II

 

Pour recevoir M. l'Inspecteur

 

Un pénitent agréablement surpris, ce fut M. Godfert, instituteur à Bourg-Saint-Christophe, dans l'Ain. La veille de l'Ascension de 1855 ou de 1856, il attendait son tour pour se présenter au confessionnal de M. Vianney – et il s'en trouvait loin encore, car une trentaine d'hommes le précédaient, assis soit dans les stalles soit sur les bancs disposés dans le chœur – lorsque M. Vianney, sortant de la sacristie aujourd'hui disparue qui s'ouvrait directement dans le sanctuaire du côté de l'évangile, lui fit signe de se présenter immédiatement. M. Godfert se hâta d'obéir.

Il se confessa, mais ce fut pour s'entendre dire ensuite : « Mon enfant, vous reviendrez demain après les vêpres ». M. Godfert ne protesta pas : on ne proteste pas contre la décision d'un saint. A l'heure fixée, il se retrouvait aux genoux de M. Vianney, qui, cette fois, lui donna l'absolution. Puis, sur un ton d'insistance : « Mon enfant, repartez chez vous dès demain ».

Ayant confié à sa femme le soin de ses écoliers – ils n'étaient pas bien nombreux, les écoliers de Bourg-Saint-Christophe – M. Godfert avait pensé ne rentrer que le samedi soir... N'était-il arrivé rien de fâcheux à la maison ? Assez inquiet, l'instituteur s'éloigna d'Ars dès le vendredi matin. Il parcourut le plus rapidement qu’il put les dix lieues qui le séparaient de son école.

« Que s'est-il passé en mon absence ? demanda-t-il bien vite à son épouse.

— Mais rien que je sache, répondit Mme Godfert.

— Alors, qu'a voulu dire le Curé d'Ars ?... »

M. Godfert raconta l'histoire. Ni lui ni sa femme n'y comprenaient rien.

 

Le lendemain, tout s'expliqua. Dès sept heures du matin, survenait M. l'Inspecteur d'Académie, « en tournée des écoles ». M. Godfert le reçut avec assurance. Les élèves une fois en classe, l'inspection se fit selon le rite habituel.

M. l'inspecteur se déclara très satisfait...

Mais quel soupir de soulagement s'échappa des lèvres de M. Godfert, lorsque la berline de son chef hiérarchique eut disparu au tournant de la route !... Notre pèlerin d'Ars était allé là-bas sans demander le congé nécessaire. Qu'en eût-il été s'il était revenu à Bourg-Saint-Christophe seulement dans la soirée du samedi ? Le Curé d'Ars heureusement en savait plus long que le brave instituteur.

Bien entendu, M. et Mme Godfert ne firent pas confidence de l'aventure. Seulement, le 29 avril 1878, ils vinrent ensemble à Ars, alors qu'ils habitaient non loin, à Monthieux, et ils racontèrent le fait à M. le chanoine Ball, qui s'empressa d'en noter tous les détails. (1)

 

 

(1) Documents, N° 33