ANDRE  SAVORET
(1898 - 1977)

ET LE GRAAL

Poèmes et Textes


AVEZ-VOUS ENTENDU LA HARPE DE MERLIN...

(A Pol Diverres, respectueusement.)

Avez-vous entendu la harpe de Merlin
Egrener lentement ses accords cristallins
A travers les forêts de la vieille Celtide ?

Des bords ombreux du Rhin jusqu'aux Cassitérides,
La brise en frémissant redit le nom d'Arthur...

Un chant d'espoir émeut les rives de la Clyde :
Voici venir les temps prédits par Peredur !

Oublieux descendants des Celtes intrépides,
Avez-vous entendu la harpe de Merlin,
Des cols de l'Helvétie aux confins des Hébrides,
Résonner doucement par ce frileux matin ?

C'est assez et c'est trop de luttes fratricides,
Fils de la vieille race ardente, aux yeux d'azur !
C'est assez et c'est trop de tous vos mauvais guides ! 
   
Voici venir les temps prédits par Peredur :
Un chant d'espoir résonne à travers la Celtide !

Avez-vous entendu la harpe de Merlin
Résonner doucement par ce frileux matin,
Des sylves d'Hercynie aux vallons de la Clyde ?

Debout ! fils des vaillants qui firent la Celtide !
Voici venir les temps prédits par Peredur :

J'entends, dans le vent frais, siffler Excalibur !
 


BALLADE DU LEGENDIER CELTIQUE
 

Pour avoir parcouru ta forêt de légendes,
Un pèlerin au coeur pieux
Chante, inlassablement, par les monts et les landes,
L'amer destin de ses aïeux !
Le passé fascinant enchante encor mes yeux
Car, sur le chêne symbolique, 
Ma faucille a coupé le rameau merveilleux :
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !

Forêts de Celyddon et de Brocéliande,
Château du Graal mystérieux, 
Alignements sacrés de Bretagne et d'Irlande,
Et toi, Snowdon au front neigeux ;
- Olympe s'escarpant sous de plus sombres cieux -,
Lieux peuplés de voix prophétiques,
J'ai suivi vos sentiers et j'ai connu vos dieux :
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !

N'ai-je pas vu bondir, froissant les hautes brandes,
Galaad au coursier de feu,
Et Merlin déposer une invisible offrande
Au tombeau de la blonde Yseult ?
Mon pas a résonné dans tous les chemins creux
De la rocailleuse Armorique
Où passèrent jadis Arthur et tous ses preux...
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !
ENVOI :
Chef des harpeurs du Nord, Barde au Front Radieux, 
Accorde au disciple authentique
De sonner le réveil des Celtes oublieux ;
En lui vibre toujours l'écho des chants antiques !
 
 
LA COUPE

(A Betty Mornac.)

Ton coeur fut la coupe magique,
- La coupe d'éclatant cristal, -
Qui vibrait dans l'aube édénique
Au chant du cercle sidéral.

Enfant du Ciel et de l'Argile,
Où donc gît l'Eden ancestral ?
Ton cœur est la coupe magique
Qui fut, mais qui n'est plus le Graal !

Le sang du Verbe s'est figé
Dans cette coupe opaque et sombre
Où burent les dieux étrangers
Des froides régions de l'Ombre.

Vinaigre et fiel y sont mêlés
Depuis l'aube immémoriale,
Mêlés au sang coagulé
Comme une hématite infernale.

Cent lippes sales ont souillé
Dans leurs agapes orgiaques
La coupe aux bords bien nettoyés,
- Qui n'est, au-dedans, qu'un cloaque.

Cherche et trouve le vrai remède,
Connu de tous et de toujours,
Le remède que tous possèdent
Et que tous gâchent tour à tour,

Le remède unique que nomment,
Sans savoir prononcer son nom,
La lèvre distraite de l'homme,
La voix menteuse du démon !


Un ange effleurera de l'aile
la coupe au cristal frémissant
Pour qu'en elle se renouvelle,
Soudain, le Miracle du Sang ...

Et l'ange, alors, à ton oreille
Murmurera ton nom nouveau,
Pour clore, indicible merveille,
Le cycle de tes durs travaux :

Car ton coeur, délivré des pièges
Tendus par les hordes du Mal,
Rompant enfin tous sortilèges,
Sera redevenu le Graal !
 


DIALOGUE
 

Dis-moi, bon chevalier qui tant chercha le Graal,
Bon chevalier, dis-moi ce qu'advint de la Quête ?
-J'ai longtemps parcouru le monde occidental
Sans découvrir, hélas, sa mystique retraite !

Du moins, bon chevalier, vis-tu passer Merlin
Sous les chênes parlants des forêts de légende ?
- J'ai battu tout sentier, j'ai foulé tout chemin
Sans rien voir que mon ombre errante sur la lande

Bon chevalier recru de fatigue et de peine,
Demain, reprendras-tu ta course à travers bois ?
- Passant, je donnerai tout le sang de mes veines
Pour voir ressusciter mes espoirs d'autrefois !

