12me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

Sur le premier Commandement de Dieu
(DEUXIéME SERMON)

 

Diliges Dominum Deum tuum.

Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.

(S. Luc, X, 27.)

 

Adorer Dieu, M.F., et l'aimer, c'est la plus belle fonction de l'homme sur la terre ; puisque, par cette adoration, nous nous rendons semblables aux anges et aux saints qui sont dans le ciel. ï mon Dieu ! quel honneur et quel bonheur pour une vile crŽature, d'avoir le pouvoir d'adorer et d'aimer un Dieu si grand, si puissant, si aimable et si bienfaisant ! Non, M.F., non, il me semble que Dieu n'aurait pas dž faire ce commandement ; mais seulement nous souffrir prosternŽs en sa sainte prŽsence. Un Dieu, M.F., nous commander de l'aimer et de l'adorer !... pourquoi cela ; M.F. ? Est-ce que Dieu a besoin de nos adorations et de nos prires ? Dites-moi, M.F., est-ce nous qui plaons ces rayons de gloire sur sa tte ? Est-ce nous qui augmentons sa grandeur et sa puissance, puisqu'il nous commande de l'aimer sous peine de ch‰timents Žternels ? Ah ! vil nŽant, crŽature indigne de ce bonheur, dont les anges mme, tout saints et tout purs qu'ils sont, se reconnaissent infiniment indignes, et qui, si Dieu leur permet de se prosterner devant lui, ne le font qu'en tremblant [1]  ! ï mon Dieu ! que l'homme conna”t peu son bonheur et son privilge !... Mais non, M.F., ne sortons pas de notre simplicitŽ ordinaire. Ah ! M.F., cette pensŽe, que nous pouvons aimer et adorer un Dieu si grand, nous semble si au-dessus de nos mŽrites, qu'elle nous arrache de la voie de la simplicitŽ. Ah ! M.F., pouvoir adorer Dieu, l'aimer et le prier ! ï mon Dieu, quel bonheur !... qui pourra jamais-le comprendre ?... Non, M.F., toutes nos adorations et toute notre amitiŽ n'ajoutent rien au bonheur et ˆ la gloire de notre Dieu ; mais, comme le bon Dieu ne veut que notre bonheur ici-bas, il sait qu'il ne se trouve que dans l'amour que nous aurons pour lui, et que tous ceux qui le chercheront hors de lui, ne le trouveront jamais. De sorte, M.F., que, quand le bon Dieu nous ordonne de l'aimer et de l'adorer, c'est qu'il veut nous forcer ˆ tre heureux. Voyons donc tous ensemble, 1¡ en quoi consiste cette adoration que nous devons ˆ Dieu et qui nous rend si heureux, et 2¡ comment nous devons la lui rendre.

 

I. – Si vous me demandez maintenant, M.F., ce que c'est qu'adorer Dieu. Le voici. C'est ˆ la fois croire ˆ Dieu et croire en Dieu. Remarquez bien, M.F., la diffŽrence qu'il y a entre croire ˆ Dieu et croire en Dieu. Croire ˆ Dieu, qui est la foi des dŽmons, c'est croire qu'il y a un Dieu, qu'il existe, qu'il rŽcompense la vertu et punit le pŽchŽ. ï mon Dieu ! que de chrŽtiens n'ont pas la foi des dŽmons ! Ils nient l'existence de Dieu, et, dans leur aveuglement Žpouvantable et leur frŽnŽsie, osent soutenir qu'aprs ce monde, il n'y a ni punition ni rŽcompense. Ah ! malheureux, si la corruption de votre cÏur vous a portŽs jusqu'ˆ un tel excs d'aveuglement, allez, interrogez un possŽdŽ du dŽmon, il vous apprendra ce que vous devez croire de l'autre vie ; il vous dira que, nŽcessairement, le pŽchŽ est puni et la vertu est rŽcompensŽe. Oh ! quel malheur, M.F. ! Quand la foi est Žteinte dans un cÏur, de quelles extravagances n'est-on pas capable ? Mais, quand nous disons croire en Dieu, c'est reconna”tre qu'il est notre Dieu, notre CrŽateur, notre RŽdempteur, et que nous le prenons pour notre modle ; c'est le reconna”tre comme Celui dont nous dŽpendons en toutes choses, pour l'‰me et pour le corps ; pour les choses spirituelles et pour les temporelles ; comme Celui de qui nous attendons tout, et sans lequel nous ne pouvons rien. Nous voyons dans la Vie de saint Franois qu'il passait des nuits entires sans faire d'autre prire que celle-ci : Ç Seigneur, vous tes tout, et moi je ne suis rien ; vous tes le crŽateur de toutes choses, vous tes le conservateur de tout l'univers ; et moi je ne suis rien. È

Adorer Dieu, M.F., c'est lui offrir un sacrifice de tout nous-mme, c'est-ˆ-dire, M.F., tre soumis ˆ sa sainte volontŽ dans les croix, les afflictions, les maladies, les pertes de biens, et tre prt ˆ donner volontiers notre vie pour son amour, s'il le faut. Disons, encore mieux, M.F., c'est lui faire une offrande universelle de tout ce que nous sommes : je veux dire, de notre corps par un culte extŽrieur, et de notre ‰me avec toutes ses facultŽs, par un culte intŽrieur. Expliquons cela, M.F., d'une, manire plus simple. Si je demandais ˆ un enfant : Quand faut-il adorer Dieu, et comment faut-il l'adorer ? il me rŽpondrait : Ç Le matin et le soir, et souvent dans la journŽe, c'est-ˆ-dire, toujours. È C'est-ˆ-dire, M.F., que nous devons faire sur la terre ce que les anges et les saints font dans le ciel. Le prophte Isa•e nous dit qu'il vit Notre-Seigneur assis sur un beau tr™ne de gloire ; les sŽraphins l'adoraient avec un si grand respect, qu'ils couvraient leurs faces et leurs pieds de leurs ailes, et ils chantaient continuellement : Ç Saint, Saint, saint, est le grand Dieu des armŽes, gloire, honneur, adoration, lui soient rendus dans tous les sicles [2] . È

Nous lisons dans la Vie de la bienheureuse Victoire, de l'ordre de l'Incarnation, qu'il y avait une religieuse de son ordre, qui Žtait trs dŽvote et remplie de l'amour divin. ƒtant un jour en oraison, Notre-Seigneur l'appela par son nom ; cette sainte lui rŽpondit, dans sa simplicitŽ ordinaire : Ç Mon divin JŽsus, que voulez-vous de moi ? È Le Seigneur lui dit : Ç J'ai des sŽraphins dans le ciel qui me louent et me bŽnissent et m'adorent sans cesse ; je veux en avoir aussi sur la terre, je veux que vous soyez de ce nombre. È C'est dire, M.F., que la fonction des bienheureux dans le ciel, est de n'tre occupŽ qu'ˆ bŽnir le bon Dieu dans toutes ses perfections, et que nous devons faire tout de mme, pendant que nous sommes sur la terre ; les saints, en triomphant et en jouissant, et nous, en combattant. Saint Jean nous dit qu'il vit une si grande troupe de saints, qu'il serait impossible de les compter ; ils Žtaient devant le tr™ne de Dieu, disant de tout leur cÏur et de toute leur force : Ç Honneur, bŽnŽdiction, action de gr‰ces soient rendus ˆ notre Dieu [3] . È

