QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME
 
 

Délai de la Conversion


Ego vado et quaeretis me, et in peccato vestro moriemini.
Je m'en vais, vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. (S. Jean, VIII, 21.)


Oui, M. F., c'est une grande misère, une humiliation profonde pour nous, d'avoir été conçus dans le péché originel, parce que nous venons au monde enfants de malédiction ; c'est sans doute une autre plus grande misère de vivre dans le péché ; mais d'y mourir, c'est le comble de tous les malheurs. Il est vrai, M. F., que nous n'avons pas pu éviter le premier péché qui est celui d'Adam ; mais nous pouvons facilement éviter celui où nous tombons si volontairement, et après y être tombés, nous pouvons nous en retirer avec la grâce du bon Dieu. Hélas ! Pouvons-nous bien rester dans un état qui nous expose à tant de malheurs pour l'éternité ! Qui de nous, M. F., ne tremblerait en entendant Jésus-Christ nous dire qu'un jour le pécheur le cherchera, mais qu'il ne le trouvera pas, et qu'il mourra dans son péché ? Je vous laisse à penser dans quel état repose une personne qui vit tranquille dans le péché, la mort étant si certaine et le moment si incertain. Le Saint-Esprit a donc bien raison de nous dire (Sap. V, 6.) que les pécheurs se sont égarés dans toutes leurs démarches, que leurs coeurs se sont aveuglés, que leurs esprits se sont couverts de ténèbres les plus épaisses, et que leur malice a fini par les tromper et les perdre. Ils ont remis leur retour au Seigneur dans un temps qui ne leur sera point accordé, ils ont espéré faire une bonne mort, en vivant dans le péché ; mais ils se sont trompés, car leur mort sera très mauvaise aux yeux du Seigneur. Voilà précisément, M. F., la conduite de la plupart des chrétiens de nos jours, qui, en vivant dans le péché, espèrent toujours faire une bonne mort, dans la pensée qu'ils quitteront le péché, qu'ils en feront pénitence, et qu'ils répareront, avant d'être jugés, les péchés qu'ils ont faits. Mais le démon les a trompés, ils ne sortiront du péché que pour être précipités en enfer.

Pour mieux vous faire comprendre l'aveuglement du pécheur, je vais vous montrer : 1° que plus nous retardons de sortir du péché et de revenir au bon Dieu, plus nous nous mettons en danger d'y périr, parce que, si vous en voulez savoir la raison, plus nos mauvaises habitudes sont difficiles à rompre ; 2° à chaque grâce que nous méprisons, le bon Dieu s'éloigne de nous, nous devenons plus faibles et le
démon prend plus d'empire sur nous. De là je conclus que plus nous restons dans le péché, plus nous nous mettons en danger de ne jamais nous convertir.

I. - Moi, M. F., parler de la mort malheureuse d'un pécheur qui meurt dans le péché à des chrétiens qui ont déjà tant de fois senti le bonheur d'aimer un Dieu si bon, qui connaissent par les lumières de la foi la grandeur des liens que Jésus-Christ prépare à ceux qui conserveront leur âme exempte du péché ! Ce langage ne conviendrait qu'à des païens qui ne connaissent ni Dieu, ni les récompenses qu'il promet à ses enfants. O mon Dieu ! que l'homme est aveugle de perdre tant de biens et de s'attirer tant de maux en restant dans le péché ! Si je demandais à un enfant : « Pourquoi est-ce que le bon Dieu vous a créé et conservé jusqu'à présent ? » il me répondrait : « Pour le connaître, l'aimer, le servir et par ce moyen acquérir la vie éternelle. » Mais si je lui disais : « Pourquoi est-ce que les chrétiens ne font pas ce qu'ils doivent pour mériter le ciel ? » « C'est, me dirait-il, parce qu'ils ont perdu de vue les biens du ciel et qu'ils croient trouver leur bonheur dans les choses créées. » Le démon les a trompés et les trompera encore ; ils vivent dans l'aveuglement et ils y périront, quoiqu'ils aient l'espérance qu'un jour ils sortiront du péché. Dites-moi, M. F., ne voyons-nous pas tous les jours des personnes qui vivent dans le péché, qui méprisent toutes les grâces que le bon Dieu leur envoie : bonnes pensées, bons désirs, remords de conscience, bons exemples, parole de Dieu ? Toujours dans l'espérance que le bon Dieu les recevra quand elles voudront revenir, ces personnes aveugles ne font pas attention que, pendant ce temps-là, le démon leur réserve une place en enfer. O aveuglement ! que tu en as jetés en enfer, et que tu en jetteras jusqu'à la fin du monde ! En deuxième lieu, je dis que cette considération doit faire trembler un pécheur qui vit dans le péché, quoique avec l'espérance d'en sortir. D'abord, M. F., vous n'êtes pas si peu instruits, pour ne pas savoir qu'un seul péché mortel, si nous venons à mourir sans nous en être confessé, sans en avoir obtenu notre pardon, fait que nous sommes perdus pour jamais.

En troisième lieu, nous savons très bien que Jésus-Christ nous dit de nous tenir toujours prêts, qu'il nous fera sortir de ce monde dans le moment où nous y penserons le moins ; et que si nous ne quittons pas le péché avant qu'il nous quitte, il nous punira sans miséricorde. O mon Dieu ! peut-on bien vivre dans un état qui nous expose à chaque instant à tomber dans les abîmes ! Si cela, M. F., n'est pas capable de vous toucher, écoutez-moi un moment, ou plutôt ouvrez l'Évangile, et vous verrez si vous pouvez vivre tranquilles dans le péché comme vous le faites.

