Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre XIV


 

DE QUELQUES SYMBOLES MONETAIRES ET LITHIQUES

 

Monnaie gauloise
Monnaie gauloise : L'aigle cavalier

 

          Dans le plan primitif que je m'étais tracé, trois chapitres étaient ébauchés : l'un sur les monnaies, l'autre sur les pétroglyphes, le troisième sur les inscriptions gauloises. J'ai dû supprimer le dernier et réduire les deux premiers à un seul, quitte à leur consa­crer un ouvrage ultérieur si le loisir m'en est accordé. Je ne répéterai pas ce qu'on peut trouver dans tous les manuels de numismatique sur la classification et la comparaison des monnaies gauloises, dont on peut trouver de fort précieuses reproductions photographiques dans le beau volume L'Art Gaulois, de la Collec ­tion « La Nuit des Temps » (Zodiaque, 1956).

          En Gaule comme ailleurs, le symbolisme des monnaies peut témoigner d'intentions assez diverses, soit profanes, soit sacerdo­tales, quoique les figurations astro-mythiques y soient très largement représentées.

          De cette diversité d'intentions et d'adaptations, un bon exemple m'est fourni par le « sanglier », qui figure sur tant de pièces.

          Chez les Eburones, elle allait de soi, puisque le sanglier (Eburos) leur servait d'armes parlantes. Dans des figurations composites, sa signification variait, selon qu'il évoquait une représentation astrale ou qu'il commémorait, plus prosaïquement, quelques victoires sur une tribu qui l'avait pris pour emblème (Eburones, Eburovices, ou toute autre tribu dont l'histoire ne fait pas mention).

          Isolé et crête de flammes, de rais ou de globules (symbole stellaire équivalent aux cupules lithiques), il pouvait jouer sur deux significations reliées par une analogie remontant fort loin dans le passé celtique. Par la première, il personnifiait notre Grande Ourse, les flammes ou globules exprimant le rayonnement des sept étoiles de l'astérisme. A ce propos, j'observerai que les flammes et les soi-disant « digitations» gravées sur certains mégalithes sont, essentiellement, une même chose : l'image d'un rayo­nement, d'un « feu » occulte, d'une aura magnétique. La seconde signification du sanglier flamboyant, c'était la fonction d'Archidruide. Cette adaptation nous ramène à l'époque où la Grande Ourse (alors, le « Sanglier ») occupait le pôle céleste, c'est-à-dire le point fixe et suréminent des apparentes révolutions sidérales, de même que la fonction d'archidruide dominait toute l'évolution du corps social. Il est à peine nécessaire de rappeler ici que les traditions de l'Inde font des étoiles de la Grande Ourse la demeure des sept grands Rishis.

          Par cet exemple, je pense n'être pas accusé de ne voir, indis­tinctement, sur toutes les monnaies que des symboles astraux, quoique une notable partie en comporte ; cette signification «astrale » étant en général allusive à un mythe ou à un enseignement d'ordre plus élevé.

          Je répète que ce sont les symboles mis au point par les sacerdotes qui, transportés dans le ciel, ont été organisés en constellations, et non l'inverse. Avec ces symboles, les mythes dont ils étaient les supports peuplèrent également l'azur. D'où ils redes­cendirent ensemble, si j'ose dire, pour s'incarner dans l'imagerie monétaire. Et ce, non particulièrement en Gaule, mais partout, comme en font foi les monnaies de l'antiquité classique. C'est pourquoi, parmi les numismates, A Fillioux (Nouvel Essai sur les Monnaies de la Gaule , 1867) mérite une mention particulière. J'en dirai autant de M. Lambert qui le précède dans cette voie interprétative avec ses deux Essais sur la Numismatique gauloise (1844 et 1864).

          Fillioux a souvent vu juste, mais a quelque peu passé le but en systématisant à outrance. Mais surtout, quoiqu'il eût très bien saisi le rapport « Sanglier » = « Grande Ourse », il lui a manqué une bonne connaissance de la Sphère gauloise, différente en ses symboles comme, parfois, en ses figurations célestes (astérismes) de notre sphère classique.

          De cette sphère, j'ai déjà donné quelques échantillons (qu'il est évidemment permis de déclarer « sans valeur ») et j'éprouve une certaine gêne à en fournir de nouveaux, aussi peu « scientifiquement » fondés que les précédents, en attendant qu'une découverte heureuse vienne démontrer ma légèreté ou confirmer la tradition dont les circonstances m'ont fait l'écho, — affaibli.