 

II. – Je dis donc, M.F., que nous devons souvent adorer Dieu, 1¡ de corps : c'est-ˆ-dire qu'il faut nous mettre ˆ genoux, quand nous voulons adorer Dieu, pour lui montrer le respect que nous avons en sa sainte prŽsence. Le saint roi David adorait le Seigneur sept fois par jour [4] , et il se tenait si longtemps ˆ genoux ; qu'il avoue lui-mme, qu'ˆ force de prier, et, en priant, de se tenir ˆ genoux, ses genoux Žtaient devenus faibles et infirmes [5] . Le prophte Daniel, Žtant ˆ Babylone, se tournait contre JŽrusalem, et adorait Dieu trois fois le jour [6] . N™tre-Seigneur lui-mme, qui n'avait nullement besoin de prier, pour nous en donner l'exemple, passait souvent les nuits entires ˆ prier [7] , ˆ genoux, le plus souvent la face contre terre ; comme il le fit dans le jardin des Olives. Il y a eu quantitŽ de saints qui ont imitŽ JŽsus-Christ dans sa prire. Saint Jacques adorait souvent Dieu, non seulement ˆ genoux, mais encore la face contre terre ; en sorte que son front, ˆ force de toucher la terre, Žtait devenu dur comme la peau d'un chameau [8] . Nous voyons, dans la Vie de saint BarthŽlemy, qu'il flŽchissait cent fois par jour le genou ˆ terre et autant la nuit [9] . Si vous ne pouvez pas, M.F., adorer le bon Dieu aussi souvent et ˆ genoux ; au moins, faites-vous un devoir de le faire soir et matin et de temps en temps, dans le jour, quand vous tes seuls dans vos maisons ; pour lui montrer que vous l'aimez et que vous le reconnaissez pour votre crŽateur et votre conservateur.

Surtout, M.F., aprs avoir donnŽ notre cÏur ˆ Dieu en nous Žveillant, nous Žtant dŽbarrassŽs de toutes pensŽes qui n'ont pas rapport ˆ Dieu, nous Žtant habillŽs avec modestie, sans perdre la prŽsence de Dieu, il faut faire notre prire avec autant de respect qu'il est possible, et un peu longue si nous le pouvons. Il faut prendre bien garde de ne jamais rien faire avant d'avoir fait ses prires : comme faire son lit, une partie de son mŽnage, mettre sa marmite sur le feu, appeler ses domestiques ou ses enfants, aller donner ˆ manger aux btes, ni ne jamais rien commander ˆ ses enfants et ˆ ses domestiques, avant qu'ils aient fait leur prire. Si vous le faisiez, vous seriez les bourreaux de leurs pauvres ‰mes, et, si vous l'avez fait, il faut vous en confesser et ne plus y retourner. Rappelez-vous bien que c'est le matin que le bon Dieu nous prŽpare toutes les gr‰ces qui sont nŽcessaires pour passer saintement la journŽe. De sorte que, si nous faisons mal notre prire ou si nous ne la faisons pas, nous perdons toutes les gr‰ces que le bon Dieu nous avait destinŽes pour rendre nos actions mŽritoires. Le dŽmon sait combien il est avantageux pour un chrŽtien de bien faire sa prire ; il n'oublie aucun moyen de nous la faire faire mal, ou manquer. Il disait un jour, par la bouche d'un possŽdŽ, que, s'il pouvait avoir le premier moment de la journŽe, il Žtait sžr d'avoir tout le reste.

Pour faire votre prire comme il faut, il faut prendre de l'eau bŽnite, afin d'Žloigner de vous le dŽmon, et faire le signe de la croix, disant : Ç Mon Dieu, par cette eau bŽnite et par le Sang prŽcieux de JŽsus-Christ votre Fils ; lavez-moi, purifiez-moi de tous mes pŽchŽs. È IL faut bien nous persuader que si nous le faisons avec foi, nous effacerons tous nos pŽchŽs vŽniels, en supposant que nous n'en ayons point de mortel. ï mon Dieu ! un chrŽtien peut-il bien commettre un pŽchŽ mortel qui lui ravit le ciel, le sŽpare de son Dieu pour toute l'ŽternitŽ !... ï mon Dieu, quel malheur, et, cependant, si peu connu du pŽcheur !

