17me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(DIXIéME SERMON)

Sur la CharitŽ

(FRAGMENTS)

 

 

Diliges Deum tuum in toto corde tuo

Vous aimerez le Seigneur de tout votre cÏur

(S.Matth., xxii, 37.)

 

Pour servir le bon Dieu parfaitement, ah ! ce n'est pas assez de croire en lui. Il est vrai que la foi nous fait croire toutes les vŽritŽs que l'ƒglise nous enseigne, et que, sans cette foi, toutes nos actions sont sans mŽrite aux yeux de Dieu. La foi nous est donc absolument nŽcessaire pour nous sauver. Cependant cette foi prŽcieuse qui nous dŽcouvre d'avance les beautŽs du ciel nous quittera un jour, parce que, dans l'autre vie, il n'y aura plus de mystres. L'espŽrance, qui est un don du ciel, nous est aussi nŽcessaire pour nous faire agir avec des intentions bien droites et bien pures, dans la seule vue de plaire ˆ Dieu, en tout ce que nous faisons, soit pour gagner le ciel, soit pour Žviter l'enfer. Mais la charitŽ nous porte ˆ aimer Dieu parce qu'il est, infiniment bon, infiniment aimable et qu'il mŽrite d'tre aimŽ.

Mais, me direz-vous, comment donc conna”tre si nous avons cette belle vertu qui est si agrŽable ˆ Dieu, et qui nous fait agir avec tant de noblesse ; c'est-ˆ-dire, qui nous porte ˆ aimer le bon Dieu, non par la crainte des peines de l'enfer, ni par l'espŽrance du ciel ; mais unique­ment ˆ cause de ses perfections infinies ? – Ce qui doit nous porter ˆ tant dŽsirer et ˆ tant demander au bon Dieu cette belle vertu, c'est qu'elle doit nous accompa­gner toute l'ŽternitŽ. Bien plus, c'est la charitŽ qui doit faire tout notre bonheur ; puisque la fŽlicitŽ des bienheu­reux consiste ˆ aimer. Cette vertu si belle ; si capable de nous rendre heureux, mme ds ce monde, voyons, M.F., si nous l'avons, et cherchons les moyens de l'ac­quŽrir.

 

I. – Si je demandais ˆ un enfant : Qu'est-ce que la charitŽ ? Il me rŽpondrait : C'est une vertu qui nous vient du ciel, par laquelle nous aimons Dieu de tout notre cÏur, et le prochain comme nous-mmes par rapport ˆ Dieu. – Mais, me demanderez-vous maintenant, qu'est-ce qu'aimer le bon Dieu par-dessus toutes choses, et plus que soi-mme ? – C'est le prŽfŽrer ˆ tout ce qui est crŽŽ ; c'est tre dans la disposition de perdre son bien, sa rŽputation, ses parents et ses amis, ses enfants ; son mari ou sa femme et sa vie mme, plut™t que de commettre le moindre pŽchŽ mortel [1] . Saint Augustin nous dit qu'aimer Dieu parfaitement, c'est l'aimer sans mesure, quand il n'y aurait ni ciel ˆ espŽrer, ni enfer ˆ craindre ; c'est l'aimer de toute l'Žtendue de son cÏur. Si vous m'en demandez la raison, c'est que Dieu est infiniment aimable et digne d'tre aimŽ. Si nous l'aimons vŽritablement, ni les souffrances, ni les persŽcutions, ni le mŽpris, ni la vie, ni la mort ne pourront nous ravir cet amour que nous devons ˆ Dieu.

Nous sentons nous-mmes, M.F., que si nous n'aimons pas le bon Dieu nous ne pouvons tre que bien malheureux, trs malheureux. Si l'homme est crŽŽ pour aimer le bon Dieu, il ne peut trouver son bonheur qu'en Dieu seul. Quand nous serions ma”tres du monde, si nous n'aimons pas le bon Dieu, nous ne pouvons tre que malheureux tout le temps de notre vie. Si vous voulez mieux vous en convaincre, voyez, interrogez les gens qui vivent sans aimer le bon Dieu. Voyez ces personnes qui abandonnent la frŽquentation des sacrements et la prire, voyez-les dans quelque chagrin, quelque perte, hŽlas ! elles se maudissent, elles se tuent, ou meurent de chagrin. Un avare n'est pas plus content quand il a beaucoup que quand il a peu. Un ivrogne est-il plus heureux, aprs avoir bu le coup de vin o il croyait trouver tout son plaisir ? Il n'en est que plus malheureux, Un orgueilleux n'a jamais de repos : il craint toujours d'tre mŽprisŽ. Un vindicatif, en cherchant ˆ se venger, ne peut dormir ni le jour ni la nuit. Voyez encore un inf‰me impudique qui croit trouver son bonheur dans les plaisirs de la chair : il va jusqu'ˆ, je ne dis pas perdre sa rŽputation, mais son bien, sa santŽ et son ‰me, sans cependant pouvoir trouver de quoi se contenter. Et pourquoi, M.F., ne pouvons-nous pas tre heureux en tout ce qui semble devoir nous contenter ? Ah ! c'est que, n'Žtant crŽŽs que pour Dieu, il n'y a que lui seul qui pourra nous satisfaire, c'est-ˆ-dire nous rendre heureux autant qu'il est possible de l'tre sur cette pauvre terre. Aveugles que nous sommes, nous nous attachons ˆ la vie, ˆ la terre et ˆ ses biens ! hŽlas ! aux plaisirs, disons mieux, nous nous attachons ˆ tout ce qui est, capable de nous rendre malheureux !

