Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre VII



DRUIDISME ET CHRISTIANISME : LE GRAAL

 

Après la perte de l'indépendance, les vrais druides (car il y avait naturellement un parti « jeune-druide », toléré, voire flatté par Rome), les vrais druides, dis-je, furent persécutés et assassinés, plus ou moins légalement, partout où les vainqueurs les dépis­tèrent.

Ils demeuraient, en effet, l'âme de la résistance morale et maté­rielle. Tibère, puis Claude vingt ans plus tard, déclarèrent le druidisme supprimé — preuve qu'il continuait à lutter — et les druides hors la loi. Un des prétextes inventés par les philanthro­piques amateurs de jeux de cirque, fut la vieille balançoire des « sacrifices humains », chose qui serait comique si elle n'était infi­niment triste. Les fameux sacrifices, nés d'une déviation dont j'ai assez parlé, ne furent jamais approuvés ou pratiqués par les orthodoxes intransigeants, ceux, justement, qu'on traquait sans merci ! En réalité, à la persécution sourde, officieuse, succéda, après la révolte de Sacroviros, en 21 de notre ère, la persécution officielle et la répression au grand jour. Mais l'on n'arriva pas à supprimer les druides avec la même facilité qu'on révoquait des fonctionnaires. A dire vrai, on en « liquida » bien quelques douzaines, mais les autres se donnèrent de garde et continuèrent la lutte dans l'ombre. Après Sacroviros, leur élève, d'autres, suscités par eux ou non, mais sûrs de leur appui, se révoltèrent contre un asservissement méprisable et aussi contre ces deux bienfaits de Rome, selon Henri Hubert : « le fisc et les Barbares ». Bien­faits auxquels il serait équitable d'ajouter la prostitution.

Quant aux druides, les uns changèrent leur titre trop voyant contre celui de Gutuater (« Père ou Chef de la Liturgie »). D'autres se firent officiellement Ieurises (« consécrateurs »), d'un terme IEURO- « sacré, consacré », titre lu malencontreusement Eurises sur l'autel des Nautes parisiens, et qui ne signifie rien en gaulois.

Il n'est pas sans intérêt de signaler que ce furent les druides qui réorganisèrent en sous-main certaines corporations (telle celle des bateliers, que je viens d'évoquer), lesquelles, plus tard, don­neront naissance aux rites du compagnonnage.

Certains d'entre eux, cachés dans leurs retraites forestières, continuèrent à éduquer secrètement la jeunesse, comme l'avoue Promponius Mela, sans compter ceux, assez nombreux, qui pour­suivaient discrètement leur ministère et leurs travaux, sous le couvert de diverses professions, en particulier de celle de méde­cin.

Jusque vers le milieu du IV siècle subsista une organisation druidique orthodoxe, présidée par un archi-druide et tenant ses assises et cérémonies de loin en loin, selon l'opportunité. Et, au premier rang de ces fêtes rituelles, la principale, celle du Gui, que la prudence la plus élémentaire interdisait de célébrer là où s'était érigé l'Ombilic des Gaules, mais qui se déroulait chaque année dans un site différent, malaisément accessible et, au sur­plus, bien gardé. Lorsque les circonstances rendirent enfin impos­sibles ces Grandes Assises, le druidisme devint affaire individuelle, chaque druide initiant sous sa seule responsabilité son successeur éventuel, selon que le terrain s'y prêtait. L'autre mode de trans­mission, surtout depuis Colomban, fut le monachisme. Il y eut donc encore sporadiquement des druides en Gaule, et des druides chrétiens, plusieurs siècles après la dissolution de l'organisation collective, c'est-à-dire du druidisme en tant que « religion ». Et je ne jurerais pas qu'il n'y ait plus, de nos jours, aucun porteur du vieux et vénérable Flambeau !

Je reviens en arrière.