Oui, M. F., tout annonce que si vous ne sortez pas promptement du péché, vous périrez : les oracles, les menaces, les comparaisons, les figures, les paraboles, les exemples, tout cela vous dit que, ou vous ne pourrez plus vous convertir, ou vous ne voudrez pas. Écoutez Jésus-Christ lui-même qui dit au pécheur : « Marchez pendant que la lumière de la foi brille devant vous » (Joan. XIII, 35.), crainte qu'en méprisant ce guide, vous ne vous égariez pour jamais. Dans un autre endroit (Marc. XIII, 33.), il nous dit : « Veillez et veillez sans cesse, » parce que l'ennemi de notre salut ne travaille qu'à votre perte. Et priez, priez sans cesse pour attirer sur vous les secours du Ciel, parce que vos ennemis sont très adroits et très puissants. Pourquoi tant avoir, dit-il, tant vivre occupés des choses temporelles et de vos plaisirs, puisque, dans quelques instants, vous aurez tout abandonné. Non, M. F., rien de plus effrayant que la menace que Jésus-Christ fait aux pécheurs en leur disant que s'ils ne veulent revenir à Lui quand il leur offre sa grâce, un jour viendra qu'ils le chercheront et qu'ils lui demanderont miséricorde ; mais, qu'à son tour il les méprisera ; et, dans la crainte de se laisser toucher par leurs prières et leurs larmes, il se bouchera les oreilles et s'enfuira d'eux. O mon Dieu ! quel malheur d'être abandonné de vous ! Oh ! M. F., pouvons-nous bien penser à cela sans mourir de douleur ! Oui, M. - F., si vous êtes insensibles à cette parole, vous êtes déjà perdus. Ah ! pauvre âme, pleure d'avance les tourment, qu'on te prépare pour l'autre vie !

Allons plus loin, M. F., écoutons Jésus-Christ lui-même et nous verrons si nous sommes en sûreté en restant dans le péché. Oui, nous dit-il, je viendrai comme un voleur de nuit, qui tâche de surprendre le maître de la maison, dans le montent où il est le plus endormi (Matth. XXIV, 43); de même, nous dit-il, la mort viendra trancher le fil de la vie criminelle du pécheur dans le moment même que sa conscience sera chargée de crimes, et qu'elle aura pris la plus belle résolution de les quitter sans l'avoir fait. Dans un autre endroit, il nous dit que notre vie passe « avec autant de rapidité qu'un éclair qui se lance, de l'Orient à l'Occident (Matth, XXIV, 27.) ; » de même nous voyons aujourd'hui le pécheur plein de vie et de santé, la tête remplie de mille projets, et demain les larmes de ses gens annonceront qu'il n'est plus de ce monde, qu'il en est sorti sans savoir pourquoi il y était, ni pour quelle fin. Cet insensé a vécu aveugle, et il est mort comme il a vécu. Jésus-Christ nous dit encore que la mort est l'écho de la vie, pour nous montrer que celui qui vit dans le péché est presque sûr d'y mourir, à moins d'un miracle de la grâce. Cela est si vrai que nous lisons dans l'histoire qu'un homme avait fait de son argent, son dieu ; quand il fut bien malade, il fit apporter un plein tiroir d'or pour avoir le plaisir de le compter, et quand il n'eut plus la force de le compter, il mit sa main dessous jusqu'à ce qu'il mourut. Un autre, à qui son confesseur présenta un crucifix pour le porter à la contrition de ses péchés, se mit à dire : « Si ce Christ était en or, il vaudrait bien tant... » Ah ! non, M. F., le coeur du pécheur ne quitte pas le péché si facilement qu'on le croit bien. « Vie de pécheur, mort de réprouvé. »

Que veut nous dire Jésus-Christ, M. F., par cette parabole des vierges sages et des vierges folles, dont les unes furent si bien reçues parce qu'elles entrèrent avec l'époux, tandis que les autres trouvèrent la porte fermée? C'est qu'il voulait nous montrer la conduite des gens du monde : les vierges sages nous représentent les bons chrétiens qui se tiennent toujours prêts à paraitre devant le bon Dieu, dans quelque temps qu'il les appelle ; les vierges folles sont la figure des mauvais chrétiens, qui croient qu'ils auront toujours le temps de se préparer et de se convertir, de sortir du péché et de faire de bonnes oeuvres. Ainsi passent-ils leur vie, la mort arrive mais ils n'ont rien que de mauvais et rien de bon. La mort les frappe, Jésus-Christ les appelle à son tribunal pour leur faire rendre compte de leur vie ; ils voudraient bien mettre ordre à leur conscience, ils se tourmentent, ils voudraient bien quitter le péché ; mais, hélas ! ils n'ont ni le temps, ni la force, et peut-être même la grâce qu'il faudrait. Quand ils demandent à Dieu d'avoir pitié d'eux, de leur faire miséricorde ; il leur répond qu'il ne les connaît pas, leur ferme la porte : c'est-à-dire, les jette en enfer. Voilà, M. F., le sort d'un grand nombre de pécheurs qui vivent si tranquilles dans le péché. Ah ! pauvre âme, que tu es malheureuse d'habiter dans ce corps qui te traîne avec tant de fureur en enfer. Ah ! mon ami, pourquoi veux-tu perdre cette pauvre âme ?... Quel mal t'a-t-elle fait pour la condamner à tant de malheurs !... O mon Dieu, que l'homme est aveugle !...
 