          Pour la bonne intelligence des pièces qui pourraient une fois mettre à l'épreuve la sagacité des chercheurs de l'avenir, je me résignerai à énoncer que la constellation du Bouvier, s'appelait en Gaule « le Gardien » (cf. le nom Arctophylax, de la sphère hellène) et que l'étoile Arcturus était sa « main ». C'est cette « main » qu'on rencontre — au naturel — sur quelques monnaies. La couronne boréale (en gaulois « le Torques » (*TARPO-) se constate, parfaite de netteté, sur une monnaie, avec les globules-étoiles dont j'ai déjà parlé ; la Perle ou Alphecca, blasonne le torques d'un globule centré.

          Les Dioscures (dii Cassi ou Lugoves) dont j'ai parlé dans De quelques Symboles druidiques, sont parfois représentés sous les espèces de deux chevaux d'affront, parfois sous celles de deux chevaux superposés, le supérieur signalé par une étole [1] . Dans le même ordre d'idées, je remarque (Lambert, T. II, PI. I n° 9) une figuration assez fruste qui reproduit un emblème carnacéen dont j'aurai à reparler. Dans Lambert également, je signale (T. I, PI. VII, fig. 5° notre Bélier, ici le « Cerf », Elembius, avec la Roue Solaire. C'est donc le même code symbolique du druidisme que nous retrouvons sur les monnaies du type précité, dans la figuration de l'autel de Reims où Cernunnos, soleil vernal, ouvre l'année en nourrissant un cerf et un taureau, astérismes de la saison nommés en toutes lettres dans le calendrier de Coligny, tandis que c'est le même cerf zodiacal et le même Cernunnos, qu'on retrouve sur le vase de Gundstrupp. Ce qui laisse beau­coup à penser sur l'importance et l'étendue du rayonnement drui­dique. Je souligne ici, une fois de plus (d'autres diraient une fois de trop) que l'année « orthodoxe » commençait bien avec l'équinoxe de printemps.

          Peut-être pourrai-je aborder certains problèmes majeurs de l'emblématique monétaire dans un ouvrage futur. Entre autres, celui des monnaies dites « à l'Ogmios » et des têtes qu'on y suppose « coupées », bien gratuitement. Ici, je dirai seulement que l'Ogmios en question n'est autre que l'Apollon Virotoutis, dont j'ai déjà dit quelques mots. Il est dans ses attributions d'être l'Initiateur des vivants et non le guide des morts ; ce n'est pas un « psychopompe ». Et cette nuance peut mettre sur la voie d'une interprétation ni « chtonienne », ni « macabre ». Je sais trop, par expérience, combien il est difficile de ne pas se fourvoyer sans Fil d'Ariane, dans le labyrinthe druidique pour jeter le blâme sur ceux dont je me permets de rejeter les conclusions, qui resteront toujours valables à leurs propres yeux. Ceci soit dit une fois pour toutes.

          J'en viens maintenant à l'examen de quelques pétroglyphes.

 

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          Il est un symbole qui revient assez fréquemment, soit sur des supports dolméniques, soit sur des pierres isolées. C'est un triple sillon concentrique en ovale fermé ou ouvert, surmontant deux renflements hémisphériques. On y a vu pas mal de choses, entre autres, les indices d'un culte phallique (De Paniaga), — ce qui était à peu près immanquable — ou, comme Le Rouzic, plus près du réel, on a comparé ce symbole avec les statues-menhirs de l'Aveyron et du Gard. Mais, là où il se rencontre (Gisors, Epone, Aveny, Dampmesnil, etc.) il n'y a pas de statues-menhirs et il n'est figuré sur aucun menhir authentique. On ne le trouve que sur des éléments de dolmens et il y est situé de telle sorte qu'on peut en admettre la gravure postérieure à l'érection du monu­ment.

          Ici, il me faut à nouveau revenir sur le « schisme des druidesses » et rappeler que le collier d'ambre à trois rangs était le collier druidique par excellence, légitimement réservé au seul archidruide.

          Or, partout où les opinions des druidesses triomphèrent, le culte de la mère universelle eut le pas sur celui du principe masculin. Le triple collier d'ambre (Trigi-Samo-) fut attribué à la grande déesse dont la principale dénomination en Gaule fut Belisama. Ce nom se rattache à celui de l'ambre, symbole de paix, comme je l'ai dit, voici quelques lustres. On pourrait le rendre approxi­mativement par « collier d'ambre de Belos », plus communément appelé Belenos, comme divinité masculine et solaire. Quoi qu'on veuille penser de cette étymologie, le symbole sculpté subsiste et, sur les monuments où il fut imprimé après coup, il ne peut guère avoir pour  signification qu'une victoire, une consécration du schisme [2] .

 

image collier

 

          Un autre groupe de symboles a également donné lieu à des interprétations divergentes. L'abbé Breuil y voyait une stylisation de tête humaine, tandis que Le Rouzic parlait de « signes scutiformes », d' « écussons ».