Vers l'an 25 de notre ère, un voyageur mystérieux visitait Lutèce « la Boueuse », que dominait la Montagne Sainte-Gene ­viève (Loukotikia « la colline des souris », car elle en était infes­tée), puis se rendait en pays chartrain, s'arrêtait un peu, là où avait été l'Ombilic du pays, aux « marches » des terres carnutes, c'est-à-dire au nord du territoire biturige, obliquait, de là, sur Lyon et, par la vallée du Rhône, traversait la Provence , enfin, par la côte, atteignait Monaco, point extrême de son périple gaulois.

Partout, sur sa route, il savait où rencontrer les druides, déjà traqués, et avait avec certains de longs colloques.

Ainsi, avant de regagner la Palestine où allait bientôt commen­cer sa mission publique, jetait-il les bases spirituelles de la christianisation de notre sol. Non qu'il ait fait de ses interlocuteurs des « disciples », à proprement parler. Plus simplement, il les préparait pour l'époque de la prédication de l'Evangile. Dire qu'il fut compris de tous serait excessif. Mais les quelques-uns qui lui ouvrirent leur cœur appartenaient à l'élite de ce qui restait des hauts degrés initiatiques. Lorsque, peu de lustres plus tard, le suprême conseil secrètement réuni définirait son attitude et transmettrait des consignes, touchant le christianisme naissant, leur avis aurait une influence décisive sur les points en discussion.

 Ce christianisme fut apporté en Gaule par deux voies : la première, plus secrète, la seconde, plus ouverte. Voici : l'un des disciples immédiats vint de bonne heure, aux environs de l'an 50, s'arrêtant d'abord à Lutèce, puis à Chartres, l'ancienne Autricum. Avec sagesse, il avait fondé dans ces deux villes une communauté agissante, mais extrêmement discrète. C'est à celle d'Autricum qu'il faut rapporter l'origine d'une méprise dont il n'est pas inop­portun de dire quelques mots. La tradition de la promesse d'un sauveur né d'une vierge se perpétuait dans le druidisme pré­chrétien. Elle faisait partie de sa révélation primitive, antérieure même à Rama, mais était tenue secrète aux simples disciples, tant que durait leur long noviciat. Or, quelques-uns des chrétiens igno­rés dont j'ai parlé, et dont certains étaient probablement druides confirmés, gravèrent, assez légitimement, sur une représentation d'EPONA, personnification de l'Aurore [1] , la fameuse inscription «  A LA VIERGE QUI DEVAIT ENFANTER ».

Peu d'années après, ce fut la seconde vague de christianisation, d'origine grecque, venue par Marseille, la vallée du Rhône et Lyon qui, moins précautionneuse que la première, s'attira vite les persécutions que connaissaient déjà les druides. Ce furent les Continuateurs de ces chrétiens qui, découvrant l'EPONA et sa dédicace (d'ailleurs en latin) supposèrent que celle-ci était drui­dique et préchrétienne, donc prophétique, puisque la statuette l'était indubitablement.

Après ce qui précède, il est facile de se représenter l'attitude des druides orthodoxes envers les chrétiens et leur évangile. Certes, elle ne fut pas la même partout, surtout dans les débuts. Mais, au rebours de ce qui se produisit, par exemple, en Irlande où les Druides schismatiques luttèrent, parfois par la magie, contre la nouvelle foi, cette attitude ne fut nulle part d'hostilité déclarée. Elle fut ici d'adhésion, là de réserve, ailleurs de sympathie. Mais quelle qu'ait été la position adoptée, un fait les rapprochait : les uns comme les autres étaient frères en persécution. De là devait naturellement découler une entente et parfois une entr'aide tacites.

D'autre part, un druide qui se faisait chrétien n'en demeurait pas moins « druide », — pas moins porteur du savoir et du degré d'initiation qui étaient siens avant sa conversion. Ce dépôt intellectuel et spirituel, il devait chercher à le préserver. Ce qui se faisait généralement par transmission orale à quelques disciples sûrs et doués. Finalement, les derniers druides trouvèrent dans les monastères un abri discret et un moyen licite d'infuser dans les formes du christianisme ce qui pouvait être conservé de l'antique sagesse.