-Bon chevalier, crois-moi, ce que cherche ton âme
Luit - et luira toujours - d'une égale splendeur,
car le Graal merveilleux que ta geste proclame
N'est ni bien loin d'ici ni plus proche d'ailleurs.

Cesse d'aller quérir de neuves aventures ;
Sous des cieux inconnus, ne va plus t'exiler
Mais, déposant le heaume inutile et l'armure
Sache ouvrir à propos tes yeux, mal dessillés :
car ce Graal merveilleux que ton désir réclame
Et que chercha si loin, si vainement, ton âme,
Sur l'autel de ton cœur, à tout jamais, fulgure
- A t'aveugler !
 


LES DEPOUILLES D'ANNOUN

A la mémoire du poète
Yves Berthou, (Kaledvoulc'h).

Gloire au seul souverain, suprême ordonnateur
Des cieux éblouissants et de la mer profonde ;
Gloire au Maître suprême, universel Seigneur,
Dont le règne s'étend jusqu'aux confins du monde !
Close était la prison où la présomption
De Gwair, fils de Getcin, l'avait précipité :
Au centre du Château des Révolutions
Gisait l'homme, vaincu par la fatalité.
De par la volonté de Pwyll et Pryderi,
Nul vivant, avant lui, n'en put franchir l'enceinte...
Et, tandis qu'une lourde chaîne le meurtrit,
Il chante (et chantera), sombrement, sa complainte.
Pour les trésors d'Announ, - funèbrement -, il chante
Et, jusqu'au dernier jour, continuera son lied,
A moins que l'un de nous, domptant son épouvante,
Ne pénètre à son tour dans Caer Wediwid.
Nous avons, par trois fois, tenté cette aventure :
Par trois fois, enfermés dans les flancs de Pridwen,
Nous partîmes, joyeux, vers les terres obscures !...
Sauf sept, nul ne revint de Caer Pedriwen !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Voici mon premier mot sur le Chaudron sacré ;
Voici mon premier mot : gardez dans vos mémoires
Ce que les Trois Rayons auront pu m'inspirer.
Avec son bord serti de perles, n'est-ce pas
Le mystique chaudron du Seigneur du Trépas ?
Neuf vierges, de leur souffle, échauffent un breuvage
Que ne saurait ravir un homme sans courage :
Llemynaoug, armé d'un glaive étincelant,
Surgira pour punir l'insolent fanfaron
Et, devant le portail du Château du Chaudron,
Le croissant argenté flambera, fulgurant !
 

Gwair, jusqu'au dernier jour, continuera son lied
Et, lorsque dans Pridwen nous suivîmes Arthur,
Quand notre nef cingla vers le pays obscur,
Sauf sept, nul ne revint de Caer Wediwid !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Nous avons assailli l'lle-à-la-Forte-Enceinte,
Où crépuscule et nuit, dans leur sauvage étreinte,
Tourbillonnent sans fin, au-dessus des eaux noires.
Par trois fois, dans Pridwen, nous partîmes encor...
Sauf sept, nul n'échappa hors de Caer Rigor !
Je ne veux pas briguer l'hommage du vulgaire
En contant les exploits et la mort du héros :
Pourrait-il contempler, au seuil du Sombre Enclos,
Les prouesses d'Arthur, au glaive de lumière ?

Les guerriers se pressaient, muets, sur les courtines,
D'impassibles archers et de calmes veilleurs
Epiaient au sommet des tours adamantines ...
Trois fois, avec Arthur, nous allâmes, sans peur...
Sauf sept, nul n'échappa hors de Caer Colur !

Je ne veux pas chanter les prouesses d'Arthur,
Afin de recevoir l'hommage du vulgaire ...

La foule ne sait pas les raisons et les causes ;
La multitude vile, attachée à la terre,
Ignorera toujours le vrai pourquoi des choses
Elle ignore le jour et l'heure où parut Cwy,
Et quel dieu l'empêcha d'accéder à Dewy.

Lorsqu'il nous enferma dans les flancs de Prydwen,
Sauf sept, nul ne put fuir hors de Caer Ochren !

Elle ignore le boeuf sacré du Roi des Nuits,
Porteur du bandeau d'or et du joug à sept noeuds ...
Quand, pour le capturer, nous partîmes, joyeux,
Sauf sept, nul ne s'enfuit hors de Caer Wandwy !
Que cette multitude, au coeur lâche et volage,
 

Epargne à ma chanson son hommage affligeant ;
Elle ignore le jour et l'heure, et son courage
Tremble de rencontrer le monstre au chef d'argent !

De tous ceux que tenta le Cercle Inférieur,
Sauf sept, nul ne sortit du Château de la Peur !

   Taliésin



PROLOGUE DE LA QUESTE


Va, mon blanc chevalier, vers la sylve profonde
Où tes pairs, autrefois, trouvèrent leur destin ;
Détourne tes regards ,des mirages du monde,
Toi qui pressens le but et qui sais le chemin !

