Quatrième partie

« PRÊTRES, RELIGIEUX, MISSIONNAIRES »

 

 

I

 

« À la Trappe. Et restez-y !... »

 

Le jeune Buaton, du village de Vallins, près de Thoissey, dans l'Ain, venait d'achever l'aveu de ses fautes.

« Est-ce tout ? interrogea M. Vianney.

— Oh ! Oui, mon Père.

— Mais cela... dans telle circonstance ?

— C'est vrai. Je ne m'en souvenais plus. »

Après sa confession, le pénitent sollicita quelques conseils : il se déplaisait dans le monde ; peut-être était-il fait pour la vie religieuse, une vie de prière et de pénitence ?...

Le saint Curé trancha la question :

« Mon enfant, allez à la Trappe... »

Puis, accentuant fortement les derniers mots, il reprit : « Allez à la Trappe. Et restez-y ! »

 

Bientôt, notre jeune pèlerin, éclairé sur la voie à suivre, frappait à la porte de Notre-Dame d'Aiguebelle. Accueilli favorablement, il y prit la bure sous le nom de Frère Éléazar.

Frère Éléazar fut, pendant plusieurs mois, le novice idéal, fervent, vaillant, toujours souriant. Ensuite la tentation se déchaîna dans son âme ; la belle lumière rapportée d'Ars parut s'éteindre ; le monde que le jeune homme avait fui dans l'ardeur de ses vingt printemps, il en vint à se l'imaginer moins périlleux et plus aimable.

 

Décidément, il avait exagéré, en s'ensevelissant dans cette Trappe, en se condamnant au silence perpétuel, aux jeûnes et aux abstinences de chaque jour, à la perte de sa liberté. Oh ! Cela surtout !... Ne pouvais-je donc être heureux et rester bon chrétien dans la maison de mon père ? se redisait-il cent fois le jour, cent fois la nuit où il ne dormait plus... Pourquoi prétendre me sauver à si grand prix quand il est possible de le faire à si bon marché ?

Le tentateur parlait ainsi dans son âme, et Frère Éléazar croyait entendre seulement la voix de sa raison. Aussi n'osa-t-il pas découvrir ses troubles à son maître de noviciat. Une pensée unique, à présent, l'obsédait : partir ! Il fit le malade et, sous prétexte que le Père infirmier ne comprendrait rien à son état, il exprima le désir d'aller se faire soigner à l'hôpital de Montélimar. Ce qu'il n'eut garde de dire, de là, laissant son froc, il prendrait la route du pays natal.

Or à peine exprimait-il le désir d'être conduit à Montélimar qu'il se rappela la parole du Curé d'Ars : « Allez à la Trappe et restez-y ! »

De ce programme de sainteté il avait réalisé la première partie. Mais la seconde ?... Restez-y ! Tenaces, inoubliables, ces deux mots retentissaient dans l'âme découragée et ténébreuse. Soudain la lumière se fit ; le courage revint. La tentation d'inconstance était vaincue.

Après une existence des plus pleines et des plus édifiantes, Frère Éléazar devait mourir à Aiguebelle le 11 août 1883. (1)

 

 

(1) D'après une relation du Révérendissime Père Abbé de Notre-Dame d'Aiguebelle (21 mai 1901)