Les Bénédictins, entre autres, avaient (et ont probablement encore dans certaines de leurs abbayes) des documents sur ce point. Même de nos jours, j'incline à penser que quelques-uns savent parfaitement à quoi s'en tenir.

Il est bon, d'ailleurs, de se rappeler qu'au XVIII siècle les Béné­dictins de Saint-Maur s'intéresseront au druidisme avec une très sensible sympathie, ce qui laisse la porte ouverte à bien des sup­positions.

Quoique le cycle de Graal ait son point de départ dans le bardisme d'Outre-Manche, les druides gaulois ont dû mettre dis­crètement la main, ici ou là, à certaines versions ou continuations. Là, se laisse entrevoir un des points de jonction entre la tradition celtique et la chrétienne. Et René Guenon tombait juste en affir­mant que les origines de la légende du Graal se rapportaient à la transmission d'éléments traditionnels d'ordre initiatique, du drui­disme au christianisme.

Durant tout le Moyen Age, la substance initiatique fut conser­vée par les Ordres religieux et révélée — seulement éventuelle­ment — à des laïcs, artistes ou poètes, selon leur réceptivité et leur talent. C'est là qu'étaient les vrais centres initiatiques chré­tiens.

Pour en revenir à la « matière de Bretagne » (romans arthurien, quête du Graal) il s'en faut que tous les textes portent l'empreinte, même légère, de l'orthodoxie druidique, agissante au sein de l'orthodoxie chrétienne qui l'englobait sans l'étouffer. Cette empreinte, discutable chez Chrétien de Troyes, se laisse plus ou moins sentir chez Gautier Map, chez l'auteur de la Queste du Saint Graal et chez Robert de Boron.

J'ai parlé du bardisme d'Outre-Manche, gallois et cornique. Lorsque fut conçu le thème cyclique du Graal, il y avait beau temps que les Bardes semi-légendaires, Merlin (Myrddyn) et Taliesin étaient partis pour l'au-delà avec le roi Arthur (si l'on entend ici l'Arthur historique, mort à Camlan, l'antique Cambo-Glana). Car il ne faut pas perdre de vue qu'il y eut un Arthur mythique et un Arthur historique sur qui se rassemblèrent avec le recul du temps les traits du premier. Il en va de même pour le double aspect de Merlin et de Taliesin.

Merlin, barde et guerrier, mais non « druide » avait été le conseiller d'Arthur. Il était chrétien et, d'autre part, c'était un voyant, porteur de l'Awen (inspiration, révélation) correspondant à l'initiation bardique, équivalent approximatif de ce qu'on appe­lait dans l'antiquité « les Petits Mystères ». La « fée » Viviane (Chweblian, du texte gallois) symbolise, si l'on veut, la Nature et ses pièges. Dans le poème de Merlin, intitulé Avallenau La Pommeraie »), elle apparaît deux fois sous l'appellation générique de Chweblian (Strophe 9) et de sa variante Chwimlian (Strophe 19), mais son vrai nom symbolique est donné dans la lère strophe : Gloywedd !

Taliesin est, lui, aussi, un initié bardique et non druidique ; chrétien certes, sans plus ! Les poèmes qui lui ont été attribués sont de lui, pour la plupart, mais furent remaniés et retouchés pour la forme et parfois pour le sens dans les siècles qui suivirent.

Le Taliesin légendaire (Tal-Iesin : (Front rayonnant »), dont il ne sera pas question ici, est un héros ou une personnification solaire de type connu. Le Taliesin historique, en tant qu'Aweniol bardique, développait un enseignement d'évolution naturaliste non qu'il ait ignoré ou rejeté la doctrine spiritualiste du druidisme, mais parce que les bardes n'aient pas part effective à l'initiation druidique.