Je dis que nous devons faire notre prire ˆ genoux, et non couchŽ sur une chaise ou contre un lit, ni devant le feu ; quoique l'on puisse s'appuyer les mains sur le dossier d'une chaise. Il faut commencer notre prire par un acte de foi, la plus vive qu'il nous est possible, en nous pŽnŽtrant vivement de la prŽsence de Dieu, c'est-ˆ-dire, de la grandeur d'un Dieu si bon, qui veut bien nous souffrir en sa sainte prŽsence, nous, qui, depuis bien longtemps, mŽriterions d'tre ab”mŽs dans les enfers. Il faut bien prendre garde de ne jamais se dŽranger, ni dŽranger ceux qui font leur prire, ˆ moins que ce ne soit bien nŽcessaire : parce qu'on est cause qu'ils s'occupent de nous ou de ce que nous leur disons ; ils font mal leur prire, et, par consŽquent, nous en sommes la cause. Si maintenant vous me demandez aussi comment il faut faire pour adorer, c'est-ˆ-dire, prier Dieu continuellement ; car l'on ne peut pas tre ˆ genoux toute la journŽe. Rien de plus facile ; Žcoutez-moi un instant, et vous allez voir qu'on peut adorer Dieu et le prier, sans quitter son travail, en quatre manires ; mais cela, aprs avoir bien fait sa prire ˆ genoux. Je dis en quatre manires : par pensŽes, par dŽsirs, par paroles, par actions. Je dis 1¡ par pensŽe. Quand on aime quelqu'un, ne trouve-t-on pas un certain plaisir ˆ y penser ? Eh bien ! M.F., qui nous empche de penser ˆ Dieu pendant la journŽe, tant™t en pensant aux souffrances que JŽsus-Christ a endurŽes pour nous ; combien il nous aime, combien il dŽsire nous rendre heureux, puisqu'il a bien voulu mourir pour nous ; combien il a ŽtŽ bon de nous faire na”tre dans le sein de l'ƒglise catholique, o nous trouvons tant de moyens de nous rendre heureux, c'est-ˆ-dire, de nous sauver ; tandis que tant d'autres n'ont pas le mme bonheur. De temps en temps, dans le courant du jour, portons nos pensŽes et nos dŽsirs vers le ciel, pour y contempler d'avance les biens et le bonheur que le bon Dieu nous y prŽpare aprs un moment de combat. Cette seule pensŽe, M.F., qu'un jour nous irons y voir le bon Dieu, et que nous serons dŽlivrŽs de toute sorte de peine, ne devrait-elle pas nous consoler dans nos croix ? Si nous sommes chargŽs de quelque fardeau, pensons vite que nous sommes ˆ la suite de JŽsus-Christ, portant sa croix pour l'amour de nous ; unissons nos souffrances et nos peines ˆ celles de ce divin Sauveur. Sommes-nous pauvres ? portons notre pensŽe dans la crche : voyons et contemplons notre aimable JŽsus couchŽ sur une poignŽe de paille, sans aucune ressource humaine. Et, si vous voulez, regardez-le encore, mourant sur une croix, dŽpouillŽ mme de ses habits. Sommes-nous calomniŽs ? pensons, M.F., aux blasphmes que l'on a vomis contre lui pendant sa passion, lui qui Žtait la saintetŽ mme. De temps en temps, pendant la journŽe, faisons prononcer ˆ notre cÏur ces douces paroles : Ç Mon Dieu, je vous aime, et je vous adore avec tous vos saints anges et tous vos saints qui sont dans le ciel. È Notre-Seigneur dit un jour ˆ sainte Catherine de Sienne : Ç Je veux, que tu fasses une retraite dans ton cÏur et que tu t'y enfermes avec moi, et que tu me tiennes compagnie. È Quelle bontŽ, M.F., de la part de ce bon Sauveur, de prendre plaisir ˆ converser avec une chŽtive crŽature ! Eh bien ! M.F., faisons de mme ; entretenons-nous avec le bon Dieu, notre aimable JŽsus, qui est dans notre cÏur par sa gr‰ce. Adorons-le, en lui donnant notre cÏur ; aimons-le, nous donnant tout ˆ lui. Ne passons jamais un jour sans le remercier de tant de gr‰ces qu'il nous a accordŽes pendant notre vie ; demandons-lui pardon de nos pŽchŽs, en le priant de n'y plus penser, mais de les oublier pour l'ŽternitŽ. Demandons-lui la gr‰ce de ne penser qu'ˆ lui, et de ne dŽsirer que de lui plaire, dans tout ce que nous ferons pendant toute notre vie. Ç Mon Dieu, devons-nous dire, je dŽsire vous aimer autant que tous les anges et tous les saints ensemble. Je veux unir mon amour ˆ celui que, votre sainte Mre a eu pour vous, pendant qu'elle Žtait sur la terre. Mon Dieu, quand est-ce que j'aurai le bonheur de vous aller voir un jour dans le ciel, afin de vous aimer plus parfaitement ? È Si nous sommes seuls dans nos maisons, qui nous empche de nous mettre ˆ genoux ? Quand nous ne ferions que dire : Ç Mon Dieu, je veux vous aimer de tout mon cÏur, avec tous ses mouvements et toutes ses pensŽes et ses dŽsirs ; que le temps me dure de vous aller voir dans le ciel ! È Voyez-vous, M.F., comme il est facile de nous entretenir avec le bon Dieu et de le prier continuellement ? Voilˆ, M.F., ce que c'est que prier toute la journŽe.

2¡ Nous adorons Dieu par le dŽsir du ciel. Comment ne pas dŽsirer de possŽder Dieu, de le voir, ce qui est tout notre bonheur ?...

3¡ Nous disons que nous devons prier par paroles. Quand nous aimons quelqu'un, n'avons-nous pas un grand plaisir ˆ nous entretenir de lui et ˆ parler de lui ! Eh bien ! M.F., au lieu de parler de la conduite de l'un et de l'autre ; ce que nous ne faisons presque jamais sans offenser le bon Dieu ; qui nous empche de tourner notre conversation du c™tŽ des choses de Dieu, soit en lisant quelque Vie de Saint, soit en racontant ce que nous avons entendu dans une instruction, dans un catŽchisme ? Entretenons-nous surtout de notre sainte religion ; du bonheur que nous avons dans la religion chrŽtienne, des gr‰ces que le bon Dieu nous y fait. HŽlas ! M., F., s'il ne faut qu'une mauvaise conversation pour perdre une personne, souvent il n'en faut qu'une bonne pour la convertir, ou lui faire Žviter le pŽchŽ. Combien de fois, aprs avoir ŽtŽ avec quelqu'un qui nous ˆ parlŽ du bon Dieu, nous sommes-nous sentis tout portŽs au bon Dieu ; avons-nous pensŽ ˆ mieux faire !... Voilˆ ce qui faisait tant de saints au commencement de l'ƒglise ; toutes les conversations, tous les discours Žtaient du bon Dieu. Par lˆ, les chrŽtiens s'animaient les uns les autres ; ils concevaient toujours un nouveau gožt pour les choses de Dieu.