En second lieu, je dis que nous trouvons dans la conduite d'Esaü le véritable portrait d'un homme qui se perd en vendant son bien pour un plat de lentilles. Pendant quelque temps, Esaü « vécut dans la plus grande insensibilité de sa perte » (Gen, XXV, 34.), il ne pensait qu'à se divertir et à se livrer à ses plaisirs ; cependant le moment arrive où il se rappelle la faute qu'il a faite, il rentre en lui-même ; mais, plus il réfléchit, plus il découvre la grandeur de son aveuglement. Tout désolé de son malheur, il voit aussi s'il pourra le réparer, il emploie les prières, les larmes et les sanglots pour tâcher de toucher le coeur de son père ; mais trop tard : le père a donné sa bénédiction à un autre, ses prières sont méprisées et ses sollicitations ne sont point écoutées. Il a beau se tourmenter, il faut se rendre à rester dans sa misère et y périr. Voilà, M. F., précisément ce qui arrive tous les jours au pécheur : il vend son Dieu et son âme, et la place qu'il a dans le ciel, pour moins qu'un plat de lentilles, c'est-à-dire, pour un plaisir d'un moment, pour une pensée de haine, de vengeance, pour un regard ou attouchement déshonnête sur soi ou sur d'autres, pour une poignée de terre ou pour un verre de vin. Ah ! belle âme, que l'on te donne pour bien peu de chose ! En effet, nous voyons que ces pécheurs vivent pendant quelque temps aussi tranqnillcs, aussi en paix, du moins en apparence, que si, toute leur vie, ils n'avaient fait que de bonnes oeuvres. Les uns pensent à leurs plaisirs, les autres aux biens de ce monde ; mais, semblables à Ésaü, le moment arrive où ils reconnaissent leur faute, ils voudraient pouvoir la réparer, mais trop tard. Ils en versent des larmes, ils en gémissent, ils conjurent le Seigneur de leur rendre les biens qu'ils ont vendus, c'est-à-dire le ciel ; mais le Seigneur leur fait comme le Père d'Esaü, il leur dit qu'il a donné leur place a un autre. Hélas ce pauvre pécheur a beau crier et demander misericorde, il faut se rendre a rester dans sa misère et tomber en enfer. O mon Dieu ! que la mort du pécheur est malheureuse aux yeux du Seigneur !

Hélas combien en est-il qui font comme le malheureux Sisara, qu'une femme perfide endormit, en lui faisant boire un peu de lait, et pendant ce temps-là, elle lui ôta la vie, sans qu'il eût le loisir de pleurer son aveuglement de s'être confié à cette perfide (Judic, IV.). De même, combien de pécheurs que la mort enlève promptement, sans leur donner le temps de pleurer leur aveuglement d'avoir resté dans le péché. Combien d'autres qui font comme l'impie Antiochus, qui reconnaissent leurs crimes, les pleurent et crient miséricorde sans pouvoir rien obtenir, et descendent en enfer en demandant miséricorde. Voilà cependant, M. F., la fin de bien des pécheurs. Sans doute, M. F., pas un de nous ne voudrait faire une mort malheureuse, et nous avons bien raison ; mais ce qui me désole, c'est que vous viviez dans le péché, que vous vous exposiez si grandement à y périr. Ce n'est pas seulement moi qui vous le dis, mais Jésus-Christ lui-mêmc qui vous l'assure.

N'est-ce pas, mon ami, que vous pensez : laissons dire le prêtre, allons notre train ordinaire.- Savez-vous, mon ami, ce qu'il vous arrivera en laissant dire le prêtre ? - Et que voulez-vous qui nous arrive ? - Mon ami, le voici, c'est que vous serez damné. - Mais J'espère que non, pensez-vous ; il y a bien le temps pour tout. - Mon ami, nous pouvons bien avoir le temps de pleurer et de souffrir, mais non pas de nous convertir ; et pour vous le prouver, je vais vous citer un exemple effrayant. Il est rapporté dans l'histoire qu'un homme du monde, qui avait longtemps vécu dans le plus grand désordre, s'étant converti, il persévéra pendant quelque temps ; mais retomba et ne pensait plus à revenir au bon Dieu. Ses amis ne cessaient de prier pour lui ; mais méprisait tout ce qu'on lui disait. Pendant ce temps là, on annonça une retraite qui devait se donner bientôt. L'on crut la circonstance favorable pour engager ce pécheur à profiter de l'occasion que le bon Dieu lui donnait pour rentrer dans le chemin du salut. Après bien des prières et instances de la part de ses amis, et bien des résistances et des refus de la sienne, il consentit, et donna sa parole qu'il se rendrait à la retraite avec les autres. Mais, hélas ! M. F., qu'arriva-t-il ? Oh ! jugements de Dieu, que vous êtes impénétrables et redoutables ! Le matin même où on l'attendait, où l'on devait commencer la retraite, l'on annonça que cet homme avait été trouvé mort dans sa maison, sans connaissance, sans secours et sans sacrements. Comprendrons-nous une fois, M. F., ce que c'est que de rester dans le péché, dans l'espérance que nous en sortirons un jour ?

Hélas, M. F. nous abusons du temps quand nous l'avons, nous méprisons les grâces quand le bon Dieu nous les offre ; mais souvent le bon Dieu, pour nous punir, nous les ôte quand nous voudrions en profiter. Si nous ne pensons pas à présent à bien faire, quand nous le voudrons, peut-être nous ne le pourrons pas. N'est-ce pas que vous pensez qu'un jour vous vous confesserez, que vous quitterez le péché et que vous ferez pénitence. - C'est bien mon intention. - C'est votre intention, mon ami, et moi je vais vous dire ce que vous ferez, et ce que vous serez. Vous êtes maintenant dans le péché, vous ne me direz pas non : eh bien ! après votre mort, vous serez un damné. - Et qu'en savez-vous ? pensez-vous en vous-même. - Si je ne le savais pas, je ne vous le dirais pas. D'ailleurs, je vais vous prouver qu'en vivant dans le péché, quoique avec l'espérance que vous en sortirez, vous ne le ferez pas, même quand vous le voudriez de tout votre coeur, et vous comprendrez ce que c'est que de mépriser le temps et les grâces que le bon Dieu nous présente pour le moment. Il est à rapporté dans l'histoire, qu'un certain étranger, passant par Donzenac, (cet étxanger était Lorrain et libraire de profession) ; il s'adressa à un prêtre, pour l'entendre en confession ; mais le prétre le refusa, je ne sais pas pourquoi. De là il va dans une ville qu'on appelait Brives, s'étant présenté devant le procureur du roi en lui disant : Monsieur, je vous prie de me mettre en prison, parce
que je me suis donné au démon il y a quelque temps, et j'ai touours entendu dire qu'il n'a point de pouvoir sur ceux qui sont entre les mains de la justice. - Mon ami lui répondit le procureur du roi, vous ne savez pas ce que c'est que d'être entre les mains de la justice ; quand on y est une fois l'on n'en sort pas comme l'on veut. - Il n'importe, mettez-moi en prison.