Pars sans tourner la tête - et que Dieu te conduise !
Va vers la sylve ombreuse où tes pairs, autrefois,
Chevauchèrent longtemps sous les frondaisons grises,
Le gantelet au casque et l'anneau d'or au doigt.

Chevauchèrent longtemps, à l'ombre des bois noirs,
Les héros d'autrefois - dont je rends témoignage -
Pour avoir entendu vibrer en eux, un soir,
Un déchirant écho de l'éternel Message.

Cet écho, l'entends-tu - mon fils - vibrer en toi ?
L'entends-tu résonner dans la nuit solennelle ?...
Va, l'éclair de tes yeux a trahi ton émoi :
Il est temps de quitter tournois et jouvencelles !

Te voici donc élu pour la Queste mystique
- Car l'éclair de tes yeux m'indique assez ton choix - :
Cherche le seul sentier et le Trésor unique ;
Le reste - tu le sais - t'est promis par surcroît.

Affronte calmement l'épreuve nécessaire
Si tu veux faire enfin, selon qu'il est écrit,
De ton cœur altéré d'amour et de lumière
Le Graal immarcescible où descendra l'Esprit.
 


L'ANNONCE DE LA QUESTE


Dans la salle aux murs nus, près de la Table Ronde,
Les douze preux, debout, écoutaient l'Enchanteur
Dont la voix célébrait le joyau des neuf mondes :

« La Queste va s'ouvrir,.. Beaux chevaliers, en selle !
Il est d'autres pourchas que ceux de vos veneurs ;
Il est un autre Amour que l'amour de vos Belles ! ...
« Louange et gloire à toi, resplendissant calice
Qui recueillis le sang précieux du Sauveur,
- Miroir immaculé du Soleil de Justice !

« La Queste va s'ouvrir..., Beaux chevaliers, en selle !
Lionel, Lancelot, Galaad, Perceval, 
Déjà, sur Montsalvat, l'aube d'or étincelle...

« O Fontaine de Vie, ô Jardin de Délices,
Qui vous retrouvera, s'il n'a trouvé le Graal,
Miroir immaculé du Soleil de Justice ?

« Louange et gloire à toi, Puissance universelle
Par qui le coeur humain devient le pur cristal.
Où se reflète, enfin, la Lumière éternelle !

« La Queste va s'ouvrir. Déjà luit l'aube neuve :
Lionel, Lancelot, Galahad, Perceval, 
Montsalvat vous attend, après l'ultime épreuve,

Mais nul ne l'atteindra s'il n'a conquis le Graal ! »
 


LES ADIEUX D'ARTHUR 



Voici que Galaad à l'armure de feu
S'est assis, sans frémir, au Siège Périlleux...
Les temps sont accomplis, la Queste s'est ouverte,
Adieu Bohor, Gauvain, Lancelot, Perceval ;
Ah ! combien, d'entre vous rencontreront leur perte
Sans avoir découvert la vérité du Graal !

Demain, s'enfonceront dans la forêt profonde
Où leur Sort les attend, ceux que mon coeur aimait ...
Pourquoi faut-il qu'ici leur roi, seul, se morfonde,
Désespérant, hélas, de les revoir jamais ?

Les temps sont accomplis, la Queste s'est ouverte ;
Partez, bons chevaliers, et que vous garde Dieu : 
En priant, j'attendrai dans la salle déserte. 

Seul, je vous attendrai quand vous courrez le monde,
Mais, au festin du Graal, ne serez si nombreux
Que l'êtes en ce jour à notre Table Ronde ! ...
 


O GRAAL MYSTERIEUX


O Graal mystérieux, éblouissant symbole,
Ni Lancelot du Lac, ni Lionel des Rieux,
Coeurs ardents mais âmes frivoles,
N'ont pris place au festin du Château Merveilleux: 
Splendeur comme il n'en est d'égale sous les cieux,
Luiras-tu donc toujours sans dessiller leurs yeux.?...


Coeurs ardents mais âmes frivoles,
Ni Lancelot du Lac, ni. Lionel des Rieux 
Ne voient les anges qui survolent
Le roc de Montsalvat que ta gloire auréole,
O Graal mystérieux !...


Luiras-tu donc toujours sans dessiller leurs yeux,
Splendeur comme il n'en est d'égale sous les cieux?...


Mais tu ne peux sauver que celui qui s'immole,
Consumé du désir de Dieu,
Et qui, sans te chercher; te retrouve en tous lieux,
O Graal mystérieux, éblouissant symbole !



GALAAD
 

Blanc chevalier, porteur d'un rayon de l'Esprit,
Avatar du Phénix qui vient, de siècle en siècle,
Délivrer le captif, consoler le proscrit,
Rétablir la justice et rappeler la Règle,
Plus d'un, parmi tous ceux qui te virent passer,
Dut se prendre à songer; pieusement surpris,
Qu'avait de nouveau refleuri
La Tige de Jessé ...

