement. Membre du Club des Briards, il écrivit un livre sur l'élevage de ces animaux admirables, Le Berger de Brie, chien de France.

 Sédir a toujours été attiré par le peuple ; il aimait les petits, les humbles dont il avait partagé la vie, les travaux. Son effort était d'exprimer les plus hautes vérités spirituelles sous la forme la plus simple, la plus accessible aux plus modestes.

 Il désira parler à l'Université populaire du faubourg Saint-Antoine et il y fit le 11 mai 1914 une conférence, publiée par la suite, sur « La vraie Religion ». Au printemps de la même année il donna, en l'hôtel des Sociétés savantes, quelques conférences sur certains personnages connus, insérées par la suite dans Quelques Amis de Dieu, et une série de douze conférences sur « La Culture   psychique et le Développement spirituel », dont la dernière, qui n'avait pas pu être prononcée en public, fut publiée dans Psyché  (janv.-fèvr. 1917) sous le titre : « La Vie intérieure selon le Christ ».

 Mobilisé de 1915 à 1918 à l'Ecole de Guerre (Bureau de renseignements sur les prisonniers de guerre), son appartement était, les soirs de semaine et le dimanche, le rendez-vous des permissionnaires de passage, l'oasis avant de « remonter en ligne ». Là furent exprimées les suprêmes pensées de beaucoup des nôtres qui ne devaient plus revenir et qui emportaient avec eux « là-haut » la paisible, l'immuable certitude que leur versait leur ami et confident.

 Ceux d'entre nous qui sommes « de ce temps-là » n'ont aucune difficulté à revoir Sédir, à ressentir l'atmosphère bienfaisante que les prières et la vie concentrée de ce serviteur de Dieu attiraient d'En-Haut. Il faisait bon y demeurer. Son accueil toujours affectueux lui faisait perdre avec une grâce infinie le temps qu'il devait rattraper ensuite par des veillées.

 Il parlait peu et il écoutait inlassablement ce qu'on lui disait ; mais il canalisait les pensées sur la décision à prendre. Et, au bout de quelque temps, tout arrivait à se préciser, sans que nous nous rendions compte du comment. La concierge disait de lui : « C'est un  bien brave homme », ce qui scandalisait notre vénération. Et pourtant n'était-ce pas la plus belle consécration aux valeurs de la   terre qu'il tenait tant à nous voir accepter et vivre ?

 Il était doué d'une étonnante faculté de concentration ; aussi, quel que soit le travail, il le faisait vite et bien. Au bureau de l'Ecole de Guerre où il fut mobilisé, il était le point de mire. Il lui arrivait souvent d'écrire avant le moment où le travail de la journée était distribué. Ce matin-là, il rédigeait la légende libanaise qui a été insérée dans Le Sermon sur la Montagne. Dès leur arrivée, les trois   dames qui travaillaient dans le bureau montrèrent leur volonté de se divertir et elles se mirent à bombarder Sédir avec une grêle de boulettes de papier. J'étais à côté de lui, mobilisé dans le même service. Tout en continuant à écrire, il ramassait de sa main gauche les projectiles qui tombaient à sa portée et les renvoyait a ses assaillantes, tandis qu'il me passait les feuilles au fur et à mesure qu'il   les achevait. Ces pages sont parmi les plus belles qu'il a écrites. Lorsque plus tard il les a envoyées à l'imprimeur, elles ne présentaient que quelques ratures.

 Encore un souvenir de cette époque :
 Sédir disait parfois : « J'ai appris à lire en diagonale. » Et nous avons souvent admiré la rapidité, la sûreté avec lesquelles il lisait des ouvrages très volumineux et très savants. Vers la fin de la guerre de 1914, nous lui avions offert les principales oeuvres de  Wronski — 6 grands volumes in-4 — dont de nombreuses pages ne contenaient pas de texte, mais seulement des tableaux. Sédir   était encore mobilisé. Moins de trois semaines plus tard, il nous apporta une étude sur Wronski - une étude très technique qui se termine par un parallèle entre Wronski, le philosophe du Savoir et son compatriote Towianski, le philosophe de l'Action.

   * * * 

    La guerre finie, il reprit son apostolat, ses réunions, ses voyages.
 Tout naturellement s'étaient rassemblés autour de lui des hommes de bonne volonté qu'il orientait vers l'action profonde. Ceux-ci le poussèrent à lancer une revue qui devait être un moyen de diffusion et aussi un lien avec les sympathisants de province et de  l'étranger.

 Le premier numéro du « Bulletin des Amitiés Spirituelles » parut en février 1919, et la présentation du programme disait : « Il faut bien que se rencontrent quelques amateurs d'impossible. »

 Par la suite fut décidée la création d'une association déclarée selon la loi. C'est ainsi que le 16 juillet 1920 parut au « Journal Officiel » l'annonce des Amitiés Spirituelles, association chrétienne, libre et charitable. Le groupe des amis qui, depuis une dizaine  d'années s'était peu à peu constitue, eut alors une existence et une dénomination officielles.
 Non seulement des hommes, mais des femmes aussi avaient répondu à l'invitation de Sédir au travail et à la prière. En les appelant du nom de « Marthe et Marie » il écrivit à leur intention les lignes qui suivent : « Je souhaite rassembler le plus grand nombre possible de Servantes du Seigneur qui, dans leur logis, à l'atelier, au magasin, dans les palais comme dans les mansardes, vivent pour servir Dieu avant tout, en rayonnant la bonté, la grâce et la sérénité. »
 