Inutile de dire (disons-le tout de même) qu'il professait, sous une certaine forme, ce que nous appelons assez improprement « réincarnation », mais non « métempsychose »... Prière de ne pas prendre l'histoire de ses transformations au pied de la lettre : thème folklorique banal, et même point spécifiquement « cel­tique ». Aussi, son Kad Goddeu (« combat des arbres ») ne me semble offrir qu'un mince intérêt initiatique. Par contre, une partie du Cadair Ceridwen et surtout ses Preiddeu Annwfn (« Les Dépouilles d'Annwn ») renferment, me semble-t-il, l'essentiel de l'ésotérisme bardique (se référant à une initiation « astrale », non « spirituelle »).

L'Arthur légendaire, c'est l'Etoile du Pôle (Arthur = homme - ours) et il est, tant logiquement que chronologiquement, fils d'Uther Pendragon (Uther = OUKSTRO — « celui d'en haut ») ; (Pendragon = « Chef -- dragon ») qui l'a précédé comme astérisme polaire.

Dans l'adaptation de la Table Ronde , Arthur sera pris comme symbole du Pouvoir temporel. Quant à Ceridwen « La Naine Blanche », initiatrice de Taliesin, c'est la Mère divine des Schismatiques, le principe DEUX, des orthodoxes.

Ainsi se confirme le plan sur lequel pouvait se situer l'initiation bardique, telle, du moins, qu'elle transparaît sous les images et les épithètes dont use Taliesin.

En ce qui concerne le « Vaisseau » d'Arthur, Prydweh (« appa­rence claire »), certains auteurs y ont vu la lune. Je ne leur donnerai pas entièrement tort, pas plus qu'à ceux qui voudraient traduire le nom du « Couteau » d'Arthur, Karnwennan, par « Corne blanche ». Je préviens seulement que j'ai de fortes raisons pour m'abstenir de commenter ces deux noms et quelques autres.

Après ce qui précède, il devient plus aisé de démêler le sens (mieux : un des sens) de la Quête du Graal, et de préciser le rôle de ses principaux acteurs. Il a été exposé par les érudits qu'on en retrouvait tous les éléments, tous les thèmes dans tels et tels récits et rites celtiques d'Irlande et de Grande-Bretagne. C'est évidemment là le « matériau » mis en œuvre. Mais je dénie qu’on ait jamais retrouvé une « séquence thématique » comparable à la Queste . C'est là, justement, la « mise en œuvre » et c'est, essentiellement, ce qui importe. Dans « Mythes, Contes et Légendes », j'ai assez précisé mon point de vue, pour me dispen­ser de redites fastidieuses.

La QUESTE est l'épopée (spirituelle) du passage du druidisme au christianisme. Elle contient donc des éléments préchrétiens, mais n'a pu être conçue et élaborée qu'après la christianisation, longtemps après, et, sous sa forme la plus ancienne, sûrement pas avant le septième ou mieux le huitième siècle de notre ère. Après Colomban.