Blanc chevalier, vainqueur de la seule victoire
Qui soit celle de Dieu,
Ton exemple, pour nous, perdus dans la nuit noire,
Dans la nuit de nos sens et de nos convoitises, 
Sera la colonne de feu
Qui guidait Israël vers la Terre Promise.

Galaad, Galaad, pur messager des Cieux,
Le Roi pécheur a vu briller sur Carbonnec.
Le Signe qu'a tracé ton glaive lumineux
Et ses yeux éblouis ont vu Melchissédec,
Sur un Thabor nimbé de votre double Gloire,
Te présenter la coupe où Jésus voulut boire !
 

A LA COUPE


Symbole gracieux des plus profonds mystères,
Cristal étincelant qu'incline le Verseau
Calice précieux où le sang de l'Agneau
Coula, pour effacer les péchés de la terre,
Salut ! Soit qu'en les flancs frémissent les Eaux-Vives,
Soit qu'un vin capiteux mousse pour les convives
Des festins légendaires.
Les purs contours du lis ont galbé ton cratère.

Coupe du souvenir, miroir impollué
Où le passé, cru mort, s'éveille et ressuscite :
Déployant à mes yeux ses fastes et ses rites.
Tout un monde surgit de tes flancs élancés...
C'est Coridwen, brassant l'élixir du Savoir ;
C'est le roi de Thulé, pleurant dans le soir noir ;
C'est le pampre enlacé
Au Thyrse de Bacchus ; et c'est le Graal mystique
Où boivent, à longs traits, sous les divins portiques,
L'Amour et la Sagesse - à jamais fiancés !

Ah ! Faites circuler, preux de la Table Ronde,
La coupe d'émeraude où luit le vin nouveau :
Serviteurs de la Coupe et porteurs de l'Anneau,
Gloire et salut à vous, calmes vainqueurs du monde,
Appelés au festin des Noces de l'Agneau !
 


AU GRAAL


Arche des vérités que le Verbe dévoile
Aux pèlerins pieux conduits par Son Etoile,
Accepte ma louange, éblouissant calice,
Fleur d'émeraude où luit le sang du Sacrifice.

O Splendeur devant qui toutes clartés pâlissent,
Tabernacle éternel du Soleil de Justice,
Tout pécheur qui te cherche est un autre Tantale
Et notre amour, au tien, est qu'offense et scandale.

Toi l'Emeraude en fleur dont les douze pétales
S'empourprent ardemment du sang du Sacrifice,
Dante même, baigné par ta clarté lustrale,
Ne t'entrevit pourtant qu'à travers Béatrice.

Fleur d'émeraude où luit le sang du Sacrifice,
Que ne suis-je adoubé dans ta sainte Milice
Pour déchiffrer enfin, sans symboles ni voiles,
Le Nom mystique inscrit sur tes douze pétales ! 
 


AU POMMIER DE MERLIN 

Pommier doux aux blanches fleurs,
Doux pommier, cher à mon cœur,
Entends-tu, pleurer, dans le vent qui passe,
Ma harpe d'argent ;
Entends-tu vibrer, à travers l'espace,
L'écho de mes chants, -
Doux pommier, cher à mon cœur,
Pommier doux aux blanches fleurs ?

Doux pommier du vieux verger,
Doux pommier, mal protégé,
Piétinant la haie et les murs détruits,
S'en vint l'Etranger
Briser tes rameaux et ravir tes fruits, -
Pommier doux et sans défense,
Doux pommier de notre France !
Pommier doux, cher à nos coeurs,
Pommier lourd de nos rancœurs,
Bientôt refluera le flot des Barbares
Qui t'ont ravagé ;
Bientôt sonneront joyeuses fanfares
Et refrains légers ! ...
Viendront bien les jours meilleurs,
Pommier doux, aux blanches fleurs !

Pommier doux du vieux verger,
Du vieux verger saccagé,
Entends-tu vibrer, dans le vent du soir 
Caressant tes branches, 
Entends-tu vibrer de beaux chants d'espoir
Disant tes revanches?... 
Pommier, cent fois saccagé :
Bientôt fuira l'Etranger !

Pommier que chanta Merlin,
Pommier des rois très chrétiens,
Entends-tu frémir, comme aux temps antiques,
Ma harpe d'argent ?
 
Entends-tu vibrer les voix prophétiques
Des bardes d'antan, -
Pommier doux et sans défense
Du beau jardin de la France?
Pommier doux aux fleurs candides,
Pommier du jardin splendide,
Entends l'Etranger qui hurle et qui pleure
Et grince des dents ! ...
Le vent du soir siffle : « A chacun son heure,
- A toi, maintenant !
Pommier que chanta Merlin,
Blanc pommier du vieux jardin ! »

Doux pommier, de blanc fleuri,
Pommier doux du vieux pays,
Entends ce que dit le vent frémissant
Aux forêts de France,
Entends résonner sous le firmament
Son chant d'espérance :
Doux pommier, cent fois vengé,
Bientôt, fuira l'Etranger !

