XLIV
Tisseurs de Toiles d'Araignée

     Lorsque l'araignée s'évertue à ourdir une toile fragile, ô combien elle a d'imitateurs : tu ne pourrais les compter ! Savants, ignorants, grands et petits, capables, incapables, et ceux que ma Muse m'interdit de nommer, accompagnés de paroles futiles et d'arguments frivoles, et que conduit la vanité de la certitude absolue qu'ils s'imaginent posséder. Ceux que la Critique divertit, ceux que la lettre du Verbe torture Ceux que le Codex absorbe, comme aussi le Podex et ceux qui prétendent à la Pierre des Sages, voulant avec une énergie rapace soumettre les lois divines à leur propre loi. Et ceux que tourmente la Quadrature du Cercle, ceux que tarabuste le Mouvement perpétuel ; ceux aussi qui sont fiers de leurs titres honorifiques et de leurs vaines richesses, comme ceux-là qui se glorifient de la noblesse de leur Origine.

     De part et d'autre, cependant, on file avec autant d'efforts : Celle-là, afin de prendre les mouches, ceux-ci afin de capter les hommes. L'araignée espérait-elle avoir de tels collègues aux mêmes instincts ? Mais, de peur que, peut-être, enorgueillie d'une si grande fortune, elle ne crève, de crainte aussi que les frelons, cinglés par mes paroles véridiques, ne me décochent leurs traits sanglants en récompense d'une fine toile, ici je me tais et cesse de dépeindre ses Semblables : car le fil qu'une brise légère a emporté me manque.
 

XLV
Notion de l'Idée

     L'Idée conçoit la vision de l'esprit et l'image formée dans la pensée, enfantant et vivifiant sa lignée. De là, l'on dit que l'une a été formée et que l'autre a donné la forme. A cause de cela, elle est elle-même sa propre fille et sa propre mère. L'une et l'autre sont une jeune vierge chaste, charmante, tendre et lumineuse, et une image limpide de la chose conçue. Qui saisit la mère de celle-ci et l'enfantement de la Magie ? Que l'Idée ne trouble pas le miroir de sa pensée. L'Idée unique se manifeste par une Image claire, car elle se réfléchit d'elle-même, et fait d'Écho une Déesse.
 

XLVI
L'Éternité est un Point

     Bien que tu additionnes des siècles pendant une longue vie, ce que tu peux compter n'est pas éternel. Mais ce qui se suffit à soi-même, le Point indivisible, omniprésent, cela est éternel, car tu ne peux le compter.
 

XLVII 
Jamais de Fin, pourtant une Fin

     Les choses auxquelles le temps donne naissance, cessent avec le temps : les peines, les afflictions, le chagrin, le deuil, la douleur, la colère, les passions, car l'Abîme les engloutit, ainsi que leurs causes et leurs fins, dévorant ces produits monstrueux de la Nature dégénérée. Mais ce qui a pris son cours dès l'éternel commencement, jamais ne cesse : la vie ne cessera point, l'amour durera toujours.
 

XLVIII
L'Époux blanc et vermeil
(Cant. des Cant. C. V, V. 10)

     Dès que tu me seras livré, Toi, l'Époux de la Lumière et du Feu, la candeur et l'ardeur seront parfaitement conjointes.
 
 

XLIX
Absalon suspendu
(2 Rois, C. 18, v. 9 -14)

     Le vengeur le serre de près et l'arbre se fait gibet, la chevelure, piège, et Joab lui-même, bourreau.
 

L
Triple Croix de l'Auteur

    La première Croix m'a été infligée autrefois par un clergé aveugle, se dissimulant sous l'habit de deux frères de la Doctrine Chrétienne.
Une autre me vint , inventée par un Sophiste orgueilleux auquel il plut de vider mes coffres. La troisième fut imaginée par un odieux Iscariote ; j'en ignore encore la cause : peut-être le saurais-je. Ce sont là croix extérieures. Mais celle que Dieu a ajoutée intérieurement surpasse de beaucoup les autres , Croix (bénie - pesante,) des Croix. 

 

LI
63, Grande Année Climatérique

     Cette année, ainsi qu'on le présage, annonce mille périls : Beaucoup de maux et rien de bon. Celui qui rappelle et prédit ces choses a atteint ce terme, âge auquel son indépendance, sa réputation et son honneur ont sombré. Cependant cette année lui promet nombre de dons et aussi lui rendra son indépendance, sa réputation et son honneur et, en même temps, imposera silence aux calomnies du vulgaire : et les autres menteurs se repentiront et rougiront de leurs agissements. L'espérance me suggère encore un présage plus heureux, que Sophia (la Sagesse) de sa propre bouche m'interdit d'exprimer.
 

LII
Corruption de l'un est Génération de l'autre

     Ce que l'hiver rigoureux fait périr, le doux printemps le rend. Les choses d'ici-bas sont soumises à des changements successifs : La mort succède à la vie, la lumière aux ténèbres, au travail, le repos réparateur ; à la guerre, la paix et au vieux, le neuf. Quand périt le vieil Adam, il en renaît un nouveau ; lorsque la Nature succombe, la Grâce revient spontanément : Veux-tu produire une nouvelle nature ? Détruis l'ancienne par la corruption, car si celle-ci n'est pas détruite, jamais une vie nouvelle ne se développera.
 
 

LIII
La Médecine est triple, et n'est pas la Vulgaire

     Le Vert-de-Gris des Sages (1) donne la première ; l'aimable Vénus donne la seconde ; la troisième est issue du Ciel et de la Mer.
La première a en elle ses feux ; cependant l'oeuvre exige un second et différent feu pour réussir. La deuxième attire les vertus du Ciel à la manière d'un aimant ; la coction seule suffit au reste. Et la troisième conjoint les forces du Ciel et de la Terre en imprégnant le sel marin de la rosée du Ciel.

(1) La note du texte nous reporte au Chap. XIII du Traité. Les passages auxquels il est visiblement fait allusion ici seront reproduits en Appendice.