Le procureur s'imagina que c'était un fou, et qu'en le mettant en prison, il s'exposerait à la raillerie du monde, si même il s'amusait davantage à lui parler. Il vit en même temps passer à la rue un prêtre qu'il connaissait, qui était le confesseur des Ursulines ; il l'appela et lui dit : « Monsieur, s'il vous plaît, prenez soin de l'âme de cet homme.» - « Mon ami, lui dit-il, suivez ce bon prêtre, et faites tout ce qu'il vous dira. » Ce prêtre lui ayant parlé, pensa, comme le procureur du roi, qu'il avait l'esprit démonté ; il le pria d'aller ailleurs, que pour lui il ne pouvait pas se charger de sa conduite. Ce pauvre malheureux, ne sachant plus que devenir, alla dans deux communautés pour demander un prêtre qui voulût bien avoir la charité de le confesser. Dans un endroit, on lui dit que les Pères s'étaient retirés, parce qu'ils devaient se lever à minuit ; et dans l'autre, on le fait parler à un père qui le renvoya au lendemain. Mais ce pauvre misérable se mit à pleurer, en lui disant : « Oh !mon Père, je suis perdu, si vous n'avez pas pitié de moi ; je me suis donné au diable, et mon temps vient cette nuit.» - « Allez, mon ami, lui dit le Père, recommandez-vous à la sainte Vierge ; » il lui donna un chapelet et le renvoya. Passant sur la place et en pleurant de ce qu'il n'avait pas pu trouver un confesseur parmi tant de prêtres qu'il y avait dans ces deux communautés : comme il était sur la place, voyant plusieurs bourgeois qui s'entretenaient ensemble, il leur demanda si un d'entre eux aurait la bonté de le loger ? Il y eut un boucher qui lui dit qu'il pouvait le suivre. L'ayant mené en sa maison, ce pauvre malheureux lui conta combien il était malheureux de s'être donné au démon, il croyait bien avoir le temps de se confesser et de quitter le péché et faire pénitence, mais que point de prêtre n'avait voulu le confesser. Le boucher trouva bien extraordinaire que ces prêtres eussent si peu de charité. « hélas ! monsieur, je vois bien que c'est le bon lieu qui l'a permis pour me punir du temps et des grâces que j'ai méprisés. » - « Mon ami, lui dit le boucher, il faut bien avoir recours au bon Dieu. » - « Hélas ! monsieur, je suis perdu ; c'est cette nuit que le démon doit me tuer et emporter mon âme. » Le boucher, selon toute apparence, ne s'était pas couché pour savoir si cet homme avait perdu l'esprit ou si cela était bien vrai. En effet, sur minuit, il entendit un bruit effroyable, des cris épouvantables comme deux personnes dont l'une étrangle l'autre. Comme le boucher courait, il vit que le démon traînait ce pauvre malheureux à la cour. Le boucher s'enfuit et se ferma dans sa maison ; et le lendemain on trouva cet homme pendu comme la moitié d'un mouton à un clou de la boucherie. Le démon lui avait coupé un morceau de son manteau, dont il l'avait étranglé et pendu. Le Père Lejeune, qui rapporte cela dans un de ses sermons, dit qu'il le tient de celui qui l'a vu pendu.

Voyez-vous, M. F., que souvent, en remettant notre conversion, nous nous exposons à ne jamais nous convertir. N'est-ce pas que quand vous étiez malade, vous avez bien fait venir un prêtre pour vous confesser, même avec une grande crainte de ne pas bien faire votre confession ? N'avez-vous pas dit vous-même, dans votre maladie, que l'on est bien aveugle d'attendre à la mort pour aimer le bon Dieu, et que, s'il vous rendait la santé, vous feriez bien mieux que vous n'aviez fait, vous seriez plus sage ? Mon ami, ou bien vous, ma soeur, si le bon Dieu vous rend la santé..., pauvre enfant ! vous ne faites pas attention que votre repentir ne vient pas de Dieu, ni de la douleur de vos péchés, mais seulement de la crainte de l'enfer. Vous faites comme Antiochus, qui pleurait les châtiments que ses crimes lui attiraient ; son coeur n'était pas changé. Eh bien ! ma soeur, le bon Dieu vous a rendu la santé que vous lui aviez demandée avec tant d'ardeur, en lui promettant que vous feriez mieux. Dites-moi, après avoir recouvré la santé, en êtes-vous devenue plus sage ? Avez-vous moins offensé le bon Dieu ? Vous êtes-vous corrigée de quelque défaut ? Vous voit-on plus souvent fréquenter les sacrements ? Voulez-vous que je vous dise ce que vous êtes ? Le voici ; avant votre maladie vous vous confessiez encore de temps en temps ; depuis que le bon Dieu vous a rendu la santé, vous ne faites plus même vos pâques. Hélas! combien parmi ceux qui m'écoutent sont de ce nombre ! Mais ne vous inquiétez pas, vous verrez qu'à la première maladie, le bon Dieu vous fera sortir de ce monde ; pour vous parler plus clairement, vous serez jetés en enfer. Vous voyez bien qu'en restant dans le péché, quoique avec votre belle espérance que vous en sortirez un jour, vous vous moquez du bon Dieu.