4¡ Nous avons dit que nous devons adorer Dieu par nos actions. Rien de plus facile, de plus mŽritoire : Si vous dŽsirez savoir comment cela se fait, le voici. Pour que nos actions soient mŽritoires et soient une prire continuelle nous devons d'abord, le matin, offrir toutes nos actions en gŽnŽral ; c'est-ˆ-dire, tout ce que nous ferons pendant la journŽe. Nous disons au bon Dieu, avant de commencer : Ç Mon Dieu, je vous offre toutes les pensŽes, les dŽsirs, les paroles et les actions que je ferai pendant ce jour ; faites-moi la gr‰ce de les bien faire et dans la seule vue de vous plaire. È Ensuite, de temps en temps, pendant la journŽe, nous renouvelons notre offrande, en disant ˆ Dieu : Ç Vous savez, mon Dieu, vous savez que je vous ai promis ds le matin de tout faire pour l'amour de vous. È Si nous faisons quelque aum™ne, dirigeons notre intention, en disant : Ç Mon Dieu, recevez cette aum™ne, ou ce service que je vais rendre ˆ mon prochain ; c'est pour vous demander telle gr‰ce. È Une fois, vous les ferez en l'honneur de la mort et passion de JŽsus-Christ, pour obtenir votre conversion ou celle de vos enfants, de vos domestiques ou d'autres personnes qui vous intŽressent ; une autre fois, en l'honneur de la trs-sainte Vierge, pour demander sa sainte protection pour vous et pour d'autres. Si l'on nous commande quelque chose qui nous rŽpugne, disons au bon Dieu : Ç Mon Dieu, je vous offre cela pour honorer le moment o l'on vous a fait mourir pour moi. È Faisons-nous quelque chose qui nous fatigue bien ? offrons-le au bon Dieu, afin qu'il nous dŽlivre des peines de l'autre vie. Lorsque nous nous reposons un moment, regardons le ciel qui, un jour, sera notre demeure. Voyez, M.F., si nous avions le bonheur de nous comporter de cette manire, combien nous gagnerions pour le ciel, en ne faisant que ce que nous faisons, mais en le faisant uniquement pour Dieu, et dans la seule vue de lui plaire. Saint Jean Chrysostome nous dit que trois choses se font aimer : la beautŽ, la bontŽ et l'amour. Ç Eh bien ! nous dit ce grand saint, le bon Dieu renferme toutes ces qualitŽs. È Nous lisons dans la Vie de sainte Lidwine [10] que, se sentant des douleurs trs violentes, un ange lui apparut pour la consoler. Elle nous le dit elle-mme : sa beautŽ lui parut si grande, et elle en fut si ravie, qu'elle oublia entirement ses souffrances. ValŽrien ayant vu l'ange qui conservait la puretŽ de sainte CŽcile, sa beautŽ le charma tant et lui toucha tellement le cÏur, quoiqu'il fžt encore pa•en, qu'il se convertit sur-le-champ [11] . Saint Jean, le disciple bien-aimŽ, nous dit qu'il vit un ange d'une beautŽ si grande, qu'il voulut l'adorer, mais l'ange lui dit : Ç Ne faites pas cela, je ne suis qu'un serviteur de Dieu comme vous. È Lorsque Mo•se demanda au Seigneur la gr‰ce de lui faire voir  sa face le Seigneur lui dit : Ç Mo•se, il est impossible ˆ un homme mortel de voir ma face sans mourir ; ma beautŽ est si grande, que toute personne qui me verra,  ne pourra vivre ; il faut que son ‰me sorte de son corps par la seule vue de ma beautŽ [12]  È. Sainte ThŽrse nous dit que JŽsus-Christ lui Žtait apparu souvent ; mais que jamais aucun homme ne pourra se former une idŽe de la grandeur de sa beautŽ, tant elle est au-dessus de tout ce que nous pouvons penser. Dites-moi, M.F., si nous avions le bonheur de nous former une idŽe de la beautŽ de Dieu, pourrions-nous ne pas l'aimer ? Oh ! que nous sommes aveugles ! HŽlas ! c'est que nous ne pensons qu'ˆ la terre et aux choses crŽŽes, et non aux choses de Dieu, qui nous Žlveraient jusqu'ˆ lui, qui nous dŽmontreraient quelque peu ses perfections, et qui toucheraient nos cÏurs. ƒcoutez saint Augustin : Ç ï beautŽ ancienne et toujours nouvelle ! je vous ai aimŽe bien tard [13]  ! È Il appelle la beautŽ de Dieu ancienne, parce qu'elle est de toute ŽternitŽ, et il l'appelle toujours nouvelle, parce que, plus on la voit, plus on la trouve belle. Pourquoi est-ce, M.F., que les anges et les saints ne se lasseront jamais d'aimer Dieu et de le contempler ? C'est, M.F., qu'ils sentiront toujours un nouveau gožt et un nouveau plaisir. Et pourquoi, M.F., ne ferions-nous pas la mme chose sur la terre, puisque nous le pouvons ? Ah ! M.F., quelle vie heureuse nous mnerions en nous prŽparant le ciel !

Nous lisons dans la Vie de saint Dominique, qu'il s'Žtait renoncŽ si entirement lui-mme, qu'il ne pouvait penser, ni dŽsirer, ni aimer autre chose que Dieu seul. Aprs avoir passŽ toute la journŽe ˆ allumer dans les cÏurs le feu de l'amour divin par ses prŽdications, il s'envolait la nuit dans le ciel, par ses contemplations et ses entretiens avec son Dieu. C'Žtait toutes ses occupations. Dans ses voyages, il ne pensait uniquement qu'ˆ Dieu ; rien n'Žtait capable de le distraire de cette heureuse pensŽe : que Dieu Žtait bon, aimable, et qu'il mŽritait bien d'tre aimŽ. Il ne pouvait comprendre comment il se pouvait trouver des hommes sur la terre qui pussent ne pas aimer le bon Dieu, puisqu'il Žtait si aimable. Il versait des torrents de larmes sur le malheur de ceux qui ne voulaient pas aimer un Dieu si bon et si digne d'tre aimŽ. Un jour, des hŽrŽtiques ayant cherchŽ le moyen de le faire pŽrir, mais le bon Dieu l'ayant sauvŽ par un miracle, un d'entre eux, lui demanda ce qu'il aurait fait s'il Žtait tombŽ entre leurs mains ? Il lui rŽpondit : Ç Je sens un si grand dŽsir d'aimer le bon Dieu, je voudrais tant souffrir et mourir pour lui, que je vous aurais priŽ de me tuer, non d'un seul coup, mais de couper mes membres ˆ tant petits morceaux que vous auriez pu, ensuite de m'arracher la langue et les yeux, les uns aprs les autres, et, aprs avoir roulŽ le tronc de mon corps dans mon sang, de me couper la tte ; et je voudrais que tous les hommes fussent dans la mme disposition que moi, parce que Dieu est si beau et si bon, que jamais l'on ne fera rien qui puisse approcher de ce qu'il mŽrite [14] . È Eh bien ! M.F., est-ce aimer le bon Dieu que d'tre dans une si belle disposition ? N'est-ce pas l'aimer tout de bon, de tout son cÏur et plus que soi-mme ?

Dites-moi, M.F., l'aimons-nous comme ce saint, nous qui semblons nous faire une espce de plaisir de l'offenser, nous qui ne voulons pas faire le moindre sacrifice pour Žviter le pŽchŽ ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu en manquant nos prires, en les faisant sans respect et sans dŽvotion ? Que de fois nous ne nous mettons pas seulement ˆ genoux ? Aimons-nous le bon Dieu, M.F., lorsque nous ne donnons pas mme le temps de prier le bon Dieu ˆ nos domestiques ou ˆ nos enfants ? Aimions-nous le bon Dieu, M.F., lorsque nous avons mangŽ de la viande les jours dŽfendus ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu lorsque nous travaillons les saints jours du dimanche ? Aimons-nous le bon Dieu lorsque nous sommes sans respect dans l'Žglise, que nous y dormons, causons et tournons la tte ou que nous sortons dehors, pendant les offices ? HŽlas ! M.F., disons-le en gŽmissant, que de fant™mes d'adorateurs ! HŽlas ! que de chrŽtiens qui ne sont chrŽtiens que de nom !