Combien les saints, M.F., ont ŽtŽ plus sages que nous de tout mŽpriser pour ne chercher que Dieu seul ! Que celui qui aime vŽritablement le bon Dieu fait peu de cas de tout ce qui est sur la terre ! Combien de grands du monde, combien mme de princes, de rois et d'empereurs, ne voyons-nous pas, qui ont tout laissŽ pour aller servir le bon Dieu plus librement dans les dŽserts ou dans les monastres ! Combien d'autres pour montrer au bon Dieu leur amour, sont montŽs sur les Žchafauds, comme des vainqueurs sur leurs tr™nes ! Ah ! M.F., que celui qui a le bonheur de se dŽtacher des choses du monde pour ne s'attacher qu'ˆ Dieu seul est heureux ! HŽlas ! combien en est-il parmi vous qui ont vingt ou trente ans, et n'ont jamais demandŽ au bon Dieu cet amour qui est un don du ciel, comme vous le dit votre catŽchisme. Ds lors, il ne faut pas nous Žtonner, M.F., si nous sommes si terrestres et si peu spirituels ! Cette manire de nous comporter ne peut nous conduire qu'ˆ une fin bien malheureuse : la sŽparation de Dieu pour l'ŽternitŽ. Ah ! M.F., est-il bien possible que nous ne voulions pas nous tourner du c™tŽ de notre bonheur qui est Dieu seul ! Quittons ce sujet, quoique si intŽressant..... La charitŽ fait toute la joie et la fŽlicitŽ des saints dans le ciel. Ah ! Ç beautŽ ancienne et toujours nouvelle, È quand est-ce que nous n'aimerons que vous ?

Si maintenant je demandais ˆ un enfant : Qu'est-ce que la charitŽ par rapport au prochain ? Il me rŽpondrait : La charitŽ pour Dieu doit nous le faire aimer plus que nos biens, notre santŽ, notre rŽputation et notre vie mme ; la charitŽ que nous devons avoir pour notre prochain doit nous le faire aimer comme nous-mmes, de sorte que, tout le bien que nous pouvons dŽsirer pour nous nous devons le dŽsirer pour notre prochain ; si nous voulons avoir cette charitŽ sans laquelle il n'y a ni ciel, ni amitiŽ de Dieu ˆ espŽrer. HŽlas ! que de sacrements fait profaner ce dŽfaut de charitŽ, et que d'‰mes il conduit en enfer ! Mais que doit-on entendre par ce mot notre prochain ? Rien de plus facile ˆ comprendre. Cette vertu s'Žtend ˆ tout le monde, aussi bien ˆ ceux qui nous ont fait du mal, qui ont nui ˆ notre rŽputation, nous ont calomniŽs et qui nous ont fait quelque tort, mme quand ils auraient cherchŽ ˆ nous ™ter la vie. Nous devons les aimer comme nous-mmes, et leur souhaiter tout le bien que nous pouvons nous dŽsirer. Non seulement il nous est interdit de leur vouloir aucun mal, mais il faut leur rendre service toutes les fois qu'ils en ont besoin et que nous le pouvons. Nous devons nous rŽjouir quand ils rŽussissent dans leurs affaires, nous attrister quand ils Žprouvent quelque disgr‰ce, quelque perte, prendre leur parti quand on en dit du mal, dire le bien que nous savons d'eux, ne point fuir leur compagnie, leur parler mme de prŽfŽrence ˆ ceux qui nous ont rendu quelque service : voilˆ, M.F., comment le bon Dieu veut que nous aimions notre prochain. Si nous ne nous comportons pas de cette manire, nous pouvons dire que nous n'aimons ni notre prochain, ni le bon Dieu : nous ne sommes que de mauvais chrŽtiens, et nous serons damnŽs.

Voyez, M.F., la conduite que tint Joseph envers ses frres qui avaient voulu le faire mourir, qui l'avaient jetŽ dans une citerne et qui l'avaient ensuite vendu ˆ des marchands Žtrangers [2] . Dieu lui restait seul pour consolateur. Mais comme le Seigneur n'abandonne pas ceux qui l'aiment, autant Joseph avait ŽtŽ humiliŽ ; autant il fut ŽlevŽ. Lorsqu'il fut devenu presque ma”tre du royaume de Pharaon, ses frres, rŽduits ˆ la plus grande misre, vinrent le trouver sans le conna”tre. Joseph voit venir ˆ lui ceux qui avaient voulu lui ™ter la vie, et qui l'auraient fait mourir si l'a”nŽ ne les en ežt dŽtournŽs. Il a tous les pouvoirs de Pharaon entre les mains, il pourrait les faire prendre et les faire mourir. Rien ne pouvait l'en empcher ; au contraire, il Žtait mme juste de punir des mŽchants. Mais que fait Joseph ?... la charitŽ qu'il a dans le cÏur lui a fait perdre le souvenir des mauvais traitements qu'il a reus. Il ne pense qu'ˆ les combler... il pleure de joie, il demande vite des nouvelles de son pre et de ses autres frres ; il veut, pour mieux leur faire sentir la grandeur de sa charitŽ ; qu'ils viennent tous auprs de lui pour toujours [3] .

Mais, me direz-vous, comment peut-on conna”tre si l'on a cette belle et prŽcieuse vertu, sans laquelle notre religion n'est qu'un fant™me ? D'abord, M.F., une personne qui a la charitŽ n'est point orgueilleuse, elle n'aime point ˆ dominer sur les autres ; vous ne l'entendrez jamais bl‰mer leur conduite, elle n'aime point ˆ parler de ce qu'ils font. Une personne qui a la charitŽ n'examine point quelle est l'intention des autres dans leurs actions, elle ne croit jamais mieux faire qu'ils ne font ; et ne se met jamais au-dessus de son voisin ; au contraire, elle croit que les autres font toujours mieux qu'elle. Elle ne se f‰che point si on lui prŽfre le prochain ; si on la mŽprise, elle n'en est pas moins contente, parce qu'elle pense qu'elle mŽrite plus de mŽpris encore.

Une personne qui a la charitŽ Žvite autant qu'elle peut de faire de la peine aux autres, parce que la charitŽ est un manteau royal qui sait bien cacher les fautes de ses frres et ne laisse jamais croire qu'on est meilleur qu'eux.

 2¡ Ceux qui ont la charitŽ reoivent avec patience ; et rŽsignation ˆ la volontŽ de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver, les maladies, les calamitŽs, en pensant que tout cela nous rappelle que nous sommes pŽcheurs, et que notre vie n'est pas Žternelle ici-bas.

Dans leurs chagrins, dans leurs peines, dans leurs maladies ou dans les pertes de biens, vous les voyez toujours soumis ˆ la volontŽ de Dieu, et jamais ils ne dŽsesprent, pensant qu'ils accomplissent cette divine volontŽ.

Voyez le saint homme Job sur son fumier [4]  : n'est-il pas content ? Si vous me demandez pourquoi il ne se laisse pas aller au dŽsespoir ? c'est qu'il a la charitŽ dans l'‰me, et qu'en se soumettant ˆ la volontŽ de Dieu, il acquiert des mŽrites pour le ciel. Voyez encore le saint homme Tobie qui devint aveugle en ensevelissant les morts [5]  : il ne se dŽsespre pas, et il est tranquille. Pourquoi encore cette tranquillitŽ ? Il sait qu'il fait la volontŽ de Dieu et que dans cet Žtat il le glorifie [6] ...

En troisime lieu, je dis que celui-ci a la charitŽ, qui n'est point avare et ne cherche nullement ˆ amasser les biens de ce monde. Il travaille parce que le bon Dieu le veut, mais sans s'attacher ˆ son travail ni au dŽsir de thŽsauriser pour l'avenir ; il se repose avec confiance en la Providence qui n'abandonne jamais celui qui l'aimŽ. La charitŽ rŽgnant dans son cÏur, toutes les choses de la terre ne lui sont plus rien ; il voit que tous ceux qui courent aprs les biens de ce monde sont les plus malheureux. Pour lui, il emploie autant qu'il le peut, son bien en bonnes Ïuvres pour racheter ses pŽchŽs et pour mŽriter le ciel. Il est charitable envers tout le monde et n'a de prŽfŽrence pour personne ; tout le bien qu'il fait, il le fait au nom de Dieu, Il assiste le pauvre qui en a besoin, qu'il soit son ami ou son ennemi. Il imite saint Franois de Sales, qui, ne pouvant faire qu'une aum™ne, la remettait ˆ celui dont il avait reu quelque peine, plut™t qu'ˆ celui dont il Žtait l'obligŽ. La raison de cette conduite c'est que telle action est beaucoup plus agrŽable ˆ Dieu. Si vous avez la charitŽ, n'examinez jamais si ceux ˆ qui vous donnez vous ont fait quelque tort, ou dit quelque injure ; s'ils sont sages on non. Ils vous demandent au nom de Dieu, donnez-leur de mme. Voilˆ tout ce qu'il faut faire pour que vos aum™nes soient rendues dignes d'tre rŽcompensŽes.

Nous lisons dans la vie de saint Ignace, qu'un jour, Žtant pressŽ par quelque affaire, il refusa l'aum™ne ˆ un pauvre  Mais il courut bient™t aprs ce malheureux pour lui donner, et ds lors promit au bon Dieu de ne jamais refuser l'aum™ne, quand on la lui demanderait en son nom. Mais, pensez-vous, si l'on donne ˆ tous les pauvres, on sera bient™t pauvre soi-mme. ƒcoutez ce que le saint homme Tobie dit ˆ son fils : Ç Ne retenez jamais le salaire des ouvriers, payez toujours le soir aprs qu'il ont travaillŽ ; et quant aux pauvres, donnez ˆ tous si vous le pouvez. Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup ; si vous avez peu, donnez peu ; mais donnez toujours de bon cÏur ; parce que l'aum™ne rachte les pŽchŽs et Žteint les flammes du purgatoire [7]  È D'ailleurs nous pouvons dire qu'une maison qui donne aux pauvres ne tombera jamais en ruine, parce que le bon Dieu ferait plut™t un miracle que de le permettre.

Voyez saint Antoine qui vend tous ses biens pour les donner aux pauvres, et qui va dans un dŽsert o il s'abandonne entirement entre les mains de la Providence [8] . Voyez un saint Paul, ermite [9] , un saint Alexis, qui se dŽpouillent absolument de biens, pour mener une vie pauvre et mŽprisŽe [10] . Voyez un saint SŽrapion, qui, non seulement vend tous ses biens et ses vtements, mais qui se vend encore pour racheter un captif [11] .

Combien nous sommes coupables lorsque nous ne faisons pas l'aum™ne, et que nous mŽprisons les pauvres, en les rebutant, en leur disant qu'ils sont des fainŽants, qu'ils peuvent bien travailler !... M.F., faisons l'aum™ne autant que nous pouvons, parce que c'est la chose qui doit nous rassurer ˆ l'heure de la mort, et si vous en doutez, lisez l'ƒvangile o JŽsus-Christ nous parle du jugement : Ç J'ai eu faim, etc. [12]  È Voulez-vous laisser des enfants heureux et sages ? Donnez-leur l'exemple d'tre aum™nieux et charitables envers les pauvres, et vous verrez un jour que le bon Dieu les a bŽnis. C'est ce que comprenait sainte Blanche, disant : Ç Mon fils, nous serons toujours assez riches si nous aimons le bon Dieu, et si nous aimons ˆ faire le bien ˆ nos frres. È

Si nous avons vraiment la charitŽ, cette vertu si agrŽable ˆ Dieu, nous ne nous comporterons pas comme les pa•ens qui font du bien ˆ ceux qui leur en font, ou de qui ils en esprent ; mais nous ferons du bien au prochain, dans la, seule vue de plaire ˆ Dieu et de racheter nos pŽchŽs. Qu'on nous soit reconnaissant ou non, qu'on nous fasse du bien ou du mal, qu'on nous mŽprise ou qu'on nous loue : cela, ne nous doit rien faire : Il y en a qui agissent tout humainement. Ont-ils fait une aum™ne, ont-ils rendu service ˆ quelque personne, si elles n'usent pas de rŽciprocitŽ, cela les f‰che, et ils se reprochent d'avoir ŽtŽ simples. Que vous tesÉ Ou vous avez fait vos bonnes Ïuvres pour le bon Dieu, ou vous les avez faites pour le monde. Si vous les avez faites pour tre estimŽs et louŽs des hommes, vous avez raison de vouloir tre payŽs de reconnaissance ; mais si vous les avez faites dans la seule vue de racheter vos pŽchŽs et de plaire ˆ Dieu, pourquoi vous plaindre ? C'est de Dieu seul que vous en attendez la rŽcompense. Vous devez bien plut™t remercier le bon Dieu de ce que l'on vous paie d'ingratitude, parce que votre rŽcompense sera bien plus grande. Ah ! que nous sommes heureux ! parce que nous aurons donnŽ quelque petite chose, le bon Dieu nous donne le ciel en retour ! Nos petites aum™nes et nos petits services seront donc bien rŽcompensŽs. Oui, M.F., prŽfŽrons toujours faire du bien ˆ ceux qui ne pourront jamais nous le rendre, parce que s'ils nous le rendent nous risquons d'en perdre le mŽrite.

Voulez-vous savoir si vous avez la vraie charitŽ ? En voici la marque : Voyez ˆ qui vous prŽfŽrez faire l'aum™ne ou rendre quelque service. Est-ce ˆ ceux qui vous ont fait quelque peine,... ou ˆ ceux qui vous sont unis, qui vous remercient ? Si c'est ˆ ces derniers, vous n'avez pas la vertu de charitŽ ; et vous n'avez point ˆ espŽrer pour l'autre vie ; tout le mŽrite de ces bonnes actions est donc perdu [13] . Je suis persuadŽ que si je voulais bien entrer dans le dŽtail de tous les dŽfauts dans lesquels on tombe sur ce point, je ne trouverais presque personne qui ait dans l'‰me cette vertu toute pure et telle que Dieu la veut. Pour tre rŽcompensŽs dans tout ce que nous faisons pour le prochain, ne cherchons que Dieu, et n'agissons que pour lui seul. Que cette vertu est rare dans les chrŽtiens ! Disons mieux, il est aussi rare de la trouver qu'il est rare de trouver des saints. Et quoi d'Žtonnant ? O sont ceux qui la demandent ˆ Dieu, qui font quelques prires ou quelques bonnes Ïuvres pour l'obtenir ? Combien ont vingt ans et peut-tre trente, et ne l'ont jamais demandŽe ? La preuve en est bien convaincante. L'ont-ils demandŽe ceux qui n'ont que des vues humaines ? Voyez vous-mme quelle rŽpugnance vous avez ˆ faire, de suite, du bien ˆ celui qui vient de vous faire quelque tort ou quelque injustice. Ne conservez-vous mme pas une certaine haine ou, du moins, une certaine froideur ˆ son Žgard ? A peine le saluez-vous, et consentez-vous ˆ lui parler comme ˆ une autre personne. HŽlas ! ™ mon Dieu ! que de chrŽtiens mnent une vie toute pa•enne, et se croient encore de bons chrŽtiens : HŽlas ! combien vont tre dŽtrompŽs quand le bon Dieu leur fera voir ce qu'est la charitŽ, les qualitŽs qu'elle devait avoir pour rendre mŽritoires toutes leurs actions.

4¡ Il n'est pas nŽcessaire de vous montrer qu'une personne qui a la charitŽ est exempte du vice inf‰me de l'impuretŽ, parce qu'une personne qui a le bonheur d'avoir cette prŽcieuse vertu dans l'‰me, est tellement unie au bon Dieu, et agit si bien selon sa sainte volontŽ, que le dŽmon de l'impuretŽ ne peut point entrer dans son cÏur. Le feu de l'amour divin embrase tellement ce cÏur, son ‰me et tous ses sens, qu'il la met hors des atteintes du dŽmon de l'impuretŽ. Oui, M.F., nous pouvons dire que la charitŽ rend une personne pure dans tous ses sens. O bonheur infini, qui te comprendra jamais !...

5¡ La charitŽ n'est point envieuse : elle ne ressent point de tristesse du bien qui arrive au prochain, soit au spirituel, soit au temporel. Vous ne verrez jamais une personne qui a la charitŽ, tre f‰chŽe de ce qu'une autre rŽussit mieux qu'elle, ou de ce qu'elle est plus aimŽe, plus estimŽe. Bien loin de s'affliger du bonheur de son prochain, elle en bŽnit le bon Dieu. – Mais, me direz-vous, je ne suis pas f‰chŽ de ce que mon prochain fait bien ses affaires, de ce qu'il est bien riche, bien heureux. Convenez cependant avec moi que vous seriez plus content que cela vous arriv‰t plut™t qu'ˆ lui. – Cela est encore vrai. – Eh bien ! si cela est, vous n'avez pas la charitŽ telle que le bon Dieu veut que vous l'ayez, comme il vous le commande, et pour lui plaire .....

6¡ Celui qui a la charitŽ n'est point sujet ˆ la colre, car saint Paul nous dit que la charitŽ est patiente, bonne, douce pour tout le monde [14] . Voyez comme nous sommes loin d'avoir cette charitŽ. Combien de fois pour un rien nous nous f‰chons, nous murmurons, nous nous emportons, nous parlons avec hauteur, et nous restons en colre pendant plusieurs jours !... Mais, me direz-vous, c'est ma manire de parler ; je ne suis pas f‰chŽ aprs. – Dites donc plut™t que vous n'avez pas la charitŽ, qui est patiente, douce, et que vous ne vous conduisez pas comme un bon chrŽtien. Dites-moi, si vous aviez la charitŽ dans l'‰me, est-ce que vous ne supporteriez pas avec patience, et mme avec plaisir, une parole que l'on dira contre vous, une injure, ou si vous voulez, un petit tort que l'on vous aura fait, ? – Il attaque ma rŽputation. – HŽlas ! mon ami, quelle bonne opinion voulez-vous qu'on ait de vous aprs que vous avez tant de fois mŽritŽ .... ? Ne devons-nous pas nous regarder comme trop heureux que l'on veuille bien nous souffrir parmi les crŽatures, aprs que nous avons traitŽ si indignement le CrŽateur ?... Ah ! ! M.F., si nous avions cette charitŽ, nous serions sur la terre presque comme les saints qui sont dans le ciel ! Qui donc sait d'o nous viennent tous ces chagrins que nous Žprouvons, aussi bien les uns que les autres ; et pourquoi y en a-t-il tant dans le monde qui souffrent toutes sortes de misres ? Cela vient de ce que nous n'avons pas la charitŽ.

 Oui, M.F. ; la charitŽ est une vertu si belle, elle rend tout ce que nous faisons si agrŽable au bon Dieu, que les saints Pres ne savent de quels termes se servir pour nous en faire conna”tre toute la beautŽ et toute la valeur. Ils la comparent au soleil qui est le plus bel astre du firmament, et qui donne aux autres toute leur clartŽ et leur beautŽ. Comme lui, la vertu de charitŽ communique ˆ toutes les autres vertus leur beautŽ et leur puretŽ, et les rend mŽritoires et infiniment plus agrŽables ˆ Dieu. Ils la comparent au feu qui est le plus noble et le plus actif, de tous les ŽlŽments. La charitŽ est la vertu la plus noble et la plus active de toutes : elle porte l'homme ˆ mŽpriser tout ce qui est vil, mŽprisable et de peu de durŽe, pour ne s'attacher qu'ˆ Dieu seul et aux biens qui ne doivent jamais pŽrir. Ils la comparent encore ˆ l'or qui est le plus prŽcieux de tous les mŽtaux, et fait l'ornement et la beautŽ de tout ce que nous avons de riche sur la terre. La charitŽ fait la beautŽ et l'ornement de toutes les autres vertus ; la moindre action de douceur ou d'humilitŽ, faite avec la charitŽ dans le cÏur, est d'un prix qui surpasse tout ce que nous pouvons penser. Le bon Dieu nous dit dans l'ƒcriture sainte [15] que son Žpouse lui avait blessŽ le cÏur par un cheveu de son cou ; pour nous faire comprendre que la moindre bonne Ïuvre faite avec amour, avec la charitŽ dans l'‰me, lui est si agrŽable, qu'elle lui perce le cÏur. La moindre action, quelque petite qu'elle soit, lui est toujours trs agrŽable, puisqu'il n'y a rien de si petit que les cheveux de cou. O belle vertu ! que ceux qui vous possdent sont heureux ; mais, hŽlas ! qu'ils sont rares !... Les saints la comparent encore ˆ la rose qui est la plus belle de toutes les fleurs, et trs odorifŽrante. De mme, nous disent-ils, la charitŽ est la plus belle de toutes les vertus ; son odeur monte jusqu'au tr™ne de Dieu. Disons mieux, la charitŽ nous est aussi nŽcessaire pour plaire ˆ Dieu et pour rendre toutes nos actions mŽritoires, que notre ‰me est nŽcessaire ˆ notre corps. Une personne qui n'a pas la charitŽ dans le cÏur est un corps sans ‰me. Oui, M.F., c'est la charitŽ qui soutient la foi et qui la ranime ; sans la charitŽ, elle est morte. L'espŽrance, comme la foi, n'est qu'une vertu languissante qui, sans la charitŽ, ne durera pas longtemps.

 

II. – Comprenons-nous maintenant, M.F., la valeur de cette vertu et la nŽcessitŽ de la possŽder pour nous sauver. Ayons au moins le soin de la demander tous les jours ˆ Dieu, puisque, sans elle, nous ne faisons rien pour notre salut. Nous pouvons dire que lorsque la charitŽ entre dans un cÏur, elle y mne avec elle toutes les autres vertus : c'est elle qui purifie et sanctifie toutes nos actions ; c'est elle qui perfectionne l'‰me ; c'est elle qui rend toutes nos actions dignes du ciel. Saint Augustin nous dit que toutes les vertus sont dans la charitŽ, et que la charitŽ est dans toutes les vertus. C'est la charitŽ, nous dit-il, qui conduit toutes nos actions ˆ leur fin, et qui leur donne accs auprs de Dieu. Saint Paul, qui a ŽtŽ et qui est encore la lumire du monde, en fait tant de cas et tant d'estime, qu'il nous dit qu'elle surpasse tous les dons du ciel. ƒcrivant aux Corinthiens, il s'Žcrie : Ç Quand mme je parlerais le langage des anges, si je n'ai pas la charitŽ, je suis semblable ˆ une cymbale qui retentit, et ne produit qu'un son. Quand j'au­rais le don de prophŽtie, et tant de foi que je pourrais transporter les montagnes d'un endroit ˆ l'autre, si je n'ai pas la charitŽ, je ne suis rien. Quand je donnerais tout mon bien aux pauvres et que je livrerais mon corps aux souffrances, tout cela ne servirait de rien si je n'ai pas la charitŽ dans mon cÏur, et si je n'aime pas mon prochain comme moi-mme [16]  È Voyez-vous, M.F., la nŽcessitŽ o nous sommes de demander au bon Dieu, de tout notre cÏur, cette incomparable vertu, puisque toutes les vertus ne sont rien sans elle ?

En voulez-vous un beau modle ? Voyez Mo•se : lorsque son frre Aaron et sa sÏur Marie murmurrent contre lui, le Seigneur les punit ; mais Mo•se voyant sa sÏur couverte d'une lpre qui Žtait la punition de sa rŽvolte : O Seigneur ! lui dit-il, pourquoi punissez-vous ma sÏur ? vous savez bien que je ne vous ai jamais demandŽ vengeance, pardonnez-lui, s'il vous pla”t. Aussi le Saint-Esprit nous dit qu'il Žtait le plus doux des hommes qui fussent alors sur la terre [17] . Voilˆ, M.F., un frre qui a vraiment la charitŽ dans le cÏur, puisqu'il s'afflige de voir punir sa sÏur. Dites-moi si nous voyions punir quelqu'un qui nous aurait fait quelque outrage, ferions-nous comme Mo•se ? nous affligerions-nous, demanderions-nous au bon Dieu de ne pas le punir ?... HŽlas ! qu'ils sont rares, ceux qui ont dans l'‰me cette charitŽ de Mo•se ! Mais, me direz-vous, quand on nous fait des choses que nous ne mŽritons pas, il est bien difficile d'en aimer les auteurs. – Difficile, M.F. ?... voyez saint Etienne. Pendant qu'on l'assomme ˆ coups de pierres, il lve les mains et prie Dieu de pardonner ˆ ces bourreaux qui lui ™tent la vie, le pŽchŽ qu'ils commettent [18] . – Mais, pensez-vous, saint ƒtienne Žtait un saint. C'Žtait un saint, M.F. ? mais si nous ne sommes des saints, c'est un grand malheur pour nous : il faut que nous le devenions ; et aussi longtemps que nous n'aurons la charitŽ dans le cÏur, nous ne deviendrons jamais des saints.

 Que de pŽchŽs, M.F., l'on commet contre l'amour de Dieu et du prochain ! DŽsirez-vous savoir combien souvent nous pŽchons contre l'amour que nous devons ˆ Dieu ?

L'aimons-nous de tout notre cÏur ? Ne lui avons-nous pas souvent prŽfŽrŽ nos parents, nos amis ? Pour aller les voir, sans qu'il y ežt nŽcessitŽ, n'avons-nous pas souvent manquŽ les offices, les vpres, le catŽchisme, la prire du soir ? Combien de fois n'avez-vous pas fait manquer la prire ˆ vos enfants dans la crainte de leur faire perdre quelques minutes ? hŽlas ! pour aller pa”tre nos troupeaux dans les champs ! ... Mon Dieu ! quelle indigne prŽfŽrence !... Combien de fois n'avons-nous pas manquŽ nous-mmes nos prires ; ou les avons-nous faites dans notre lit, en nous habillant, ou en marchant ? Avons-nous eu soin de rapporter toutes nos actions au bon Dieu, toutes nos pensŽes, tous nos dŽsirs ? Nous sommes-nous consacrŽs ˆ lui ds l'‰ge de raison, et lui avons-nous bien donnŽ tout ce que nous avions ? Saint Thomas nous dit que les pres et mres doivent avoir un grand soin de consacrer leurs enfants au bon Dieu, ds l'‰ge le plus tendre, et que, ordinairement, les enfants qui sont consacrŽs au bon Dieu par leurs parents, reoivent une gr‰ce et une bŽnŽdiction toutes particulires, qu'ils ne recevraient pas sans cela. Il nous dit que si les mres avaient bien ˆ cÏur le salut de leurs enfants, elles les donneraient au bon Dieu avant qu'ils vinssent au monde.

Nous disons que ceux qui ont la charitŽ reoivent avec patience et rŽsignation ˆ la volontŽ de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver, les maladies, les calamitŽs, en pensant que tout cela nous rappelle que nous sommes pŽcheurs, et que notre vie n'est pas Žternelle ici-bas.

Nous pŽchons encore contre l'amour de Dieu, quand nous restons trop longtemps sans penser ˆ Lui. Combien, hŽlas ! passent un quart et mme la moitiŽ du jour sans faire une ŽlŽvation de leur cÏur vers Dieu, pour le remercier de tous ses bienfaits, surtout de les avoir faits chrŽtiens, de les avoir fait na”tre dans le sein de son ƒglise, de les avoir prŽservŽs d'tre morts dans le pŽchŽ. L'avons-nous remerciŽ de tous les sacrements qu'il a Žtablis pour notre sanctification, de notre vocation ˆ la foi ? L'avons-nous remerciŽ de tout ce qu'il a opŽrŽ pour notre salut, de son incarnation, de sa mort et passion ? N'avons-nous pas eu de l'indiffŽrence pour le service de Dieu en nŽgligeant soit de frŽquenter les sacrements, soit de nous corriger, soit d'avoir souvent recours ˆ la prire ? N'avons-nous pas nŽgligŽ de nous instruire de la manire de nous comporter pour plaire ˆ Dieu ? Lorsque nous avons vu quelqu'un blasphŽmer le saint nom de Dieu, ou commettre d'autres pŽchŽs, n'avons-nous pas ŽtŽ indiffŽrents, comme si cela ne nous regardait pas ? N'avons-nous pas priŽ sans gožt, sans dessein de plaire ˆ Dieu ; plut™t pour nous dŽbarrasser, que pour attirer ses misŽricordes sur nous, et nourrir notre pauvre ‰me ? N'avons-nous point passŽ le saint jour de dimanche en nous contentant de la messe, des vpres ; sans faire aucune autre prire, ni visite au Saint-Sacrement, ni lecture spirituelle ? Avons-nous ŽtŽ affligŽs lorsque nous avons ŽtŽ obligŽs de manquer les offices ? Avons-nous t‰chŽ d'y supplŽer par toutes les prires que nous avons pu ?... Avez-vous fait manquer les offices ˆ vos enfants, ˆ vos domestiques sans des raisons graves ?...

Avons-nous bien combattu toutes ces pensŽes de haine, de vengeance et d'impuretŽ ?

Pour aimer le bon Dieu, M.F., il ne suffit pas de dire qu'on l'aime, il faut, pour bien s'assurer si cela est vrai, voir si nous observons bien ses commandements, et si nous les faisons bien observer ˆ ceux dont nous avons la responsabilitŽ devant le bon Dieu. ƒcoutez Notre-Seigneur : Ç En vŽritŽ, je vous dis que ce n'est pas celui qui dira : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera la volontŽ de Mon Pre [19] . È Nous aimons le bon Dieu, quand nous ne cherchons qu'ˆ lui plaire dans tout ce que nous faisons. Il ne faut dŽsirer ni la vie, ni la mort ; toutefois, l'on peut dŽsirer la mort pour avoir le bonheur d'aller vers le bon Dieu [20] . Saint Ignace avait un si grand dŽsir de voir Dieu, que, quand il pensait ˆ la mort, il en pleurait de joie. Cependant dans l'attente de ce grand bonheur, il disait ˆ Dieu, qu'il resterait autant qu'il voudrait sur la terre. Il avait tant ˆ cÏur le salut des ‰mes, qu'un jour ne pouvant convertir un pŽcheur endurci, il alla se plonger, jusqu'au cou, dans un Žtang glacŽ afin d'obtenir de Dieu la conversion de ce malheureux. Comme il allait ˆ Paris, un de ses Žcoliers lui prit en route tout l'argent qu'il avait. Cet Žcolier Žtant tombŽ malade ˆ Rouen, ce bon saint fit le voyage de Paris ˆ cette ville, ˆ pied et sans souliers, pour demander la guŽrison de celui qui lui avait pris tout son argent. Dites-moi, M.F., est-ce lˆ une charitŽ parfaite ? Vous pensez en vous-mmes que ce serait dŽjˆ beaucoup de pardonner. Vous feriez la mme chose, si vous aviez la mme charitŽ que ce bon saint. Si nous trouvons si peu de personnes qui feraient cela, M.F., c'est qu'il en est trs peu qui ont la charitŽ dans l'‰me. Qu'il est consolant que nous puissions aimer Dieu et le prochain sans tre savant, ni riche ! Nous avons un cÏur, il suffit pour cet amour.

