Troisième partie

FONDATEURS ET FONDATIONS

 

 

I

 

Les Petites Sœurs Franciscaines de Jésus

 

La Congrégation des Petites Sœurs de Jésus, du Tiers Ordre de Saint-François-d'Assise, a pris naissance à Saint-Sorlin, dans le département du Rhône. Commencé bien pauvrement, comme tant de grandes et bienfaisantes choses, cet institut religieux s'est étendu jusque dans le Nord de la France. A l'heure actuelle, il héberge environ mille délaissés : orphelins ou orphelines, infirmes ou vieillards, sourdes-muettes, etc. Il compte deux établissements dans le diocèse de Belley : Ferney et Beaupont.

La bénédiction du saint Curé d'Ars est descendue, dès leur fondation, sur les Petites Sœurs de Jésus.

La fondatrice et l'une des religieuses qui lui succéderaient un jour dans le supériorat, Sœur Marie-François-d'Assise, dans le monde Louise Perret (1), vinrent consulter le saint plusieurs fois de 1855 à 1857.

Ce sont ces visites qu'a racontées au procès de canonisation Sœur Marie-François. Son récit contient de précieux détails non seulement sur le don d'intuition départi au Curé d'Ars, mais sur un don plus sublime encore.

Les témoignages de la religieuse ont été recueillis par le tribunal de la Cause siégeant à Ars même, dans la chapelle des Frères de la Sainte-Famille, le 8 août 1864.

 

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La première fois que j'ai rencontré M. Vianney, je l'ai consulté sur ma vocation. « Ma fille, me répondit-il, vous la saurez dans six mois. »

J'avais le désir le plus vif d'entrer en religion, mais, à cause d'une santé trop délicate, je pensais la chose impossible. Je crus donc que M. le Curé avait voulu me dire que ma mort arriverait dans six mois, et, de mon mieux, je m'y préparai.

 

Le délai indiqué expirait à Pâques. Je résolus de retourner à Ars pendant la semaine sainte pour y voir une dernière fois M. Vianney et y recevoir sa bénédiction.

Comme j'entrais à l'église, M. le Curé m'aperçut et me fit signe de le suivre à la sacristie. « Mon enfant, me dit-il aussitôt en souriant, vous pensiez bien mourir ces jours-ci. Non, votre carrière n'est pas finie. Courage, mon enfant ! Le bon Dieu vous bénira. »

J'insistai près de lui pour savoir ce que Dieu demandait de moi.

« Ah ! Mon enfant !... », s'écria-t-il. Puis, il se parla comme à lui-même dans un langage que je ne compris pas, pendant à peu près cinq minutes. Je le regardai : il ne me parut plus le même, il semblait comme hors des sens. Je crus qu'il voyait le bon Dieu, et, m'estimant bien indigne d'être en présence d'un si grand saint, je me retirai tout effrayée.

 

Notre vénérée supérieure revint alors dans son pays. Quelques jours après, elle entrait dans l'atelier où je travaillais moi-même. C'est alors que je fis sa connaissance, mais j'ignorais tous ses projets.

Au bout d'un an environ, nous fîmes toutes les deux le pèlerinage d'Ars.

Il se trouvait, ce jour-là, une foule considérable autour de M. Vianney. Il nous fit appeler par une personne du village.

Dès que nous fûmes toutes les deux près de lui, au confessionnal, il nous dit spontanément à l'une puis à l'autre : « Le bon Dieu vous veut ensemble. Répondez à son amour. Il veut vous faire de grandes grâces ».

 

Quelques temps après, nous nous retrouvions à Ars, où nous passâmes quatre jours.

M. le Curé ne nous dit rien, cette fois, d'extraordinaire, mais avant de partir il donna trois francs à ma vénérée supérieure, qui refusa d'abord, alléguant qu'elle avait assez d'argent pour le voyage. Sur les instances du saint, elle accepta.

En arrivant à Villefranche, ô surprise ! impossible de trouver notre bourse pour payer le voiturier. Les trois francs donnés par M. Vianney nous devenaient nécessaires.

Dans un troisième voyage, il dit à notre supérieure : « Partez vite !

— Mais, monsieur le Curé, nous voudrions auparavant entendre la sainte messe.

— Non, ma fille, partez à l'instant, car l'une de vous va tomber malade, et si vous attendiez, vous ne pourriez plus vous en aller. 

Ma mère nous accompagnait dans ce voyage. Quoique très effrayée, notre supérieure ne nous dit rien des paroles du saint Curé, mais elle nous fit repartir tout de suite.

Deux heures avant d'arriver chez nous, je me trouvai tellement fatiguée que je me vis dans l'impossibilité de continuer la route. Ma supérieure et ma mère furent obligées de me porter ou de me traîner jusqu'au bout. Ce fut le commencement d'une maladie sérieuse qui dura quinze jours.

 

Quand nous fîmes cette visite, nous avions déjà quelques orphelines, mais pas encore de Congrégation. Quand il fut question d'en fonder une, nous nous trouvâmes en face de difficultés considérables. Personne ne nous encourageait. Même plusieurs prêtres des environs, loin de nous soutenir, disaient hautement que notre projet était une folie, que nous étions des présomptueuses et des entêtées.

 

Au milieu de ces contradictions, notre supérieure partit une fois de plus pour Ars.

Au moment où elle entrait dans l'église, M. Vianney y faisait le catéchisme. Dès qu'il l'eut terminé, il se rendit au confessionnal. Il dit à notre supérieure : « Mon enfant, ne vous découragez pas, c'est le démon qui parle par la bouche de ceux qui vous désapprouvent. Le bon Dieu veut votre œuvre. Aimez bien vos enfants, apprenez-leur à aimer le bon Dieu. »

Ces paroles rendirent à notre supérieure toute son énergie et tout son courage. Depuis, elle a continué sans hésitation l'œuvre qu'elle avait commencée.

Cette œuvre a prospéré. Nous avons trois orphelinats, nous avons des Sœurs dans deux orphelinats de garçons. La maison principale est à Saint-Sorlin, diocèse de Lyon, et renferme de cent soixante à cent quatre-vingts orphelines. Nous sommes quatre-vingts religieuses et trente prétendantes.

Il n'y a que sept ans que M. le Curé d'Ars a daigné encourager cette œuvre.

 

 

(1) Sœur Marie-François d'Assise, née à Saint-Loup (Rhône) le 25 novembre 1829, devait décéder à cinquante ans, le 12 avril 1879.