Printemps 1944
 


LE CHANT POUR VIVIANE

Merlin, mon doux Merlin, je veux un chant si tendre
Que les oiseaux du bois s'en taisent de dépit
Et que les Séraphins, étonnés de l'entendre,
Sur les parvis du Ciel se penchent à l'envi ...

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Merlin saisit sa harpe, et le coeur des vieux chênes 
Se fendit à pitié d'écouter ses sanglots ;
Merlin saisit sa harpe, et ruisseaux et fontaines
D'apaiser aussitôt la rumeur ,de leurs flots ...
 
Ainsi chanta Merlin, tandis que ses mains fines
Glissaient négligemment sur les cordes d'argent ;
Ainsi chanta Merlin, et, sur chaque aubépine,
Les yeux profonds des fleurs s'ouvrirent à l'instant :

-Voici mon chant d'amour ! C'est un chant de détresse
Que j'offre, en cet Avril, à Celle qui trahit ...
Sois satisfaite, enfin, briseuse de promesses,
Plus cruelle, cent fois, que Mève-aux-beaux-Sourcils ! 

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Telle tu m'apparus, telle je te revois,
Ma blanche Viviane, ingénument perfide : 
A ton front lilial, dardant son regard froid,
Se tordait souplement le Dragon des Hébrides !

L'étrange et doux reflet de tes yeux de pervenche 
Fit tressaillir d'amour mon coeur, mal défendu ... 
Et pourtant je savais de quelle âpre revanche
Le Destin me ferait bientôt payer son dû. 
 

Pris au piège banal qui fit tomber Samson
Aux pieds de Dalila, Hercule aux pieds d'Omphale,
J'ai dévoré ma honte et bu ta trahison :
Et ma harpe a chanté ta victoire fatale !
 
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Merlin, soudain, se tut et, longuement, rêva
Tandis que le vent frais mêlait sous les lianes
Ses cheveux argentés à ceux de Viviane ...
Puis son chant, de nouveau, vers le ciel s'éleva :

-Je ne maudirai plus la blonde enchanteresse,
Victime, autant que moi, de son geste imprudent ...
Si ce n'est «chant d'amour», c'est hymne d'allégresse
Qui rejoindra, Là-Haut, l'hymne des cieux ardents.

Oui, nul ne se connaît s'il n'a subi l'Epreuve ;
Béni soit le Destin qui frappa mon orgueil ! 
Merlin vaincu renaît, avec une âme neuve :
Qu'un chant de Liberté gronde aux échos du breuil !

Je veux prophétiser le vierge adolescent
Qui, par un soir d'Avril, à celui-ci semblable,
Rompra, d'un seul éclair du Glaive éblouissant,
Le vieil enchantement qui, tous deux, nous accable !
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Merlin, d'un geste lent, avait posé sa harpe ;
Et le vent, seul, chantait pour Viviane en pleurs,
Tandis que le brouillard voilait de son écharpe
Le bois où se fermaient les yeux profonds des fleurs ...

 
 
 

LES « CHATEAUX DU GRAAL »

    Les récits touffus qui constituèrent au moyen âge le Cycle du Graal ont le double inconvénient de mettre en œuvre des éléments disparates, parfois contradictoires, et de ne pas laisser clairement entrevoir le canevas sur lequel ils sont plus ou moins fidèlement brodés.
    J'ai dit ailleurs ce que je pensais de la possibilité de restituer la « version archétype » de la Queste par les procédés courants de la critique textuelle. Leur insuffisance saute aux yeux !
    D'ailleurs, sans être grand clerc, on s'aperçoit vite que chaque auteur en a pris assez à son aise avec les éléments véritablement essentiels qui forment le fond de la légende du Graal. Les intentions de chacun diffèrent, ses préférences également, et les savants n'ont guère de peine à discerner dans les textes le reflet des controverses théologiques de l'époque où ils furent élaborés.
    De là à faire de la Queste une simple affabulation catéchistique, il n'y a pas loin.
    Je ne m'embarrasserai pas de telles spéculations, pour cette simple raison que les réalités spirituelles que synthétise le Graal et qui transparaissent suffisamment, même dans les narrations les plus maladroites, dépassent de beaucoup le niveau des controverses théologiques ou philosophiques.
    Le vieux thème druidique du « Chaudron de résurrection », renouvelé en mode chrétien sous la figure du Graal, qui lui a conféré sa signification 
définitive et lui a fait recouvrer l'universalité de son bon sens, n'est pas de ceux qui relèvent de l'exégèse savante.
    Depuis quelques années, le Graal a fait l'objet de recherches assez nombreuses et l'on a émis à son sujet des hypothèses ingénieuses.
    En particulier, on a tenté de retrouver l'emplacement du « Château aventureux », le Montsalvage de Wolfram d'Eschenbach. L'entreprise a donné ce qu'elle devait donner. Les uns l'ont identifié avec Montségur où la
 