          J'en reproduis ici quelques types armoricains, qu'on ne peut guère séparer de ceux de Vendée et d'Outre-Manche. Certains sont cernés de lignes ondées où Le Rouzic voyait les poils débordant des boucliers de cuir, et l'abbé Breuil, des chevelures. Mais le pétroglyphe de l'Ile-Longue, que je recopie d'après l'ouvrage de Fergusson (Monuments Mégalithiques de tous les Pays) montre assez distinctement qu'il s'agit de « flammes ».

 

signes scutiformes

 

          A Carnac, le type II de ma figure alterne avec le type III. On remarquera la mollesse des lignes et l'incurvation de l'ensemble, encore plus sensible sur les analogues des îles britanniques. La comparaison avec les rochers gravés de la Vendée , d'après Déchelette, montre nettement qu'il s'agit de stylisations anthropomorphiques, réduites au buste et, souvent, au seul thorax humain. Le type II mérite une mention spéciale. Au premier abord, il semble être acéphale et porter une échancrure au col. Ceci n'est pas tout à fait exact. Que II et III soient des symboles stellaires, les cupules de III et les cercles centrés de II l'attestent. Il s'agit bien d'astérismes individualisés. Le type II (dont une variante, marquée d'une double étoile, a souvent été interprétée comme une stylisation de poulpe) est le jumelage, si je puis dire, de deux types simples. En d'autres termes, c'est la figuration d'un « Couple Dioscurique », dont on trouvera le schéma dans la monnaie dont j'ai parlé au début de ce chapitre (Lambert, II, Pl. I, fig.9).

          J'en viens à un autre genre de symboles : ceux de la hiérarchie druidique. Nous les retrouvons à peu près tous à Carnac, ce qui est logique, puisque c'est là que fut longtemps l'Ombilic des Gaules.

          Rien qu'à la « Table des Marchands », nous identifions les « Trois Rayons » (le Tribann bardique), les « Dents de Sanglier », et les « Crosses pastorales » ou cambuttas, où Le Rouzic, hanté par l'idée, — chère aux folkloristes — de a culte agraire », voulait absolument voir des épis courbés par le vent... sans rendre raison du miracle par quoi le vent aurait courbé les « épis » dans deux directions opposées.

          Sur cette même Table des Marchands, nous relevons la hache rituelle des druides confirmés (non sans rapport, peut-être, avec le dédoublement hindou de Rama en Rama Tchandra et en Paraçu-Rama, c'est-à-dire « Rama à la hache de pierre). Et cette hache est ici surmontée d'une crosse sacerdotale, formant avec cette dernière un des emblèmes de l'archidruidicat, si je ne m'abuse. Au Mané Rutual, à Erlanic, ailleurs encore, figure un autre signe : la pierre polie ou hache non emmanchée. Chacun de ces emblèmes correspondait à une fonction définie ou à un degré d'initiation bien déterminé à l'intérieur du druidisme.

          Quant à la « Triple Enceinte », un des sceaux collectifs du druidisme, son emploi « officiel », si j'ose dire, me semble avoir été relativement tardif.

          Puisque j'en suis aux signes de reconnaissance et d'initiation, je mentionnerai pour terminer le rite du « pied déchaussé », correspondant à une initiation effective d'un certain ordre. On en trouvera deux exemples vérifiables dans le catalogue de Musée de Saint-Germain, sous les numéros 28 467 et 23 933. Le premier est une statuette de « Mercure ». Ce pseudo-Mercure est chaussé d'une seule sandale. Sous son travesti, c'est, au fond, d'Apollon Virotutis, l'Initiateur divin, dont j'ai dit quelques mots en exami­nant les monnaies dites « à l'Ogmios ».

          Le second exemple est fourni par la stèle funéraire du forgeron Bellicus, trouvée à Sens. Comme le premier, ce monument est postérieur à la conquête romaine et à la persécution des druides.

          Que ce Bellicus ait pu être officiellement « forgeron » ne l'empêche pas de s'être fait statufier post mortem avec un signe, clair pour certains, le désignant comme initié druidique, voire comme initiateur.

          C'est tout ce que j'en puis dire [3] .