En troisime lieu, nous disons que nous devons aimer le bon Dieu parce qu'il est infiniment bon. Quand Mo•se demanda au Seigneur de lui faire voir sa face, il lui dit : Ç Mo•se, si je te fais voir ma face, je te montrerai l'abrŽgŽ et l'assemblage de tous les biens [15] . È Nous lisons dans l'ƒvangile qu'une femme s'Žtant prosternŽe devant Notre-Seigneur, l'appela Ç Bon Ma”tre. È Notre-Seigneur lui dit : Ç Pourquoi m'appelez-vous Bon Ma”tre, il n'y a que Dieu seul qui soit bon [16]  ; È voulant nous dire qu'il est la source de toute sorte de biens. Sainte Madeleine de Pazzi nous dit qu'elle voudrait avoir assez de force pour se faire entendre aux quatre coins du monde, afin de dire ˆ tous les hommes d'aimer le bon Dieu de tout leur cÏur, parce qu'il est infiniment aimable. Nous lisons dans la Vie de saint Jacques, religieux de Saint Dominique [17] , qu'il s'en allait dans les campagnes et dans les bois, criant, de toutes ses forces : Ç ï ciel ! et vous, ™ terre ! n'aimez-vous pas le bon Dieu aussi bien que les autres crŽatures, puisqu'il est infiniment digne d'tre aimŽ ? ï mon Sauveur ! si les hommes sont si ingrats que de ne pas vous aimer, ™ vous, toutes les crŽatures, aimez votre CrŽateur, puisqu'il est si bon et si aimable ! È Ah ! M.F., si nous pouvions une fois comprendre combien l'on est heureux en aimant le bon Dieu, nous pleurerions nuit et jour d'avoir ŽtŽ si longtemps privŽs de ce bonheur !... HŽlas ! que l'homme est misŽrable ! un simple respect humain, un petit qu'en-dira-t-on, lui empchera de montrer ˆ ses frres qu'il aime son Dieu !... ï mon Dieu ! peut-on bien le comprendre ?...

Nous lisons dans l'histoire que, en tourmentant saint Polycarpe, ses bourreaux lui disaient : Ç Pourquoi est-ce que vous n'adorez pas les idoles ? È – Ç C'est, leur dit-il, que je ne peux pas ; parce que je n'adore qu'un seul Dieu, crŽateur du ciel et de la terre. È. – Ç Mais, lui disaient-ils, si vous ne faites pas ce que nous voulons, nous vous ferons mourir. È – Ç Je consens volontiers ˆ mourir, mais jamais je n'adorerai le dŽmon. È – Ç Mais quel mal trouvez-vous ˆ dire : Seigneur CŽsar, et ˆ sacrifier, pour sauver votre vie ? È – Ç Je ne le ferai pas, je prŽfre mourir. È – Ç Jure par la fortune de CŽsar, lui dit le juge, et dis des injures ˆ ton Christ. È Le saint lui dit : Ç Comment pourrais-je dire des injures ˆ mon Dieu : il y a quatre-vingts ans que je le sers, et il ne m'a fait que du bien. È Le peuple, tout en fureur d'entendre la manire dont il rŽpondait au juge, s'Žcria : Ç C'est le docteur de l'Asie, le pre des chrŽtiens ; livrez-le nous. È. – Ç ƒcoute, juge, lui dit le saint Žvque, voici ma religion : je suis chrŽtien, je sais souffrir, mourir, et non dire des injures ˆ mon Sauveur JŽsus-Christ qui m'a tant aimŽ et qui mŽrite tant d'tre aimŽ ! È – Ç Si tu ne veux pas obŽir, lui dit le juge, je te ferai bržler tout vif. È – Ç Le feu dont vous me menacez ne dure qu'un moment ; mais vous ne connaissez pas celui de la justice de Dieu, qui bržlera Žternellement les impies. Que tardez-vous ! voilˆ mon corps prt ˆ recevoir tous les tourments que vous pourrez inventer. È Tous les pa•ens se mirent ˆ crier : Ç Il mŽrite la mort, qu'il soit bržlŽ vif. È HŽlas ! tous ces malheureux prŽparent le bžcher, comme des dŽsespŽrŽs, et pendant ce temps-lˆ, saint Polycarpe se prŽpare ˆ la mort, et remercie JŽsus-Christ de lui faire part de son calice. Le bžcher Žtant prt, on prit notre saint et on le jeta dedans ; mais les flammes, moins cruelles que les bourreaux, respectaient notre saint et faisaient autour de lui comme un voile, de sorte que son corps n'en reut aucun dommage : ce qui obligea le persŽcuteur ˆ le faire poignarder dans son bžcher. Le sang coula avec tant d'abondance que le feu en fut tout Žteint [18] . Voilˆ, M.F., ce que l'on appelle aimer le bon Dieu parfaitement, c'est l'aimer plus que sa vie mme. HŽlas ! o trouverions-nous des chrŽtiens, dans le malheureux sicle o nous vivons, qui fissent cela pour le bon Dieu ? HŽlas ! qu'ils seraient semŽs bien clairs ! Mais aussi, qu'il en est peu qui iront au ciel !

Nous devons aimer le bon Dieu ˆ cause des biens que nous en recevons continuellement. D'abord, notre premier bienfait, c'est notre crŽation. Nous avons le bonheur d'tre douŽs de tant de belles qualitŽs : un corps et une ‰me formŽs par la main du Tout-Puissant [19]  ; une ‰me qui ne doit jamais pŽrir, qui est destinŽe ˆ aller passer son ŽternitŽ avec les anges dans le ciel ; une ‰me, dis-je, qui est capable de conna”tre Dieu, de l'aimer et de le servir ; une ‰me qui est le plus bel ouvrage de la trs sainte TrinitŽ, une ‰me que Dieu seul surpasse. En effet toutes les crŽatures qui sont sur la terre pŽriront ; au lieu que notre ‰me ne sera jamais dŽtruite. ï mon Dieu si nous Žtions tant soit peu pŽnŽtrŽs de ce bienfait, ne passerions-nous pas toute notre vie en actions de gr‰ces, ˆ la vue d'un don si grand et si prŽcieux ?  

