CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME

    De l' excellence de l' oraison du pater, et des avantages qui se rencontrent dans cette sainte priere. on ne sçauroit trop rendre graces à Dieu de la sublime perfection qui se rencontre dans cette priere evangelique qui nous a esté enseignée par un maistre si sçavant et si admirable.

    Ainsi, mes filles, il n' y en a pas une de nous qui ne puisse s' en servir pour ses besoins particuliers. Je ne sçaurois voir sans étonnement que ce peu de paroles enferme de telle sorte toute la contemplation et toute la perfection, qu' il semble que sans avoir besoin d' aucun livre il nous suffit de bien étudier cette priere si sainte, puis que nostre Seigneur nous y a enseigné dans les quatre premieres demandes tous les differens degrez de l' oraison et de la contemplation depuis les commencemens jusqu' à l' oraison mentale à l' oraison de quietude, et à celle d' union. Tellement que si j' en estois capable je pourrois en bastissant sur un fondement si solide faire tout un grand traité de l' oraison. Mais dans la cinquiéme demande Nostre Seigneur commence à nous faire connoistre quels sont les effets que produisent ces faveurs en nous lors qu' elles procedent veritablement de luy ainsi que je l' ay desja dit. Considerant d' où pouvoit venir ce que Jesus-Christ n' a pas expliqué plus particulierement des choses si obscures et si élevées pour les faire entendre à tout le monde, il me semble que c' est parce que cette priere devant estre generale pour pouvoir servir à tous, il n' a pas voulu davantage l' éclaircir, afin que tous se persuadant de la bien entendre, chacun pust en la disant demander ce qui seroit necessaire pour sa consolation et pour ses besoins : et qu' ainsi les contemplatifs et ceux qui se donnent à Dieu sans reserve méprisant les choses perissables, luy demandent seulement les faveurs du ciel que son extreme bonté veut bien donner icy-bas : et que ceux qui sont encore dans les engagemens du monde luy demandent le pain et les autres choses conformes à leur estat qu' ils peuvent justement luy demander pour eux et pour leurs familles. Mais quant à ce qui est de donner nostre volonté à Dieu et pardonner les offenses qui nous sont faites, ce sont deux choses à quoy tout le monde est obligé. Je demeure toutefois d' accord qu' il s' y rencontre du plus et du moins. Les parfaits donnent parfaitement leur volonté et pardonnent parfaitement : au lieu que nous autres, mes soeurs, satisfaisons comme nous pouvons à ces devoirs. Car Nostre Seigneur est si bon qu' il reçoit tout en payement : et il semble qu' il ait fait en nostre nom comme un pact avec son pere en luy disant : Seigneur, faites s' il vous plaist cela : et mes freres feront cecy. Or nous sommes bien assurées que Dieu ne manquera point de son costé : car y eut-il jamais un si bon payeur, et si liberal ? Il pourroit mesme arriver que disant une seule fois cette oraison avec une intention tres-sincere de tenir ce que nous luy promettons, elle suffiroit pour le porter à nous combler de ses graces, parce qu' il aime tant la verité, et prend tant de plaisir que l' on traite avec luy sincerement, que lors que nous agissons de la sorte il nous accorde toûjours plus que nous ne luy demandons. Mais comme ce maistre admirable sçait que ceux qui demandent avec la perfection dont j' ay parlé reçoivent de son pere eternel des faveurs qui les élevent à un tres-haut degré de bon-heur : comme il sçait que ceux, ou qui sont parfaits, ou en chemin de le devenir tiennent le monde sous leurs pieds, et ne craignent rien, parce que les bons effets que Dieu opere dans leurs ames les assurent qu' il est satisfait d' eux : et enfin comme il sçait qu' estant saintement enyvrez de ces faveurs si extraordinaires qu' il leur fait dans l' oraison, ils oublieroient aisément qu' il y a un autre monde et qu' ils ont des ennemis à combatre, il a soin de les avertir des perils qui les environnent. ô eternelle sagesse ! ô incomparable maistre ! Quel bon-heur, croyez-vous, mes filles, que ce vous est de ce qu' il n' est pas seulement tres-sage, mais qu' il apprehende tant pour nous qu' il détourne tous les perils qui nous menacent ? C' est le plus grand bien qu' une ame sainte puisse desirer dans le monde, et je ne sçaurois assez l' exprimer par mes paroles, puis que cette protection de Dieu est la plus grande assurance que nous puissions avoir sur la terre. Nostre Seigneur ayant donc vû combien il importe à ces ames de les réveiller pour les faire souvenir qu' elles ont des ennemis qui les obligent à se tenir toûjours sur leurs gardes ; et que plus elles sont élevées, plus elles ont besoin du secours de son pere eternel, puis qu' en tombant elles tomberoient de plus haut : et voulant d' ailleurs les délivrer des pieges où elles s' engageroient sans y penser, il luy fait pour elles ces deux dernieres demandes si necessaires à tous ceux qui vivent encore dans l' exil de cette vie : et ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal .