II

« Il sera temps... »

 

C'était probablement en 1858, en tout cas peu de mois avant la mort du saint Curé d'Ars.

M. Chêneau, maire de la Cornuaille, au pays d'Anjou, et meunier de son état au hameau de Moiron, était venu se mêler aux hommes, pèlerins comme lui, qui attendaient leur tour de confession aux abords de la sacristie.

Ce brave chrétien, marié, mais demeuré sans enfants, était fort charitable. Il avait fait un vœu qui lui pesait, et il voulait en référer au serviteur de Dieu.

Il s'était résigné d'avance à une longue attente, lorsqu'il vit M. Vianney, revêtu du surplis et de l'étole, paraître sur le seuil de la sacristie et, par faveur, lui faire signe d'approcher.

Après l'avoir confessé, il dit à M. Chêneau qui ne l'avait pas consulté encore : « Le Curé d'Ars prend votre voeu sur lui. »

Puis le saint ajouta lentement :

« Quand vous apprendrez la mort du Curé d'Ars, il sera temps de vous préparer à votre tour. »

M. Chêneau, relativement jeune encore, était d'une forte constitution. D'autre part, M. Vianney menait une existence qui tenait du miracle, et, malgré son épuisement visible, on espérait dans son entourage que Dieu le garderait encore des années à la terre. Le maire de La Cornuaille repartit d'Ars le cœur tranquille. Il avait du temps devant lui !

 

Mais quand, l'année suivante, soit par des conversations, soit par les journaux – dès le 10 août 1859, l'Univers, très lu dans les presbytères de France, publia un article sur la mort de M. Vianney –, M. Chêneau apprit que le saint n'était plus, il fit des réflexions profondes. Sa fin, à lui-même, n'était pas éloignée, il en était sûr.

 

Dès lors, on le vit plus charitable, plus assidu aux offices que jamais. Il fut prévoyant et sage.

Il mourut le 15 mars 1862 (1).

 

(1) D'après les renseignements fournis soit par M. l'abbé Pagis, curé de la Cornuaille, soit par M. l'abbé Fourrier, ancien curé de Tigne, tous deux au diocèse d'Angers.