Tenez, M. F., voyez comme vous avez bonne grâce de croire que le bon Dieu vous pardonnera quand vous voudrez lui demander pardon. Je vais vous citer un exemple comme peut-être jamais exemple n'a été plus conforme à notre sujet. Il est rapporté qu'il y avait un bourgeois qui était extrêmement bon. Il avait un domestique qui ne manquait presque point l'occasion de dire des injures à son maître ; son plaisir était de le faire quand il y avait bien du monde. Il lui vola plusieurs choses assez considérables, il finit par débaucher une de ses demoiselles ; après ce coup, il s'enfuit de la maison, crainte d'être pris par la justice. Au bout de quelque temps, il alla trouver un prêtre qu'il savait avoir un grand crédit auprès de ce monsieur. Le prêtre y va pour prier le bourgeois de vouloir bien pardonner les fautes de ce domestique. Ce gentilhomme eut tant de bonté, qu'il dit au prêtre : « Je ferai tout ce que vous voudrez ; mais je veux qu'il fasse au moins quelque satisfaction, autrement ce serait donner main-levée à tous les scélérats. » Le prêtre, plein de joie, va trouver le valet et lui dit : « Votre maître a bien eu la charité de vous pardonner ; mais il veut quelque petite satisfaction, comme rien n'est si juste. » Le domestique lui dit : « Quelle est donc la satisfaction que mon maître veut, et dans quel temps ? » Le prêtre lui dit : « Dans sa maison, et à présent, à ses genoux et la tête nue.» « Ah ! mon maître veut bien tant d'honneur ! pour moi je ne veux que lui demander pardon ; il veut que ce soit dans sa maison, à genoux, la tête nue, et moi je veux le faire dans ma chambre et couché dans mon lit. Il le veut à présent, et moi je veux que ce ne soit que dans dix ans, lorsque je penserai et serai prêt à mourir. » Que pensez-vous, M. F., de ce valet, et qu'en dites-vous ? Quel conseil auriez-vous donné à ce gentilhomme ? Ne lui auriez-vous pas dit : « Monsieur, votre valet est un misérable, il mérite d'être jeté dans un cachot, et de n'en être tiré que pour être conduit au gibet. » Eh bien ! M. F., d'après cet exemple, voyez-vous la manière dont vous vous conduisez avec le bon Dieu ? N'est-ce pas le même langage que vous tenez au bon Dieu, quand vous dites que vous avez encore le temps, que rien ne presse, que vous n'êtes pas encore mort ? Hélas ! que de pauvres pécheurs qui sont aveuglés sur l'état de leur pauvre âme ; qui espèrent de faire ce qu'ils ne pourront plus faire quand ils croiront de le faire !...

Mais, allons plus loin, et nous verrons que plus vous différez de sortir du péché, plus vous vous mettez dans l'impossibilité d'en sortir. N'est-il pas vrai qu'il y a quelque temps, la parole de Dieu vous touchait, vous faisait faire quelques réflexions, et que, plusieurs fois,vous aviez résolu de quitter le péché et de vous donner au bon Dieu ? N'est-il pas vrai que la pensée du jugement de Dieu et de l'enfer vous a fait verser des larmes,et que maintenant, tout cela ne vous touche plus, ne vous fait plus faire la moindre réflexion ? Pourquoi cela, M. F. ? Hélas ! c'est, que votre coeur est endurci et que le bon Dieu vous abandonne, de sorte que plus vous restez dans le péché, plus le bon Dieu s'éloigne de vous, et plus vous devenez insensibles à votre perte. Ah ! si du moins vous étiez morts à votre première maladie, au moins vous ne seriez pas si profond en enfer ! - Mais si je voulais revenir au bon Dieu à présent, le bon Dieu me recevrait bien encore ! - Mon ami, pour cela, je ne vous en dis rien. Si vous n'avez pas encore mis le comble au nombre des péchés que le bon Dieu a résolu de vous pardonner ; si vous n'avez pas encore achevé de mépriser les grâces que le bon Dieu vous avait destinées, vous le pouvez. Mais si la mesure des péchés et des grâces est pleine, tout est perdu pour vous ; vous aurez beau former toutes vos belles résolutions... D'ailleurs vous devez le voir par cet exemple épouvantable que nous venons de rapporter.

Ah ! mon Dieu, pouvons-nous bien penser à tout cela et ne pas faire tout ce que nous pouvons pour essayer si le bon Dieu voudra avoir pitié de nous. - Mais, pensez-vous en vous-mêmes, il y aurait bien de quoi jeter au désespoir ? - Ah ! mon ami, je voudrais pouvoir vous conduire à deux doigts du désespoir, afin que, frappé de l'état affreux où vous êtes, vous preniez au moins les moyens que le bon Dieu vous présente encore aujourd'hui pour en sortir. - Mais, me direz-vous, il y en a bien qui se sont convertis la l'heure de la mort : le bon Larron s'est bien converti en ce moment. - Le bon Larron, - M. F., d'abord, il n'avait jamais connu le bon Dieu. Dès qu'il l'a connu, il s'est donné à lui, et encore est-il le seul que l'Écriture sainte nous fournit, pour ne pas tout à fait nous désespérer dans ce moment. - Mais il y en a bien d'autres qui se sont convertis, quoiqu'ils aient vécu longtemps dans le péché. - Mon ami, prenez bien garde, je crois que vous vous trompez : il faut me dire que plusieurs se sont repentis, mais converti, c'est autre chose. Voilà précisément ce que vous ferez, et ce que vous avez déjà fait dans vos maladies : puisque vous avez fait venir un prêtre, parce que vous étiez fâché d'avoir le mal. Eh bien ! avec votre repentir, vous êtes-vous converti pour cela ? Sans doute vous n'en êtes devenu que plus endurci. Hélas ! M. F., tous ces repentirs ne signifient pas grand'chose. Saül s'est bien repenti, puisqu'il a pleuré ses péchés (I Reg. XV, 24, 30.) ; cependant il est damné ; Caïn s'est bien repenti, puisqu'il a poussé des cris affreux d'avoir tué son frère (1), néanmoins il est en enfer. Judas s'est bien repenti, puisqu'il alla rendre son argent et que sa douleur fut si grande qu'il alla se pendre (Matth. XXVII, 3.). Si vous me demandez maintenant où tous ces repentirs les ont conduits ? je vous dirai..., en enfer. Je viendrai toujours à ma conclusion que si vous vivez
dans le péché, et que vous y mouriez, vous serez damnés ; mais j'espère que non : vous n'en viendrez pas là.