Un autre bienfait qui n'est pas moindre, M.F., c'est le don que le Pre Žternel nous a fait de son Fils, qui a souffert et endurŽ tant de tourments pour nous racheter, aprs que nous nous fžmes vendus au dŽmon par le pŽchŽ d'Adam. Quel autre plus grand bienfait pouvait-il nous faire que d'Žtablir une religion si sainte et si consolante pour tous ceux qui la connaissent et qui ont le bonheur de la pratiquer. Saint Augustin dit : Ç Ah ! belle religion, si l'on te mŽprise, c'est bien parce que l'on ne te conna”t pas. È Ç Non, M.F., nous dit saint Paul, vous n'tes plus vous-mmes, vous avez ŽtŽ rachetŽs tous par le sang d'un Dieu fait homme [20] . È Ç ï mes enfants, nous dit saint Jean, quel honneur pour de viles crŽatures d'avoir ŽtŽ adoptŽes pour les enfants de Dieu mme, pour les frres de JŽsus-Christ ! Quelle charitŽ ; nous dit-il, que nous soyons appelŽs enfants de Dieu et que, vŽritablement, nous le soyons [21]  ; et qu'avec cette qualitŽ si glorieuse, il nous promette encore le ciel ! È

Examinez encore, si vous voulez, tous ces bienfaits particuliers : il nous a fait na”tre de parents chrŽtiens, il nous a conservŽ la vie, malgrŽ que nous fussions ses ennemis ; il nous a tant de fois pardonnŽ nos pŽchŽs, il nous a prodiguŽ tant de gr‰ces pendant toute notre vie. Aprs tout cela, M.F., est-il bien possible que nous n'aimions pas un Dieu si bon et si bienfaisant ? ï mon Dieu ! quel malheur est comparable ! Nous lisons dans l'histoire, qu'un homme avait tirŽ une Žpine de la patte d'un lion ; ce mme lion fut pris au bout de quelque temps pour tre mis avec les autres dans la fosse. Cet homme, qui lui avait tirŽ son Žpine, fut condamnŽ ˆ tre dŽvorŽ par les lions. ƒtant dans la fosse pour y tre  dŽvorŽ, ce lion le reconnut. Bien loin de le dŽvorer, il se jeta ˆ ses pieds, et se laissa dŽvorer parles autres lions en dŽfendant son bienfaiteur.

Ah ! ingrats que nous sommes, est-il bien possible que nous passions notre vie, sans vivre de manire ˆ montrer au bon Dieu que nous lui sommes reconnaissants de tous ses bienfaits ? Comprenez, si vous le pouvez, M, F., quelle sera notre honte, un jour, lorsque le bon Dieu nous montrera que les btes sans raison ont ŽtŽ plus reconnaissantes des moindres bienfaits qu'elles ont reus des hommes, et que nous, comblŽs de tant de gr‰ces, de lumires et de biens, bien loin d'en remercier notre Dieu, nous ne faisons que l'offenser ! ï mon Dieu ! quel malheur est comparable ˆ celui-lˆ ! Il est rapportŽ dans la Vie de saint Louis, roi de France, qu'Žtant allŽ dans la Terre sainte, un de ses cavaliers Žtant allŽ ˆ la chasse, il entendit les gŽmissements d'un lion. S'Žtant approchŽ, il vit ce lion qu'un gros serpent avait entourŽ de sa queue et commenait ˆ manger. Ce cavalier trouva moyen de tuer le serpent. Ce lion en fut si reconnaissant, qu'il se mit ˆ sa suite, comme un agneau qui suit son berger. Comme ce cavalier Žtait obligŽ de traverser les mers, le lion ne pouvant entrer dans le vaisseau, se mit ˆ la nage en suivant son bienfaiteur, jusqu'ˆ ce qu'il ežt perdu la vie dans les eaux. Quel exemple, M.F. : une bte perdre la vie pour tŽmoigner sa reconnaissance ˆ son bienfaiteur ! et nous, bien loin de tŽmoigner la n™tre ˆ notre Dieu, nous ne cessons de l'offenser par le pŽchŽ qui lui fait tant d'outrages ! Saint Paul nous dit que celui qui n'aime pas Dieu n'est pas digne de vivre [22]  ; en effet, ou l'homme doit aimer son Dieu, ou il doit cesser de vivre.

Nous disons que nous devons aimer le bon Dieu parce qu'il nous le commande. Saint Augustin [23] s'Žcrie, en nous parlant de ce commandement : Çï aimable commandement ! Mon Dieu ! qui suis-je, pour que vous me commandiez de vous aimer ? Si je ne vous aime pas, vous me menacez de grandes misres : est-ce donc une petite misre que de ne pas vous aimer ? Quoi ! mon Dieu, vous me commandez de vous aimer ? N'tes-vous pas infiniment aimable ? N'est-ce pas dŽjˆ trop que vous vouliez nous le permettre ? ï quel bonheur pour une crŽature aussi misŽrable que nous de pouvoir aimer un Dieu si aimable ! Ah ! gr‰ce inestimable, que vous tes peu connue ! È

Nous lisons dans l'ƒvangile [24] qu'un docteur de la loi dit un jour ˆ JŽsus-Christ : Ç Ma”tre, quel est le plus grand de tous les commandements ? È JŽsus-Christ lui rŽpondit, le voici : Ç Vous aimerez le Seigneur de tout votre cÏur, de toute votre ‰me et de toutes vos forces, È Saint Augustin nous dit : Ç Si vous avez le bonheur d'aimer le bon Dieu, vous deviendrez, en quelque sorte, semblable ˆ lui ; si vous aimez la terre, vous deviendrez tout terrestre ; mais si vous aimez les choses du ciel, vous deviendrez tout cŽleste. È ï mon Dieu ! quel bonheur de vous aimer ; puisque vous aimant nous recevons toutes sortes de biens. Non, M.F., ne soyons pas ŽtonnŽs si tant de grands du monde ont quittŽ le brouard [25] du sicle pour aller s'ensevelir dans des forts ou entre quatre murs, pour ne plus rien faire autre qu'aimer Dieu. Voyez un saint Paul, ermite, dont toute l'occupation, pendant quatre-vingts ans, fut de prier et aimer le bon Dieu le jour et la nuit. Voyez encore un saint Antoine auquel il semble que les nuits ne soient pas assez grandes pour louer, dans le silence, son Dieu et son Sauveur, et qui se plaint que le soleil vient trop vite [26] . Aimer le bon Dieu, M.F., ah ! quel bonheur, quand nous aurons le bonheur de le comprendre ! Jusqu'ˆ quand, M.F., aurons-nous de la rŽpugnance pour faire un ouvrage qui devrait faire tout notre bonheur dans ce monde et notre fŽlicitŽ dans l'ŽternitŽ ?... Aimer Dieu, M.F., ah ! quel bonheur !... Mon Dieu, donnez-nous la foi et nous vous aimerons de tout notre cÏur.

Je dis que nous devons aimer le bon Dieu ˆ cause des grands biens que nous en recevons. Ç Dieu, nous dit saint Jean, aime ceux qui l'aiment [27] . È Dites-moi, M.F., pouvons-nous avoir un plus grand bonheur en ce monde que d'tre aimŽs de Dieu mme ? Ainsi, M.F., le bon Dieu nous aimera selon que nous l'aimerons, c'est-ˆ-dire que si nous l'aimons beaucoup, il nous aimera beaucoup ; ce qui nous devrait porter ˆ aimer le bon Dieu autant que nous le pouvons, et que nous en sommes capables. Cet amour sera la mesure de la gloire que nous aurons en paradis, elle sera ˆ proportion de l'amour que nous aurons eu pour lui pendant notre vie ; ceux qui auront plus aimŽ le bon Dieu en ce monde auront une plus grande gloire dans le ciel, et l'aimeront davantage ; parce que la vertu de charitŽ nous accompagnera toute l'ŽternitŽ, et elle recevra un nouveau degrŽ dans le ciel. Oh ! M.F., quel bonheur d'avoir beaucoup aimŽ le bon Dieu pendant notre vie ! nous l'aimerons beaucoup dans le paradis.