Et il ajoutait :
 « A l'inverse des associations humaines qui grandissent par l'accroissement du nombre, par l'argent, par le rang social de leurs membres, le principe de la  nôtre est surnaturel : vous ne vous assemblerez pas, je ne vous donnerai pas de lien matériel ; l'Esprit  vous unira plus fort que tous les engagements. La foi ne grandit que dans une atmosphère vide de certitudes terrestres. Ignorées les unes des autres, vous ne vous connaîtrez que par la ténèbre éclatante de cette foi véritable où le Christ apparaît dans Sa magnificence intégrale. L'Ange qu'Il a bien voulu commettre à la garde du groupe que, dès ce jour, vous constituez, Lui présentera vos  prières, vos sacrifices et vous transmettra Ses vertus. Votre sort est entre vos mains. Vous triompherez dans la mesure où vous ferez Jésus votre Seigneur... Comme Marthe, vous accomplirez les devoirs quotidiens, souvent aussi lourds dans une existence fastueuse que dans une vie modeste. Comme Marie, vous brûlerez par-dedans, jetant des flammes invisibles et gardant cachées vos prières, vos souffrances et les grâces reçues. »

 Depuis plus de cinquante ans maintenant, les « Amitiés Spirituelles » continuent la diffusion de l'oeuvre de Sédir. Aux adhérents du début, que le Ciel rappelle peu à peu, sont venus et viennent règulièrement s'ajouter de nouveaux membres qui s'efforcent d'appliquer l'enseignement du fondateur.

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    Le 30 mai 1921, Sédir avait épousé, en secondes noces, Marie-Jeanne Coffineau (Jeanne Jacquemin), qui devait mourir en octobre 1938.

 Pendant les années qui suivirent la fondation des « Amitiés Spirituelles », l'activité de Sédir se poursuivit au sein de notre Compagnie, lettres, articles, réceptions, réunions, conférences à Paris, et dans plusieurs villes de France et de l'étranger (notamment en Pologne) où s'étaient formés des groupes de sympathisants.

 La dernière conférence publique de Sédir fut donnée le 17 novembre 1925 à l'Université Alexandre-Mercereau, boulevard Raspail. Cette année-là, depuis le retour des vacances, il demeurait chez un ami habitant Passy, 33, rue Henri-Heine.

En janvier 1926, il se rendit avec un ami à L'Arbresle. Là ils furent accueillis par Jean Chapas, ce grand serviteur du Ciel qui continuait noblement et dans la plus profonde humilité l'oeuvre de Celui qu'ils appelaient leur Maître.

 Sédir avait annoncé pour février 1926 trois conférences sur Le Sacrifice (Le sacrifice antique, le sacrifice de Jésus-Christ, le sacrifice du disciple). La mort l'empêcha de prononcer ces conférences, qui furent éditées par Albert Legrand.

 Le 3 février 1926, après quelques jours de maladie, Sédir a été repris. Un service religieux fut célébré à l'église N.-D.-de-la-Miséricorde. Sa dépouille mortelle repose au cimetière Saint-Vincent, à quelques pas de la rue Girardon, proche de la tombe d'Alice Le Loup.

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    Sédir nous a quittés voici presque un demi-siècle. Mais, pour ses amis — pour tous ceux, proches ou lointains, connus ou inconnus, groupés au sein des «  Amitiés Spirituelles » ou isolés dans leur action et leur prière — pour tous ceux qui ont trouvé  dans son enseignement une certitude et un réconfort — il y a devant tous, ainsi qu'il l'a dit lui-même, « du travail pour des siècles ».

 A l'intention des lecteurs qui ouvriront les livres de Sédir pour la première fois, nous ajouterons cette page afin de caractériser l'oeuvre abondante, originale et d'une richesse incomparable qu'ils vont aborder.

 De même qu'il y eut autrefois, avant la venue du Christ, des prophètes pour L'annoncer, il a existé, depuis deux mille ans, des hommes inspirés par le Ciel, des écrivains mystiques, dont le rôle a été de mettre l'Evangile à la portée de leurs contemporains, de les éclairer selon les connaissances et les lumières de leur époque, et de montrer que le Christ est  toujours présent.

 Sédir fut l'un d'eux. C'est un écrivain mystique moderne. Il se distingue de ses prédécesseurs. Il parle et il écrit comme seul pouvait le faire un homme de notre siècle, un homme préparé à sa mission par des qualités exceptionnelles d'intelligence et de coeur, par son travail patient, par la fréquentation des maîtres passés et présents dans le domaine des sciences du visible et de l'invisible, enfin et surtout par la rencontre de Celui en qui il trouva, selon ses propres termes, « la ressemblance parfaite avec le Christ ».

 Aux chercheurs de merveilleux dont il a partagé les études dans sa jeunesse ; aux savants et aux inventeurs dont les productions sont de plus en plus étonnantes ; à tous ceux qui sont tentés de s'enorgueillir de leurs découvertes, il a montré que l'Evangile est un livre absolu, qu'il contient tout, absolument tout, car il est la Parole de Dieu.

 A ceux qui rangent l'Evangile parmi les ouvrages périmés du passé, ou à ceux qui ont perdu la foi et désespèrent d'y trouver la lumière, il prouve que l'Evangile est un livre vivant, actuel, qu'il répond aux questions et aux besoins, fondamentaux ou quotidiens, de chacun.

 Sédir donne aussi une réponse à tous ceux qui ne se trouvent plus à l'aise dans les églises, à tous ceux qui veulent quitter la grande route et prendre un raccourci, mais qui ont besoin d'être encouragés et guidés. A tous ceux qui aspirent au culte en esprit et en vérité, il dit : « Vous verrez dans l'Evangile que tous les commandements, tous les conseils, toutes les maximes se résument dans la seule ordonnance d'aimer le prochain pour l’amour de Dieu. »
Émile Besson