En troisième lieu, si nous venons plus loin, je vais vous montrer que vous n'avez rien qui puisse vous rassurer dans votre manière de vivre ; au contraire, tout doit vous effrayer, comme vous allez le voir. 1° Vous savez que, de vous-mêmes, vous ne pouvez pas sortir du
péché ; vous êtes parfaitement convaincus qu'il faut que le bon Dieu vous aide de sa grâce, puisque saint Paul nous dit que « nous ne sommes pas capables de former une bonne pensée sans la grâce du bon Dieu (II Cor. III, 5.) ; » 2° Vous savez bien que vous ne pouvez obtenir votre pardon que de Dieu même. Pensez bien, M. F., à ces deux réflexion, vous verrez combien vous êtes aveugles ; ou, pour vous parler plus franchement, que vous êtes perdu si vous ne sortez pas promptement du péché. Mais, dites-moi, est-ce en méprisant les grâces du bon Dieu que vous pouvez espérer avoir plus de force pour rompre vos mauvaises habitudes ? N'est-ce pas tout le contraire ? Plus vous allez, plus vous méritez que le bon Dieu se retire de vous et vous abandonne. De là je conclus que, plus vous retardez de revenir à Dieu, plus vous vous mettez en danger de ne vous convertir jamais. Nous disons que nous ne pouvons obtenir notre pardon que de Dieu seul. Eh bien ! dites-moi, est-ce en multipliant vos péchés que vous espérez que le bon Dieu vous pardonnera plus facilement ? Allez, mon ami, vous êtes un aveugle, vous vivez dans le péché pour y périr et vous serez damné. -Voilà, mon ami, où votre manière de prier et de vivre vous conduira : « Vie de pécheur, mort de réprouvé. » Mais pour mieux vous le faire sentir, avançons-nous jusqu'à ce moment qui est le dernier de la vie.

II. - D'abord, je sais bien que vous avez résolu de faire une bonne mort, de vous convertir et de quitter le péché. Allons, M. F., auprès d'un tel, d'un mourant, et nous y trouverons une personne étendue, qui toute sa vie a fait comme vous, a vécu dans le péché ; mais toujours dans l'espérance qu'elle en sortira avant de mourir. Examinez-la bien, considérez bien son repentir, sa douleur, sa confession et sa mort. Ensuite, voyez ce que vous êtes : vous verrez ce que vous serez un jour. Ne sortons pas M.F., d'auprès du lit de ce mourrant,  avant que sont sort ne soit fixé pour jamais. Il s'est toujours promis quoique vivant dans le péché et dans les plaisirs, qu'il ferait une bonne mort, et qu'il réparerait tout le mal qu'il avait fait pendant sa vie. Gravez bien cela dans votre coeur, afin que vous n'en perdiez jamais le souvenir, et que vous ayez continuellement devant les yeux quel sera votre sort.

D'abord, je vous dirai que, pendant toute sa vie, il a été retenu par des obstacles qu'il avait cru insurmontables. Le premier, qu'il pensait ne pouvoir pas quitter ses mauvaises habitudes ; l'autre, qu'il n'avait pas assez de force ni de grâce. Il comprenait très bien, quoique dans le péché, combien il en coûte, combien il est difficile de faire une bonne confession et de réparer toute une vie qui n'a été qu'une chaîne de crimes et d'horreurs. Cependant le temps arrive et même il presse ; il faut commencer à faire ce qu'il n'a jamais voulu faire, il faut descendre dans ce coeur qui n'est qu'un abîme d'horreurs, semblable au buisson hérissé d'épines si affreuses que l'on ne sait par où commencer et que l'on finit par le laisser comme il est. Mais la connaissance se perd de temps en temps ; cependant, il ne veut pas mourir dans cet état. Il veut se convertir : c'est-à-dire, quitter le péché avant de mourir. Je sais bien qu'il mourra ; mais pour se convertir, je n'en crois rien : il faudrait faire maintenant ce qu'il aurait dû faire en santé. Dans l'impossibilité de le faire, les larmes dans les yeux, il fait les mêmes promesses qu'il a déjà faites toutes les fois qu'il s'est vu mourir ; mais le bon Dieu ne va plus écouter ces mensonges et ces faussetés. Il faudrait pour ça détruire le péché, qui a poussé des racines si profondes qu'il n'a plus la force de l'arracher, il lui faudrait une grâce extraordinaire. Mais le bon Pieu, en punition du mépris qu'ïl a fait de toutes celles qu'il lui a accordées pendant sa vie, la lui refuse et lui tourne le dos pour ne plus le voir ; il se bouche les oreilles pour ne pas se laisser attendrir par ses cris et ses sanglots. Hélas ! il faut mourir et point de conversion, même de connaissance ; le voilà qui chancelle, il répond une chose pour l'autre. Le prêtre se plaint, qu'il fallait, le venir chercher hier, que le malade n'a pas assez de connaissance, qu'il ne peut pas se confesser. Mon ami, vous vous trompez, il a toute la connaissance qu'il doit avoir avant de mourir, si vous étiez venu hier pour le confesser, le bon Dieu lui aurait ôté pareillement sa connaissance ; il a resté dans le péché en méprisant le temps et les grâces que le bon Dieu lui avait donnés, et, selon la justice de Dieu, il doit mourir dans le péché. Prenez patience, vous ne tarderez pas de le voir entraîné en enfer par les démons à qui il a si bien obéi pendant sa vie ; ne sortez pas vos regards de dessus lui, et vous allez lui voir vomir sa maudite âme en enfer.

