XXI

 

« Pour ta fille »

 

Le fait d'intuition si intéressant qu'on va lire nous a été communiqué par M. l'abbé Monnet, prêtre retraité à Ars, qui eut le bonheur dans son enfance d'être béni par le saint Curé. Lui-même l'a entendu conter par Mme Jallat, de la Gardette, qui habite à Lyon-Vaise, rue Duchère.

 

« Mon père, M. Sébastien Germain, était né en 1815, tout près d'Ars, à Misérieux. Mais son enfance se passa en grande partie chez une tante maternelle, Marie Filliat, qui habitait le saint village. La famille Filliat était très estimée de M. Vianney. Celui-ci prit pour servant de messe le petit Sébastien, qui s'acquitta toujours de cette fonction avec le plus grand plaisir. Il aimait à nous en reparler.

Un jour, ce cher père me prit à part. J'étais bien jeune encore, mais assez instruite déjà pour comprendre l'importance du cadeau qu'il allait me faire. Et voici ce qu'il me raconta :

« Tu sais, comme moi, ma petite Marie, que tu as trois frères plus âgés que toi. Avant de t'avoir, je les aimais bien ; malgré cela, mon ardent désir était d'avoir aussi une fille. Je résolus d'aller revoir le saint Curé d'Ars pour le prier d'en demander une pour moi au bon Dieu.

C'était vers la mi-juillet 1859. Déjà M. Vianney était bien fatigué – il n'avait plus qu'une vingtaine de jours à vivre sur la terre.

Il m'aimait bien toujours. Dès qu'il m'aperçut, il me bénit. Il avait des chapelets dans sa main. Avant que je lui eusse expliqué pourquoi j'étais venu :

« Tiens, mon Sébastien, me dit-il en me donnant, un par un, quatre chapelets, ils seront pour tes enfants.

— Mais, monsieur le Curé, je n'ai que trois enfants, trois garçons !

— Le quatrième sera pour ta fille », répondit le saint. « Je le remerciai, songeant à part moi : Quelle joie, si cela pouvait arriver !

Eh bien, dans le courant de 1860, le bon Dieu me donna une petite fille. Et cette petite fille s'appela Marie. Et c'est toi, mignonne.

— Mais mon chapelet ?

— Le voilà ! »

 

« Et ce disant, mon père, tout heureux, me remettait cet humble chapelet aux grains de bois, à la chaînette de fer. Je conserve encore précieusement cette douce et chère relique. »