 Nous lisons dans l'histoire, que deux solitaires demandaient ˆ Dieu depuis longtemps, qu'il voulžt bien leur apprendre la manire de l'aimer et de le servir comme il faut, puisqu'ils n'avaient quittŽ le monde que pour cela. Ils entendirent une voix qui leur dit d'aller dans la ville d'Alexandrie o demeuraient un homme, nommŽ Euchariste, et sa femme qui s'appelait Marie. Ceux-lˆ servaient le bon Dieu plus parfaitement que les solitaires, et leur apprendraient comment il doit tre aimŽ. Trs heureux de cette rŽponse, les deux solitaires se rendent en toute h‰te dans la ville d'Alexandrie. ƒtant arrivŽs, ils s'informent, pendant plusieurs jours, sans pouvoir trouver ces deux saints personnages. Craignant que cette voix ne les ait trompŽs, ils prenaient le parti de retourner dans leur dŽsert, quand ils aperurent une femme sur la porte de sa maison. Ils lui demandrent, si elle ne conna”trait pas par hasard un homme nommŽ Euchariste. – C'est mon mari, leur dit-elle. – Vous vous appelez donc Marie, lui dirent les solitaires ? – Qui vous a appris mon nom ? – Nous l'avons appris, avec celui de votre mari, par une voix surnaturelle, et nous venons ici pour vous parler. Le mari arriva, sur le soir, conduisant un petit troupeau de moutons. Les solitaires coururent aussit™t l'embrasser, et le prirent de lui dire quel Žtait son genre de vie. – HŽlas ! mes pres ; je ne suis qu'un pauvre berger. – Ce n'est pas ce que nous vous demandons, lui dirent les solitaires ; dites-nous comment vous vivez et de quelle manire, vous et votre femme, servez le bon Dieu. – Mes pres, c'est bien ˆ vous de me dire ce qu'il faut faire pour servir le bon Dieu ; je ne suis qu'un pauvre ignorant. N'importe ! nous sommes venus de la part de Dieu vous demander comment vous le servez. – Puisque vous me le commandez, je vais vous le dire. J'ai eu le bonheur d'avoir une mre craignant Dieu, qui, ds mon enfance, m'a recommandŽ de tout faire et de tout souffrir pour l'amour de Dieu. Je souffrais les petites corrections que l'on me faisait pour l'amour de Dieu ; je rapportais tout ˆ Dieu : le matin, je me levais, je faisais mes prires et tout mon travail pour son amour. Pour son amour, je prends mon repos et mes repas ; je souffre la faim, la soif, le froid et la chaleur, les maladies et toutes les autres misres. Je n'ai point d'enfants ; j'ai vŽcu avec ma femme comme avec ma sÏur, et toujours dans une grande paix. Voilˆ toute ma vie et c'est aussi celle de ma femme. – Les solitaires, ravis de voir des ‰mes si agrŽables ˆ Dieu, lui demandrent s'il avait du bien. – J'ai peu de bien, mais ce petit troupeau de moutons que mon pre m'a laissŽs me suffit, j'en ai de reste. Je fais trois parts de mon petit revenu : j'en donne une partie ˆ l'Žglise, une autre aux pauvres, et le reste nous fait vivre ma femme et moi. Je me nourris pauvrement ; mais jamais je ne me plains : je souffre tout cela pour l'amour de Dieu. – Avez-vous des ennemis, lui dirent les solitaires ? – HŽlas, mes pres, quel est celui qui n'en a point ? Je t‰che de leur faire tout le bien que je peux, je cherche ˆ leur faire plaisir en toute circonstance, et je m'applique ˆ ne faire de mal ˆ personne. A ces paroles, les deux solitaires furent comblŽs de joie d'avoir trouvŽ un moyen si facile de plaire ˆ Dieu et d'arriver ˆ la haute perfection [21] .

Vous voyez, M.F., que pour aimer le bon Dieu et le prochain il n'est pas nŽcessaire d'tre bien savant, ni bien riche ; il suffit de ne chercher qu'ˆ plaire ˆ Dieu, dans tout ce que nous faisons ; de faire du bien ˆ tout le monde, aux mauvais comme aux bons, ˆ ceux qui dŽchirent notre rŽputation, comme ˆ ceux qui nous aiment, et, quiÉ. Prenons JŽsus-Christ pour notre mo­dle, nous verrons ce qu'il a fait pour tous les hommes et particulirement pour ses bourreaux. Voyez comme il demande pardon, misŽricorde pour eux ; il les aime, il offre pour eux les mŽrites de sa mort et passion ; il leur promet le pardon. Si nous n'avons pas cette vertu de charitŽ, nous n'avons rien ; nous ne sommes que des fant™mes de chrŽtiens. Ou nous aimerons tout le monde, mme nos plus grands ennemis, ou nous serons rŽprouvŽs. Ah ! M.F., puisque cette belle vertu vient du ciel, adressons-nous donc au ciel pour la demander, et nous sommes sžrs de l'obtenir. Si nous possŽdons la charitŽ, tout en nous plaira au bon Dieu, et par lˆ nous nous assurerons le paradis. C'est le bonheur que je vous souhaite.


[1] Les quarante martyrs – La mre de Saint Symphorien  (Note du Saint)

[2] Gen. xxxvii.

[3] Gen. xlii-xlvii.

[4] Job, ii, 8.

[5] Tob. ii, 11.

[6] Saint eustache, martyr. (Note du Saint)

[7] Tob. Iv.

[8] Vie des Pres du dŽsert, t. Ier, p.28.

[9] Ibid. p. 14

[10] Ribadeneira au 17 juillet.

[11] Vie des Pres du dŽsert, t.IV, saint SŽrapion le SŽdonite.

[12] Matth. xxv.

[13] Faire l'aum™ne ˆ ses amis, leur rendre service, c'est une charitŽ moindre sans doute que la premire, mais qui ne manque pas d'un certain mŽrite ˆ rŽcompenser dans l'autre vie, pourvu que ce soit avec une intention surnaturelle.

[14] I cor. xiii, 4.

[15] Cant. iv, 9.

[16] I cor. xii, 3.

[17] II Num, xii.

[18] Act. vii, 59.

[19] Matth. vii, 21..

[20] Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo, multo magis melius. Phil. i, 23

[21] Il est rapportŽ dans la vie de Saint Paphnuce une histoire ˆ peu prs semblable. Vie des Pres du dŽsert, t. Ier, p. 208.

 

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