Mais avant ce terrible moment, considérons, M. F., les mouvements qu'il se donne, demandez-lui s'il veut bien se confesser, s'il est bien fâché d'avoir offensé le bon Dieu ; il vous fera signe que oui ; qu'il voudrait bien se confesser, mais qu'il ne le peut pas. Hélas ! il faut mourir, et point de confession ! et point de conversion, point de connaissance ! Approchez-vous, mon ami, voyez-vous ce vieux pécheur endurci, qui a tout méprisé, qui s'est raillé de tout, qui croyait que quand il serait mort tout serait fini pour lui. Voyez-vous ce jeune libertin, il n'y a pas encore quinze jours qu'il faisait retentir les cabarets de ses chansons les plus infâmes, remplissant les jeux et les cabarets. Vovez-vous cette jeune mondaine portée sur les ailes de la vanité, qui croyait ne jamais pouvoir s'arrêter ni mourir ! O mon Dieu ! il faut mourir ! Hélas ! quel changement, il faut mourir et être damnée ! Voyez-vous ces yeux étincellent, qui annoncent que la mort est à la porte ; il voit tout le monde dans un mouvement extraordinaire, on le regarde en pleurant. Me connaissez-vous ? lui dit-on. Il se contente d'ouvrir des yeux affreux, qui jettent l'épouvante dans tous ceux qui l'environnent. On le regarde en tremblant, on baisse la tête : sortez de là, laissez-le mourir comme il a vécu.

Non, je me tromnpe, venez, M. F., vous qui depuis combien d'années, remettez votre confession a un autre temps. Voyez-vous ses lèvres froides et tremblantes qui ne peuvent plus se remuer, qui lui annoncent qu'il faut mourir et être damné. Mon ami, quittez un moment, ce cabaret, venez et considérez ces joues pâles et livides, ces cheveux baignés des sueurs de la mort. Voyez-vous ses cheveux se lever sur sa tête ? Hélas ! il semble qu'il éprouve déjà les horreurs de la mort. Hélas ! tout est fini pour lui, il faut mourir, et être damné. Venez, ma soeur, laissez pour un instant ce musicien et cette danse ; venez et vous verrez ce que vous serez un jour. Voyez-vous ces démons qui l'environnent, qui le jettent au désespoir ? Voyez-vous ces convulsions affreuses ? Non, non, M. F., tout est désespéré ; il faut que cette âme sorte de ce corps. O mon Dieu ! où va aller cette pauvre âme ? Hélas ! l'enfer seul est sa demeure.

Non, non, M. F., un moment, il lui reste encore quatre minutes de vie pour lui montrer tout son malheur. La voilà qui approche de sa fin..., les assistants et le prêtre se mettent à genoux pour essayer si le bon Dieu voudra avoir pitié de cette pauvre âme ; « Ame chrétienne, lui dit le prêtre, sortez de ce monde! » - Et où voulez-vous qu'elle aille, puisqu'elle n'a vécu que pour le monde ? Elle n'a pensé qu'au monde. D'ailleurs, à la manière dont elle a vécu, elle croyait n'en jamais sortir. Vous lui souhaitez le ciel, mon père, mais elle ne le connaît pas seulement, Vous vous trompez, mon ami, dites-lui plutôt : « Sortez de ce monde, âme criminelle, allez brûler, parce que vous n'avez travaillé pendant toute votre vie que pour cela. » - « Ame chrétienne, lui dit le prêtre, allez prendre votre repos dans la céleste Jérusalem. » Ah quoi! mon ami, vous envoyez dans cette belle cité une âme toute couverte de péchés, dont le nombre est plus grand que celui des heures de sa vie ; une âme, dont toute la vie n'a été qu'une chaîne d'impuretés, vous allez la placer avec les aubes, avec Jésus-Christ qui est la pureté même. Oh ! horreur ! oh ! abomination ! en enfer, en enfer, puisque sa place y est marquée ! « Mon Dieu, continue le prêtre, Créateur de toutes choses, reconnaissez cette âme comme étant l'ouvrage de vos mains. » Eh ! quoi ! mon père, vous osez présenter au bon Dieu, comme étant son ouvrage, une âme qui n'est qu'un monceau de crimes, une âme qui est toute pourrie ; quittez, mon ami, de vous adresser au ciel, tournez vos regards du côté des abîmes et écoutez les démons qu'il appelle à son secours ; jettez-leur cette maudite âme puisqu'elle n'a travaillé que pour eux. « Mon Dieu, dira peut-être encore le prêtre, recevez cette âme qui vous aime comme son Créateur et son Sauveur. » Elle aime le bon Dieu ! mon ami, où en sont les marques ? Où sont ses bonnes prières, ses bonnes confessions et ses bonnes communions ? Disons encore mieux, où sont ses pâques ? Taisez-vous, écoutez le démon qui crie qu'elle lui appartient, que depuis longtemps elle s'est donnée à lui. Ils ont changé ; il lui a donné de l'argent, les moyens de se venger, il lui a procuré les occasions de satisfaire ses désirs infâmes ; non, non, mon ami, ne lui parlez plus du ciel. D'ailleurs, elle n'en veut point, elle aime mieux aller brûler dans les abîmes étant toute couverte de crimes, que d'aller au ciel, en présence d'un Dieu si pur.

