IV

 

Le Curé d'Ars

et les Sœurs de Saint-Charles de Lyon

 

Saint Jean-Marie Vianney s'intéressa toujours vivement à cette communauté, dont il appréciait l'esprit, la régularité et la bienfaisance. Il n'en faut pour preuves que les traits suivants que nous détachons d'un ouvrage édité en 1915 : Les Sœurs de Saint-Charles de Lyon – Annales de la Congrégation (1680-1874). (1)

 

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Le souvenir qui s'attache à Jean-Marie Vianney enfant est devenu pour la Congrégation des Sœurs de Saint-Charles de Lyon comme un héritage de famille. Non sans quelque complaisance – bien légitime sans doute – on s'y transmet, de génération en génération, ce fait qu'il fut catéchisé par deux Sœurs de Saint-Charles (2), et, comme la reconnaissance est le propre des belles âmes, on en augure volontiers, aujourd'hui comme alors, qu'il doit avoir gardé pour l'Institut un sentiment particulier de bienveillance ; aussi, de tout temps l'Institut le lui a rendu en confiance filiale et en vénération profonde.

C'est un fait d'intuition, maintes fois constaté d'ailleurs chez le saint prêtre, qu'il connaissait la Congrégation dans l'intime, de même qu'il discernait les voies de Dieu sur les âmes. Ne disait-il pas, peu avant sa mort, à une jeune fille qui le consultait sur sa vocation : « Allez à Saint-Charles, la règle y est bien en vigueur ». (3)

Combien lui ont dû la lumière sur cette importante affaire de leur vocation !

 

Une autre jeune personne, sur le conseil de son père, vint solliciter du saint Curé le mot décisif. Tandis qu'elle essayait de lui parler, en le suivant à travers la foule qui le pressait :

«  Mon enfant, lui dit-il, le bon Dieu vous veut Sœur de Saint-Charles.

— Oh non ! mon Père, lui répond-elle spontanément.

— Comme vous voudrez, mon enfant. »

Un an après elle retournait à Ars. Il ne s'agissait plus d'elle-même, cette fois : elle voulait seulement consulter le serviteur de Dieu sur l'opportunité d'un voyage pour sa sœur gravement malade.

«  Laissez votre jeune sœur à X..., lui dit-il, sinon il lui arrivera le même accident qu'à votre sœur aînée. » (Celle-ci ramenée à grand'peine à la maison paternelle était morte peu après). « Pour vous, mon enfant, ajouta-t-il, si vous ne suivez pas votre vocation, je ne sais ce que vous deviendrez. »

Sur cette parole, la jeune fille fit de sérieuses réflexions, et quelque temps après, brisant généreusement tous les liens qui la retenaient dans le monde, elle entrait au noviciat. (4)

 

À l'encontre de celle-ci, une future postulante brûlait du désir de se consacrer à Dieu et pressait vivement l'heure du départ. On lui conseillait d'aller auparavant consulter le Curé d'Ars. Elle s'y refusa, craignant, a-t-elle avoué ingénument, « qu'il ne fût pas d'avis qu'elle se fît religieuse ».

Une de ses cousines, qui se rendait à Ars pour ses propres affaires, se chargea de parler de la jeune aspirante au saint Curé, qui répondit sans hésitation qu'elle devait aller à Saint-Charles, ce qu'elle fit en effet dans la pleine joie de son cœur. (5)

 

Citons encore un trait dans le même ordre d'idées.

Il s'agit de bonne Mère Saint-Servule qui fut économe à la maison-mère – sainte religieuse que nous pouvons nommer, puisqu'elle est maintenant auprès de Dieu. Jeune fille, elle était attirée vers Saint-Vincent-de-Paul, parce qu'on s'y dévouait plus spécialement, pensait-elle, au service des pauvres et des malades.

Indécise cependant, elle partit pour Ars avec une de ses amies. Deux jours s'écoulèrent sans qu'elle pût aborder le saint, bien qu'elle eût passé la nuit dans l'escalier du clocher pour ne point manquer son tour. Le matin du troisième jour, elle attendait encore, lorsqu'elle vit le Curé d'Ars, près d'entrer au confessionnal, se retourner tout à coup et lui faire signe d'avancer. L'ayant entendue, M. Vianney lui dit :

« Vous pouvez aller à Saint-Vincent-de-Paul ; vous pouvez vous marier et vous mettre dans le commerce : partout vous réussirez et vous serez heureuse. Mais c'est à Saint-Charles que le bon Dieu vous veut. Entrez-y, vous y ferez beaucoup, beaucoup de bien. »

Quant à l'amie qui l'avait accompagnée et qui se croyait également destinée à la vie religieuse, le Curé d'Ars lui dit de se marier. (6)

 

Ainsi la Congrégation dut à son prodigieux discernement des esprits de recevoir plusieurs sujets excellents, tandis qu'il en détournait d'autres qui, n'y étant pas appelés, auraient fait fausse route.

Telle la sœur de Mère Durand Sainte-Victoire, supérieure à Saint-Pierre de Vaise. Cette jeune personne avait été élevée à Saint-Charles et se disposait à s'y présenter, lorsqu'elle fit le pèlerinage d'Ars. Ayant déclaré son projet au saint prêtre :

« Non, répondit-il, allez à Saint-joseph.

— Mais, mon Père, je dois beaucoup aux Sœurs de Saint-Charles.

— N'importe ! conclut le saint, le bon Dieu les payera. » (7)

 

 

(1) pages 384-387

(2) Au temps où il se préparait à sa première communion (mai 1798 à juin 1799), Jean-Marie Vianney, alors âgé de douze ans, reçut en effet les leçons de deux religieuses de Saint-Charles, les Sœurs Combes et Deville, qui, jetées hors de leur couvent par la Révolution, vivaient cachées à Écully, dans la banlieue lyonnaise.

(3) Témoignage de Mère Sainte-Marianne

(4) Témoignage de Mère Saint-Celse

(5) Témoignage de Mère Saint-Maixent, assistante

(6) Témoignage de Sœur Sainte-Marie de la Compassion, nièce de Mère Saint-Servule

(7) Témoignage de Mère Saint-Eleusippe, visiteuse