Saint Antoine nous dit qu'il n'y a rien que le dŽmon craigne tant qu'une ‰me qui aime le bon Dieu ; et que celui qui aime le bon Dieu porte avec lui la marque d'un prŽdestinŽ ; puisqu'il n'y a que les dŽmons et les rŽprouvŽs qui n'aiment pas le bon Dieu. HŽlas ! M.F., le plus grand de tous les malheurs ; c'est qu'ils n'auront jamais le bonheur de l'aimer. ï mon Dieu, peut-on bien y penser et ne pas mourir de regret !... Nous lisons dans la Vie de sainte Catherine de Gnes, qu'Žtant prŽsente lorsqu'on exorcisait un possŽdŽ, elle lui demanda comment il s'appelait. Le dŽmon lui rŽpondit qu'il s'appelait : Esprit sans amour de Dieu. Ç Eh quoi ! lui dit la sainte, tu n'aimas pas le bon Dieu qui est si aimable ? È – Ç Oh ! non, non, s'Žcria-t-il. È – Ç Ah ! je n'aurais jamais cru qu'il y ežt une crŽature qui n'aim‰t pas le bon Dieu. È Elle tomba morte. Etant revenue ˆ elle, comme on lui demanda ce qui l'avait fait Žvanouir, elle rŽpondit que jamais elle n'aurait pu croire qu'il y ežt une crŽature qui n'aim‰t pas le bon Dieu ; que cela l'avait tellement surprise, que le cÏur lui avait manquŽ. Mais, dites-moi, M.F., n'avait-elle pas raison ? puisque nous ne sommes crŽŽs que pour cela seul. Ds que nous cessons d'aimer le bon Dieu, nous ne faisons pas ce que le bon Dieu veut que nous fassions.

En effet, M.F., quelle est la premire demande que l'on nous a faite lorsque nous sommes venus au catŽchisme pour nous instruire de notre religion ? Ç Qui vous a crŽŽ et conservŽ jusqu'ˆ prŽsent ? È Nous avons rŽpondu : Ç C'est Dieu. È – Ç Et pourquoi encore ? È Ç Pour le conna”tre, l'aimer, le servir et, par ce moyen, acquŽrir la vie Žternelle. È Oui, M.F., notre unique occupation sur la terre est d'aimer le bon Dieu ; c'est-ˆ-dire de commencer ˆ faire ce que nous ferons pendant toute l'ŽternitŽ. Pourquoi encore devons-nous aimer le bon Dieu ? C'est, M.F., que tout notre bonheur se trouve et ne peut se trouver que dans l'amour de Dieu. De sorte, M.F., que quand nous n'aimerons pas le bon Dieu, nous serons toujours malheureux ; et si nous voulons avoir quelques consolations et quelques adoucissements dans nos peines, nous n'en trouverons que dans l'amour que nous aurons pour Dieu. Si vous voulez vous en convaincre, allez trouver le plus heureux selon le monde ; s'il n'aime pas le bon Dieu, il ne sera que malheureux ; et au contraire, si vous allez trouver le plus malheureux aux yeux du monde, s'il vous rŽpond qu'il aime Dieu, il est heureux sous tous les rapports. ï mon Dieu ! ouvrez donc les yeux de notre ‰me, et nous chercherons notre bonheur o nous pouvons le trouver !

 

III. – Mais, me direz-vous en finissant, comment devons-nous donc aimer le bon Dieu ? – Comment il faut l'aimer, M.F. ? ƒcoutez saint Bernard, il va lui-mme nous l'apprendre en nous disant que nous devons aimer Dieu sans mesure. Ç Comme Dieu est infiniment aimable, nous ne pourrons jamais l'aimer comme il le mŽrite. È Mais JŽsus-Christ, lui-mme [28] nous apprend la mesure dont nous devons l'aimer, en nous disant : Ç Vous aimerez votre Dieu de toute votre ‰me, de tout votre cÏur, de toutes vos forces. Vous graverez bien ces pensŽes dans votre esprit, et vous apprendrez toutes ces choses ˆ vos enfants. È Saint Bernard nous dit, qu'aimer le bon Dieu de tout notre cÏur, c'est l'aimer courageusement et avec ferveur : c'est-ˆ-dire, tre prt ˆ souffrir tout ce que le dŽmon et le monde nous feront souffrir, plut™t que de cesser de l'aimer. C'est le prŽfŽrer ˆ tout, et n'aimer rien que pour l'amour de lui. Saint Augustin disait ˆ Dieu : Ç Quand mon cÏur, ™ mon Dieu, sera trop grand pour vous aimer, alors j'aimerai quelque autre chose avec vous ; mais comme mon cÏur sera toujours trop petit pour vous, et que vous tes infiniment aimable, je n'aimerai jamais que vous. È Nous devons aimer le bon Dieu, non seulement comme nous-mmes, mais encore plus que nous-mmes, et tre toujours dans la rŽsolution de donner notre vie pour lui.

Nous pouvons dire que tous les martyrs l'ont vŽritablement aimŽ, puisqu'ils ont prŽfŽrŽ souffrir la perte de leurs biens, le mŽpris, les prisons, les fouets, les roues, les gibets, le fer et le feu, et enfin tout ce que la rage des tyrans a pu inventer, plut™t que de l'offenser.