Et d'abord, qu'est la a Table Ronde » ? Je laisserai de côté le sens cosmologique, où la table est l'image du ciel boréal. Au sens qui nous intéresse, la Table Ronde est le cercle des initiés, le symbole de leur communion. Ces initiés ont perdu le sens interne du druidisme et ne connaissent, du christianisme, que l'aspect extérieur. Arthur, image du Pouvoir temporel, y préside bien aux rites du bardisme, mais se sent privé d'appui spirituel ferme. C'est pourquoi le SIEGE PERILLEUX est vide, pourquoi aussi nous assistons au commencement des « enchantements de Bre­tagne », période trouble entre le druidisme finissant et le christia­nisme commençant. Car, de la table ronde, Arthur n'est nulle­ment le chef ; on nous donne à savoir qu'il ne l'a ni imaginée, ni construite, mais que Merlin (la chaîne de l'initiation bardique et, pour les besoins du récit, jusqu'à un certain point druidique) en est le promoteur. Le CHEF réel, c'est celui qui pourra s'asseoir impunément sur le siège périlleux. Or, ce siège appartient tra­ditionnellement au seul Archi-druide ; mais depuis que ce dernier ne tient plus guère qu'au symbolique les clés majeures de l'ensei­gnement, le siège qu'il n'est plus en mesure d'occuper doit appar­tenir au « Prédestiné » (Peredur, Perceval ou Galaad, peu importe !) qui les retrouvera et les revivifiera en mode chrétien. Je tiens qu'il est inutile de chercher là des analogies matérielles, soit, comme on l'a fait, de rapprocher du siège périlleux la Pierre de Fâl irlandaise, pierre d'épreuve de la légitimité royale, car il ne s'agit pas de « pouvoir royal » dans la Queste. Il faut prendre le « siège » au sens où l'on dit « le siège pontifical », signe d'une fonction à exercer et non objet matériel. Et de même, les recherches pour retrouver « le château du Graal », dans les Pyré­nées ou ailleurs, en quelque Montserrat, Montségur ou autre lieu haut, semblent témoigner de préoccupations d'un ordre peu en rapport avec leur objet.

Qu'est le Roi « pêcheur »? — sinon l'ancien Archi-druide [2] : l'autorité spirituelle préchrétienne qui se survit — péniblement !

Le « vase » ou « chaudron » ou « graal » (ce dernier mot d'ori­gine française, ce qui est à retenir) peut être entendu au sens le plus grossier (nourriture matérielle inépuisable) ou au sens le plus éminent (nourriture spirituelle, Savoir, Eau de la Vie éternelle) selon l'élévation de celui qui en parle et l'ouverture d'entendement de celui qui l'écoute [3] .

C'est, symboliquement, le vase où Joseph d'Arimathie est dit avoir recueilli le sang du Sauveur. Il ne faut pas perdre de vue à ce propos que le vase, comme ses substituts hiératiques, le chaudron, la coupe, est un symbole universel, remontant à la révéla­tion primitive, et que pas un sens nouveau ne saurait en être donné légitimement, qui n'ait toujours été en lui, en puissance sinon en fait. Dans le christianisme c'est un symbole essentielle­ment « eucharistique », par sublimation de son sens préchrétien. Non que le symbole ait eu à « évoluer », mais plutôt parce que le temps était venu pour certains d'en saisir l'application suprême. Ce qui est perfectible, c'est toujours l'homme, jamais le symbole (je veux dire la réalité interne dont le symbole est le véhicule et l'interprète). J'entends ici, un symbole vrai, dont les acceptions dépendent de la nature des choses et non d'une arbitraire fantaisie individuelle !

J'irai plus loin. Le « Prédestiné » (Perceval, Galaad) c'est l'ini­tié direct du Christ, qui reçoit le dépôt de la double tradition druidique et chrétienne et peut exercer l'autorité spirituelle suprême dans la sphère qui lui est dévolue. L'autorité, mais non le pouvoir temporel !

Si je voulais en peu de mots résumer le cycle du Graal, sans me perdre dans les détails accessoires, je dirais à peu près ceci :

La religion druidique agonise ; le mot-clé de l'initiation drui­dique semble bien perdu par les anciens fidèles et par les initiés, qui ont adopté le christianisme sous sa forme exotérique, mais n'en entrevoient également qu'à demi l'ésotérisme.

Il faut donc retrouver la clé perdue, la fameuse « parole délais­sée » et refaire la synthèse christiano-druidique.

Le « Prédestiné » n'est venu que pour cela. Il affronte les épreuves, en triomphe, retrouve le mot de la tradition druidique, puis celui de la chrétienne (qui ne peut être donné que par le Christ) et devient le chef (humain) de l'Eglise intérieure.

Et c'est la fin des « Enchantements de Bretagne » !