légende situe le trésor des Cathares. D'autres y ont vu Montalba dans le Roussillon. Quelques-uns ont avancé que c'était Montserrat dans la région de Barcelone !... Il semble que tous aient été guidés par de vagues analogies verbales.
    Notons que le Montsalvage de Wolfram signifie, si nous savons lire, Mont Sauvage, ce qui rend bien inutiles les divers rapprochements relatés ci-dessus.
    Dans les récits médiévaux, c'est, en général, le château de Pellès, le roi pêcheur, qui renferme le Graal. Ce Pellès n'est probablement que le héros celtique (et mythique) Pwyll, fils de Prideri et de Rhiannon (1), possesseur du fameux chaudron merveilleux et Roi d' Announ.
  ‘  Robert de Boron, lui, substitue à celui de Pwyll ou Pellès le nom bilique de Hébron, influencé peut-être par le légendaire Bran des récits gallois et irlandais.
    On a conjecturé que le château de Corbenic ou Carbonec (que les récits placent en Grande-Bretagne, dans le royaume de Logres) portait un nom celtique défiguré et qu'il fallait y voir Caer Bannawg, « le château des cornes » ou « le château cornu », en lequel les plus intrépides n'ont pas hésité à reconnaître la Lune.
    Quoi qu'il en soit, il est dit que le Graal a quitté la terre à la mort de Galaad et a été transporté au ciel : « Depuis, il n'y a jamais eu d'homme, si hardi fut-il, qui ait osé prétendre qu'il l'avait vu ».
    Il est donc assez inutile de le rechercher en un tel lieu plutôt qu'en tel autre. D'autant plus que le Château du Graal lui-même est, chez tous les auteurs, bien autre chose qu'une construction matérielle. Il apparaît et disparaît comme par enchantement et se joue des imprudents qui battent les buissons pour le trouver.

*  *  *      

    Aujourd'hui aussi bien qu'aux temps de Perceval, de Bohor et de Galaad, la Queste du Graal est ouverte. Comme alors, beaucoup vont par monts et par vaux pour en découvrir le sanctuaire. Faut-il leur dire que ce qu'ils cherchent n'est ni ici, ni là ; ni devant eux, ni derrière eux ; ni à l'Orient, ni à l'Occident ?
    Faut-il leur dire qu'ils cherchent la chose la plus lointaine et, à la fois, la plus proche d'eux ?
    Le « Château du Graal » est partout où se trouve un vrai « chevalier du Graal ».
    Quiconque fera le nécessaire pour devenir tel que l'un d'eux en trouvera l'accès, sans sortir de chez lui.
    Et ce nécessaire est intégralement contenu dans les enseignements du Christ.
 

    Telle est la « voie étroite » qui ne déçoit pas celui qui s'y engage résolument, sans regarder en arrière.



(1) Pwyll signifie « intelligence » ; Prideri, « soin, souci » ; Rhiannon « souveraine ». 

    La QUESTE est l'épopée (spirituelle) du passage du druidisme au christianisme. Elle contient donc des éléments préchrétiens, mais n'a pu être conçue et élaborée qu'après la christianisation, longtemps après, et, sous sa forme la plus ancienne, sûrement pas avant le septième ou mieux le huitième siècle de notre ère. Après Colomban.

