IV

 

« Allez auprès d'elle »

 

En 1857, il y avait à Montpellier une petite bonne qui se déplaisait chez ses patrons. Augustine Huet était normande, étant née à Mortagne-de-l'Orne. Elle souffrait de maintes choses : des exigences et de la mauvaise humeur de ses maîtres, d'être éloignée de sa mère... Et puis un vague désir de vie religieuse la tourmentait. En ses perplexités, le désir lui vint d'aller consulter le Curé d'Ars. Mais Montpellier n'en est pas très voisin. Les patrons d'Augustine lui défendirent de faire ce voyage.

Augustine « rendit son tablier » et partit.

Le mercredi 18 juillet, vers sept heures et demie du soir, elle arrivait à Ars.

 

Que de monde ! songea-t-elle en voyant l'église encombrée de pèlerins, elle qui s'attendait à une audience presque immédiate de M. le Curé. Elle remarqua que chacun des pénitents ne restait que peu de minutes au confessionnal. Mais ils étaient trop ! Cependant Augustine avait pu se faufiler d'un rang à l'autre jusqu'à un petit coin assez peu éloigné de la chapelle Saint-Jean-Baptiste. « Ce n'est rien que pour le voir sortir », avait-elle dit, en s'excusant, aux personnes qu'elle dépassait.

Le saint sortit de son confessionnal pour monter en chaire et réciter la prière du soir. Or, arrivé à la hauteur de la voyageuse, il arrêta sur elle son regard et il se mit à sourire. La jeune fille en fut à la fois impressionnée et rassurée.

 

L'église fermée, Augustine Huet se réfugia dans le vestibule du clocher. Vers une heure du matin, M. Vianney reparut. Un peu avant 6 heures, la petite bonne pouvait entrer au confessionnal. M. Vianney ne la laissa pas achever son confiteor.

« Mon enfant, lui dit-il sur un ton d'extrême bonté, vous voilà venue de bien loin... Vous avez beaucoup souffert dans la place que vous venez de quitter...

— Mon Père...

— Mon enfant, je sais, je sais... En ce moment, vous avez la pensée de vous replacer à Montpellier. Non, n'y retournez pas : les deux places qui vous sont offertes ne valent pas mieux l'une que l'autre... Ah ! et puis vous avez aussi l'idée du couvent. Non, pas ça non plus : le bon Dieu veut que vous restiez dans le monde. Sa volonté avant tout... Vous avez une mère, ma bonne petite fille. Il faut vous en aller auprès d'elle.

— Mais, mon Père, ne savez-vous pas pourquoi je l'ai quittée?...

— Mon enfant, allez auprès d'elle. Le bon Dieu l'exige de vous : c'est là votre mission.

— Et quand faut-il aller ?

— Mais tout de suite. Ne vous placez pas. Allez auprès de votre mère. Ne la quittez pas. »

Augustine Huet restait interdite. Comment ce prêtre, inconnu d'elle comme elle l'était de lui, avait-il appris tant de choses précises ? Toute saisie, elle se taisait. Enfin, surmontant son émotion :

« Si cela est, mon Père, je ne serai donc jamais religieuse ? »

A cette question, le Curé d'Ars garda le silence à son tour ; il lisait intérieurement l'avenir. Enfin :

« C'est vrai, le bon Dieu change ses desseins quand il lui plaît... Je ne vous dis donc pas non... Vous avez une bien grande confiance en Dieu, ma chère enfant... Il vous éprouvera, mais courage ! Priez avec ferveur la Sainte Vierge : elle est votre mère. Priez aussi beaucoup sainte Philomène et saint Jean : c'est par leur intercession que j'ai obtenu moi-même de grandes grâces... Je vais célébrer tout à l'heure ma messe, pendant laquelle vous communierez. Je vais prier pour vous... »

 

Augustine resta dans Ars deux jours encore. Elle se sentait tentée, malgré tout, de faire un nouvel essai à Montpellier. Mais puisque le Curé d'Ars ne le voulait pas !... Elle put l'aborder une dernière fois.

« Non, répliqua-t-il avec force, résignez-vous à la volonté de Dieu. Il faut tout de suite vous en aller chez votre mère. Et n'oubliez pas ce que je vous ai dit. »

 

Revenue en sa ville natale, Mlle Huet y trouva la souffrance. Cependant, forte des conseils du saint d'Ars, elle accomplit sa mission auprès de sa mère : sans doute de ramener cette âme aigrie à des sentiments meilleurs et de la préparer à une fin chrétienne.

Cela fait, Augustine sentit qu'elle avait accompli sa tâche sur la terre. Elle soupira devant Dieu, le suppliant de lui accorder tout de même un peu de paix avant la mort, avec la suprême joie de se consacrer à lui.

Elle entra dans une communauté, où elle vécut quelques années encore. (1)

 

 

(1) Les sources de ce récit sont deux relations écrites, l'une en 1861, l'autre en 1877, par M. l'abbé Beaumont, curé de Saint-Langis-les-Mortagne, qui fut le directeur spirituel de Mlle Augustine Huet.