Quant à l'assomption finale du Graal, certains y voient le retour de l'ésotérisme au « centre suprême », tandis que subsisterait seul en Occident le côté exotérique chrétien ou « religieux ». Ce n'est pas ici le lieu d'exposer pourquoi, depuis la venue du Christ, ces liens de « régularité » avec le « centre suprême », que je ne dési­gnerai pas plus clairement, sont ou me semblent périmés. Contrai­rement à une opinion assez répandue parmi les ésotéristes modernes, il y a encore possibilité de parvenir à l'initiation effec­tive dans le monde occidental. Là, le Christ est, à présent, L'INI­TIATEUR, révélant directement au cœur du disciple tout ou partie du sens caché des plus antiques traditions, aussi bien de celles qui se survivent que de celles dont nous ignorons actuelle­ment jusqu'au nom [4] .

 

 

 

Quoi qu'on pense de ces derniers développements, qui ne seront sans doute pas du goût de tout le monde, je ne terminerai pas ce chapitre sans rappeler une curieuse survivance de druidisme monacal, encore qu'il se soit agi de druidesses. On la trou­vera exposée en substance dans un article de A. Fournier : « Remiremont et le Saint-Mont » (Celtica, t. II, 1903). On y voit que les dames chanoisesses de Remiremont, disciples de Saint Colomban, gardèrent jusqu'au XVII siècle une indépendance et une originalité sans exemple. Ce sont au fond des druidesses converties au christianisme (j'entends, celles des premiers temps). Elles prêtent serment sur la « Franche Pierre », authentique menhir, font de somptueux banquets de funérailles à la mode cel­tique ; dansent, mêlées au commun, autour des feux de la Saint-Jean ; entretiennent un feu perpétuel comme celui de Kildare, ou envoient au pape (nous sommes ici en plein symbolisme gaulois) un cheval blanc ferré d'argent !... En étaient-elles moins bonnes chrétiennes pour cela ? Il est permis d'en douter !...

Mort en tant que « religion » - mort définitivement, quoi qu'on veuille ou fasse - le druidisme ne fut pas anéanti au point de n'avoir point laissé de traces de son activité jusqu'à nos jours. Cette activité s'est déployée sagement dans le cadre chré­tien, où s'incorpora, par diverses voies et sous diverses formes, ce qu'il était opportun et licite de sauver de l'oubli. Non par quelque tentative de syncrétisme hétéroclite, mais par une trans­position des vieux symboles en mode nouveau. Cette transfigu­ration était, au fond, des plus simples, puisque, comme l'a écrit Saint Augustin : « Ce qu'on appelle aujourd'hui religion chrétienne existait chez les anciens et n'a jamais cessé d'exister, depuis l'origine du genre humain, jusqu'à ce que, le Christ Lui-même étant venu, l'on ait commencé d'appeler « chrétienne » la vraie religion qui existait déjà auparavant. »

 


[1] J'ai exposé quelques raisons d'assimiler Epona à L'Aurore, à l'Ushas "lue dans  «De quelques Symboles druidiques».

[2] Allusion transparente à Math, IV, 18.

[3] Je ne parlerai pas de la «Lance sanglante», élément inorganique, appartenant aux Mystères de la doctrine schismatique, insérée à la faveur d'un rapprochement malencontreux avec celle qui perça le Christ.

[4] La Queste du Graal, telle que je viens de la condenser, est née en milieu « druidico-monastique » de France, un siècle après Colomban. Le thème primitif s'est chargé de sens et surchargé d'enjolivements multiples, en passant du plan sacerdotal au plan littéraire. Chrétien de Troyes a utilisé une version ; Wolfram von Eschenbach, qui a lu Chrétien, s'est basé conjointement sur elle et sur celle de Kyot le Provençal qui ne nous est pas parvenue, mais qui a bien des chances d'être antérieure au texte remis à Chrétien. Ce qu'ils en ont fait, en y mêlant sans doute pas mal de leur cru, est source d'innombrables débats entre érudits qui y ont discerné, parfois à tort, parfois à raison, des infiltrations gnostiques, soufiques ou manichéennes.

 

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