Maintenant arrêtons-nous un instant, M. F., avant que le démon ne se saisisse de ce réprouvé ; il ne lui reste de connaissance qu'autant qu'il lui en faut pour apercevoir les horreurs du passé, du présent et de l'avenir, qui sont autant de torrents de la fureur de Dieu qui lui tombent dessus pour achever son désespoir. Le bon Dieu permet qu'à ce malheureux qui a tout méprisé, les moyens qu'il lui offrait pour sauver son âme se présentent tous, à ce moment, dans son esprit ; il voit qu'il avait besoin de tout ce que le bon Dieu lui a présenté et qui ne lui a servi de rien. Le bon Dieu permet que, dans ce moment, il se rappelle jusqu'à une seule bonne pensée qui lui aura été donnée pendant sa vie ; il voit combien il a été aveugle de ne pas se sauver. O mon Dieu ! quel désespoir en ce moment de voir qu'il pouvait si bien se sauver, et être damné ! Hélas ! le présent et l'avenir achèvent son désespoir ! Il est très persuadé qu'en moins de trois minutes il sera en enfer pour n'en sortir jamais... Le prêtre, voyant qu'il n'y a plus de remèdes pour la confession, lui présente un crucifix pour l'exciter à la douleur et à la confiance, en lui disant : « Mon ami, voilà votre Dieu qui est mort, pour vous racheter, prenez confiance en sa grande miséricorde qui est infinie. » - Sortez de là, mon ami, ne voyez-vous pas que vous ne faites qu'augmenter son désespoir. Mais y pense-t-on bien ?... Un Dieu couronné d'épines, entre les mains d'une volage et mondaine, qui, toute sa vie, n'a cherché qu'à se parer et à plaire au monde !.. Un Dieu dépouillé de tout, jusqu'à ses habits, entre les mains d'un avare !... O mon Dieu quelle horreur !.. Un Dieu couvert de plaies entre les mains d'un impudique ! Un Dieu qui meurt pour ses ennemis entre les mains d'un vindicatif !.. ô mon Dieu ! peut-on bien y penser sans mourir d'horreur ! Oh ! non, non, ne lui présentez plus ce Dieu cloué sur une croix, tout est fini pour lui, sa réprobation est assurée. Hélas ! il faut mourir et être damné, et avoir eu tant de moyens pour se sauver ! Mon Dieu, quelle rage pendant l'éternité pour ce chrétien !

Hélas ! M. F., écoutez-le faire ses tristes adieu. Ce pauvre malheureux voit que ses parents et ses amis s'enfuient de lui et l'abandonnent, en disant en pleurant : « C'est fait, il est mort... » C'est en vain qu'il s'efforce de leur faire ses derniers adieux : Adieu, mon père et ma mère ! adieu, mes pauvres enfants, adieu, pour toujours !... Mais, hélas ! il n'a pas encore rendu le dernier soupir qu'il se voit séparé de tout, et on ne l'écoute plus. Hélas ! je meurs et je suis damné... Ah ! soyez plus sages que moi !... - Oh ! lui dit-on, vous deviez bien
faire pendant votre vie ! - Oh ! triste consolation. Mais ce ne sont pas ces adieux-là qui lui font le plus : il savait qu'un jour il quitterait tout cela ; mais avant de tomber en enfer, il lève ses yeux mourants vers le ciel qu'il a perdu pour jamais : Adieu, beau ciel ! adieu, belle demeure, que j'ai perdue pour bien peu de chose adieu, belle compagnie des anges ; adieu, mon bon ange gardien, que le bon Dieu ne m'avait donné que pour m'aider à me sauver, et malgré vous, je me suis perdu ! Adieu, Vierge sainte ; et tendre Mère, si j'avais voulu implorer votre secours vous auriez obtenu mon pardon! Adieu, Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui avez tant souffert pour me sauver, et je me suis perdu ; vous qui m'avez fait naitre dans une religion si consolante, si facile à observer! Adieu, mon pasteur, à qui j'ai fait tant de chagrin en vous méprisant, vous et tout ce que votre zèle vous inspirait pour me montrer qu'en vivant comme je vivait je ne pourrais pas me sauver, adieu pour toujours!... Ah ! du moins ceux qui sont encore sur la terre peuvent éviter mon malheur ; mais pour moi tout cela est fini, plus de Dieu, plus de ciel, plus de bonheur !... toujours je pleurerai toujours je souffrirai, sans espérance de jamais finir ! O mon Dieu! que votre justice est terrible ! Éternité, que tu me fais répandre de larmes et pousser des cris..., moi qui ai toujours vécu dans l'espérance qu'un jour je sortirais du péché et je me convertirais ! Hélas ! la mort m'a trompé, je n'ai pas eu le temps !...

Ah ! mon frère, nous dit saint Jérôme, veux-tu rester dans le péché, puisque tu crains d'y périr ? Un jour, nous dit ce grand saint, étant appelé pour aller voir un pauvre mourant, le voyant tout égaré je lui demande ce qui semblait tant l'effrayer. « Hélas ! mon père, je suis damné ! » Et, en disant ces mots, il rendit le dernier soupir. O terrible destinée que celle d'un pécheur qui a vécu dans le péché ! Hélas ! que le démon en a traîné en enfer avec l'espérance qu'un jour ils se convertiraient ! Hélas ! M. F., que devez-vous penser, vous qui m'écoutez, qui ne faites ni prière, ni confession, et qui ne pensez pas même à vous convertir ? Mon Dieu, peut-on bien rester dans une position qui nous expose à chaque instant à tomber dans les abîmes !... Mon Dieu, donnez-nous la foi, qui nous fera connaître la grandeur de notre malheur si nous nous perdons, et qui nous mettra dans l'impossibilité de rester dans le péché ! C'est le bonheur que je vous souhaite.


(1) La Genèse ne rapporte aucune parole marquant le repentir de Caïn, elle lui fait dire au contraire cette parole de désespoir : « Mon iniquité est trop grande pour mériter d'être pardonnée.»  Gen. IV. 13.