Il est rapportŽ dans l'histoire des martyrs du Japon, que quand on leur annonait l'ƒvangile et qu'on les instruisait des grandeurs de Dieu, de ses bontŽs et de son amour pour les hommes ; surtout quand on leur apprenait les grands mystres de notre sainte religion, tout ce que le bon Dieu avait fait pour les hommes : un Dieu naissant dans la pauvretŽ, un Dieu souffrant et mourant pour le salut, Ç oh ! qu'il est bon, s'Žcriaient-ils, qu'il est bon le Dieu des chrŽtiens ! oh ! qu'il est aimable ! È Mais quand on leur disait que ce mme Dieu nous avait fait un commandement par lequel il nous ordonnait de l'aimer, et que si nous ne l'aimions pas il nous menaait d'un ch‰timent Žternel, ils en Žtaient si ŽtonnŽs et si surpris qu'ils ne pouvaient en revenir. Ç Eh quoi ! disaient-ils, faire ˆ des hommes raisonnables un prŽcepte d'aimer Dieu, qui nous a tant aimŽs !... n'est-ce pas le plus grand de tous les malheurs que de ne l'aimer pas, et n'est-ce pas le plus grand de tous les bonheurs que de l'aimer ? Eh quoi ! est-ce que les chrŽtiens ne sont pas toujours au pied des autels pour adorer leur Dieu, pŽnŽtrŽs de tant de bontŽ et tout embrasŽs de son amour ? È Mais quand on venait ˆ leur apprendre qu'il y avait des chrŽtiens qui, non seulement ne l'aimaient pas, mais encore qui passaient presque toute leur vie ˆ l'offenser : Ç ï peuple ingrat ! ™ peuple barbare ! s'Žcriaient-ils avec indignation, est-il bien possible que des chrŽtiens soient capables de telles horreurs ! Ah ! dans quelle terre mau­dite habitent donc ces hommes sans cÏur et sans sentiments ? È HŽlas ! M.F., si ces martyrs reparaissaient maintenant sur la terre, et qu'on leur f”t le rŽcit de tous outrages que les chrŽtiens font ˆ chaque instant ˆ Dieu, ˆ un Dieu si bon qui veut et qui ne cherche que leur bonheur Žternel ; hŽlas ! M.F., pourraient-ils bien le croire ? Triste pensŽe, M.F., jusqu'ˆ prŽsent nous n'avons pas aimŽ le bon Dieu !....

Non seulement un bon chrŽtien doit aimer le bon Dieu de tout son cÏur ; mais encore il doit faire tous ses efforts pour le faire aimer des autres hommes. Les pres et mres, les ma”tres et ma”tresses doivent user de tout leur pouvoir pour le faire aimer de leurs enfants et de leurs domestiques. Oh ! qu'un pre et une mre auront de mŽrite auprs du bon Dieu, si tous ceux qui sont avec eux l'aiment autant qu'il est possible ! – Oh ! que de bŽnŽdictions le bon Dieu rŽpandrait sur ces maisons !... Oh ! que de biens et pour le temps et pour l'ŽternitŽ !...

Mais quelles sont les marques par lesquelles nous reconna”trons que nous aimons le bon Dieu ? Les voici, M.F.. C'est si nous pensons souvent ˆ lui, si notre esprit en est souvent occupŽ, si nous avons beaucoup de plaisir, si nous aimons ˆ entendre parler de lui dans les instructions, et dans tout ce qui peut nous faire rappeler de lui. Si nous aimons le bon Dieu, M.F., nous craindrons grandement de l'offenser, nous serons toujours sur nos gardes, nous veillerons sur tous les mouvements de notre cÏur, crainte d'tre trompŽs par le dŽmon. Mais le dernier moyen, c'est de le lui demander souvent, puisque son amour vient du ciel. Il faut y porter notre pensŽe pendant la journŽe, la nuit mme, en nous Žveillant, en produisant des actes d'amour de Dieu, lui disant : Ç Mon Dieu, faites-moi la gr‰ce de vous aimer autant  qu'il est possible que je vous aime. È Il faut avoir une grande dŽvotion ˆ la sainte Vierge qui a aimŽ le bon Dieu, elle seule, plus que tous les saints ensemble : avoir une grande dŽvotion au Saint-Esprit, surtout ˆ neuf heures du matin. Ce fut le moment o le Saint-Esprit descendit sur les ap™tres, pour les embraser de son amour [29] . A midi, il faut nous rappeler le mystre de l'Incarnation, o le fils de Dieu s'est incarnŽ dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie, en lui demandant de descendre dans nos cÏurs, comme il descendit dans le sein de sa bienheureuse Mre [30] . A trois heures, il faut nous reprŽsenter ce bon et charitable Sauveur, qui meurt pour nous mŽriter un amour Žternel. Nous devons, dans ce moment, produire un acte de contrition, pour lui tŽmoigner le regret que nous avons de l'avoir offensŽ.

Concluons, M.F., que puisque notre bonheur ne peut se trouver que dans l'amour que nous aurons pour Dieu, nous devons grandement craindre le pŽchŽ, puisque lui seul nous le fait perdre. Allez, M.F., puiser cet amour divin dans les sacrements que vous pouvez recevoir ! Allez ˆ la table sainte avec un grand tremblement et avec une grande confiance, puisqu'il est notre Dieu, notre Sauveur et notre Pre, qui ne veut que notre bonheur ; je vous le souhaite...

 

[1] ...Et cÏlites et inferi

Tremente curvantur genu.

Ex hymn. CREATOR ALME SIDERUM, Temp. Adv.

[2] IS. VI, 1-3.  

[3] APOC. V, 11.

[4] Ps. CXVIII, 164.

[5] Ps. CVII, 24.

[6] DAN. VI, 10.    

[7] LUC. VI, 12.

[8] Saint Jacques le Mineur. Voir la lŽgende de son office, au 1¡ mai, 5¡ leon des matines.

[9] RIBADENEIRA, au 26 aožt.  

[10] Sainte Lidwine, vierge, dont parle plusieurs fois le VŽnŽrable dans ses Sermons, est honorŽe le 14 avril. Voir les Vies des Saints par RibadŽneira ˆ ce jour.

[11] Dans RibadŽneira, dont se servait le VŽnŽrable, la Vie des saints Tiburce, ValŽrien et Maxime, est rapportŽe Žgalement au 16 avril.

[12] EXOD. XXXIII, 20.

[13] Conf. lib. X, cap. XXVII. 

[14] RIBADENEIRA, au 4 aožt.

[15] EXOD. XXXIII, 18-19.

[16] MATTH. XIX, 17. 

[17] Sa fte est marquŽe au 12 octobre. RIBADENEIRA.

[18] RIBADENEIRA, au 26 Janvier.

[19] Manus tuae fecerunt me et plasmeverunt me totum in circuitu. JOB, X, 8.

[20] Non estis vestri. Empti enim estis pretio magno. I COR. VI, 19-20.

[21] I JOAN. III, 1.

[22] I COR. XVI, 22.

[23] CitŽ par le Pre Lejeune, t. III, Sermon XLV, De l'amour de Dieu.

[24] MATTH. II, 38.   

[25] Tumulte.

[26] Vie des Pres du dŽsert, t. 1¡, p. 42.

[27] Ego diligentes me diligo. PROV. VIII, 27. - Ipse Pater amat vos, quia vos me amastis. JOAN. XVI, 27. 

[28] Dieu lui-mme, dans le DeutŽronome, chap. VI, 5-7.

[29] ACT. II, 15.

[30] La tradition de l'ƒglise est que la Sainte Vierge Žtait en prire, ˆ l'heure de minuit, lorsque l'ange Gabriel vint lui annoncer le mystre de l'Incarnation. 

 

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