    Et d'abord, qu'est la «Table Ronde» ? Je laisserai de côté le sens cosmologique, où la table est l'image du ciel boréal. Au sens qui nous intéresse, la Table Ronde est le cercle des initiés, le symbole de leur communion. Ces initiés ont perdu le sens interne du druidisme et ne connaissent, du christianisme, que l'aspect extérieur. Arthur, image du Pouvoir temporel, y préside bien aux rites du bardisme, mais se sent privé d'appui spirituel ferme. C'est pourquoi le SIEGE PERILLEUX est vide, pourquoi aussi nous assistons au commencement des « enchantements de Bretagne», période trouble entre le druidisme finissant et le christianisme commençant. Car, de la table ronde, Arthur n'est nullement le chef ; on nous donne à savoir qu'il ne l'a ni imaginée, ni construite, mais que Merlin ( la chaîne de l'initiation bardique et, pour les besoins du récit, jusqu'à un certain point druidique) en est le promoteur. Le CHEF réel, c'est celui qui pourra s'asseoir sur le siège périlleux. Or, ce siège appartient traditionnellement au seul Archi-druide ; mais depuis que ce dernier ne tient plus guère qu'au symbolique les clés majeures de l'enseignement, le siège qu'il n'est plus en mesure d'occuper doit appartenir au «Prédestiné» (Peredur, Perceval ou Galaad, peu importe !) qui les retrouvera et les revivifiera en mode chrétien. Je tiens qu'il est inutile de chercher là des analogies matérielles, soit, comme on l'a fait, de rapprocher du siège périlleux la Pierre de Fâl irlandaise, pierre d'épreuve de la légitimité royale, car il ne s'agit pas de «pouvoir royal» dans la Queste. Il faut prendre «siège» au sens où l'on dit «le siège pontifical», signe d'une fonction à exercer et non objet matériel. Et de même, les recherches pour retrouver « le château du Graal », dans les Pyrénées ou ailleurs, en quelque Montserrat, Montségur ou autre lieu haut, semblent témoigner de préoccupations d'un ordre peu en rapport avec leur objet.
    Qu'est le Roi «pêcheur» ? - sinon l'ancien Archi-druide (1) : l'autorité spirituelle préchrétienne qui se survit - péniblement !
    Le «vase» ou «chaudron» ou «graal» (ce dernier mot d'origine française, ce qui est à retenir) peut être entendu au sens le plus grossier (nourriture matérielle inépuisable) ou au sens le plus éminent (nourriture spirituelle, Savoir, Eau de la Vie éternelle) selon l'élévation de celui qui en parle et l'ouverture d'entendement de celui qui l'écoute (2).
    C'est, symboliquement, le vase où Joseph d'Arimathie est dit avoir recueilli le sang du Sauveur. Il ne faut pas perdre de vue à ce propos que le vase, comme ses substituts hiératiques, le chaudron, la coupe, est un symbole universel, remontant à la révélation primitive, et que pas un sens nouveau ne saurait en être donné légitimement, qui n'ait toujours été en lui, en puissance sinon en fait. Dans le christianisme c'est un symbole essentiellement «eucharistique», par sublimation de son sens préchrétien. Non que le symbole ait eu à «évoluer», mais plutôt parce que le temps était venu pour certains d'en saisir l'application suprême. Ce qui est perfectible, c'est toujours l'homme, jamais le symbole (je veux dire la réalité interne dont le symbole est le véhicule et l'interprète). J'entends ici, un symbole vrai, dont les acceptions dépendent de la nature des choses et non d'une arbitraire fantaisie individuelle !
    J'irai plus loin. Le «Prédestiné» (Perceval, Galaad) c'est l'initié direct du Christ, qui reçoit le dépôt de la double tradition druidique et chrétienne et peut exercer l'autorité spirituelle suprême dans la sphère qui lui est dévolue. L'autorité, mais non le pouvoir temporel !
    Si je voulais en peu de mots résumer le cycle du Graal, sans me perdre dans les détails accessoires, je dirais à peu près ceci :  La religion druidique agonise ; le mot-clé de l'initiation druidique semble bien perdu par les anciens fidèles et par les initiés, qui ont adopté le christianisme sous sa forme exotérique, mais n'en entrevoient également qu'à demi l'ésotérisme.
    Il faut donc retrouver la clé perdue, la fameuse «parole délaissée» et refaire la synthèse christiano-druidique.
    Le «Prédestiné» n'est venu que pour cela. Il affronte les épreuves, en triomphe, retrouve le mot de la tradition druidique, puis celui de la chrétienne (qui ne peut être donné que par le Christ) et devient le chef (humain) de l'Eglise intérieure.
    Et c'est la fin des «Enchantements de Bretagne» !
    Quant à l'assomption finale du Graal, certains y voient le retour de l'ésotérisme au «centre suprême», tandis que subsisterait seul en Occident le côté exotérique chrétien ou «religieux». Ce n'est pas ici le lieu d'exposer pourquoi, depuis la venue du Christ, ces liens de «régularité» avec le «centre suprême», que je ne désignerai pas plus clairement, sont ou me semblent périmés. Contrairement à une opinion assez répandue parmi les ésotéristes modernes, il y a encore possibilité de parvenir à l'initiation effective dans le monde occidental. Là, le Christ est, à présent, L'INITIATEUR, révélant directement au coeur du disciple tout ou partie du sens caché des plus antiques traditions, aussi bien de celles qui se survivent que de celles dont nous ignorons actuellement jusqu'au nom (3).



(1) Allusion transparente à Math, IV, 18.
(2) Je ne parlerai pas de la «Lance sanglante», élément inorganique appartenant aux Mystères de la doctrine schismatique, insérée à la faveur d'un rapprochement malencontreux avec celle qui perça le Christ.
(3)  La Queste du Graal, telle que je viens de la condenser, est née en milieu «druidico-
monastique» de France, un siècle après Colomban. Le thème primitif s'est chargé de sens et surchargé d'enjolivements multiples, en passant du plan sacerdotal au plan littéraire. Chrétien de Troyes a utilisé une version ; Wolfram von Eschenbach, qui a lu Chrétien, s'est basé conjointement sur elle et sur celle de Kyot le Provençal qui ne nous est pas parvenue, mais qui a bien des chances d'être antérieure au texte remis à Chrétien. Ce qu'ils en ont fait, en y mêlant sans doute pas mal de leur cru, est source d'innombrables débats entre érudits qui y ont discerné parfois à tort, parfois à raison, des infiltrations gnostiques, soufiques ou manichéennes. 