          Un mot encore. D'aucuns trouveront qu'étoiles et astérismes occupent pas mal de place dans l'ensemble de cet ouvrage. C'est qu'ils en occupaient aussi pas mal dans le druidisme. Mais l'on se méprendrait en attribuant aux vrais druides une « astrolâtrie » étrangère à leurs vues. Pour prendre un de mes derniers exemples, ils n'adoraient nullement, au sens que nous donnons aujourd'hui à ce verbe, les Dioscures ou Dii Cassi. Leur importance céleste tenait au rôle d'étoiles repères qu'ils avaient joué à l'équinoxe vernal. Sur leur importance dogmatique — qui était considé­rable —  j'éviterai toute exégèse. Un très gros volume ne serait pas de trop pour confronter les mythes des « jumeaux » dans la littérature sacrée ou semi-profane de l'Antiquité classique et dans le domaine indo-européen. Débrouiller ensuite cet écheveau embrouillé pour l'expliciter autant qu'il est possible en ces matières, n'entre ni dans mon cadre, ni dans mes possibilités, ni non plus dans mes goûts. Là encore il me faudrait user de diffé­rentes « grilles » ou clés de transposition, comme je le fis pour le Taureau et les Trois Grues. Mais la différence entre ces deux groupes de symboles est énorme, et telle que je ne puis la faire toucher du doigt. Je dirai simplement que le second ouvre des possibilités d'action qui ne sont pas à mettre entre toutes les mains... Et ce n'est pas sans liaison avec l'une d'entre elles que les « feux Saint-Elme » furent nommés « Castor et Pollux ».

          Dans leur domaine mythico-religieux et dans leur fonction de corps enseignant, les druides n'en usèrent point très différemment des savants positivistes d'une époque récente, qui dessinèrent et baptisèrent les astérismes du compas, du Sextant, de la machine pneumatique, du télescope et du fourneau chimique. Et je ne pense pas qu'ils aient davantage « divinisé » des créations de leur sagesse symbolique, que les modernes celles des échantillons de leur science.

          Sous le voile commode du polythéisme (personnification et classification hiérarchique des forces de la nature et des passions de l'âme, celles-ci liées à celles-là) le druidisme, comme l'orphisme et le pythagorisme, professait un monothéisme (au sens moderne de la chose et du mot) aussi sourcilleux, quoique plus discret, que celui de Moïse. Inversement, Moïse (ou ses interprètes et traducteurs) ne croit pas affaiblir la notion de l'unité divine, concrétée en Yawe, par l'évocation incessante d'Aleym : la plu­ralité des « dieux » au sens ancien du terme, 1' « Olympe » pour ainsi dire.

          Qu'il soit religieux, athée, positiviste, philosophe ou savant, l'homme de notre temps tombe rarement juste dans ses jugements sur les hommes, l'histoire, les techniques ou les institutions de l'homme du lointain passé... et même du plus récent : l’esprit du moyen âge lui échappe, il ne commence à respirer un peu et à comprendre quelque chose qu'à dater de ce crépuscule de la vraie grandeur et de cette agonie de la catholicité qu'il a baptisés « Renaissance ».


[1] On remarquera cette distinction entre les deux « chevaux », qui concorde bien avec le mythe classique des « jumeaux » insistant sur leur différence d'origine, l'un étant fils d'un mortel, l'autre d'un « Immortel ». De même, le Tarvos de l'autel des Nautes porte aussi une étole ou écharpe sacrée, comme appartenant au ciel. Pour les chevaux, il se peut que certaines figures aient été contaminées par une schématisation du type dit «au bige». Ne généralisons pas trop vite.

[2] Il n'est peut-être pas dépourvu d'intérêt de constater que les « sta­tues-menhirs » témoignent, elles aussi, des fluctuations de la lutte pour la suprématie entre les partisans de chacun des deux principes. Encore qu'il se poursuive toujours, sous d'autres avatars, on pourrait tenir ce conflit pour le fruit d'une imagination trop bouillante ou pour une copie, — par défaut d'imagination, cette fois —, de ce qu'en a dit Fabre d'Olivet. Toutefois, je soumettrai au lecteur ce détail assez caractéristique, emprunté à l'ouvrage de l'archéologue M. Louis : « Le Néolithique » (Nîmes, 1933), p. 215.

« Les statues-menhirs portent toujours une ceinture... Le sexe féminin est caractérisé par des seins, le sexe masculin par un baudrier et un objet ; il y a aussi des statues androgynes et des statues à sexe indéterminé. Ces deux dernières catégories seraient celles de statues dont on aurait voulu changer le sexe par l'addition des attributs de l'un et la suppression de ceux de l'autre.

« Particulièrement intéressant est le processus des modifications succes­sives de la statue des Arribats, d'abord féminine, puis masculinisée, et enfin rendue à son sexe primitif. »

[3] J'ajouterai, toutefois, qu'un relief qui décorait la Porte des Compes en l'église Saint-Sernin de Toulouse use du même symbole en le complé­tant par un signe de reconnaissance commun au druidisme et à certaine initiation brahmanique : les deux vierges aux jambes croisées, un pied déchaussé. L'une portant un voile de tête, l'autre tête nue. Détail qui a son importance !


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