                Tiré de VISAGE DU DRUIDISME, 1977


LE VASE, LA COUPE ET LE COEUR

« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi et qu'il boive ».
(Jean, 7, 37).

    L'assimilation symbolique du cœur au vase et à la coupe remonte fort loin dans le passé. Déjà, dans la plus ancienne Egypte, le vase AB est l'hiéroglyphe du coeur. Dans le druidisme, existait aussi quelque chose de tel et la coupe présentée par la jeune fille à celui qu'elle avait choisi, lors du repas de fiançailles, signifiait très clairement le don de son coeur.

    Un autre équivalent du coeur, c'était la lampe antique, la lampe à huile, dont il est inutile d'étudier pour l'instant le symbolisme, mais qui se présente en tous cas avec ce caractère dans la parabole des vierges sages et des vierges folles.
    Un des aspects du Graal (car il en est bien d'autres), qui a au moins le mérite d'être aisément accessible, c'est donc le coeur humain.

    Dans les récits où le Graal joue un rôle, un triple procès d'alchimie est décrit assez clairement : alchimie spirituelle, alchimie psychique, alchimie matérielle, où le vase est l'« aimant des sages », la Magnésie catholique, si bien décrite dans Klunrath.


    Le coeur humain est donc un Graal... généralement vide, à moins qu'il ne soit rempli d'immondices.

    Et c'est le Christ qui verse dans ce vase vide l'Eau de la Vie éternelle, qui, à son heure se transformera en Vin. Le Vin de l'Esprit.

    Tous ces processus transsubstantiateurs sont décrits dans les Evangiles, et comme le plus savant commentaire ne vaut pas le texte nu, je rappellerai ici quelques passages qui se complètent et s'expliquent l'un, l'autre :

    Ce sont d'abord deux versets du chap. 7 de Saint Jean :
    « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi, et qu'il boive ».
    « Celui qui croit en Moi, des fleuves d'Eau vive couleront en son sein ».

    N'est-il pas écrit ailleurs que l'homme bon tire toujours de nouvelles choses du trésor de son coeur, que, là où est son coeur, là est son trésor, et enfin, cette déclaration révélatrice : « Un seul est bon ! ».
    Oui, Un seul est bon. Et l'homme « bon » n'est tel que parce qu'il a ouvert son coeur à la Source de tout bien, et qu'elle s'épanche, à travers lui, sur la foule des créatures.

    Un homme bon, quelles que puissent être ses oeuvres apparentes, s'il se glorifiait de sa bonté et la croyait sienne, cesserait à l'instant d'être bon, car son cœur se serait donné à l'Adversaire. Le disciple véritable de Jésus rayonne une Lumière, mais cette Lumière, c'est celle de son Maître. La lumière froide que rayonne l'orgueilleux est aussi, quoiqu'il s'en attribue la possession, celle de son Maître : Lucifer.

    Nul ne peut servir deux maîtres !

    On sait que le Graal, la coupe sainte de la Cène, est dit avoir recueilli le sang du Christ crucifié. C'est là un thème assez développé dans l'iconographie chrétienne. C'est, en somme, le thème du rachat de l'homme, de la revivification de son cœur par le sang jailli du coeur divin.

    « Je suis la Résurrection et la Vie », s'écrie Jésus, et « celui qui croit en Moi vivra éternellement ».
    Il ajoute d'ailleurs que l'homme doit renaître « d'Eau et d'Esprit ».
    Il est bon de noter cette double condition. Il y a là une clé qui ouvre bien des portes. Et deux récits évangéliques : la rencontre avec la Samaritaine et le miracle des noces de Cana, sont en étroite connexion avec l'Eau et l'Esprit dont il a été question plus haut.
    Je ne pousserai pas plus loin le symbolisme ; chacun, selon ses travaux particuliers, sera en état de tirer de ce qui précède les applications qui transparaissaient déjà suffisamment.
 

    Parmi les plus anciennes figurations du coeur symbolique, reproduites dans Le Rayonnement Intellectuel (Octobre-Décembre 1938, p. 122), figure un emblème qui résume à merveille, dans son apparente simplicité, ce qu'on pourrait nommer le « Grand Arcane » du Christianisme, si l'on avait pas un peu abusé, depuis Eliphas Lévi, de ce terme pompeux :
    Dans un médaillon en forme de coeur, s'inscrit un Chrisme, flanqué de deux grappes de raisin disposées dans les deux oreillettes.
    C'est le symbole même du vrai chrétien, du Christophore authentique, de celui qui est né d'« eau » d'abord, d'« Esprit », ensuite : de celui qui a d'abord rencontré son Maître comme la Samaritaine et qui a reçu l'eau qui « deviendra une source jaillissante jusque dans la Vie éternelle » (Jean, 4, 13) : de celui qui a bu enfin de cette eau en « vin » spirituel, réalité transcendante dont le miracle de Cana est l'expression exacte, mais contingente.